Le cas suédois

Si le café a fini par conquérir tous les pays qu’il a atteints, il a parfois rencontré des résistances et il a longtemps été considéré comme dangereux pour la santé, surtout consommé en grandes quantités. En Suède, par exemple, le café, arrivé en 1674, ne devient populaire qu’un demi-siècle plus tard. Au grand dam du roi Gustave III, qui monte sur le trône en 1771 et considère quant à lui que cette boisson est un véritable poison, une menace pour la santé publique.

Le roi Gustave III n’aimait pas le café

En homme éclairé, il décide de prouver ses vues plutôt que de les imposer et commande une étude sur les effets du café. Pour cela, il met la main sur des frères jumeaux condamnés à mort, et leur propose de commuer leur peine en emprisonnement à perpétuité à condition que l’un boive trois tasses de café par jour durant le reste de sa vie et l’autre trois tasses de thé, persuadé que les breuvages auront tôt fait de les tuer. Puis il charge deux médecins de superviser l’expérience et de lui en rendre compte.

Mais Gustave III ne s’est pas fait des ennemis seulement parmi les buveurs de café. En modernisant le code pénal et en interdisant la torture ; en renforçant les droits individuels et en proclamant la liberté de religion sur le sol suédois ; en libéralisant le commerce du blé et en supprimant l’impôt pour les paysans ayant au moins quatre enfants ; il s’est mis à dos un conglomérat de parlementaires et d’aristocrates, dont le gentilhomme Johan Jacob Anckarström.

Dans l’après-midi du 16 mars 1792, Gustave III reçoit un billet anonyme le prévenant de l’existence d’un complot contre sa personne. Il se rend néanmoins au bal masqué qui a lieu à l’Opéra royal de Stockholm le soir-même. Et tandis qu’il fend la foule, reconnaissable à sa démarche et à ses décorations, Johan Jacob Anckarström presse un pistolet contre sa poitrine. On entend un coup de feu. Le roi s’effondre. Il est emporté dans l’appartement qu’il s’était fait aménager au-dessus de l’Opéra, et meurt sans connaître le résultat de son expérience.

Même les deux médecins qu’il a chargé de la superviser mourront – de causes naturelles – avant les deux cobayes. Et il aurait certainement été très déçu d’apprendre que c’est le buveur de thé qui est mort le premier, à l’âge de 83 ans. Ce résultat a dû, en revanche, conforter les Suédois dans leur amour pour le café. Car ils figurent encore aujourd’hui parmi les plus gros consommateurs de cette boisson dans le monde, à raison de 1 070 tasses par an et par personne, contre seulement 482 tasses pour les Français.

8 tasses par jour

Depuis l’expérience menée par le roi Gustave III, un flot d’études ont été réalisées sur le café. Et elles semblent indiquer que les amateurs de cette boisson ont moins de risques que les autres de développer certaines maladies, à commencer par la cirrhose. En croisant les résultats de neuf études, des chercheurs britanniques ont en effet réalisé que le fait de boire une tasse de café par jour était associé avec une baisse de 22 % du risque de développer cette maladie du foie souvent causée par une consommation d’alcool trop élevée.

Crédits : Nathan Dumlao

Les consommateurs réguliers de café ont en outre 15 % moins de risques de souffrir d’un cancer du foie et 8 % moins de risques de souffrir d’un cancer de l’endomètre, selon une étude publiée dans l’European Journal of Cancer Prevention. Ils ont également 16 % moins de risques de souffrir de la maladie d’Alzheimer, de démence et de déclin cognitif d’après l’analyse des données de quatre travaux portant sur le rapport entre cette boisson et la santé du cerveau. Ils ont enfin 45 % moins de risques de commettre un suicide, selon une étude publiée dans The World Journal of Biological Psychiatry.

