Sujet : Protection planétaire biologique pour les missions humaines sur Mars

Date de mise à exécution : 9 juillet 2020

a. Ces directives définissent l’obligation de la NASA d’éviter une contamination dangereuse, à l’aller et au retour, en vertu de l’Article IX du Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes, du 19 octobre 1967.

b. Ces directives concernent spécifiquement le contrôle d’une contamination biologique de Mars à l’aller ainsi qu’une contamination biologique du système Terre-Lune au retour, associé à la présence humaine à bord de véhicule destinés à se poser, orbiter, survoler et revenir de Mars.

Voilà comment débutent les nouvelles directives de la NASA en matière de protection interplanétaire : l’humanité se préparant à devenir dans un futur proche une espèce multi-planètes, il est nécessaire de prévenir une éventuelle contamination de l’écosystème martien par les astronautes, et tout risque de contamination de l’environnement terrestre par (d’hypothétiques) microbes martiens – on n’a vraiment pas besoin de ça.

Ça sonne comme de la science-fiction, mais il s’agit de menaces très concrètes que Lisa Pratt, la « protectrice de la planète Terre » de l’Agence spatiale américaine, nous expliquait très bien dans un long entretien, à sa nomination en 2018. À mesure que s’approche la perspective d’une exploration humaine de Mars, son action est de plus en plus nécessaire.

Protection planétaire

Le 7 février 2018, Lisa Pratt a été nommée à la tête du Planetary Protection Office – le Bureau de la protection planétaire de la NASA. En d’autres termes, cette spécialiste en exobiologie de l’université de l’Indiana à Bloomington est devenue la nouvelle « protectrice de la planète Terre » contre une possible « invasion extraterrestre ». Mais pas au sens où l’entend Hollywood. Enfin, peut-être pas. Nous avons rencontré la scientifique pour qu’elle nous révèle toutes les ficelles d’un métier unique au monde.

Les propos ayant servi à réaliser cette story ont été recueillis par Malaurie Chokoualé au cours d’un entretien avec le Dr Lisa Pratt. Les mots qui suivent sont les siens.

Sommes-nous seuls ? C’est pour moi la question la plus philosophique et la plus singulière qu’on pourra jamais poser. C’est en tout cas une question qui nous anime, moi et toute une partie des habitants de cette planète.

Crédits : Indiana University

Au début du mois de février 2018, j’ai reçu un coup de téléphone décisif. J’étais tellement surprise que j’ai dit à la responsable des ressources humaines qui m’appelait qu’elle avait sans doute composé un mauvais numéro. Rendez-vous compte : j’avais été choisie parmi 1 400 candidats pour devenir la huitième agent de protection planétaire de la NASA. J’avais des étoiles dans les yeux.

Je pense qu’ils m’ont choisie car j’avais un parcours inhabituel mêlant science de la vie et science de la terre, et aussi parce que j’étais une chercheuse connue de la NASA, déjà fortement impliquée dans la planification de missions du COSPAR (Committee on Space Research). De plus, ces quinze dernières années, presque toutes mes recherches avaient été financées par la NASA. Aussi j’avais beau être une outsider, j’étais une sorte d’outsider-insider.

C’est ainsi que moi, Lisa Pratt, je suis devenue l’agent de protection planétaire de la NASA. Le principe de protection planétaire signifie que nous désirons protéger les corps du système solaire (planètes, comètes, astéroïdes et lunes) de toute contamination liée à la vie terrestre et, à l’inverse, protéger la Terre de toute contamination extérieure. Cette protection est essentielle pour différentes raisons, comme celle d’avoir la possibilité d’étudier des environnements dans leur état naturel. Une contamination humaine pourrait en effet brouiller les pistes qui nous permettraient de découvrir des signes de vie extraterrestre. En outre, nous devons prendre toutes les précautions nécessaires pour protéger la Terre lorsque nous ramenons des échantillons depuis l’espace.

Dans les années 1960, à l’époque du programme Apollo, la NASA s’inquiétait déjà des maux que les astronautes risquaient de contracter en marchant dans la poussière lunaire, et ils savaient qu’ils ramèneraient immanquablement sur Terre des matières particulières. Cette préoccupation est presque aussi ancienne que l’agence elle-même. Si l’on remonte encore plus loin dans le temps, au XVIIIsiècle, aussi bien chez les écrivains scientifiques que de fiction, il y avait déjà une prise de conscience de la possibilité d’un contact avec une forme de vie extraterrestre, et les spéculations sur ce qu’il adviendrait lorsqu’il aurait lieu allaient bon train.

