Charles Homans est éditeur pour The Atavist et son enquête sur le trafic de cornes de rhinocéros en Europe a été publiée sur Ulyces. Nous l’avons interrogé sur le travail de reporter qu’il a accompli pendant son investigation et sur les suites de l’affaire. Comme vous avez enquêté sur ce sujet pendant plusieurs mois, vous avez sûrement collecté des tonnes de notes, d’interviews et de brouillons. Comment avez-vous organisé votre travail d’écriture ? En termes d’organisation, c’était en fait l’une des histoires les moins difficiles que j’ai pu écrire. Par le passé, je n’ai à peu près écrit que sur la politique et le social, et les articles de ce genre sont plus difficile à concevoir : vous devez faire bien plus attention à la structure, car elle n’est pas toujours évidente. Une succession de crimes, au contraire, a souvent une trame narrative linéaire – il suffit juste de la trouver. Du coup, ce qui a été le plus difficile, c’était le reportage. Cela dit, en général, je ne suis pas très bon quand il s’agit d’organiser mon travail d’écriture. Je constitue petit à petit une ligne directrice quand je suis sur le terrain et cette ligne est revue, froissée et réécrite à mesure que ma compréhension de l’histoire évolue… et quand je commence à écrire, je pars de là. Mais après avoir écrit 2000 mots sur le premier brouillon, je m’aperçois que la ligne directrice est complètement fausse. Du coup, j’improvise. La chose la plus importante, je pense, c’est qu’il faut continuellement réfléchir à la structure quand vous êtes en train d’enquêter ou d’écrire, que vous ayez ou non cette structure couchée sur un papier devant vos yeux. Quoi qu’il en soit, ma méthode – si on peut l’appeler comme cela – n’est ni une manière très rentable, ni une manière très efficace d’écrire une histoire et je ne la recommanderais à personne, mais je deviens un peu fataliste quand il s’agit de discuter de cela : on ne choisit pas comment fonctionne son cerveau ! Comme l’affaire des cornes de rhinocéros n’est pas classée, était-ce difficile de convaincre les polices européennes de dévoiler des détails sur leurs pistes et leurs théories ?  Cela m’a pris plusieurs mois pour commencer à avancer sur le sujet et des tas de personnes que j’aurais aimé rencontrer ne m’ont jamais répondu. Dans plusieurs pays où les vols se sont produits, les sources officielles ne voulaient pas répondre à mes mails ou mes appels et refusaient de me donner la moindre information. Je n’avais en plus pas le budget pour voyager dans douze pays différents et taper à la porte de tout le monde. Seul un des suspects que j’avais pu localiser a accepté de me parler. Par chance, quelques enquêteurs de la police qui avaient traqué les Rathkeale Rovers depuis des années ont accepté que je m’entretienne avec eux. Du coup la majeure partie de l’histoire a été assemblée à partir de bribes d’informations que j’ai pu recueillir auprès de sources annexes et non pas auprès des enquêteurs eux-mêmes – les policiers locaux qui avaient interrogé un ou deux suspects, des témoins et du personnel des musées, quelques rapports de justice et les documents qu’avaient les tribunaux américains (qui sont par ailleurs bien plus accessibles que dans tous les tribunaux que j’ai pu visiter en Europe). Cela dit, il y a des tas de choses que j’aurais aimé savoir à propos de l’investigation policière et que j’ignore  – avec ce genre d’histoire, on finit toujours par avoir plus de questions que de réponses. Votre article se termine d’ailleurs par un nouveau vol, ce qui signifie que l’enquête est loin d’être terminée. Avez-vous eu de nouvelles informations après la publication de « Dead Zoo Gang » ? Quand j’ai commencé à me renseigner sur ce sujet, à peu près un mois après l’arrestation des suspects de Cambridgeshire dont je parle dans l’histoire, la plupart des sources avec lesquelles j’ai discuté m’ont dit qu’elles seraient probablement assignées en justice un peu plus tard dans l’année. Mais au moment où j’ai rencontré Richard « Kerry » O’Brien, bien des mois plus tard, rien n’avait été fait et depuis, O’Brien et les autres ont vu leur liberté sous caution renouvelée plusieurs fois. Le dernier renouvellement a eu lieu il y a quelques mois. Les autorités de Cambridgeshire n’ont pas parlé à la presse depuis les arrestations, mais vu que cela fait plus d’un an que ces arrestations ont eu lieu, je doute qu’elles aboutissent à de véritables poursuites pénales. Cela dit, je pense que les vols de cornes de rhinocéros sont arrivés en bout de course pour une raison simple : il n’y a presque plus de cornes à voler. Les vols se sont intensifiés à l’été 2011, après qu’il ait été devenu impossible d’en acheter sur les vieux marchés de contrebande et avant que les musées comprennent ce qui était en train de se passer et détachent leurs têtes de rhinocéros des galeries ou remplacent les cornes par des répliques en fibre de verre. À l’été 2012, on constatait plus de vols d’antiquités chinoises que de cornes de rhinocéros ; il y a eu quelques vols de cornes de rhinocéros en 2013 et 2014, mais rien en comparaison de ce qui s’est passé en 2011. En se basant sur le profil des gens qui ont été arrêtés et reconnus coupables de vol et de contrebande, je pense qu’on peut qualifier le voleur de cornes de rhinocéros (s’il est possible de conceptualiser un tel groupe) comme un opportuniste plus que comme un spécialiste – les vols dans les musées étaient l’une des nombreuses choses qu’ils ont fait, et à mesure que les cornes de rhinocéros devenaient de plus en plus difficiles à trouver, leur attention a dû se porter sur quelque chose d’autre. Mais bien entendu, rien n’est sûr de ce côté-là… Entrevue réalisée par Arthur Scheuer.

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Trois rhinocéros abattus par Theodore Roosevelt
Muséum national d’histoire naturelle de Washington, 1959
Crédits : Smithsonian Institution Archives