Quand Robert Rodriguez était adolescent, il a construit une table de montage dans sa chambre à partir de deux magnétoscopes qu’il avait piqués à son père, d’amplis stéréo laissés à l’abandon, d’une vieille télé et d’un magnétophone accompagné d’une colleuse de bande magnétique, pour ajouter la musique. Avec cet attirail, il montait des courts métrages qu’il tournait avec ses neuf frères et sœurs, ainsi que des projets d’école et des films patchworks composés de scènes extraites de ses films préférés. Un jour, il a tiré des scènes d’un film avec Mickey Rourke et les a assemblées avec d’autres, issues d’un film avec Rutger Hauer. Le film de Mickey Rourke étant en noir et blanc, il a ôté la couleur de celui de Rutger Hauer en baissant les couleurs de sa télévision. Des années plus tard, après être devenu l’un des réalisateurs les plus prolifiques des États-Unis, Rodriguez a confié un rôle à Mickey Rourke dans Sin City, une adaptation musclée de la série de bandes dessinées de Frank Miller, majoritairement en noir et blanc. Rodriguez devait tourner une scène dans laquelle Marv, le personnage interprété par Rourke, tuait un méchant, mais ce dernier n’avait pas encore été casté. Il a décidé de tourner malgré tout, en se disant qu’il assemblerait les plans ensemble lors de la post-production. Huit mois plus tard, il a enfin trouvé qui jouerait le méchant : Rutger Hauer.

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Mickey Rourke dans Sin City
Une télévision de 1955
Crédits : John Atherton

Rodriguez m’a raconté cette histoire alors que nous déjeunions à Austin, en décembre dernier, et il a marqué une pause à cet instant, pour que l’annonce fasse son effet : Rutger Hauer. En noir et blanc. Dans une scène avec Mickey Rourke. « Je ne me suis rendu compte qu’après que j’avais déjà fait cela », me dit-il, une note d’émerveillement dans la voix. « Il m’est arrivé beaucoup de choses comme celles-ci au fil du temps. Du coup, je me dis que je fais sûrement ce que je suis censé faire. »

El Rey

Comme à son habitude, Robert Rodriguez est occupé : il a sorti Machete Kills à l’automne 2013 – la suite de Machete, son film de « Mexploitation » de 2010 –, et le second volet de Sin City est sorti en salles cet été aux États-Unis. Mais ce dont il parle, ce qui soude entre elles les différentes parties de sa vie pour former cette chose qu’il est « censé faire », c’est El Rey, une toute nouvelle chaîne de télévision câblée lancée en décembre 2013. Elle cible en priorité une audience hispanophone de la génération des années 2000, que Rodriguez estime à regret sous-représentée dans les médias grand public. Malgré la célébrité d’un petit nombre d’entre eux (Sofia Vergara, Demi Lovato, ou Eva Longoria, par exemple), la représentation des Latino-Américains à la télévision reste relativement faible. Rodriguez résume les choses en ces termes : « J’ai cinq enfants, et pratiquement rien à la télévision ne leur montre qu’ils ont leur place en Amérique. »

El Rey ne s’inscrit pas dans une niche : elle en fait sauter les cloisons.