En ce qui concerne la hauteur des risques de contamination encourus, les avis divergent grandement. Certains vous diront qu’il n’y a aucun risque, car la Terre entre quotidiennement en contact avec différentes matières en provenance de tout le système solaire. D’autres s’exclameront que nous sommes à deux doigts de créer un désastre sans précédent. Bref, nous ne connaissons pas précisément les risques. Nous devons donc tenter de les estimer au mieux et de nous montrer extrêmement prudents. Cela vaut pour tout le monde, mais particulièrement pour ceux qui ramènent des échantillons sur Terre. D’ailleurs, le prochain arrivage d’échantillons devrait arriver dans dix ans, car nous devrions ramener sur Terre de la poussière et des échantillons géologiques (qu’on appelle « carottes ») entre 2029 et 2031, dans le cadre de la mission Mars 2020.

(Dé)contamination

Depuis ma nomination, je suis en contact constant avec toute une série d’individus qui préparent les missions à venir. De manière générale, j’ai plutôt un rôle de coordination et de collaboration. L’objectif du Bureau de protection planétaire est de travailler en collaboration avec des planificateurs de missions spatiales pour vérifier si ces dernières sont conformes aux règles de protection interne édictées par la NASA et aux réglementations internationales définies par le COSPAR.

En ce moment, une grande partie de mes efforts est concentrée sur Mars 2020, une mission d’exploration de la planète Mars au moyen d’une nouvelle astromobile qui sera lancée durant l’été 2020. Elle ressemble d’ailleurs beaucoup à la mission ExoMars de l’Agence spatiale européenne (ESA). Ces deux missions ont entre autres pour objectif d’analyser la présence de molécules organiques près de la surface de la planète Mars pour savoir s’il y a des chances qu’on y trouve des traces d’une vie ancienne sous la forme de biomarqueurs – des fossiles de molécules organiques.

L’excitation pour ces deux missions est montée d’un cran après l’annonce récente de la découverte sur la planète rouge de molécules organiques vieilles de plusieurs milliards d’années, grâce au rover Curiosity. Même si cette découverte ne constitue pas la preuve qu’il y a eu jadis une vie sur Mars, elle reste néanmoins extraordinaire.

Mars 2020
Crédits : NASA

Lorsque Mars 2020 reviendra avec ses échantillons, cependant, il sera soumis à une batterie de tests drastiques, aussi réglementés que l’exige la construction-même des vaisseaux.

Pour chaque mission, des personnes issues du Bureau de protection planétaire veillent au respect de ces règles de propreté biologique, que ce soit lors de l’envoi d’un vaisseau dans l’espace ou à son retour. Le passage du vaisseau par une « clean room » est essentiel.

La communauté scientifique essaie de lancer des vaisseaux spatiaux chargés d’aussi peu de bioburdens (nombre de bactéries contaminantes sur un matériel avant que celui-ci ne soit stérilisé) qu’il est possible d’en avoir. C’est pourquoi certaines parties des vaisseaux sont construites dans des pièces d’une propreté rare et voulue pour éviter toute transmission de bactérie. Il y a toute une série de protocoles et de préparations.

Pour les scientifiques, ingénieurs ou techniciens concernés, travailler à la construction d’un vaisseau est long et fastidieux. Il faut changer de vêtements et de gants à chaque allée et venue ; mettre sa combinaison prend une quinzaine de minutes ; tous les téléphones, ordinateurs, toutes les pièces d’équipement qui pénètrent dans la pièce doivent être nettoyés avec un alcool adapté. Il n’est pas rare d’apercevoir un technicien avec des couches et des couches de gants superposées, littéralement. À chaque fois qu’un élément est amené dans la pièce ou se trouve le vaisseau, tout est vérifié et nettoyé pour minimiser l’impact qu’il risque d’avoir sur un environnement étranger.

Nous n’avons encore jamais été confrontés à une matière biologique d’origine extraterrestre sur Terre.

Par exemple, un astronaute russe a annoncé à la fin de l’année 2017 avoir découvert « une bactérie extraterrestre » à l’extérieur de la coque de la Station spatiale internationale (ISS). Cette découverte est controversée. Il est difficile de savoir s’il s’agit véritablement d’une bactérie extraterrestre car l’ISS n’utilise pas de méthode de propreté biologique comme nous le faisons à la NASA. Ils ont jugé que parce que les bactéries trouvées à l’extérieur de la Station n’étaient pas identiques à celles qu’on trouve à l’intérieur, cela signifie que cette bactérie venait de l’extérieur. Mais il y a beaucoup d’expériences menées à bord de la station, il y a sans cesse des gens qui entrent et sortent, il y a donc une possibilité pour que ces bactéries viennent de l’intérieur, et non de l’extérieur.

