L’herbe et le sang

Comme beaucoup de filles de son âge, Khalida Popal a changé plusieurs fois d’orientation. À 28 ans, elle étudie pour décrocher un diplôme universitaire et fait de son mieux pour trouver l’équilibre entre travail et vie de famille. À ceci près que cette ancienne footballeuse est en exil : elle a fui les menaces et les violences liées à son combat pour l’égalité des sexes dans le sport en Afghanistan. Khalida a aidé à poser les fondations du football féminin dans son pays. Jusqu’en 2011, elle était capitaine de l’équipe nationale et faisait partie du conseil d’administration de la fédération de football afghane.

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Khalida Popal
Crédits : Hummel

Dans un pays en pleine reconstruction après le règne tyrannique des talibans, son action n’est pas passée inaperçue. Voir une femme sur le devant de la scène dans un milieu massivement dominé par les hommes a dérangé beaucoup de gens. Craignant pour sa sécurité et celle de sa famille, Khalida a quitté l’Afghanistan en 2011. Elle avait 23 ans.

Khalida Popal est née à Kaboul à la fin des années 1980, avant que les talibans ne s’emparent du pouvoir. Sa mère était prof de sport et voulait que sa fille marche sur ses traces. Quand elle était petite, elle lui a offert une paire de chaussures à crampons et un ballon pour qu’elle puisse jouer avec ses camarades de classe. Elle voulait faire de son foyer un exemple pour toutes les familles élevant des jeunes filles : encourager leur intérêt pour le sport et leur donner la liberté de jouer.

Mais à mesure que grandissaient le nombre et l’influence des talibans, le droit fondamental à pratiquer un sport est devenu un sujet épineux en Afghanistan. La discorde a atteint son paroxysme en 1996, quand ils sont entrés dans Kaboul, après des années effroyables de guerre civile. Les talibans ont établi l’Émirat islamique d’Afghanistan, Khalida et sa famille ont fui Kaboul pour rejoindre Peshawar, de l’autre côté de la frontière pakistanaise. Impuissants, ils ont vu les mains des talibans se refermer sur la gorge de leur pays.

Durant cette période, les interprétations ultra-conservatrices de la loi islamique ont donné lieu à des restrictions drastiques de la liberté des femmes. Il leur était interdit de travailler, d’accéder à l’éducation et même aux soins les plus basiques. Hors de question pour elles d’apparaître en public sans être accompagnées par un membre masculin de leur famille, et l’accès aux lieux publics leur était défendu. Si elles s’avisaient de désobéir à ces injonctions radicales, elles encouraient des châtiments exemplaires. De nombreuses femmes ont été battues et exécutées publiquement pour avoir enfreint les lois imposées par le régime. Certaines de ces exactions avaient lieu dans des stades de football, comme le Ghazi Sports Stadium de Kaboul, dont les Kabouliotes disent que l’herbe ne repousse plus car elle a trop baigné dans le sang.

Le choix

En novembre 2001, Khalida et sa famille sont retournés chez eux après que les talibans aient quitté Kaboul, fuyant les bombardements et les troupes au sol de la coalition américano-britannique. La mère de Khalida a repris les choses où elle les avait laissées. Elle a monté une équipe de football féminin dans son école en 2004 et fait campagne pour que d’autres écoles l’imitent. Une fois les clubs formés, ils ont uni leurs efforts pour demander à la Fédération de football afghane de mettre en place un comité en charge du football féminin. Le président de l’AFF a accédé à leur requête presque immédiatement. À l’époque déjà, Keramuddin Karim était plus progressiste que beaucoup de ses contemporains.

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Keramuddin Karim
Crédits : S.K. Vemmer (U.S. Department of State)

En 2005, l’AFF a organisé le premier tournoi de football féminin du pays, auquel huit équipes ont participé. La fédération a ensuite choisi les meilleures joueuses de chaque club pour former une équipe nationale, sur les conseils de l’entraîneur allemand Klaus Stärk, qui s’occupait alors l’équipe nationale masculine. Khalida faisait partie des élues. « L’équipe nationale » n’était composée que de quatre joueuses âgées de 15 à 17 ans, toutes issues de familles progressistes comme celle de Khalida.

Elles aussi avaient fui l’Afghanistan sous le règne des talibans, trouvant refuge au Pakistan et en Iran en attendant de pouvoir rentrer au pays. Les autres filles qui ont rejoint l’équipe avaient environ le même âge et n’avaient pas beaucoup d’entraînement. Elles avaient acquis les bases en jouant dans la rue quand elles étaient gamines, en dépit de l’insistance des familles, des amis et des voisins qui auraient aimé les voir suivre une voie plus traditionnelle.

