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La loi du silence

Dans une impasse du nom de Springside Run, cinq hommes vêtus de noir se dirigeaient vers une allée. L’un d’eux portait des poings américains. Un autre avait du ruban adhésif. D’autres avaient des flingues. Un voisin s’occupant de son jardin a levé les yeux sur la bande et a été surpris d’assister à une scène si menaçante en plein jour. À l’intérieur de la maison, un rappeur du nom de Gucci Mane faisait la fête avec une stripteaseuse qu’il avait rencontrée plus tôt ce jour-là. Gucci voulait lui faire écouter certaines de ses chansons, dans l’espoir qu’elle les aime suffisamment pour accepter de danser sur scène pendant ses concerts – histoire de faire le buzz.

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Young Jeezy et Big Meech

Il avait déjà su faire parler de lui tout seul. Il avait commencé avec un morceau intitulé « Icy ». Un rappeur plus connu, Young Jeezy, y avait ajouté quelques couplets, et quand le morceau est devenu un tube, les deux rappeurs se sont pris la tête pour savoir qui devait quoi à qui. Jeezy avait répliqué en sortant sa chanson « coup de gueule » « Stay Strapped », dans laquelle il disait offrir une récompense de 10 000 $ à la personne qui lui ramènerait le collier incrusté de diamants de Gucci : « Je veux ce putain de collier… J’offre une récompense pour cette merde, 10 000 balles… Alors s’il se pointe dans ta ville, Et que tu arrives à décrocher cette merde de son cou… Je te filerai 10 000 balles, mec… Et je pourrai enfin cramer cet enfoiré. » De toute évidence, Jeezy ne faisait pas partie du groupe d’hommes entrés par effraction dans la maison de la strip-teaseuse en cet après-midi du 10 mai 2005. Mais il était en relation avec au moins un d’entre eux. Revenons en aux faits : les cinq hommes ont fait irruption dans le salon, l’un a frappé Gucci à la tête avec son poing américain, un autre a fait de même avec la crosse de son arme sur son ami, et un autre homme – si ce n’est plus – a dégainé son arme. Quelqu’un a parlé de les tuer. Mais Gucci a dégainé plus vite. On l’avait averti : « Reste vigilant. » Il a saisi sa chance. Il a visé, et il a tiré. « Tout d’un coup, j’ai senti quelque chose craquer et je suis tombé par terre… » (Le rappeur originaire de Macon, Pookie Loc, en pleine session d’enregistrement avec le groupe Loccish Lifestyle) Les cinq hommes sont rapidement sortis de la maison. Henry « Pookie Loc » Clark avait une bonne tête d’avance sur le reste du groupe. Il s’est mis à courir pour sortir de Springside Run et s’engouffrer sur Columbia Drive, non loin d’une école primaire – ainsi que d’une voiture de flics. Il a changé de cap pour s’engouffrer dans les bois, il a trébuché à plusieurs reprises, et a fini par tomber pour de bon. « J’essaie de bouger, mais quelque chose m’en empêche… Je me réveille, j’ai froid et je suis en sueur, la lumière m’aveugle… »

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Atlanta, de nuit

Trois jours après l’incident au domicile de la strip-teaseuse, la police de DeKalb County a reçu un coup de fil. Quatre hommes s’étaient pointés dans l’école primaire de Columbia Drive ; ils cherchaient quelque chose dans les bois des environs. Les noms de trois des hommes figuraient sur le rapport d’incident : Shannon « Luke » Lundy, Demetrius « Kinky B » Ellerbee, le co-propriétaire de Corporate Thugz Entertainment –, le troisième étant Young Jeezy. Luke a dit aux enquêteurs qu’il se trouvait sur le tournage d’un clip, dans le West End, quand il a entendu dire qu’il y avait eu des coups de feu du côté de Springside Run. Et que son ami Pookie Loc, qui était porté disparu, connaissait une femme qui vivait dans les environs. Alors les enquêteurs se sont mis à le chercher. « Je réalise qu’on m’a tiré dessus et que je suis en train de crever à petit feu… » Ils l’ont trouvé dans les bois. Un essaim de mouches tournait autour de son cadavre tout de noir vêtu.

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Une chose est sûre, Young Jeezy a répété à plusieurs reprises qu’il n’avait rien à voir avec le raid sur Springside Run, et la police n’a jamais dit qu’il faisait partie des suspects. Et la seule personne arrêtée dans le cadre de cette enquête fût Gucci Mane, qui était accusé d’avoir tué Pookie Loc (avant d’être blanchi de tout soupçon). Mais des zones d’ombre persistaient quant aux événements survenus en ce jour de mai 2005. La principale étant de savoir si une organisation en lien avec Jeezy – à priori le réseau de trafiquants de drogue appelé « Black Mafia Family » – était impliquée dans cette affaire.

