Changement tactique

Beyrouth, au Liban. Il était aux environs de 9 heures du matin le 12 juillet 2006 lorsque des roquettes Katioucha envoyées depuis le Liban se sont abattues au nord d’Israël. Tandis que les soldats israéliens évaluaient les dégâts, un groupe de combattants du Hezbollah s’est glissé sous la première clôture barbelée, puis sous la deuxième. Ils se sont ensuite précipités sur la route où se trouvaient deux Humvee de Tsahal. Les hommes ont tiré un missile antichar sur un des Humvee, pulvérisant le véhicule et les trois soldats israéliens qui se trouvaient à l’intérieur. Ils ont ensuite mis feu au Humvee après l’avoir arrosé de pétrole, mais pas avant d’avoir capturé deux autres soldats israéliens qu’ils ont traîné en territoire libanais. Le second Humvee, qui tentait de passer la frontière, a sauté sur un engin explosif improvisé (EEI). Ses quatre occupants sont morts sur le coup.

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Des soldats israéliens de retour du Liban en 2006
Crédits : DR

Cet événement a marqué le début d’une guerre sanglante qui allait durer 33 jours. Israël a lancé un assaut aérien sur des zones considérées comme des bastions du Hezbollah : la Plaine de la Bekaa, au sud du Liban, et les banlieues sud de Beyrouth. Les Israéliens ont ensuite entrepris une invasion terrestre dans le sud du pays, visant à désarmer l’organisation. De son côté, le Hezbollah a tiré des centaines de roquettes au-delà de la frontière en territoire israélien. Près de 1 300 Libanais, dont la plupart étaient des civils, sont morts lors du conflit. 165 Israéliens ont été tués, dont 121 soldats. La guerre de 2006 représente un moment crucial dans l’histoire du Hezbollah. L’organisation libanaise chiite était reconnue dans le monde arabe comme la seule force de la région capable de vaincre Israël. Elle était portée par une vague de soutien populaire. Pour les populations acquises à leur cause, ils agissaient en défenseurs des droits des opprimés. Mais en dix ans, beaucoup de choses ont changé pour le Hezbollah. Autrefois considéré comme un mouvement de résistance nationale, il est aujourd’hui vu comme la section d’élite d’un axe chiite constitué de l’Iran et de la Syrie, dont l’influence politique et militaire s’étend de Damas à Bagdad et jusqu’à Sanaa.

Aujourd’hui l’un des acteurs les plus puissants de la région, l’ascension du Hezbollah ne s’est toutefois pas faite sans heurts. L’organisation a perdu en Syrie un nombre considérable de soldats et de hauts gradés, et le soutien populaire a faibli dans les rues des quartiers arabes. À leurs yeux, il s’agit aujourd’hui d’un parti sectaire chiite. De ce fait, l’organisation subit une pression accrue de la part des nations les plus puissantes de la région. Tout cela pousse à se demander si le Hezbollah sortira vivant des nombreux défis qui se dressent devant lui tandis qu’il continue malgré tout de se développer.

Techniques nouvelles

Assis dans un restaurant d’une banlieue sud de Beyrouth, un ancien combattant du Hezbollah revient en détail sur l’expérience militaire et stratégique que le groupe a acquise ces dernières années. Ce vétéran d’une quarantaine d’années a participé à la guerre du Liban en 2006 et au conflit actuel en Syrie, jusqu’à ce qu’il soit blessé lors d’une bataille et contraint de déposer les armes.

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Des combattants du Hezbollah en 2006
Crédits : Ramzi Haidar/AFP