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Le maillot national
Crédits : Hummel

Dans les pays où le football féminin est plus développé, la plupart des joueuses d’équipes nationales s’entraînent régulièrement depuis l’âge de cinq ou six ans. Bien qu’il ait fallu attendre dix ans pour qu’elles puissent s’entraîner officiellement, elles avaient les compétences nécessaires pour former une équipe conforme aux normes des compétitions organisées par la FIFA. En Afghanistan, même si les talibans n’étaient techniquement plus au pouvoir – leur insurrection s’est poursuivie contre les forces de la coalition après la chute de Kaboul –, l’état d’esprit du pays n’a pas changé d’un jour à l’autre.

Aujourd’hui encore, il n’est pas évident pour une femme afghane de jouer au football, quel que soit son niveau. À l’époque, c’était « difficile et risqué », se souvient Khalida. « La société afghane était très fermée. Les gens n’ont pas accueilli le changement à bras ouverts et ils n’étaient pas prêts à voir les femmes s’émanciper. Pour nous, incarner la première équipe de football féminin était un défi », dit-elle.

Ceux qui n’arrivaient pas à se faire au changement les agressaient dans la rue.

Malgré les sanctions de la fédération et le soutien indéfectible de son président Keramuddin Karim, il n’a pas été facile pour elles de jouer au football. L’attitude à l’égard des femmes – tout particulièrement celles qui avaient osé quitter la sphère familiale pour s’engager sur une voie dominée traditionnellement par les hommes – allait de la gêne à l’hostilité la plus vive. Rien que se rendre à l’entraînement représentait un cauchemar logistique : les joueuses étaient harcelées et menacées dans les rues.

« La gens voulaient nous décourager de jouer au football », dit Khalida. « Parfois, ils se dressaient devant nous et nous mettaient en garde, d’autre fois ils nous jetaient carrément des pierres. Il arrivait aussi qu’on nous arrache nos écharpes, nos affaires ou qu’on prenne nos ballons. » Écharpes, sac à dos, balles de foot… on leur a volé beaucoup d’équipement. Les gens qui n’arrivaient pas à se faire au changement les agressaient systématiquement dans la rue. Pire, Khalida raconte qu’elle a déjà vu des kamikazes attendre que les filles aillent à l’entraînement pour leur tendre une embuscade.

Certaines familles, horrifiées par la situation, interdisaient à leurs filles de jouer au football ou à n’importe quel autre sport par peur de ce qu’il pourrait leur arriver. « Au sein de la société afghane, il est très difficile pour une femme d’avoir des activités », explique Khalida. « C’est une tradition : quand les femmes atteignent l’âge de 17 ou 18 ans, elles doivent se marier et fonder une famille. Celles dont les filles vivent encore à la maison sans être mariées sont couvertes de honte. C’est un vrai tabou. Les gens commencent à faire circuler des rumeurs sur la famille et la fille. »

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Khalida et une coéquipière portant le hijab
Crédits : Khalida Popal/Facebook

« Quand une fille commence à jouer au football, il est presque impossible pour elle de se marier. Le football féminin ne fait pas partie de la tradition afghane, les joueuses se font insulter. On les traite de prostituées, ce genre d’horreurs. Du coup, avant de jouer au foot, les filles doivent mesurer les risques qu’elles courent. Elles pourraient ne jamais se marier et fonder une famille et seraient condamnées à jouer au football toute leur vie. »

Les premières années

Au-delà du harcèlement, l’équipe était volontairement ignorée par la plupart des gens. La presse locale a mis du temps avant de commencer à parler des femmes – les médias internationaux ne se sont pas précipités non plus. Et quand on parlait d’elles sur les ondes, c’était l’histoire de quelques secondes. Cela n’a fait que renforcer la détermination de Khalida et ses coéquipières à s’entraîner plus dur. Elles savaient que d’autres suivraient leur exemple. Elles ont continué à jouer et redoublé d’efforts pour que les médias s’intéressent à elles. « Les médias étaient un outil capital pour faire valoir nos droits et entendre notre voix. On voulait encourager les femmes à faire du sport et faire entrer la discipline dans la culture du pays », raconte Khalida.

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Des filles fortes pour des communautés en sécurité
Crédits : Khalida Popal/Facebook

« Quand on a commencé à jouer au foot, attirer leur attention était quasiment impossible. Mais après quelques années, les chaînes locales ont commencé à s’intéresser à nous », poursuit-elle. « Les chaînes de télé ne diffusaient pas les matchs en entier mais on avait le droit à une minute dans les actualités sportives. Les animateurs récitaient platement les scores en montrant des gamines jouer au ballon. Aujourd’hui c’est différent, les chaînes s’intéressent davantage au foot féminin. L’engouement dépasse les trois ou quatre chaînes locales. Ils invitent les filles en plateau pour des interviews et ils diffusent certains matchs du championnat. » Car il y a désormais un championnat de football féminin en Afghanistan.