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Un club de strip-tease d’Atlanta
Crédits : Blue Flame

À l’époque, dans les cercles hip-hop d’Atlanta, la BMF était connue pour ses fêtes fastueuses et son fric dépensé sans compter. Dans la rue, ils avaient acquis le statut de légende. Mais à l’instar de la plupart des légendes, même s’il est probable que certains faits soient authentiques, il est possible que deux ou trois choses dites à leur propos soient fausses. Le manager de Loccish Lifestyle, Tarence Bivins, et le troisième membre du groupe, Carlos « Low Down » Rhodes, n’étaient pas à Atlanta quand Pookie Loc est mort. Pourtant Bivins et Low Down clamaient tous deux qu’ils sont certains que la BMF n’est pas impliquée. « La BMF n’a rien à voir là-dedans, dans cette histoire avec Gucci Mane et [Pookie] Loc. Rien, point barre. C’est pas vrai, absolument pas vrai. Et vous pouvez me citer sur ce point », a affirmé Bivin. Le discours de Low Down était lui aussi sans équivoque : « En gros, la BMF est l’appât des flics, et ils continueront de l’utiliser jusqu’à ce qu’ils ferrent de plus gros poissons. » Quant à la BMF en elle-même, voici ce qu’il en dit : « Ils sont chauds ces mecs de toute façon, ils sont même carrément chauds bouillants. Difficile de les rendre plus chauds qu’ils ne le sont déjà. »

Pourtant, l’ancien avocat de Gucci, Dennis Scheib, et son nouvel avocat, Ash Joshi, persistent et signent quand ils clament que la BMF est d’une certaine manière responsable de qui est arrivé. « Voilà le topo : cinq mecs de la BMF sont entrés dans cette maison », affirme Scheib. Et selon Joshi, le bureau du procureur de DeKalb County était en train de déterminer si la BMF était ou pas impliquée dans cette histoire. La porte-parole du bureau du procureur, Adora Andy, a déclaré qu’elle n’était pas en mesure de parler des allégations quant à la participation de la BMF. « Nous n’avons pas enquêté sur cette affaire, c’est le FBI qui l’a fait », a-t-elle expliqué à Creative Loafing. Le bureau du FBI à Atlanta n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. « Je serais bien incapable de dire quoi que ce soit à ce propos », a répondu l’agent spécial Steve Emmett.

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Le Trap God
Crédits : Noisey

Mais les fédéraux ont pu confirmer que la BMF était bel et bien impliquée grâce à d’autres enquêtes. Depuis les années 2000, si ce n’est avant, des agents fédéraux essayaient d’infiltrer l’organisation de trafiquants de drogue qui allait bientôt s’appeler Black Mafia Family. Ils étaient convaincus qu’elle opérait depuis la plate-forme gérée par Terry « SouthWest T » Flenory à Los Angeles, et depuis celle d’Atlanta gérée par son frère Demetrius « Big Meech » Flenory. Les fédéraux pensaient qu’avec les deux plates-formes supplémentaires à Détroit et à St. Louis, ils faisaient circuler d’énormes quantités de cocaïne dans tout le pays, grâce à des Limousines, des camping-cars et des véhicules dotés de compartiments secrets. Un enquêteur d’Atlanta a estimé que rien que dans sa ville, l’organisation comptait plusieurs centaines de membres qui souscrivaient aux « théories du mouchard » de la BMF (moucharder étant le péché suprême), et se délectaient du « mode de vie trépidant » qu’offrait l’appartenance à la BMF. « Ce qui me surprend le plus, c’est la manière dont ils s’organisent. On entend souvent les gens se vanter de leur argent sans joindre la parole à l’acte, mais ces mecs ne se retrouvent jamais à court d’argent », a souligné ma source, qui a souhaité rester anonyme en raison de son implication dans diverses enquêtes sur la BMF en cours. Selon l’enquêteur, la valeur de la drogue et de l’argent liquide qu’ils ont saisis à la BMF était suffisante pour mettre un gros trafiquant sur la paille ; mais pour eux, ce genre de saisie était monnaie courante. « C’est le prix à payer pour continuer le business », a-t-il ajouté. Et ces perquisitions n’aidaient absolument pas les enquêteurs à se concentrer sur leur cible, « Big Meech » Flenory. Mais il arrivait que d’autres affaires liées au pétrin dans lequel se mettaient les membres de la BMF les aident – comme la fois où Meech s’est retrouvé impliqué dans un double homicide très médiatisé. Mais pour vraiment faire avancer l’enquête, les autorités devraient accomplir l’impossible. Il leur fallait briser la loi du silence de la BMF.

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Les hommes de Meech comptent leur argent
Crédits : YouTube

Jabari Hayes

Aux premières heures du 11 novembre 2003, Anthony « Wolf » Jones, l’ancien garde du corps de P. Diddy, et son ami d’enfance Lamont « Riz » Girdy, ont été abattus au cours d’une fusillade derrière le Buckhead, une boîte de nuit. La personne suspectée d’avoir perpétré ce meurtre s’est avérée être un gros poisson. Mais à côté de ça, l’enquête sur le meurtre patinait. Le jour où le crime a été perpétré, quand le chef de la police d’Atlanta a déclaré à la presse que « l’élément déterminant était un témoin qu’ils n’avaient pas encore rencontré », il ne pensait pas que cette déclaration allait revêtir une importance particulière. Apparemment, la femme qui avait appelé le 911 peu de temps après l’arrivée des détectives sur la scène du crime était sûre de ce qu’elle avançait. Elle a dit à la police qu’elle se trouvait sur le parking de la boîte de nuit quand elle a vu un homme qu’elle connaissait sous le nom de « Meechie » faire feu à plusieurs reprises. Elle était même venue le jour même faire une déposition au commissariat de police.