Dans les prochaines années, il va donc être intéressant d’appliquer les méthodes que nous utilisons pour construire des vaisseaux à l’extérieur de la Station spatiale internationale. On pourra enfin savoir avec certitude si ce que l’on retrouve à l’extérieur du vaisseau vient de chez nous ou d’ailleurs.

Une chose est certaine : nous n’avons encore jamais été confrontés à une matière biologique d’origine extraterrestre sur Terre. Nous recevons un grand nombre d’éléments venus de Mars sur Terre, que nous reconnaissons grâce à leur signature chimique bien particulière. Ils se sont écrasés sur notre planète et ont été retrouvés ensuite. La plupart d’entre eux sont profondément altérés après l’impact, mais d’autres ont des niveaux très bas d’altération. Et tout le monde est intéressé par ces échantillons, mais nous n’avons encore jamais détecté d’élément biologique, quel qu’il soit. Pour le moment.

Un job de rêve

À titre personnel, j’ai commencé à m’intéresser à l’espace alors que je n’étais encore qu’une enfant, parce que mon père et mon grand-père étaient tous les deux de grands passionnés et des collectionneurs prolifiques de livres de science-fiction. J’ai grandi dans une maison avec une grande bibliothèque et, au collège, je me suis plongée à mon tour dans tous ces livres fantastiques.

Mais je n’aurais jamais imaginé que ce que j’avais lu étant petite se rapprocherait autant de ce que je fais aujourd’hui. J’ai tout d’abord commencé des études de sciences de la vie option botanique, mais à cette époque, la botanique était surtout tournée vers la « biologie moléculaire ». Moi, je voulais faire du travail de terrain. C’est ce qui m’a finalement conduite à la géologie et j’ai fini par faire un doctorat en la matière à l’université de Princeton.

Mon parcours n’a donc pas été un plan clair ou un chemin rectiligne. J’ai finalement mis à profit mes connaissances pour savoir comment trouver de la vie sur d’autres planètes, et particulièrement sur Mars. Et c’est ce qui m’a mise en contact avec la NASA. Après quoi, j’ai gravité pendant une quinzaine d’années autour de la NASA, principalement dans la recherche. Et c’est à ce moment-là que je me suis retrouvée à envoyer ma candidature pour le poste de « Planetary Protection Officer ».

Pour quelqu’un d’optimiste quant au fait qu’il doit y avoir des formes extraterrestres de vie dans d’autres endroits de notre système solaire, c’est un job de rêve. C’est une chance de participer à des planifications de missions et de s’assurer que nous ne contaminerons pas par inadvertance une autre forme de vie avec la vie terrestre avant même de savoir si existe, et à l’inverse, faire attention de nous montrer assez précautionneux lorsque nous rapportons des échantillons d’endroits si particuliers comme Mars, que nous ne contaminions pas par inadvertance la Terre avant de pleinement comprendre ce qui nous entoure.

Crédits : Indiana University

Une grande partie de la population mondiale craint que l’on ramène quelque chose de dangereux sur Terre. Cela pourrait effectivement arriver, mais de manière naturelle avec le retour d’un échantillon par exemple, et non pas à cause d’une « invasion extraterrestre » d’après moi. En ce moment, alors que nous sommes à dix ans de recevoir des échantillons venus de Mars, toute mon attention est focalisée sur la contamination et je préfère ne pas passer mon temps à me préoccuper d’une possible invasion. M’assurer que nous ne ferons pas de mal à la vie terrestre ou que, par erreur, cela touche des « populations » extraterrestres : voilà ce qui m’importe réellement. C’est cela ma responsabilité.

Le fait qu’on me qualifie de « gardienne contre l’invasion extraterrestre » dans certains articles de presse est un concept amusant. Avec sa référence évidente aux univers de la science-fiction et des comics, je pense que ce nom grise les gens. Cela allume leur imagination et leur fait se poser des questions sur les possibilités d’une vie extraterrestre, ce qui pour moi revient une nouvelle fois à se poser cette fameuse question : sommes-nous seuls ?

Dans ce cas, j’accepte ce nom avec plaisir. Faisons en sorte que les gens s’intéressent à l’espace, et réfléchissons à ce qu’implique cette recherche d’une vie extraterrestre. Nous vivons une période extraordinaire pour la recherche spatiale. Et je pense qu’on trouvera probablement une réponse à notre question au cours de la prochaine décennie. Ou la suivante.


Couverture : NASA