En décembre 1936, la styliste américaine Ruth Harkness revient de Chine avec un souvenir on ne peut plus original : un bébé panda. Alors âgée de trois mois, Su Lin est la première représentante de son espèce à fouler le sol occidental. Elle habite d’abord dans l’appartement new-yorkais de Ruth Harkness, mais devient rapidement la star du zoo de Chicago. Depuis, le succès du panda géant ne s’est jamais démenti : son allure de grosse peluche souriante attire toujours les foules, le moindre de ses éternuements peut être vu plus de 400 000 fois sur YouTube et la trilogie Kung Fu Panda a généré plus d’1,5 milliard de dollars de recettes dans le monde. Le pays d’origine de l’animal, qui ne vit à l’état sauvage que dans les provinces chinoises du Gansu, du Shaanxi et du Sichuan, a su faire fructifier cet impressionnant capital sympathie en faisant de lui un véritable ambassadeur.

Ruth Harkness et Su Lin en 1936

La diplomatie du panda

L’utilisation du panda comme émissaire chinois remonte à la dynastie des Tang. Les archives impériales gardent en effet la trace de deux spécimens offerts par la souveraine Wu Zetian à la cour du Japon en l’an 685. Mais « la diplomatie du panda » à proprement parler débute en 1941, lorsque l’épouse du Premier ministre Tchang Kaï-chek offre un couple de pandas aux États-Unis en signe de reconnaissance pour leur soutien à la Chine dans la guerre contre le Japon. Au total, Tchang Kaï-chek offrira quatorze ursidés noir et blanc à des chefs d’États de l’Ouest. Puis, le Parti communiste s’emparera du pouvoir, le pays se renfermera et le plus précieux de ses animaux sera ostensiblement réservé aux plus proches alliés de la République populaire de Chine, l’Union soviétique et la Corée du Nord. Jusqu’en 1972, année qui marque le retour de la Chine sur la scène internationale. En février, le rapprochement des États-Unis et de la Chine se matérialise par la visite historique du président américain Richard Nixon. Et deux mois plus tard, la réconciliation entre les deux pays est scellée par l’envoi d’un couple de pandas, Lingling et Xingxing. Tous les deux sont reçus au parc zoologique de Washington lors d’une cérémonie officielle, en présence de la Première dame et d’une foule de curieux. La même année, Lan Lan et Kang Kang arrivent au Japon. L’année suivante, c’est au tour de la France d’être honorée par un couple de pandas, Yan Yan et Li Li. Puis, en 1974, le Royaume-Uni reçoit Jia Jia et Jingjing tandis que la République Fédérale d’Allemagne accueille Tiantian et Baobao.

Lingling et Xingxing, les pandas de Nixon

Les noms des pandas choisis par la Chine pour la représenter en terre étrangère, que ce soit pour entamer, reprendre, améliorer ou célébrer des relations avec un autre pays, sont loin d’être laissés au hasard. Les idéogrammes utilisés peuvent par exemple signifier « paix », « commencement », « florissant ». Il n’est donc pas étonnant que l’ancien gouverneur de Tokyo Shintarō Ishihara ait provoqué une crise diplomatique en proposant, en 2012, de baptiser un bébé panda né dans le zoo d’Ueno avec les idéogrammes des îles Senkaku, que se disputent la Chine et le Japon. Les parents de ce petit, comme tous les pandas vivant aujourd’hui en dehors de Chine, n’ont pas été offerts. Car face à la rareté de l’ursidé, et sous la pression des environnementalistes, le gouvernement a décidé, en 1984, de mettre un terme à son utilisation comme cadeau diplomatique et de se contenter de le louer à des zoos étrangers pour une période de dix ans. La forte charge symbolique du panda géant, considéré comme « un trésor national », rend cette nuance – de taille – particulièrement problématique lorsqu’il s’agit de confier l’animal à des territoires comme Taïwan. Perçue comme une simple province rebelle par Pékin, Taïwan est un État souverain qui ne reconnaît pas l’autorité du régime communiste chinois. Celui-ci pensait sans doute amadouer l’île en lui offrant deux pandas en 2006. À tort : le gouvernement local a refusé le cadeau, de peur de reconnaître tacitement l’appartenance de Taïwan à la République populaire, d’autant que les idéogrammes composant les noms des animaux choisis cette fois-là signifient « réunion », ce qui est tout de même très proche de « réunification »… L’arrivée au pouvoir du parti nationaliste Kuomintang a débloqué la situation en 2008, et les ursidés se sont installés à Taipei – mais le sujet reste très sensible.