Le problème, c’est que la police n’a jamais révélé son identité, et ils ne l’ont pas fait témoigner une seule fois au cours des audiences du procès de Meech. En définitive, en ce qui concerne ces poursuites pour meurtre, cette femme n’existait pas. Mais la procédure à l’encontre de Meech était tout sauf finie. Trois semaines après les meurtres, Meech a été libéré sous caution – un geste inhabituel dans le cas d’un double homicide, surtout quand il est autant médiatisé que celui-ci. (Les personnes tuées étaient tellement connues qu’on dit que c’est la raison pour laquelle le conseil municipal d’Atlanta a reculé l’heure de fermeture des bars dans toute la ville.) Le fait que le juge statue en faveur d’une libération sous caution est révélateur de la difficulté rencontrée par les procureurs dans leur quête de preuves qui permettraient d’étayer les accusations. Plus de trois ans après son arrestation, Meech n’a toujours pas été inculpé.

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Meech prend la pose

« Ce qui importe, c’est qu’il est une victime de cette fusillade », a expliqué son avocat, Drew Findling, à Creative Lounge. « C’est devenu clair, et ça le reste. Et c’est pour cette raison qu’il n’a pas été accusé de quoi que ce soit dans le cadre de cette affaire. » Mais Meech n’est pas sorti indemne de cette histoire. Six jours après la fusillade, les autorités – ainsi que des agents de la Drug Enforcemennt Administration –, munies d’un mandat de perquisition, ont sonné à la porte d’une vaste demeure dans le quartier résidentiel de Lithonia. La police avait des raisons de croire que Meech vivait dans cette maison qui appartenait à la petite amie de son frère. Le mandat avait été délivré en partie pour recueillir des preuves de la participation de Meech à la double fusillade de Buckhead. Mais la police et les agents de la DEA n’ont rien trouvé en lien avec les meurtres dans la maison vide – en tout cas pas d’arme du crime. Mais ils ont tout de même trouvé quelques armes : un Uzi 9mm dans le tiroir d’une table de nuit, un revolver de calibre 45 dans la salle de bain principale, et un autre de calibre 40 dans le placard d’une chambre d’ami. Plus important encore, ils ont trouvé « une quantité considérable de disques en lien avec » la BMF. Et toutes ces preuves commençaient à démontrer que l’organisation était impliquée dans un trafic de drogue. Au cours des mois qui ont suivi, une série de contrôles routiers sur les routes du Missouri allaient renforcer les soupçons des fédéraux quant au fait qu’ils faisaient transporter de grosses quantités d’argent liquide et de cocaïne.

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Cinq mois plus tard à Phelps County, dans le Missouri, l’adjoint du shérif Carmello Crivello a remarqué un 4×4 qui roulait vers l’est, vers St. Louis, sur la route I-44. Crivello a mis les gyrophares de sa voiture en marche avant d’arrêter le véhicule pour avoir roulé sur la ligne discontinue entre la voie de gauche et la piste cyclable. Le conducteur s’appelait Jabari Hayes. Il lui a demandé de s’asseoir à l’arrière de sa voiture de patrouille avant de vérifier son permis de conduire, qui était en règle. Puis il lui a posé quelques questions : D’où est-ce qu’il venait ? Du Tennessee. Où allait-il ? Rendre visite à sa famille à St. Louis pour Pâques.

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St. Louis la nuit

Où s’était-il arrêté en cours de route ? D’abord en Géorgie, puis au Texas pour voir ses cousins. D’où venait ce 4×4 ? Il l’avait loué à Orlando mais avait laissé les papiers chez lui. Combien cela lui avait-il coûté ? Environ 4000 $ pour un mois. Quelle était sa situation professionnelle ? Il possédait une entreprise de voituriers. Pourquoi était-il en possession de trois téléphones portables ? Pour ne pas passer ses appels professionnels et personnels avec le même – et pour éviter que sa copine ne fouine dans son historique d’appels et y découvre quoi que ce soit. Transportait-il des objets de contrebande sous quelque forme que ce soit ? À ce moment-là, l’adjoint du shérif a regardé dans le rétroviseur l’homme qui se trouvait toujours à l’arrière de sa voiture, et il a vu que les mains de Jabari tremblaient. En le regardant de plus près, il a remarqué qu’une des veines de son cou palpitait. « Non », a répondu Jabari.

Les choses étaient en train de tourner au vinaigre pour la BMF.

Il ne lui a pas non plus dit que trois semaines plus tôt, il s’était fait arrêter en sortant de St. Louis, au volant d’une Lincoln Town Car de 1999. Cette fois, c’est la DEA qui lui avait demandé de s’arrêter. Le chien des agents a fini par trouver un élément suspicieux dans la voiture : dans un compartiment derrière le siège arrière, ils ont trouvé plusieurs liasses de billets entourés d’un élastiques. Les enquêteurs ont rapidement découvert que l’argent, dont le montant s’élevait à presque 600 000 $, appartenait à la BMF. Et entre ces deux arrestations, la police du Missouri a arrêté deux autres hommes en lien avec la BMF, Christopher « Pig » Triplett et Calvin « Playboy » Sparks, qui se sont fait prendre près de Florissant avec neuf kilos de cocaïne. Mais c’est la seconde arrestation de Jabari qui a attiré l’attention des enquêteurs pour de bon. Jabari était toujours assis à l’arrière de la voiture de Crivello. Le chien renifleur faisait le tour de son 4×4, quand soudain il s’est assis et a commencé à aboyer. Crivello a grimpé dans la voiture et a trouvé trois valises à l’arrière. Il y a découvert 95 paquets soigneusement emballés qui contenaient plus de 100 kilos de cocaïne. Dans la rue, cette quantité se vendait pour environ 9 millions de dollars. Et comme pour l’argent liquide confisqué à Jabari quelques semaines auparavant, ces 100 kilos de cocaïne étaient en lien avec la BMF. Cela a été l’une des plus grosses saisies de drogue de l’histoire du Missouri, et un signe que les choses étaient en train de tourner au vinaigre pour la BMF. Ils se faisaient un peu trop remarquer.