Comme Fusion, la chaîne récemment créée par Univision, El Rey – qui signifie « Le Roi » – a pour vocation de s’insérer dans ce vide audiovisuel et proposer un contenu de qualité à un public de jeunes Latino-Américains anglophones, qui ont une vision multiculturelle de leur identité. Mais contrairement à Fusion (ou à Mun2, de la chaîne Telemundos, qui existe depuis plus longtemps), El Rey est dotée d’une programmation explosive laissant la part belle aux genres – films d’action, de science-fiction, d’horreur et d’exploitation – qui nourrissent l’œuvre de Rodriguez. La chaîne a été inaugurée avec la rediffusion de The X-Files, l’une des séries préférées de Rodriguez. Le premier lot de créations originales a débuté avec Une Nuit en enfer : la série, mélange de thriller criminel et de film de vampires garni d’influences méso-américaines, s’inspirant librement du film éponyme de Rodriguez sorti en 1996. La programmation à venir comprend Matador, une série d’espionnage suivant les aventures d’un joueur professionnel qui devient agent secret à la nuit tombée (un genre de « James Bond latino », comme le présente Rodriguez), ainsi que des films grindhouse et du Kung-fu, de la télé-réalité, du sport (notamment de la lucha libre – la lutte mexicaine –, qu’il croit pouvoir populariser aux États-Unis), et bien d’autres choses. En d’autres termes, El Rey occupe la section d’un diagramme de Venn où se croisent les Latino-Américains et ceux qui ne le sont pas, les amateurs de vampires et ceux de sports spectaculaires – le monde de Robert Rodriguez. C’est sa sensibilité faite chaîne de télé, une compilation télévisuelle de ses goûts personnels. Étant sans doute la première chaîne à tendance hispanique à ne pas être destinée uniquement à un public hispanique, El Rey ne s’inscrit pas dans une niche : elle en fait sauter les cloisons. L’origine peu commune de la chaîne remonte à 2009. Des associations pour la défense des droits civils pointaient depuis des années l’absence criante de programmes réalisés par et pour les minorités sur les chaînes câblées, à tel point que durant les négociations avec la Commission Fédérale des Communications (FCC), qui portaient sur une proposition de fusion entre Comcast et NBC Universal, Comcast a donné son accord pour la création de huit nouvelles chaînes par des opérateurs afro-américains et hispanophones indépendants. John Fogelman et Cris Patwa, les deux directeurs de l’incubateur de médias FactoryMade Ventures, y ont vu une opportunité. Grisés par le récent succès de Hub, leur chaîne pour enfants, ils cherchaient à renouveler l’expérience. Ils ont soumis à Rodriguez le concept d’une chaîne hispanique à destination de la génération des années 2000. (Fogelman, qui était auparavant agent artistique, avait connu Rodriguez par l’entremise d’une ancienne cliente, Salma Hayek.) Les trois hommes se sont rencontrés à l’hôtel Four Seasons de Berverly Hills. Fogelman et Patwa ont apporté leur business plan, Rodriguez son chapeau de cow-boy. « Il y a une opportunité à Comcast. Si tu te mets sur le coup pour lancer une chaîne hispanique, ça pourrait marcher », lui ont-ils dit.

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« Le roi »
Publicité pour la chaîne
Crédits : El Rey Network

« Je leur ai tendu la main, et j’ai simplement dit : “Je vais le faire !” » se souvient Rodriguez. Après cette première réunion, Rodriguez est rentré chez lui à Austin et il s’est mis en quête d’idées, sollicitant ses frères et sœurs, ainsi que ses amis ; et il a finalement trouvé son amorce : la chaîne s’appellerait El Rey. Au départ, le nom n’était qu’un réceptacle, mais bientôt, Rodriguez a commencé à penser qu’il correspondait parfaitement à sa vision des choses : El Rey serait un sentiment, un état d’esprit, une façon d’être au monde. Il aimait aussi le fait qu’El Rey est un nom de marque relativement commun au Mexique, un nom générique qui se retient facilement, à la fois humble et fier, mythique et tout à fait banal. « El Rey est utilisé pour tout et son contraire, explique Rodriguez. Il y a notamment les chocolats El Rey, les taxis El Rey, les tacos El Rey… Ce qui est bien, c’est que c’est un nom tellement connu que lorsqu’ils verront la chaîne El Rey, les gens se diront : “Tiens, j’en ai déjà entendu parler.” Ce sera comme si elle avait toujours existé, quelque part, en ne se révélant au grand jour que maintenant. Un peu comme la culture latino-américaine elle-même. » Mais il y a encore d’autres significations à ce nom. El Rey est le titre d’un classique de la chanson de mariachi, écrite par José Alfredo Jiménez, que « les gens chantent quand ils sont ivres pour se sentir bien ». Traduites approximativement, les paroles donnent quelque chose comme cela : I know I’m on the outside But the day I die You’ll have to cry And cry and cry