Li Li, le grand panda de Pompidou, est exposée à la grande galerie de l’évolution
Crédits : MNHN

Par ailleurs, les locations de pandas à des zoos étrangers seraient toujours l’enjeu d’intenses tractations diplomatiques. Et parfois celui d’importants accords commerciaux.

Huan Huan et Yuan Zi

Les pandas ont toujours été le rêve de Françoise Delord, fondatrice du parc zoologique de Beauval,  dans le Loir-et-Cher. Avec ses enfants Rodolphe et Delphine, également directeurs de l’institution, elle a tout fait pour le réaliser. En 2005, la famille Delord effectue un premier voyage en Chine pour démarrer un processus de demande officiel. Lequel ne peut visiblement pas s’enclencher sans une lettre du président de la France. Les Delord rentrent au pays et écrivent aussitôt à Jacques Chirac. Puis à Nicolas Sarkozy. « Le dossier à été relancé grâce à nos députés Patrice Martin-Lalande et Maurice Leroy », affirme aujourd’hui Delphine Delord. « Maurice Leroy le harcelait tellement que Nicolas Sarkozy l’a surnommé Monsieur Panda. » Mais la lettre ne suffit pas. Il faut maintenant que le président français formule la demande au président chinois, Hu Jintao. Il le fait. Et à de nombreuses reprises, d’après la codirectrice du parc de Beauval : « Un diplomate m’a  notamment raconté qu’à la fin d’un dîner officiel, Nicolas Sarkozy s’est nonchalamment tourné vers Hu Jintao pour lui demander : “Alors, nos pandas ?” Hu Jintao se serait exclamé : “Ah ! Les pandas ! C’est un sujet très compliqué…” » Et Sarkozy n’aurait pas été le seul à réclamer des ursidés noir et blanc pour la France : « À chaque fois qu’un membre du gouvernement français rencontrait un membre du gouvernement chinois, pour une raison ou pour une autre, il abordait le sujet. »

Nicolas Sarkozy et Hu Jintao

Pendant ce temps, l’équipe de Beauval devait faire preuve de bonne volonté auprès des autorités chinoises. Car la location d’un panda n’est pas seulement « un gage d’amitié » pour le pays choisi, elle est aussi un « gage de confiance », et tout doit être mis en œuvre pour assurer le confort de l’animal. L’équipe s’est donc rendue à plusieurs reprises dans le Centre d’étude et de reproduction des pandas géants de Chengdu « pour faire connaissance, échanger et se former ». Elle a également dû prouver et ses compétences et la qualité de ses installations, critère sur lequel l’Association chinoise des jardins zoologiques se montrerait intraitable. Pour pouvoir accueillir un panda, un parc doit disposer de cages recréant une atmosphère chinoise, de la végétation aux pagodes, planter des hectares de bambous pour assurer l’approvisionnement en nourriture, et placer des générateurs de brouillard pour faciliter l’acclimatation de l’animal. Celui de Beauval a été rangé parmi « les plus beaux du monde » par ses examinateurs, qui se sont empressés d’ajouter : « En-dehors de la Chine. »

Un contrat est enfin signé entre le zoo de Beauval et la Chine le week-end du 4 décembre 2011, à l’ambassade de France à Pékin. « Nous avons été reçus comme des rois », se souvient Delphine Delord. Elle et son frère Rodolphe ont ensuite pu rencontrer « leurs » pandas, Huan Huan et Yuan Zi, tous les deux nés en captivité à Chengdu. Ce couple arrive à Paris-Charles-de-Gaulle en véritables stars le 15 janvier 2012, à bord d’un Boeing 777 surnommé le « Panda Express » et spécialement affrété par la société FedEx, sous les yeux de 150 journalistes et de milliers de fans. « Tout au long de la route entre l’aéroport et le zoo, des gens agitaient des peluches et criaient : “Nos pandas, nos pandas !” C’était incroyable. » Mais, comme le souligne une étude de l’université d’Oxford publiée en 2013, un tout autre contrat était alors conclu entre la France et la Chine : la France s’engageait à fournir de l’uranium à la Chine et à y faire construire des usines par Areva et Total pour 20 milliards de dollars. En se basant sur d’autres exemples, l’étude suggère que la répartition des pandas dans le monde en dit désormais plus long sur les intérêts économiques de leur patrie que sur sa politique étrangère. Une chose est sûre, l’animal représente une manne financière pour les différents acteurs, à commencer par les zoos qui l’accueillent. Celui de Beauval est passé de 600 000 visiteurs en 2011 à 1,3 million de visiteurs en 2016. Quant à la Chine, la location de pandas lui permet de récupérer chaque année une somme considérable.