HIDTA

Le soir du 14 septembre 2004, les enquêteurs qui travaillaient avec la cellule inter-agences antidrogue d’Atlanta écoutaient l’enregistrement d’un appel téléphonique passé par un dealer de crack du nom de Rafael « Smurf » Allison. La discussion de Smurf et d’un type appelé « Bowlegs » donnait l’impression qu’ils parlaient de drogue en langage codé. Moins de 10 minutes plus tard, Smurf a passé un coup de fil à quelqu’un pour lui demander si tout se passait bien. Ce à quoi le type à l’autre bout du fil a répondu : « Ouais, tout se passe bien. »

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Le dealer de crack Rafael « Smurf » Allison (en haut à gauche) a mené les enquêteurs à Decarlo Hoskins (en haut à droite), qui a à son tour balancé les membres de la BMF Jeffery Leahr (en bas à gauche) et Omari McCree (en bas à droite).

Les enquêteurs, qui faisaient partie du programme fédéral HIDTA (pour « hauts lieux du trafic de drogues »), ont pris Smurf en filature après qu’il ait quitté son quartier près du stade Turner Field, pour prendre sa voiture et se rendre à un appartement dans une résidence sur la route de Howell Mill. Selon les agents de la HIDTA, le fournisseur de Smurf vivait dans cette résidence. Et grâce à l’écoute placée sur le téléphone de Smurf, ils avaient trouvé le numéro de ce fournisseur. Deux jours plus tard, un juge de Fulton County a accédé à la requête des enquêteurs, et le téléphone du présumé fournisseur, Decarlo Hoskins, a été placé sur écoute.

Trois jours plus tard, les agents ont eu ce qu’ils voulaient : apparemment Decarlo était sur le point de conclure une grosse vente de coke avec trois hommes. Il a passé un coup de fil pour demander à ces mecs de se rendre à « son spot ». Les agents de la HIDTA se sont dit qu’il parlait de son appartement, ils se sont donc pointés à la résidence, se sont mis en position, et ont attendu. Selon les informations qu’ils avaient obtenues, ils étaient supposés voir trois hommes arriver à la résidence avec une Nissan Altima grise entre midi et une heure de l’après-midi. Après avoir récupéré la drogue, les hommes devaient se rendre au stade du Georgia Dome pour le match des Falcons. Les agents ont effectivement vu une Nissan grise se garer sur l’une des places réservées aux visiteurs vers 12 h 30. Deux minutes plus tard, une Infiniti noire censément conduite par Decarlo s’est garée sur la place d’en face. Un des types est sorti de l’Altima pour entrer dans l’Infiniti. Quelques minutes plus tard, il est retourné dans l’Altima, et les deux voitures ont décampé à toute allure. Les agents suivaient de loin l’Altima, qui roulait aussi vite que possible vers le sud en direction du quartier de Howell Mill – non loin du Georgia Dome en ce jour de match et d’embouteillage. Un des agents de la HIDTA a appelé la police d’Atlanta pour leur demander de faire arrêter leur voiture. Dès qu’il a vu les gyrophares de la voiture de patrouille, le mec assis sur le siège passager de l’Altima a appelé Decarlo pour lui dire qu’ils allaient se garer, et que si les flics lui demandaient de sortir de la voiture, ils les fumeraient. Decarlo lui a demandé de continuer à rouler. Un officier de la police d’Atlanta a demandé son permis au conducteur de l’Altima, et quelques instants plus tard, un des agents de la HIDTA s’est approché de la voiture par l’autre côté. Il a demandé au passager de lâcher son téléphone portable et de sortir du véhicule. C’est à ce moment-là qu’il a vu un Magnum 357 par terre, à ses pieds. Ils n’ont pas cherché à s’enfuir, ni à se battre. Les agents ont trouvé un sac fourre-tout Louis Vuitton dans lequel il y avait 7 paquets contenant un kilo de coke chacun, et un autre sac avec deux paquets supplémentaires.

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Un compartiment secret dans une voiture de la BMF

Une fois arrivés au QG de la HIDTA sur Juniper Street, ils ont refusé de parler. Mais ce n’est pas ce dont les agents avaient besoin – ils avaient désormais assez de preuves pour faire tomber Decarlo, leur fournisseur présumé. Et quand ils sont venus le cueillir moins d’un mois plus tard, pour formellement l’accuser de trafic de cocaïne, Decarlo leur a dit des choses fort intéressantes. Il leur a dit connaître une bande qui vendait de grosses quantités de coke dans les environs du quartier de Boulevard. Il connaissait deux des dealers pour avoir grandi avec eux dans le quartier, et était prêt à laisser les agents l’écouter les appeler pour négocier un achat de cocaïne avec eux. Il ne les connaissait que par leurs prénoms : Jeffery et Omari.