« La guerre de 2006 ne se déroulait que sur deux types de terrains : ceux du sud et ceux de la Bekaa », dit-il. Il veut parler des vallons et des montagnes du sud du pays, et de l’étendue plane de la Bekaa. Il en va différemment de la guerre en Syrie. Le conflit expose le groupe à toute une variété de paysages, ce qui lui a permis de développer significativement ses capacités militaires. L’organisation a dû troquer ses tactiques de guérilla, essentiellement défensives, contre celles d’une armée plus conventionnelle. « En Syrie par exemple, nous avons combattu sur des chaînes de montagnes plus hautes que celles du Liban. Il nous a fallu apprendre des stratégies totalement nouvelles ainsi que le maniement d’un équipement différent, car le nôtre était inefficace à cette altitude », dit-il. « Nous nous sommes aussi battus sur des côtes, dans des zones désertiques et en zone urbaine. Mais même les zones urbaines diffèrent, selon qu’on se trouve dans les grandes villes ou des petits villages. » Tandis que la guerre de 2006 avait lieu sur le territoire du Hezbollah, au milieu d’une population globalement acquise à leur cause, la Syrie a contraint le groupe à combattre dans des lieux inconnus où la population leur était hostile. « En 2006, on se défendait dans des zones qui nous étaient familières », raconte le combattant. « Alors qu’en Syrie, on entre dans des zones où les populations locales nous haïssent la plupart du temps et où les combattants connaissent mieux le terrain que nous. Ce sont des batailles très offensives. »

A group of Hezbollah fighters take position in Sujoud village in south Lebanon September 13, 2008. Hezbollah reproduced the operation attack on an Israeli occupation position made by Hadi Nasrallah, a Hezbollah fighter and the eldest son of the group's leader Sayyed Hassan Nasrallah, to commemorate his death during the operation in September 13, 1997. REUTERS/ Ali Hashisho (LEBANON)

Les combattants du Hezbollah en Syrie
Crédits : Ali Hashisho

D’autres individus proches du Hezbollah font écho à ces paroles. Pour la première fois, le Hezbollah mène des opérations offensives et ils comptent bien se servir des compétences qu’ils acquièrent en Syrie lors de leurs futures confrontations avec Israël. « Les Israéliens commencent à prendre conscience du bénéfice qu’on retire de cette guerre. Ils s’inquiètent du fait qu’on puisse utiliser cette expérience contre eux, surtout dans les zones urbaines », dit une source proche des opérations du Hezbollah en Syrie. Et les Israéliens ont raison de s’inquiéter. Le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah a été clair sur le fait qu’à la prochaine altercation, ils tenteraient d’envahir le nord d’Israël. Pour cela, ils utiliseront ce qu’ils ont appris en Syrie : combattre dans un environnement dont ils ne sont pas familiers où les populations leur sont hostiles. Cela demandera également de grandes capacités de commandement et de contrôle, du type de ce que le Hezbollah a développé en Syrie.

En 2006, l’organisation disposait de petites cellules de combattants capables de se battre pendant des semaines entières sans recevoir d’instructions de leurs supérieurs. Mais ils peuvent aujourd’hui déployer de plus grands bataillons de soldats sur de nombreux fronts, distants de centaines de kilomètres, tout en informant et ravitaillant leurs commandants en continu. « Le Hezbollah est un groupe insurrectionnel depuis toujours, mais ils apprennent rapidement les techniques de contre-insurrection », explique Matthew Levitt, directeur du programme Stein pour le contre-terrorisme et le renseignement à l’institut de Washington pour la politique au Proche-Orient. « Cela leur permet de mettre en œuvre différents types de compétences et de tactiques qu’ils pourront mettre à profit lors d’affrontements futurs avec Israël. » Levitt doute en revanche du fait que le Hezbollah parvienne à s’emparer d’une partie du territoire israélien lors d’une prochaine confrontation. « Les mesures de sécurité dans le nord d’Israël sont trop sophistiquées pour le Hezbollah, je ne les en crois pas capables. Mais j’imagine tout à fait l’impact psychologique que cela aurait sur la communauté israélienne si ça arrive, même s’ils échouent », dit-il.

Le Hezbollah gère à présent sept camps d’entraînement au Liban.

On raconte aussi que le Hezbollah s’est constitué depuis un armement beaucoup plus sophistiqué que celui qu’ils utilisaient contre Israël il y a dix ans. À présent, le groupe possède de l’artillerie lourde, des drones et un nombre conséquent de jeeps sur lesquelles sont montées des armes sans recul. Ce à quoi il faut ajouter environ 120 000 roquettes d’après les estimations du renseignement israélien, soit dix fois plus qu’en 2006. Les missiles contenus dans leur arsenal actuel sont beaucoup plus puissants qu’à l’époque : ils utilisent le missile balistique stratégique iranien Fateh-110 et sa version syrienne, le M-600. Un certain nombre de rapports affirment qu’ils détiennent également des Yakhont, des missiles anti-navires supersoniques russes, ainsi que des missiles sol-air à haute mobilité 9K33 OSA, de conception soviétique. Le nombre de combattants libanais dans les rangs du Hezbollah a lui aussi augmenté de façon exponentielle.