Je sais que je suis à l’écart Mais le jour ou je mourrai Tu devras pleurer Et pleurer encore et encore

With or without money I always do what I want And my word is law I have no throne and no queen And nobody understands me But I’m still the king 

Avec ou sans argent Je fais toujours ce que je veux Mes paroles font loi Je n’ai ni trône, ni reine Et personne ne me comprend Mais je suis tout de même le roi

L’idée initiale était de s’adresser aux hispanophones, mais elle a évolué vers une audience plus large, une chaîne à destination des jeunes du XXIe siècle – principalement des garçons, mais aussi des filles. La création de la chaîne a été annoncée en février 2012 (en même temps que deux autres chaînes destinées aux Afro-Américains, Aspire et Revolt, dirigées respectivement par Magic Johnson et Sean “Diddy” Combs ; et que BabyFirst Americas, dont la programmation cible les jeunes enfants hispanophones et leurs parents – les chaînes restantes seront développées au cours des cinq prochaines années). Après quoi Rodriguez a commencé à passer des coups de fil à des acteurs, qu’il avait pour beaucoup contribué à rendre célèbres. Benicio del Toro l’a invité à déjeuner et s’est levé de table quelques heures plus tard en déclarant : « Il faut que je garde mes distances avec toi, ça me donne trop d’idées. » La même chose s’est produite avec Michelle Rodriguez (avec laquelle il n’a aucun lien de parenté). L’idée semblait prendre corps et revêtir les apparences d’un mouvement d’ampleur. Rodriguez commençait à voir en El Rey la réponse à un constat qui l’avait toujours agacé : Pourquoi y a-t-il si peu de Latinos à Hollywood ? Et Rodriguez part en mission : il fait des tournées durant lesquelles il prêche pour sa chaîne, qu’il décrit comme la Terre promise où les Latino-Américains nés sur le sol états-unien pourront s’exprimer et contempler leur fureur collective, où l’invisibilité et le mal du pays existentiels des enfants de racines multiculturelles seront enfin apaisés. « C’est plus qu’une chaîne de télévision, m’a-t-il confié. El Rey est ce lieu mythique où l’on peut trouver refuge, être simplement soi-même et se dire : “Cet endroit, c’est moi”, avec fierté. “C’est moi, j’ai bien ma place dans ce pays.” »

El desperado

Robert Rodriguez est grand, il a les épaules larges et la mâchoire carrée. Ses cheveux sont noir de jais et ses yeux ceux d’un héros de dessin animé couleur noisette. Il émane de lui ce que Fogelman décrit – sans plaisanter tout à fait – comme une « force tranquille ». Malgré son statut de réalisateur latino-américain le plus en vue dans le pays, il a su rester relativement humble et discret, continuant de travailler et de vivre à Austin en compagnie d’un groupe de loyaux collaborateurs, de sa famille et de ses amis de longue date. Comme il sied à celui qui dirige une chaîne baptisée El Rey, il vit dans un château et il est réputé pour exercer un contrôle total sur ses projets, qu’il écrit, réalise, filme et monte lui-même. Cette méthode de « tournage en solo », Rodriguez la qualifie de « mariachi style », en référence à son film El Mariachi, sorti en 1993. L’histoire de sa conception est entrée dans la légende. En 1991, durant l’été qui a suivi sa première année à l’école de cinéma de l’Université du Texas, Rodriguez et son ami de longue date Carlos Gallardo ont présenté quelques-uns de leurs courts métrages à un directeur de production qui travaillait alors sur Like Water for Chocolate, qui était en cours de tournage dans la ville où vivait Gallardo, Ciudad Acuña – une ville frontalière de la région de Coahuila, au Mexique. Les courts métrages en question, m’a raconté Rodriguez, avaient tous la même trame : « Un type arrive en ville, tombe sur des malfrats, se fait démolir, et quitte la ville. »