Une autre étude, publiée dans le Bristish Medical Journal, montre que le fait de boire trois à quatre tasses de café par jour permet de réduire le risque de mourir d’une maladie cardiovasculaire de 19 %. Quant au risque de développer une cirrhose, il diminue alors de 65 %. Par ailleurs, quatre tasses de café par jour réduisent le risque de développer un diabète de type 2 de 50 % selon une étude publiée dans le Journal of agricultural & Food Chemistry. Et chaque tasse supplémentaire réduit ce risque de 7 %.

Est-ce à dire que le café, contrairement à l’alcool, peut être consommé sans modération ? Presque, à en croire une étude menée par l’Institut national du cancer américain et publiée dans le Journal of the American Medical Association le 2 juillet dernier. Ses auteurs – Erikka Loftfield, Marilyn C. Cornelis et Neil Caporaso – ont fait appel à près d’un demi-million de Britanniques, des hommes et des femmes âgés de 40 à 69 ans.

Il les ont suivis pendant dix ans, leur demandant de répondre à des questions sur leur consommation de café et les soumettant à des examens médicaux tels que des prises de sang. Or, 10 000 d’entre eux buvaient au moins huit tasses de café par jour et leur espérance de vie s’est avérée de 14 % supérieure à la moyenne. L’espérance de vie de ceux qui en buvaient six à sept tasses s’est quant à elle avérée de 16 % supérieure à la moyenne.

Bon, 4 tasses par jour en fait

Si elle ne précise pas si les volontaires prenaient leur boisson avec ou sans sucre et avec ou sans lait, l’étude prend en compte tous les types de café – instantanés, moulus, et même décaféinés. Et selon elle, aucun de ces types de café n’affecte les chances de survie. L’étude rapporte en outre qu’ « aucune différence n’a été observée dans les analyses qui ont été stratifiées par des polymorphismes génétiques affectant la métabolisation de la caféine ».

Crédits : Karl Fredrickson

En conclusion, elle affirme que ses « trouvailles soulignent l’importance des composants autres que la caféine dans le lien entre le café et la mortalité, en plus de renforcer la thèse selon laquelle le café peut faire partie d’une alimentation équilibrée ». Car comme le rappelle Erikka Loftfield, « le café contient plus d’un millier de composants chimiques, dont des antioxydants qui jouent un rôle important dans la protection de nos cellules ».

Mais de l’aveu même de la chercheuse, on ne sait toujours pas « expliquer leurs effets bénéfiques sur la longévité ». On sait, en revanche, que d’autres facteurs, tels que la situation économique et sociale des amateurs de café étudiés, pourraient potentiellement expliquer la supériorité de leur espérance de vie par rapport à la moyenne. D’autant qu’un échantillon de personnes prêtes à répondre à des questions sur leur santé et à se soumettre à des examens médicaux, aussi large soit-il, ne peut pas être représentatif d’une population.

Ces types de biais sont régulièrement pointés du doigt quand paraissent de nouvelles études sur les effets bénéfiques du café. « Ce qui me gêne dans les comptes-rendus que l’on fait habituellement de ces études, c’est que l’on ne s’intéresse jamais au profil des consommateurs », expliquait par exemple la nutritionniste française Nina Cohen-Koubi en 2017. Cette année-là, déjà, deux travaux de recherche, menés dans dix pays européens ainsi qu’aux États-Unis, indiquaient que la consommation de café augmentait l’espérance de vie.

Crédits : Jon Tyson

« Est-ce qu’ils fument ? Est-ce qu’ils ont des antécédents de santé ? Des problèmes psychologiques ? On isole des paramètres et on essaie de savoir si le café est bon ou mauvais en lui-même. Mais la question n’est pas là. Ce qu’il faut savoir, c’est comment se positionner soi-même face au café. Quelqu’un qui a des antécédents cardiovasculaires, qui a un tempérament nerveux ou anxiogène et une hygiène de vie pas toujours très saine ne pourra pas boire autant de café qu’un consommateur “lambda”. »

Lequel peut, dans le doute, se référer à l’Autorité européenne de sécurité des aliments qui recommandent de se limiter à quatre tasses de café par jour. C’est tout de même une de plus que le prisonnier du roi Gustave III.


Couverture : Une bonne tasse de café, par Nathan Dumlao.