Quelques mois plus tôt, les enquêteurs de plusieurs factions, y compris la HIDTA, s’étaient retrouvés au commissariat de police d’Atlanta pour passer en revue une nouvelle initiative – qui consistait à cibler les dealers dans le quartier d’Old Fourth Ward. On leur avait demandé de chercher activement les dealers présents sur la liste qu’ils avaient dressée, et dans laquelle figurait les pseudos « O », ou « O Dogg ». Les enquêteurs avaient pu établir que le vrai nom de ce O Dogg était Omari McCree, un membre présumé de la BMF. Les agents de la HIDTA avaient une bonne idée de ce qui allait se passer quand ils ont demandé à Decarlo de passer son coup de fil. Ce dernier, assis sur une chaise du bureau de la HIDTA, a composé le numéro d’Omari. Quand celui-ci a répondu, il lui a juste dit : « Si t’as quelque chose, j’en prends deux blocs. » Omari lui a rétorqué qu’il ne parlait plus au téléphone. Ce qui n’était pas tout à fait vrai, car au cours des semaines qui ont suivi, il a continué de parler au téléphone, mais pas à Decarlo – car il avait vu juste en le soupçonnant de s’être fait arrêter.

O

Le week-end suivant, Omari n’a pas pu s’empêcher de se mettre dans le pétrin. Lui et son meilleur ami – meilleur au point que tout le monde pensait qu’ils étaient frères – Jeffery Leahr traînaient à l’Atrium, une boîte de hip-hop, quand quelqu’un a ouvert le feu sur les clubbers. Quatre personnes ont été blessées au cours de cette fusillade, et pour la police de DeKalb County, Omari et Jeffery en étaient sans doute les auteurs. Mais ils les ont laissés partir après les avoir interrogés.

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Crédits : Blue Flame

Aux premières heures du mercredi suivant, la police de DeKalb a installé un barrage routier près du Pin Ups, un club de strip-tease. Selon eux, l’incident à l’Atrium et la récente fusillade qui avait eu lieu au Jazzy T, un autre club de strip-tease, laissaient penser qu’il fallait établir un « point de contrôle de sécurité » au niveau de ce carrefour – bien que les sites des deux fusillades en étaient relativement éloignés. Il n’était pas tout à fait cinq heures du matin quand le barrage a piégé une Dodge Magnum qui venait de sortir du parking du Pin Ups. Les policiers ont arrêté Hamza Hewitt, le conducteur (et accessoirement l’ex-garde du corps du rappeur new yorkais Jay Z, qui à priori était celui de Meech maintenant) et ses deux passagers. L’un d’entre eux dit s’appeler Ricardo Santos. Une fois arrivés au poste de police, ils ont installé le dénommé Santos dans une salle d’interrogatoire. En allant le surveiller quelques instants plus tard, un policier a eu la surprise de le voir se démener comme un diable pour les provoquer ; il était en train de pisser contre le mur tout en se balançant d’avant en arrière. Quand il a finalement accepté de parler aux enquêteurs, un officier lui a demandé s’il était possible que son nom de famille soit Flenory. Santos s’est trahi en corrigeant la prononciation, mais de toute façon, un des policiers l’avait déjà reconnu : c’était « Big Meech ».

Après tout, sa photo était sur tous les journaux l’an dernier, quand on l’a accusé d’avoir participé au double homicide du Buckhead. Les personnes les plus proches de Meech leur diraient plus tard qu’il s’était fait prendre à cause de la fusillade à l’Atrium – et tout particulièrement à cause d’Omari et Jeffery. Le barrage routier n’a pas permis de retenir des charges contre les trois hommes, mais le message était clair : la BMF était dans le collimateur des forces de l’ordre. 36 heures plus tard, Meech, qui avait donné un faux nom et un faux permis à la police, a été libéré sous caution. Le jour même – le 22 octobre 2004 –, des agents de la HIDTA ont enregistré plusieurs coups de fil passés sur le téléphone d’Omari. Au cours des deux semaines qui ont suivi, l’écoute de ces enregistrements leur a permis de comprendre un peu mieux à quel point Omari était impliqué dans la BMF. Les enregistrements ont non seulement révélé qu’il faisait partie de l’échelon supérieur de la BMF, mais aussi que Meech l’affectionnait tout particulièrement.

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Les affaires se corsaient pour la BMF