En 2006, le Hezbollah avait un noyau d’environ 2 000 combattants à plein temps, auxquels s’ajoutaient plus de 10 000 réservistes ayant reçu un entraînement basique. L’engagement du groupe en Syrie lui a permis d’élargir son noyau, et ceux qui n’avaient reçu qu’une formation de base se sont endurcis après des années de combat en Syrie. Plusieurs sources internes du Hezbollah affirment que l’organisation a accueilli de nombreux volontaires après les événements 2006, et de nouveau lorsqu’ils ont annoncé leur engagement en Syrie. D’autres rapportent que l’association des Scouts de l’imam al-Mahdi, le mouvement de jeunesse du Hezbollah, a récemment organisé une cérémonie de remise des diplômes à laquelle ont participé 70 000 scouts. « Je n’en croyais pas mes yeux ! » raconte une personne présente lors de la cérémonie. « Comme l’a dit Hassan Nasrallah lors de l’événement, nous n’avons aucune difficulté à trouver des volontaires pour rejoindre le Hezbollah. Notre problème aujourd’hui, c’est de savoir où les mettre. »

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Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah
Crédits : sayyednasrallah.com

La même source affirme que le Hezbollah gère à présent sept camps d’entraînement au Liban, pour s’adapter au nombre croissant de combattants et enseigner les nouvelles techniques acquises par l’organisation.

Conflit sectaire

Tout n’est pas rose pour autant. Le Hezbollah souffre d’une perte considérable de popularité depuis ces dix dernières années, surtout après son engagement dans des conflits hors des frontières libanaises. Bien qu’on ne dispose pas de chiffres officiels sur le nombre de morts en Syrie, on estime qu’entre 800 et 1 200 combattants du groupe y sont décédés au cours des trois dernières années. Depuis que le Hezbollah est impliqué dans le conflit syrien, les commandants Fawzi Ayyoub, Jihad Moughnieh, Mohamed Ahmed Issa, Ghassan Fakih, Fadi al-Jazzar, Ali Fayad, Samir Kantar et Moustapha Badreddine sont morts dans les combats.

En 2008, l’assassinat d’Imad Moughniyah, le cerveau de la plupart des actions du Hezbollah contre Israël, avait également porté un rude coup à l’organisation. « C’est une situation difficile pour eux car ils ont perdu plus de recrues et de hauts gradés dans leur guerre contre d’autres musulmans que dans leurs affrontements avec Israël », dit Levitt. Ali Fadlallah, professeur de politique à l’université américaine de Beyrouth et spécialiste du Hezbollah, explique que le groupe est prêt à encaisser de telles pertes car il considère la guerre en Syrie comme une question vitale. « Le Hezbollah voit son action en Syrie comme une obligation s’ils veulent protéger leurs routes d’acheminement des armes et conserver leur influence politique dans la région », dit-il. « C’est la raison pour laquelle ils sont prêts à payer le prix fort, dont la mort de certaines figures de premier plan. »

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Le cercueil d’un combattant du Hezbollah mort en Syrie
Crédits : Reuters

Des sources internes au Hezbollah minimisent néanmoins l’impact de ces pertes. D’après un ancien combattant de l’organisation, les pertes encourues en Syrie « ne représentent même pas 10 % du nombre de morts auquel s’attendait le parti pour une telle guerre ». « Il n’y a pas de guerre sans sacrifice », dit un autre. « Depuis la mort d’Imad Moughniyah en 2008, notre organisation est bien plus puissante qu’elle ne l’était avant 2006. Nous sommes en perpétuelle restructuration. Chaque martyr est suivi d’opportunités nouvelles et il y a toujours du sang neuf pour les remplacer. »

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Il en va différemment sur la scène politique. Depuis la guerre de 2006, ils ont perdu une grande partie du soutien sur lequel ils pouvaient compter au Liban comme dans l’ensemble de la région. L’implication du Hezbollah dans les conflits régionaux – Irak, Syrie, Yémen – a renforcé l’idée d’une force militaire et politique « strictement favorable aux chiites ». « Pour sa part, le Hezbollah se définit comme un acteur majeur dans son pays jouissant d’une influence régionale. Mais aujourd’hui, il est avant tout perçu comme un modèle pour les chiites grâce à ses victoires politiques et militaires dans la région », dit Hossam Matar, un analyste politique libanais proche du parti.