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El Mariachi
Rodriguez sur le tournage du film en 1992
Crédits : Robert Rodriguez

Le directeur de production leur a suggéré de réaliser un film destiné directement à la vente et à la location vidéo, en langue espagnole. Ces films à petit budget étaient généralement médiocres, leur a expliqué le directeur de production, et faisaient habituellement figurer au casting un acteur de seconde zone. Leur confection coûtait entre 30 000 et 40 000 dollars et ils étaient vendus 50 000 par la suite. « On s’est dit : “Trente ou quarante mille dollars ?” m’a raconté Rodriguez. “Ils sont tournés au caméscope ! Ils sont mauvais ! Il n’y a pas d’action ! On peut faire cent fois mieux ! Probablement pour cinq mille dollars, et tournés en pellicule !” » Rodriguez estimait qu’il pouvait réduire considérablement les coûts s’il construisait son scénario entièrement sur des accessoires faciles à obtenir et des décors auxquels il pouvait avoir aisément accès. Ils comprenaient un bus scolaire, un chien et un ranch. Son plan consistait à tourner le film rapidement et pour trois fois rien au Mexique, puis d’utiliser les bénéfices réalisés pour produire deux autres films, à partir desquels il pourrait monter une démo à faire circuler à Hollywood. Il a obtenu l’argent en se portant volontaire pour des tests de médicaments, pour le compte d’une clinique de tests du nom de Pharmaco. Pendant le mois qu’il a passé en tant que cobaye, il a mis les dernières touches à l’écriture de son scénario, qui mettait en scène un musicien inoffensif (incarné par Gallardo, qui co-produisait également le film) arrivant dans une ville où il est confondu avec un tueur à gages redoutable, connu pour transporter ses armes dans un étui à guitare.

Avec une facture de production de 7 000 dollars, El Mariachi est devenu le film le moins cher jamais sorti par un grand studio.