Le parrain – ou « Dude » pour Omari et les autres – ne le lui a pas dit de manière très claire ; Meech ne dit jamais rien clairement, du moins pas au téléphone. Mais d’autres personnes en parlaient, et leurs conversations étaient éclairantes. Elles leur ont permis de découvrir les noms d’autres membres de la BMF : un affilié de haut rang de Meech qui se faisait appeler « J-Bo », un rappeur, Bleu DaVinci, et son plus jeune frère, « Baby Bleu ». Cette première journée d’écoute téléphonique aura permis aux agents d’entendre plusieurs conversations sur les efforts fournis en vue de payer la caution de Meech pour le faire sortir de prison. Peu après 16 heures, une femme, qui selon les enquêteurs était l’assistante personnelle de Meech, l’a appelé pour lui dire qu’ils allaient tous deux devoir faire attention avec leurs voitures qui se repèrent facilement. « Écoute, je ne suis pas là pour faire ma chieuse, ni pour te dire quoi faire, lui dit-elle, mais… ramène ta voiture chez toi, gare-la et ne la sors plus. Tu vas te retrouver dans la merde et tu sais que ça n’en vaut pas la peine, vu ce qu’il se passe ces temps-ci. » Elle l’a rappelé une minute plus tard : « Je ne peux même pas aller le chercher, je n’ai pas la voiture qu’il faut. Il me faudrait une bagnole merdique, genre une Honda. » Omari a répondu à des coups de fil en rapport avec l’Atrium pendant tout le reste de la soirée (« J’appelle juste pour prendre de tes nouvelles, j’ai entendu dire qu’il y avait eu une fusillade de merde à l’Atrium », lui a dit une femme) ; en rapport avec l’arrestation de Meech (« Ils ont dit que Meech et d’autres renois s’étaient fait arrêter à l’Atrium », a-t-elle ajouté) ; à propos d’un truc appelé le « portail » (« Ok, le portail n’est pas ouvert », lui a dit une autre femme) ; ou encore d’un « escalator ». « — Tu vas emmener ta voiture là-bas ? lui demande la femme qui était probablement l’assistante de Meech. — Aux escalators ? lui répond Omari. — Ouais, répond-elle à son tour, lui et moi on ne va définitivement pas se pointer là-bas. » Six heures plus tard, Meech était libéré sous caution. Elle a rappelé Omari à une heure du mat’ pour lui donner des ordres. « — Ouais quoi ? lui demande ce dernier. — Ton boss veut te voir tout de suite à l’escalator. — Il se comporte comme si j’avais fait quelque chose de mal, dit-il en riant, mais bon, OK j’arrive. »

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Omari McRee

La femme aussi se met à rire. « Il est en train de s’occuper de la paperasse », lui explique-t-elle. « Il ne veut pas parler au téléphone. Il a dit qu’il voulait que tout le monde rapplique à l’escalator. » Quelques minutes plus tard, Omari a sorti un 4×4 Porsche couleur argent de l’allée de sa maison. Les agents de la HIDTA, qui s’étaient postés pas loin de la maison, écoutaient ses appels téléphoniques, et attendaient celui qui allait incriminer Meech. Ils ont pris la Porsche en filature, et l’ont suivie depuis le quartier d’Omari jusqu’à la rue Wieuca, en passant par North Hills Druid et Roxboro, où la voiture est partie à une telle allure que les agents l’ont perdue de vue. La filature était finie. Cela n’a pas empêché les agents de continuer à recueillir des informations. Grâce à l’écoute placée sur le téléphone d’Omari, ils ont appris que certains membres de la BMF commençaient à soupçonner Omari de mettre l’organisation en péril. Omari lui-même semblait s’inquiéter. Celle que les enquêteurs pensaient être l’assistante de Meech a bien fait comprendre à Omari que leur boss avait placé de grands espoirs en lui. Ce à quoi il a répondu qu’il s’en faisait à propos de la fusillade à l’Atrium. Il a dit aux autres qu’on lui avait aussi parlé de l’arrestation de Decarlo. Et il a parlé plus d’une fois du fait qu’il pensait être surveillé.

Quelques jours après leur rencontre à l’escalator, la femme l’a rappelé. Mais cette fois, elle ne semblait pas d’aussi bonne humeur. « Dude vient de me demander des nouvelles de tout le monde, lui dit-elle. Je lui ai dit que tout le monde allait bien, mais putain de merde ils font tous chier. Et il était là genre : “Merde, ils n’ont qu’à juste tous venir poser leur cul.” Alors tu vas arrêter de perdre ton énergie à broyer du noir comme ça, et tu vas reprendre ta putain de vie en main, O. Tu es encore en bonne position pour le faire. Tu peux très bien le faire. » À en juger par sa réponse, Omari n’était pas vraiment convaincu d’être encore en si bonne position que ça. « J’apprécie vraiment tout ce que tu me dis, tout. Et même quand ça vient pas de toi », a-t-il répliqué. « Mais au bout du compte, à la fin, s’ils veulent O, ils viendront le chercher. Et c’est moi qui dois supporter ce poids en permanence. C’est moi. Peut-être que je suis en train de me préparer au pire. »

Sur écoute

Omari semblait effectivement se préparer, et le sentiment de paranoïa qui accompagnait ses préparatifs n’était pas sans fondement. Une semaine plus tard, il a commencé à avoir des soupçons à propos du camion noir qui restait garé devant la maison qu’il partageait avec Jeffery. Il s’est résolu à appeler un ami pour lui demander de faire vérifier la plaque d’immatriculation par un ami en commun.

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In da club
Crédits : Blue Flame