Lancé en 2014, il se compose de huit équipes. Le premier tournoi n’a pas attiré les foules, mais ce n’était pas nécessairement le but. L’idée était de permettre à l’AFF d’identifier de nouvelles joueuses pour grossir les rangs de l’équipe nationale et d’étendre le sport à d’autres contrées que la seule région de Kaboul. Les opportunités de jouer à l’étranger sont encore rares pour les femmes afghanes et le développement de la discipline est un enjeu crucial. L’Afghanistan est entré au classement de la FIFA en 2007 après un tournoi organisé au Pakistan, durant lequel les joueuses ont disputé un match contre l’équipe nationale pakistanaise, elle aussi formée depuis peu. Malgré cela, elles affrontaient encore les forces locales de l’OTAN en 2010 et s’entraînaient sur leurs terrains trois fois par semaine, au milieu des pistes d’atterrissage.

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L’équipe nationale au complet
Crédits : Khalida Popal/Facebook

Leurs premières rencontres internationales ont eu lieu cette année-là. Elles ont disputé une série de trois matchs au mois de décembre dans le cadre du Championnat d’Asie du Sud de football féminin. La première rencontre a eu lieu le 14 décembre 2010 : elles ont perdu 13-0 contre le Népal. S’en est suivie une autre défaite deux jours plus tard : 3 à 0 contre le Pakistan. Elles ont sauvé la mise pour leur dernier match : 2-2 face aux Maldives. Leur travail acharné commençait enfin à payer et Khalida était au premier plan. D’abord capitaine puis entraîneuse adjointe de son club, elle a été promue capitaine de l’équipe nationale. On entendait sa voix lors d’interviews télé et radio. « Je parlais du foot féminin et j’encourageais les femmes à s’impliquer davantage dans la vie sociale », se souvient Khalida. « Durant une courte période, je suis devenue un personnage public. J’ai pris de l’importance très vite dans le monde du sport afghan et je suis devenue une voix incontournable dans la défense des sports féminins. »

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Khalida au Danemark
Crédits : Khalida Popal/Facebook

Les inscriptions ont décollé. On comptait 340 joueuses en 2006, jeunes et adultes confondus. Elles sont plus de 2000 aujourd’hui et viennent de Kaboul et des autres provinces du pays. Khalida elle-même a pris du grade au sein de la Fédération de football afghane.

Elle a suivi une formation qui lui a permis d’entraîner l’équipe nationale junior et elle a pris la place du responsable financier de l’AFF. Elle s’est ensuite retrouvée à la tête de son département des relations étrangères. C’était la première femme à travailler au sein de la fédération dans l’histoire de l’Afghanistan.

« Ça n’a pas été facile », dit-elle. « J’étais la première à travailler parmi tous ces hommes qui n’étaient pas habitués à recevoir leur salaire de la main d’une femme. Sans compter que j’étais plus jeune qu’eux. » Mais elle a changé les règles du jeu. C’est ce qu’elles avaient toujours voulu, sa mère et elle, depuis l’instant où elles avaient formé leur premier club.

« J’étais très soutenue dans les médias », dit Khalida. « J’ai reçu des encouragements du monde entier, même de la part d’organisations internationales de lutte pour le droit des femmes. Le football féminin est devenu très populaire et bouillonnant d’activité. Les joueuses comme les entraîneuses ont commencé à avoir plus d’opportunités professionnelles. »

La menace

Il y a tout de même eu quelques obstacles sur la route. Leur ascension fulgurante a encouragé certaines personnes à profiter de Khalida et de ses coéquipières. En 2007, l’auteure afghane Awista Ayub a rendu visite à l’équipe et fait connaissance avec certaines des joueuses. Elle a tiré de l’expérience un livre intitulé Kabul Girls Soccer Club, une lecture intéressante mais pas du goût de Khalida. « Des Afghans qui sont venus des États-Unis pour nous rendre visite. Ils ont pris des photos et ont fait quelques interviews avec les filles », dit-elle en se remémorant ses rencontres avec Ayub en 2007 et 2008.