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Une rue libanaise ornée de drapeaux de l’organisation
Crédits : DR

À mesure que le conflit syrien a pris un tour de plus en plus sectaire, l’intervention du Hezbollah dans le conflit a été interprétée comme un soutien apporté à la minorité alaouite contre la majorité sunnite. Une version largement diffusée dans les médias du golfe Persique qui dominent le paysage médiatique arabe. En conséquence de quoi certains Arabes qui les soutenaient au départ ont commencé à voir le conflit au prisme du sectarisme sunnite-chiite. Ce scepticisme galopant a même remis en cause le discours du Hezbollah, qui soutient historiquement la cause palestinienne et son combat contre Israël. Le groupe et ses partisans reconnaissent qu’il y a un problème, mais ils cherchent à le minimiser. Le Hezbollah affirme inlassablement qu’il combat les takfiris et non les sunnites en Syrie, et demande aux Arabes d’ignorer ce qu’ils taxent de propagande orchestrée par les médias saoudiens. « Le vrai souci, c’est que la campagne des opposants au Hezbollah – qui le décrivent comme un parti sectaire – a fonctionné à merveille. Et comme on assiste bel et bien dans la région à un conflit sectaire, le Hezbollah paraît essentiellement chiite. Mais ce n’est pas par choix », soutient Matar.

Calculs funestes

Le fait que le Hezbollah soit vu comme le principal groupe chiite sectaire du Moyen-Orient a aussi accru la pression diplomatique exercée sur le parti. Historiquement, les pays du golfe Persique ont toujours entretenu des relations tumultueuses avec le Hezbollah. L’assassinat de l’ex-Premier ministre libanais Rafiq Hariri en 2005 et ce qui en a découlé est encore frais dans la mémoire du groupe. Mais après l’intervention du Hezbollah en Syrie et son opposition vivace à la guerre des Saoudiens au Yémen, les États du Golfe sont devenus ostensiblement agressifs envers le groupe et le considèrent unilatéralement comme une organisation terroriste.

Le Hezbollah semble renforcé par son influence internationale.

Les Libanais chiites qui siégeaient au Conseil de coopération des États arabes du Golfe ont été expulsés. Un coup dur quand on sait que les transferts de fonds des Libanais travaillant dans le Golfe sont une source de revenus primordiale pour beaucoup d’habitants au Liban. Ils aident à maintenir l’équilibre financier du pays. « Je ne pense pas que les Israéliens seront un jour aussi anti-Hezbollah que le sont les pays du Golfe en ce moment. Cette situation a des conséquences énormes sur l’organisation », dit Levitt. Malgré la pression croissante, le Hezbollah semble renforcé par son influence internationale. « Quand le vice-ministre des Affaires étrangères russe Mikhaïl Bogdanov se rend au Liban, ce n’est pas pour rencontrer les politiciens du pays. Il vient parler au Hezbollah du rôle qu’il a à jouer », révèle une source proche de l’organisation. « Il traite avec le Hezbollah comme avec un acteur important de la région. » Matar fait remarquer que les relations entre l’Iran et le Hezbollah ont également progressé en raison des liens étroits qu’entretient l’organisation avec les Arabes chiites de la région. « Le Hezbollah peut désormais conseiller l’Iran sur les problématiques arabes. En échange, l’Iran lui accorde un rôle plus important dans la région. »

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En 2006, le Hezbollah était une petite organisation militaire avec un seul terrain d’opération et une seule mission. Dix ans plus tard, le groupe s’est développé sur de multiples plans et fait face à des responsabilités, des exigences et des défis inédits. Le groupe armé est devenu un acteur politique régional dont l’influence égale celle de certaines nations. Mais il s’est également mis à dos une grande partie de la population arabe.