Par miracle, El Mariachi a marché. Hommage rugueux et bon marché au cinéma de Sergio Leone, c’était aussi un commentaire déguisé sur le triste sort qu’un monde dominé par l’argent réserve à un artiste. Il a monté une bande-annonce, qu’il s’est débrouillé pour faire passer entre les mains d’un agent d’ICM nommé Robert Newman, qui l’a adorée et a demandé à voir l’intégralité du film. « Ce type est entré, se rappelle Newman, avec sa cravate fine, et il a commencé à m’exposer son projet de réalisation de films d’action destinés au marché de la vidéo espagnol. » Newman ne savait même pas qu’un tel marché existait, mais il a admiré la confiance en soi de Rodriguez. Le jeune homme de 23 ans lui a expliqué qu’il projetait de réaliser une trilogie, et qu’il savait comment il allait s’y prendre pour dégager des bénéfices. Un peu avant la fin de l’entrevue, Newman a remarqué que Rodriguez portait une bague ornée d’un crâne, comme celle de Keith Richards. « Je lui ai dit : “Jolie bague.” Et il m’a répondu : “Ma mère me l’a donnée.” Alors je me suis dit : “Ce gars-là ne doit pas être comme tout le monde, pour que sa mère lui donne une bague à tête de mort.” » Newman a envoyé El Mariachi aux producteurs de Columbia Pictures, qui ont fait signer à Rodriguez un contrat d’écriture et de réalisation de films de deux ans. L’objectif était de refaire le film avec un budget plus conséquent et un acteur plus connu dans le rôle de Gallardo. Cependant, la fin tragique inquiétait les responsables du studio, qui l’ont testée lors de projections. À leur grande surprise, les retours ont été favorables, ils ont alors décidé de présenter le film dans quelques festivals. Rodriguez est rapidement devenu un genre de héros populaire. Il se levait et prenait la parole devant le public avant la projection, et racontait l’aventure qu’avait été la réalisation du film – comment il l’avait écrit avec les moyens du bord –, et durant la projection, les spectateurs applaudissaient lors de l’arrivée du bus. Le studio a finalement présenté le film au festival de Sundance, où il a remporté le prix du public. Le plan initial de refonte du film est passé aux oubliettes, et El Mariachi a eu droit à une sortie en salles de premier ordre. Avec une facture de production de 7 000 dollars, il est devenu le film le moins cher jamais sorti par un grand studio. Rodriguez était soudainement devenu influent. Desperado, son film suivant, était plus conventionnel, souscrivant fidèlement à la recette du film d’action hollywoodien, à cela près qu’il avait sélectionné deux obscurs acteurs latinos, Salma Hayek et Antonio Banderas, pour interpréter les deux rôles principaux. Puis Rodriguez a réalisé un segment du film à sketches Four Rooms, réalisé par quatre cinéastes, et a entrepris la production du scénario de son nouvel ami Quentin Tarantino : From Dusk Till Dawn (Une Nuit en enfer) – un mélange de genres assumé qui fait le grand écart entre road movie, criminels en cavale et film d’horreur. En raison d’un budget trop serré pour se permettre la location d’un studio de tournage de Hollywood, la plus grande partie d’Une Nuit en enfer a été tournée dans une usine d’épices abandonnée du centre de Los Angeles. Un jour en plateau, Rodriguez a réalisé subitement qu’il pourrait aussi bien faire tout cela depuis chez lui, au Texas. Aussi, son film suivant, The Faculty, un film d’horreur paranormal pour adolescents, écrit par Kevin Williamson, a été tourné dans un entrepôt vide à Austin.

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Robert Rodriguez et Antonio Banderas
Sur le tournage de Desperado en 1994
Crédits : Robert Rodriguez