« Ils ont ramené deux des filles en Amérique et ils se sont faits de la pub. Le football féminin existait depuis peu en Afghanistan, nous n’avions pas accès aux médias. Là-dessus, des gens comme Awista ont débarqué, pris des photos et sont rentrés chez eux en disant que c’était grâce à eux si l’équipe nationale existait. Ce qui est faux. Les expatriés comme Awista ont saisi l’opportunité : ils ont monté des projets et récolté de l’argent, mais nous n’en avons jamais vu la couleur. Certains ont tourné des documentaires, d’autres ont écrit des bouquins remplis d’histoires inventées… Bref, la vérité c’est qu’ils ont bien profité de notre travail. »

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Crédits : Hummel

Toute cette attention a entraîné des conséquences plus graves encore. La popularité grandissante de la discipline était vue d’un mauvais œil par de nombreux Afghans. Les talibans ne tenaient plus les rênes du pouvoir mais cela n’a pas effacé pour autant les décennies d’insultes faites aux femmes. Les voix conservatrices du pays avaient désormais une cible de choix contre laquelle tonner : la capitaine de l’équipe nationale de football. « Je faisais peur à certains leaders d’opinion ainsi qu’à des hommes puissants dans le milieu du sport. Ils avaient peur de perdre leur pouvoir à cause d’une gamine de 23 ans », soupire Khalida. « Ils m’ont mis des bâtons dans les roues. Tout devenait problématique, les difficultés n’en finissaient pas. » Jusqu’à ce que sa vie soit menacée. Ainsi que celle des membres de sa famille.

Ses détracteurs ont fait campagne contre elle, souillant sa réputation en faisant circuler le bruit qu’elle méprisait la culture afghane et l’islam. Ils disaient qu’elle encourageait les femmes à se dresser contre la tradition et la religion. Ils l’ont prévenue : elle devait arrêter de jouer au football et renoncer à occuper une place de premier plan sur la scène publique. Elle devait aussi arrêter de parler de progrès des femmes dans le sport. Puis ils sont passés à l’action. Son frère et son entraîneur ont été passés à tabac. Ils ont ordonné à son frère de lui interdire de jouer et à son entraîneur de l’exclure de l’équipe puis de cesser d’entraîner les filles.

L’exil

En avril 2011, Khalifa a quitté l’Afghanistan. Aujourd’hui âgée de 28 ans, elle vit au Danemark avec sa mère et son frère. Elle étudie à la Copenhagen Business Academy et travaille pour l’équipementier sportif Hummel. Elle a aidé la marque à lancer le nouveau maillot de la Fédération de football afghane, qui intègre un hijab que les joueuses musulmanes pratiquantes peuvent enfiler sous leur tunique.

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Le hijab intégré
Crédits : Hummel

« Je n’ai pas baissé les bras. Je me suis sentie invincible jusqu’au jour où ils ont proféré des menaces contre moi et ma famille », dit-elle. « J’en suis arrivée au point où je devais choisir entre mes proches et ma passion. Je vivais dans un stress continuel, j’ai demandé de l’aide à des organisations gouvernementales mais personne ne m’a tendu la main. Quand les choses sont devenues trop dangereuses, j’ai dû quitter le pays et me cacher en Inde. Jusqu’à ce que Hummel me sorte de là et qu’ils me fassent venir au Danemark. J’ai demandé l’asile et on me l’a accordé. »

Depuis l’Europe, Khalida est toujours impliquée dans le football féminin afghan à travers des organisations sportives nationales et la Cross Cultures Project Association, un organisme bénévole danois qui agit auprès de différentes communautés grâce au football. Son but ultime est de travailler pour Hummel à plein temps tout en continuant à soutenir le football afghan. « J’ai envie de voir notre équipe nationale s’améliorer et rester soudée pour remporter des matchs internationaux », dit-elle. « Il faut qu’on prouve que nous sommes les meilleures. Il faut qu’il y ait plus de femmes afghanes entraîneuses, arbitres et capitaines. »

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Khalida n’a pas baissé les bras
Crédits : Khalida Popal/Facebook

Depuis le départ de Khalida, l’équipe afghane a disputé quelques matchs amicaux de plus, la plupart dans le cadre du Championnat d’Asie du Sud de football féminin qui a lieu tous les deux ans. L’équipe a joué cinq matchs en 2012 en commençant par décrocher sa toute première victoire : 2-0 contre le Qatar.

Elles n’ont pas concédé de défaite au cours des matchs suivants, un partout contre les Maldives et une nouvelle victoire 4 à 0 contre le Pakistan. 2013 a également été une bonne année, avec deux victoires contre le Kirghizstan et le Kazakhstan. Puis elles ont perdu leurs trois matchs lors de l’édition 2014 de la coupe sud-asiatique. Leur dernière rencontre internationale remonte au 17 novembre 2014. Elles ont essuyé une lourde défaite face à l’Inde (12-0) suivie d’une autre contre le club japonais Angeviolet Hiroshima.