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Un Iranien célèbre l’union des chiites de la région
Crédits : DR

« Ils gagnent du pouvoir dans la région, surtout au niveau de l’ “axe de résistance” », dit Fadlallah en parlant de l’alliance régionale qui unit le Hezbollah, l’Iran et le régime syrien. « Si le Hezbollah remporte ce combat, il gagnera toute la région. » Mais en dépit de sa montée en puissance, Matar affirme que le Hezbollah ne s’engage pas dans les conflits qui agitent la région sans mesurer l’impact que cela aura sur sa mission principale : combattre Israël. « Quand ils interviennent dans une guerre extérieure, ils calculent leur position en fonction d’Israël », dit-il. « Et ils répartissent leurs ressources en conséquence. » Les membres du Hezbollah louent l’accroissement de sa portée régionale et déplorent le manque de soutien de la part des populations arabes ainsi que la pression qu’ils subissent. Mais ils insistent aussi sur le fait que le « dossier Israël » demeure leur priorité. Les autres fronts sont pour eux autant de façons de gagner en puissance pour accomplir leur dessein ultime. « En nous battant en Syrie, nous avons gagné des armes plus sophistiquées et des milliers de combattants », dit l’un d’eux. « Mais dans le sud du Liban, on réserve pas mal de surprises aux Israéliens. »


Traduit de l’anglais d’après l’article par Mathilde Obert d’après l’article « Hezbollah’s Crucible of War », paru dans Foreign Policy. Couverture : Le sigle du Hezbollah affiché dans une ville libanaise. (Flickr)


COMMENT CE PETIT VILLAGE LIBANAIS RÉSISTE À L’ÉTAT ISLAMIQUE

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Malgré les multiples tentatives de l’État islamique d’en prendre le contrôle, les habitants du village de Ras Baalbeck tiennent bon… avec le sourire.

I. Le salon de beauté

Le salon de beauté du village pittoresque de Ras Baalbeck ressemble à n’importe quel autre salon de beauté au Liban. Aujourd’hui, le village chrétien situé au nord-est du pays, à la frontière syrienne,  est calme et baigné par le soleil de juin. Un groupe de femmes discutent allègrement, alors qu’elles éventent leurs ongles fraîchement peints et examinent leur pédicure. « On ne voit pas la couleur sur tes ongles », dit une jolie jeune fille de 20 ans à sa tante corpulente, qui est en train de faire sécher ses pieds. « Tu aurais dû choisir une autre couleur. » Sa mère rigole. « Regardez-nous, il y a une guerre et on est là, à se faire les ongles. Et la semaine prochaine, il y a un mariage dans le village. Nous sommes vraiment confiantes… » Sa tante pouffe. « Tout ce que je peux dire c’est que je me tuerai plutôt que de les laisser m’emmener. »

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Une église chrétienne de Ras Baalbeck endommagée par un missile lors d’une attaque de Daech
Crédits : Sulome Anderson

La fille désapprouve. « Chut, ma tante. Le Hezbollah ne les laissera pas faire ! » « Si le Hezbollah s’en va, je me bougerai le cul et je partirai avec eux ! » réplique sa tante, provoquant l’hilarité de toute l’assemblée. Il est clair qu’elle est habituée à provoquer des rires outrés. « Que Dieu aide l’armée libanaise qui n’a pas pu arrêter Daesh toute seule. Si le Hezbollah n’était pas là pour nous protéger, Daesh aurait foutu nos vies en l’air. » En réalité, ce salon de beauté se trouve dans une zone dangereuse, car Ras Baalbeck se situe juste à la frontière entre ce qui est toujours le Liban – un pays multi-sectaire habitué à un mode de vie relativement détendu et libéral – et le « califat » de l’État islamique, fondamentaliste et violent. Au début du mois d’août 2014, l’organisation terroriste, souvent désignée au Liban sous le nom méprisant de Daesh, et son frère ennemi le groupe islamiste Jabhat al-Nosra ont organisé séparément de nombreuses incursions à travers la frontière libanaise. En réalité, il n’y a que deux petites montagnes – plutôt des collines – pour séparer Ras Baalbeck de la ville voisine d’Arsal, divisée entre l’EI et al-Nosra. Les groupes de miliciens ont fait main basse sur la périphérie et certaines collines environnantes. Ils ont également établi une présence dans les souterrains du village.

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