Il avait enfin trouvé sa niche : il était un réalisateur de films de genre dont le cinéma se nourrissait des autres films de genre, quelqu’un sur qui les grands studios pourraient compter pour monter des projets à petit budget. Mais il voulait tenter quelque chose de différent. Il avait toujours songé à faire un film sur sa famille peu commune – Rodriguez a quatre frères et cinq sœurs, sa mère a été religieuse pendant un temps, et son oncle Gregorio, était un agent spécial du FBI ayant fait tomber deux criminels figurants sur la liste des dix plus recherchés du pays. Travaillant sur l’embryon d’une idée qui avait germé pendant qu’il réalisait son segment de Four Rooms, il a accouché de Spy Kids, un scénario narrant les aventures d’une charmante famille d’espions. Il a débuté la production du film en 2000, avec l’intention de le tourner dans le même entrepôt que pour The Faculty. En cours de tournage, il a appris qu’un grand hangar de l’ancien aéroport d’Austin était disponible. Il avait plusieurs films en projet dont les budgets couvriraient le coût du hangar : il a donc signé le bail avec sa partenaire de production qui était également sa femme à l’époque, Elizabeth Avellán (ils ont divorcé en 2007). Bâtir son propre studio n’avait jamais vraiment été dans les intentions de Rodriguez, mais c’est pourtant ce qu’il a fait. Un film après l’autre, les recettes étaient réinvesties dans l’infrastructure. Cela a commencé par l’isolation sonore, puis l’air conditionné, et enfin l’éclairage. La post-production et les effets visuels de Spy Kids étaient tellement poussés qu’il fallait créer une installation numérique sur mesure pour que cela reste abordable, et c’est aussi ce qu’il a fait. Tout cela correspondait à l’image de rebelle que Rodriguez avait de lui-même. « On est loin de toute restriction, m’explique-t-il. On n’est pas à L.A., où certaines personnes diraient : “Ça ne va pas marcher” ou : “Oh, mais tu ne peux pas faire ça.” Personne n’est là pour dire non. » Trois ans après avoir loué le hangar, Rodriguez tournait Sin City, et en se rendant de son bureau à son écran vert – le plus grand au Texas à cette époque-là – l’idée a brusquement fait irruption dans sa tête : « Mon Dieu, j’ai mon propre studio ! » Cela allait de soi, bien sûr. Rodriguez, qui a 46 ans, a toujours été obsédé par le fait d’être aux commandes. Après son accord initial avec Columbia Pictures, Newman lui a décroché un contrat avec Miramax qui ne parlait que, comme le décrit l’agent, « de propriété, de participation et de contrôle ». Et il a passé la plus grande partie de sa vie d’adulte à protéger sa créativité de l’obstacle qu’est l’industrie du divertissement. La vision de marginal qu’il a de lui-même n’a pas été adoucie par vingt ans de réussite cinématographique. Arborant ses sempiternels chapeaux de cow-boy noir ou sa casquette Mao, il est alternativement hors-la-loi et révolutionnaire. Un jour, alors que je lui avais demandé si le nom de sa nouvelle chaîne pouvait être interprété comme une référence à sa personne, il a nié catégoriquement. « Je suis plutôt le fou du roi, a-t-il objecté. Le fauteur de troubles, le vandale. » Il est cependant indéniable que Rodriguez est devenu, plus ou moins intentionnellement, le souverain maître de son propre fief. En plus de sa maison de production Troublemaker (« fauteur de troubles », ndt), il possède aussi Quick Draw Productions et Quick Draw Animation. Il a fondé Tres Pistoleros Studios, une compagnie de production de films et de téléfilms, avec Fogelman et Patwa ; et récemment, accompagné de Tim League, d’Alamo Drafthouse and Fantastic Fest, il a lancé Mercado Fantastico, une plate-forme de coproduction internationale où l’on peut acheter et vendre des films de genre. Cette approche débrouillarde, éclatée et rebelle de la réalisation de films, qui a commencé par nécessité, s’est muée en une machine économique bien huilée, complétée par des infrastructures, qui a contribué à transformer Austin en un important centre de tournage de films.

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Le fauteur de troubles
Le logo incendiaire des studios
Crédits : Troublemaker Studios

Cela a également donné à Rodriguez la liberté d’expérimenter les nouvelles technologies dans des proportions qu’il n’aurait jamais été en mesure d’atteindre s’il était resté à Hollywood. Son long métrage de 2003, Once Upon a Time in Mexico (Desperado 2), était l’un des premiers films en haute définition numérique. Le troisième volet de la franchise Spy Kids, qui est également sorti en 2003, a été l’un des premiers films d’action numérique à être tourné en 3D. Sin City a été l’un des premiers films à avoir été d’abord filmé sur fond vert. Mais bien que ces innovations ont eu un impact majeur sur l’industrie du cinéma, ces expériences étaient moins motivées par une fièvre technophile que par le désir insatiable de Rodriguez de faire les choses de façon efficace et économe, afin de maximiser sa propre liberté de création. « J’étais tout à fait consciente du fait que lorsque nous sommes arrivés ici, nous nous installions sur les terres de Robert », raconte Janet Pierson, qui est arrivée à Austin aux côtés de son mari, le producteur John Pierson, en 2004, et a repris les rênes du festival de cinéma South by Southwest en 2008. « Bien sûr, Richard Linklater était là, et c’est une sorte de parrain pour nous tous, mais Robert avait un centre de production cinématographique prospère. Il l’a créé pour pouvoir travailler avec des gens formidables dans un endroit formidable, et pouvoir faire tout ce dont il avait envie, selon ses propres termes. » Autrement dit, malgré ses protestations, Rodriguez est perçu par beaucoup de gens comme… El Rey. Pas au sens de despote ou de tyran, mais bien plutôt d’un seigneur affable régnant sur un territoire de fictions, sur lequel il peut étendre la créativité et l’imagination de son enfance à l’infini.