Une demi-heure plus tard, Jeffery a appelé Omari pour lui parler d’une idée qui pourrait peut-être l’aider à se détendre. Courtney Williams, la copine de Jeffery, ne serait pas en ville pendant quelques temps, il a donc proposé à Omari d’emmener les « vêtements » là-bas et de l’y retrouver. « Ouais, fais donc ça », lui a-t-il répondu. Jeffery s’est exécuté et a emmené les « vêtements ». Mais quand il a appelé sa copine le lendemain, celle-ci lui a dit qu’elle voulait qu’il dégage ses « vêtements » de chez elle. Elle était à l’aéroport, et elle avait prévu de repasser vite fait en ville avant de la quitter de nouveau, alors il fallait qu’il emmène ses « vêtements » ailleurs rapidement. « — J’en ai marre de ce sale business, alors je voudrais juste savoir si tu comptes être là dans les 30 minutes qui viennent, parce que je ne vais pas tarder à partir, lui dit Courtney. — Dans ce cas, je peux garder ta clé pendant ton absence ? lui demande Jeffery. — Est-ce que tu peux garder ma clé pendant que je ne suis pas là ?? — Courtney, j’ai vraiment besoin de laisser les vêtements chez toi, parce que… tu ne peux pas comprendre. — T’as raison, je ne comprends pas. — Bon, est-ce que je peux garder les vêtements chez toi, s’il te plaît ? Est-ce que je peux avoir la clé jusqu’à ton retour ? — Désolée, tu n’auras pas ma clé. — Courtney s’il te plaît, je peux avoir la clé ? Je t’en supplie… — Je t’ai déjà dit non. » Puis elle lui dit qu’elle allait prendre un taxi à l’aéroport pour se rendre chez lui et Omari. Les agents ont ainsi pu prendre son taxi Peach Cab Co. en filature jusqu’à ce qu’il la dépose dans le quartier résidentiel. Dix minutes plus tard, elle quittait la maison d’Omari et Jeffery au volant d’une Cadillac blanche. Et quelques instants plus tard, Jeffery partait en trombe au volant d’une Porsche. Les agents, qui cette fois étaient accompagnés de la DEA, se sont divisés en deux équipes pour prendre les voitures en chasse. La Porsche roulait à très vive allure. Jeffery a grillé un feu rouge entre Spring Street et North Avenue, et les agents l’ont perdu de vue.

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ATL

Ils ont eu moins de mal à suivre Courtney jusqu’à son appartement dans le quartier d’Old Fourth Ward. Et quelques minutes plus tard, il s’est avéré que ce qui était arrivé à l’autre équipe n’était pas si grave que ça : Jeffery a garé sa Porsche devant le même immeuble que Courtney. Ils y sont entrés, et sont ressortis peu de temps après de l’appartement avec un sac de voyage. Ils sont montés dans la Porsche et se sont dirigés vers l’autoroute. Les agents qui les suivaient ont appelé la police d’Atlanta. Il était temps de procéder à un contrôle routier. Les policiers ont arrêté la Porsche au niveau de l’autoroute I-75, sur Pine Street. Les enquêteurs se sont approché du 4×4 avec leurs armes à la main. Sur le siège arrière de la Porsche, au vu et au su de tous, les agents ont trouvé 10 kilos de coke dans un sac de voyage ouvert. Quand Omari a appelé Jeffery quelques heures plus tard, il a vite compris que quelque chose ne tournait pas rond. Mais ils ont quand même continué à se parler, en dépit du fait que Jeffery répétait que c’était une mauvaise idée. « — Je ne veux pas parler là, à plus, lui dit Jeffery. — Quoi ? demande Omari. — Salut. » Plus de tonalité. Trente secondes plus tard, Omari le rappelait. L’accueil de Jeffery a été des plus secs : « J’veux pas parler. » « — Hey putain, qu’est-ce que ça veut dire ? — J’veux pas parler mec. Écoute s’il te plaît, écoute. — T’es dans la merde ? — J’veux pas parler. Sérieusement s’il te plaît, sérieusement. » Omari passa donc un coup de fil à la copine de son ami. Elle pleurait tant qu’il peinait à la comprendre. « — Allô ? marmonne-t-elle. — Pourquoi tu pleures ? lui demande Omari. — Il t’a pas dit ? — Dit quoi ? »

Si Omari acceptait de répondre aux questions, le bureau du procureur serait informé de sa coopération.

Les enquêteurs avaient placé Courtney et Jeff dans des voitures de patrouille différentes. Un peu plus tard, ils les ont emmené dans l’appartement de Courtney, et avec sa permission, ils l’ont fouillé. Puis la police les a laissé partir. C’était plutôt inhabituel, mais les enquêteurs se sont dit qu’ils allaient continuer de parler au téléphone, ce qui leur permettrait peut-être d’obtenir des informations plus pertinentes. « — Tout est allé de travers, O. Pars de la maison, OK ? T’es chez toi ? ajoute Courtney. — Non. — OK, bon, tant que tu n’y es pas tu devrais être tranquille. — Bon t’arrête ? Écoute, dis-moi juste ce qui se passe. — Je ne veux pas parler au téléphone, tu vois ce que je veux dire ? Ces putains de fédéraux, enfin si c’est bien ça, nous sont tombés dessus. »

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Par la suite, les enquêteurs affirmeraient que la cocaïne perdue par Jeffery venait de la BMF. Suite à ce coup de filet, Omari et Jeffery se sont retrouvés redevables – et pas qu’un peu – vis-à-vis de la BMF. Les deux hommes avaient contracté une dette qui allait les laisser sur la paille auprès de l’organisation. Et ils se sont enfuis. Un autre dealer présumé entretenant des liens avec la BMF a disparu à peu près au même moment. Treamayne Graham s’était fait arrêter six mois plus tôt, en avril 2004, après avoir fait l’objet d’un acte d’inculpation fédéral en Caroline du Nord. Graham et neuf autres suspects avaient été accusés de vendre de la cocaïne pour le compte de la Black Mafia Family. La disparition de Graham avait mis en lumière deux ou trois points pertinents. Pour commencer, au moment où il a payé sa caution avant de s’enfuir, il se trouve qu’il était le beau-fils de la maire d’Atlanta Shirley Franklin. Et puis il a disparu moins de deux mois après qu’un de ses co-inculpés, Ulysses Hackett – qui selon la police d’Atlanta songeait à rejoindre le programme de protection des témoins – ait été abattu à 4 heures du matin, alors qu’il dormait chez sa petite amie. Sa petite amie, Misty Carter, vivait dans le même immeuble que Courtney Williams. Environ an plus tard, au début de l’été 2005, Graham, qui n’était désormais plus marié à la fille de la maire, a été vu dans le sud de la Californie. Dès que les gendarmes ont su cela, ils l’ont pisté, retrouvé et arrêté dans une sandwicherie Subway. Par la suite, les enquêteurs ont fouillé la maison de Woodland Hills dans laquelle Graham disait avoir vécu. Ils y ont trouvé 1,8 millions de dollars en liquide et 250 kilos de cocaïne, soit environ 25 millions de dollars à la revente. Et ils ont fini par penser que la drogue et l’argent appartenaient à la BMF.