Monument au Centre d’étude et de reproduction des pandas géants de Chengdu

L’emblème de la biodiversité

Chaque couple de pandas loué représente environ 900 000 euros par an pour la Chine, somme à laquelle il faut ajouter 550 000 euros en cas de naissance. Une quarantaine de pandas chinois étant actuellement loués dans le monde, un rapide calcul permet d’estimer que l’animal rapportera près de 20 millions d’euros à la République populaire en 2017. Le gouvernement utilise cet argent pour financer différentes mesures destinées à protéger le panda géant, qui n’est pas seulement l’émissaire de la Chine, mais aussi le porte-drapeau de la lutte pour la biodiversité.   Dès les années 1960, le Fonds mondial pour la nature (WWF) alerte sur la situation préoccupante de l’animal et le choisit comme emblème. À peu près à la même époque, la Chine crée les premières réserves naturelles de pandas afin d’empêcher le braconnage et de préserver les forêts de bambou, qui constitue 99 % de leur alimentation. La chasse du panda est interdite, et son abattage passible de la peine de mort – châtiment transformé en vingt ans de prison en 1997. Le pays compte aujourd’hui 67 réserves naturelles de pandas et le gouvernement verse de généreuses subventions aux agriculteurs résidant à proximité. En contrepartie, ces derniers s’engagent notamment à ne pas utiliser d’engrais chimique et de pesticide. Mais la cohabitation des humains et des pandas n’étant pas toujours des plus heureuses, il arrive aussi que la Chine doive dédommager des victimes d’attaques ou de dégradations. Un agriculteur mordu à la cuisse a ainsi obtenu plus de 80 000 euros en mars 2015.

Huan Huan et Yuan Zi, les pandas du zoo de Beauval

Le gouvernement a par ailleurs beaucoup investi dans la création de centres de recherche tels que celui de Chengdu, pour tenter de pallier le taux de reproduction extrêmement bas du panda. « Comme c’est un animal vivant à l’origine dans une zone très limitée, et sans prédateur, le panda n’avait pas besoin de produire beaucoup de bébés pour perpétuer l’espèce, mais l’Homme a détruit cet équilibre précaire en détruisant l’environnement », explique Baptiste Mulot, vétérinaire spécialisé du zoo de Beauval. « Les petits naissent très faibles, les femelles n’ovulent qu’une fois par an, les mâles ont peu de libido. En captivité, la plupart des fécondations ont lieu par insémination artificielle. » La Chine détient aujourd’hui 420 pandas en captivité. Quant au nombre de pandas en liberté, il s’élèverait à 1 864, ce qui représente une augmentation de 17 % par rapport à l’année 2003. Résultat, le célèbre mammifère noir et blanc a quitté la catégorie des espèces « en danger » d’extinction en septembre 2016, rejoignant alors celle des espèces « vulnérables ». « Ce nouveau statut confirme que les efforts du gouvernement chinois pour protéger cette espèce sont efficaces », écrit dans son rapport l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Loin de se gargariser, l’Administration chinoise des forêts a bien au contraire jugé prématuré l’abaissement du degré de protection de son animal préféré. Car les forêts de bambou, décimées par l’urbanisation et massivement replantées par la Chine, sont maintenant menacées par le réchauffement climatique. Plus d’un tiers de ces forêts pourrait disparaître d’ici 80 ans. Une  prévision catastrophique qui laisse néanmoins espérer que ses chers pandas incitent la Chine, premier pays pollueur de la planète en termes d’émission de gaz à effet de serre, à renforcer son engagement dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ils joueraient alors un rôle diplomatique véritablement inédit. 

23 bébés pandas nés au centre de Chengdu sont présentés au public en septembre dernier
Crédits : RTSPZEX


Couverture : Les bébés pandas du centre de Chengdu.