Latinoamericano

Rodriguez a grandi à San Antonio, dans une imposante demeure de pierre à deux étages comprenant cinq chambres, dans le quartier historique de Monte Vista. Son père Cecilio était représentant en ustensiles de cuisine et avait grandi à la frontière, à Rio Grande City ; Cecilio avait fait ses études à l’Université St. Mary, suivant un cursus de percussions jazz. (« Nous représentons très bien l’esprit du Texas », dit Marcel, le plus jeune des frères Rodriguez, décrivant la façon dont Cecilio ne compte que sur lui-même. « Nous savons d’où nous venons. »)

« L’audace de notre père a inspiré Robert, elle a été le moteur de sa carrière. » — Marcel Rodriguez

Sa mère, Rebecca, est née à El Paso. Pensionnaire de l’orphelinat pendant quelque temps, elle a été adoptée alors qu’elle était encore jeune. Elle a d’abord voulu devenir religieuse et a intégré un ordre religieux, mais les sœurs lui ont conseillé de finir avant tout ses études d’infirmière, et elle a finalement rencontré son futur mari, duquel elle a eu dix enfants. Les dix frères et sœurs Rodriguez appartiennent à la cinquième génération de Latino-Américains originaires du Mexique, bien que, lorsque j’ai demandé à Marcel depuis combien de temps la famille vivait dans l’État, il m’a répondu : « Lorsque le Texas est devenu le Texas, nous étions déjà ici. » Robert Rodriguez est le troisième enfant de ses parents. À sa naissance, ils avaient déjà un sportif et un intellectuel dans la famille, et ils ont donc naturellement encouragé ses velléités artistiques. La vie à la maison tournait autour des arts : Cecilio avait conservé une batterie et Rebecca prenait des cours de guitare quand les enfants étaient jeunes. « Elle nous faisait tous chanter comme les Von Trapp (la famille de musiciens ayant inspiré La Mélodie du bonheur, ndt), se rappelle Rodriguez. On chantait des chansons en espagnol, pour n’importe qui venait à la maison, même le facteur. » La sénatrice de l’État, Leticia Van de Putte, une amie de la famille, se souvient que Rebecca encourageait ses enfants à dessiner, écrire, jouer de la musique et danser. « C’est elle qui m’a donné l’astuce du papier de boucherie, m’a-t-elle confié. Elle l’obtenait pour presque rien dans les boutiques qui fournissent les restaurants, et l’accrochait ensuite à un mur pour que ses enfants puissent peindre. Et elle le changeait la semaine suivante. » Marcel, le sixième enfant du couple, se rappelle que bien avant que Robert Rodriguez ne manifeste de l’intérêt pour la réalisation de films, il dessinait, photographiait, sculptait de l’argile, et s’essayait même à l’animation. « Quand je suis né, plaisante-t-il, la maison était déjà une école d’art. » Rebecca, en vraie mordue de films, aimait emmener ses enfants au cinéma Olmos, un bâtiment d’époque où ils s’installaient pour regarder des classiques en double programme. Elle avait également un goût pour le macabre. « Ma mère est très catholique, dit Marcel. Et si vous êtes friand de bonnes histoires d’horreur, où il est question de gens démembrés, écartelés ou crucifiés, il vous suffit de lire la Bible. » Rodriguez tenait une collection de vidéos enregistrées de films d’horreur et de séries B soigneusement étiquetés, qu’il conservait dans un placard fermé à clé dans sa chambre. Entre les doubles programmes, les passages bibliques racontés avec le penchant d’une infirmière pour l’hémoglobine et la galerie de vidéos à la maison, les enfants ont développé des goûts communs.