Pour l’heure, elles totalisent 13 matchs internationaux pour un total de 4 victoires, deux matchs nuls, et sept défaites ; des stats décentes pour une équipe qui a commencé avec quatre ados et n’a eu que peu d’opportunités de se développer au cours de la dernière décennie. Les voix craintives de l’oppression ont forcé Khalida Popal à l’exil, mais elles ont échoué à la réduire au silence.

Khalida continue de travailler à améliorer les conditions du foot féminin en Afghanistan et à défendre l’importance du sport dans l’émancipation des femmes. Bien que son combat lui ait beaucoup coûté, sa voix n’en est que plus essentielle aujourd’hui. Tout le monde devrait avoir le droit de pratiquer le sport de son choix, et tout le monde devrait pouvoir y jouer en sécurité.


Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « Not event exile can stop Khalida Popal from building women’s soccer in Afghanistan », paru dans Unusual Efforts. Couverture : l’équipe nationale féminine de football afghan en plein match. Crédits.


AFGHANISTAN VS. PAKISTAN UN MATCH HISTORIQUE

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Août 2013, l’Afghanistan rencontre le Pakistan. Personne n’imagine que l’équipe va faire entrer le football dans l’histoire du pays.

I. Contrôle

Plus que quatre heures avant le match et aucun d’entre nous n’a encore de billet. Cette rencontre amicale opposant l’Afghanistan au Pakistan est une première en 37 ans. La dernière fois que ces deux pays ont joué l’un contre l’autre, l’Afghanistan l’a emporté 1-0. Après le match, le président afghan de l’époque, Mohammed Daoud Khan, a embrassé le capitaine de l’équipe qui avait inscrit le but de la victoire. Deux ans plus tard, il était tué lors d’une révolte communiste qui annonçait aussi la mort du sport moderne en Afghanistan. Et deux ans encore après ce coup d’État, l’ancien capitaine de l’équipe fuyait vers l’Allemagne, où il exerce encore le métier de chauffeur de taxi. Aujourd’hui, l’entente est difficile entre les deux pays : Kaboul accuse Islamabad de soutenir les talibans, et Islamabad accuse Kaboul de faire de même. On entend régulièrement des tirs de roquettes et d’artillerie de chaque côté de la frontière.

Les talibans procédaient à des exécutions publiques dans l’enceinte du stade.

Je m’inquiète pour le match. Nous nous apprêtons à pénétrer dans l’enceinte close d’un stade avec des milliers d’Afghans, dont beaucoup seront armés (les contrôles de sécurité sont effectués n’importe comment) pour assister à un événement opposant l’Afghanistan à son ennemi mortel. S’ils gagnent, les célébrations pourraient dégénérer : le stade, encore en construction, supportera-t-il le poids des milliers de supporters chantant et dansant ? Et s’ils perdent, verra-t-on déferler une vague de violence ? Que se passera-t-il si le doigt tremblant d’une jeune recrue de la police glisse sur la détente ? Un service de contrôle de sécurité auquel s’inscrivent de nombreux étrangers envoie un avertissement : on nous conseille d’éviter le stade jusqu’à nouvel ordre. Je me remémore les scènes de hordes déchaînant une violence inouïe décrites dans le livre magistral de Bill Buford, Among the Thugs, sur le hooliganisme dans le football en Grande-Bretagne, quand l’ami d’un ami d’un ami nous rejoint enfin avec des billets pour le match. Nous sommes cinq et je suis la seule femme. Nous plaisantons sur le fait qu’aller voir un match de football est peut-être la chose la plus dangereuse que nous ayons faite à Kaboul. La circulation déjà pénible dans les rues de Kaboul atteint son paroxysme en ce jour ; des milliers d’automobilistes prennent la route pour aller voir le match. Le stade à portée de vue, nous décidons de laisser nos voitures et de continuer à pied. Nous passons devant des policiers en uniforme anti-émeute et des soldats envoyés en renforts avec des mitrailleuses montées sur camion. La construction du stade de la Fédération afghane de football n’est pas terminée – les trottoirs ne sont pas encore pavés – mais les organisateurs ont sans doute choisi cet endroit au détriment du stade Ghazi, doté d’une plus grande capacité (25 000 places contre 8 000) pour éviter de se remémorer ses sombres souvenirs : les talibans procédaient à des exécutions publiques dans l’enceinte du stade – aucun article sur le match ne manquera de le rappeler. afg-pak-soccer1_wide-7eac8202caa4a2618af175bb5524d8dcb6789e56-s900-c85

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