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L’arrestation de Graham, ainsi que les coups de filet dans le Missouri et les écoutes à Atlanta, leur permettaient petit à petit de comprendre le fonctionnement et la portée de la BMF. Moins d’un mois plus tard, le bordel engendré par la BMF commençait à faire du remous. Gucci Mane – le rappeur qui a tué Pookie Loc – s’est fait arrêter à Miami, et a été accusé de voies de fait graves par le tribunal de Fulton County, dans l’État de Géorgie. L’affaire n’avait rien à voir avec la BMF (Gucci était accusé d’avoir tabassé un promoteur de musique rap à l’aide d’une queue de billard.) Mais les agents qui l’ont coincé dans le cadre de cette affaire – des agents fédéraux, y compris de la DEA, aussi étrange que cela puisse paraître – semblaient plus intéressés par ce qu’il savait sur la BMF que par l’accusation pour voies de fait graves ou le meurtre de Pookie Loc. Ils l’ont bombardé de questions sur l’organisation, mais à chaque fois son avocat affirmait ne rien savoir.

À peu près au même moment, les enquêteurs sont allés chercher une personne qui souhaitait collaborer et qui serait en mesure de répondre à leurs questions sur la BMF. Rand Csehy, le procureur responsable de l’enquête sur la BMF de Fulton District, n’avait pas conscience d’être si prêt du but en ce jour de juin 2005, quand il a aidé à la police d’Atlanta à obtenir un mandat. La police pensait avoir repéré la voiture d’un membre de la BMF près du quartier de Boulevard, et ils voulaient être en mesure de fouiller les locaux environnants. Csehy leur a donné le mandat avant de s’en aller. Quelques minutes plus tard, il a reçu un coup de fil ; la police était en train d’arrêter Omari McCree, qui se trouvait non loin de la voiture devant laquelle il était passé. Un enquêteur de la police d’Atlanta a emmené Omari au bureau de la HIDTA dans le quartier de Midtown. Un agent lui a remis un formulaire d’accord de non-divulgation, et lui a dit que s’il acceptait de répondre aux question, le bureau du procureur serait informé de sa coopération. Omari a signé. Et l’agent a commencé à le questionner. « — Vous connaissez la BMF ? — J’en ai entendu parler pour la première fois en 1999. À l’époque, ils ne s’appelaient pas BMF. — Quels membres de la BMF connaissiez-vous en 1999 ? — Je ne connaissais que Meech et Bleu DaVinci. — Quand êtes-vous devenu membre de la BMF ? — En 2002, après avoir rencontré le fils de Meech lors d’une fête d’anniversaire en Floride. — Avez-vous déjà entendu parler de l’escalator ? — Oui. — Où se trouve cet escalator ? — Du côté de Glenridge. » Les enquêteurs n’étaient jamais parvenus à trouver où se situait exactement l’escalator, l’endroit qui d’après les écoutes était un des lieux de rendez-vous de la BMF. Quant à celui dont l’agent allait parler – le deuxième lieu de rendez-vous mentionné dans leurs conversations téléphoniques –, les enquêteurs savaient où il se situait, et ils l’avaient déjà surveillé. « — Vous avez entendu parler du portail ? — Oui. — Où se trouve-t-il ? — Du côté de Roswell Road, près du boulevard Chevron. — Avez-vous déjà acheté ou obtenu de la drogue au portail ? — Oui. — Comment obteniez-vous cette drogue ? — J’appelais J-Bo et je passais la récupérer. — Où est-ce que vous la récupériez ? — Au portail. — Quand vous y alliez, est-ce qu’il y avait quelqu’un ? — Oui, J-Bo. — Qui est J-Bo ? — Il travaille pour Dude. — Qui est Dude ? — Dude, c’est Meech. — Qui est responsable de l’arrivée de la drogue au portail ? — Dude. — Quelle quantité de drogue pouviez-vous voir au portail ? — Dans les 50 kilos. — Voudriez-vous me montrer l’endroit où se trouve le portail ? — Mec, je n’en dirai pas plus. Ces gens connaissent ma famille. » Omari pensait s’en tirer à bon compte. Du moins, c’est l’impression que donnait la question qu’il a posé ensuite : « — Je peux y aller ? demande-t-il. — Non. »

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TROISIÈME PARTIE

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Traduit de l’anglais par Elodie Chatelais d’après l’article « Hip-hop’s shadowy empire », paru dans Creative Loafing ATL. Couverture : Big Meech et d’autres membres de la BMF.