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Rodriguez ’93
Au festival d’Atlanta
Crédits : Atlanta Film Festival 365

La déontologie dont faisait preuve Cecilio dans son travail et sa détermination à ne compter que sur lui-même ont également eu une influence majeure sur Rodriguez. « Il rentrait à la maison et ma mère disait : “Nous avons besoin de trois paires de bretelles supplémentaires pour les enfants”, se souvient Rodriguez. Il calculait alors le nombre d’articles de cuisine qu’il devait vendre pour cela, et il ressortait pour les vendre. » Bien plus tard, après qu’il a construit son studio, Rodriguez a conservé la façon de faire de son père. Il ne part jamais en quête d’autres films à faire tourner sur ses plateaux, au lieu de cela, il génère sa propre activité. « C’est comme mon père qui vendait ses ustensiles de cuisine : “Ah bon, nous n’allons pas pouvoir payer la location ce mois-ci ? Bien, laissez-moi juste le temps d’écrire un scénario et nous ferons un autre film pour nous couvrir pour le restant de l’année !” » Marcel acquiesce et ajoute : « L’audace de notre père, qui avait dix enfants à nourrir, a inspiré une audace similaire à Robert, elle a été le moteur de sa carrière. » Quand Robert Rodriguez avait 8 ans, son père lui a donné un appareil photo Polaroïd, qu’il a utilisé pour composer des images de scènes de films qui n’existaient que dans son imagination. Une fois, il a passé des jours entiers à l’école à créer une animation sur les coins de pages de son dictionnaire. « Je me disais que je serais incapable de trouver un vrai travail quand je serais grand. » Rodriguez a joué du saxophone pendant un an, du piano pendant un an, de la guitare pendant un an… « Je cherchais perpétuellement à trouver ce qui me correspondrait. » Rodriguez avait 12 ans lorsqu’un jour, Cecilio a ramené à la maison une caméra JVC. La caméra n’avait pas de viseur, il avait donc dû la raccorder à la télévision grâce à un câble de 3,5 mètres pour pouvoir regarder l’écran tout en filmant. Les premiers pas de Rodriguez dans la réalisation ont nécessité de transbahuter tout ce dispositif jusqu’à la porte de derrière, ainsi que la mise à contribution de ses plus jeunes frères et sœurs au casting des dizaines de films d’action et de Kung-fu qui se tournaient dans le jardin. Les enfants Van de Putte étaient également engagés, de temps à autre. « Les enfants ne faisaient pas de bêtises, car ils faisaient uniquement ce que Robert leur disait de faire », se rappelle leur mère. C’est la raison-même pour laquelle Rodriguez a toujours préféré le baby-sitting aux autres corvées. « Tout ce qu’il avait à faire, c’était de nous faire jouer dans des films », se remémore sa sœur Rebecca. En 1981, Escape From New York (New York 1997) est sorti en salles. Rodriguez avait lu à cette époque un article à propos du réalisateur du film, John Carpenter, qui a écrit, réalisé, filmé, monté et mis la plupart de ses films en musique lui-même. Dans ce nouveau film de science-fiction et d’action contre-utopique, Carpenter avait tout bonnement fait de l’île Manhattan une prison de haute-sécurité à ciel ouvert, ce que Rodriguez a ressenti comme le summum de la liberté créatrice. Il a ainsi déclaré à sa mère que lui et son frère voulaient voir The Cannonball Run (L’Équipée du Cannonball), et une fois les avoir déposés devant le cinéma, ils sont allés voir en cachette Escape From New York. La culpabilité l’a rongé pendant plusieurs jours (« J’étais vraiment un gentil gamin », explique-t-il). Lorsqu’il a avoué sa faute, sa mère l’a emmené à nouveau au cinéma pour revoir le film.

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John Carpenter et Rodriguez
À l’occasion de la diffusion de The Fog sur El Rey
Crédits : El Rey Network

Après cela, Rodriguez s’est concentré sur la réalisation de films. Il intégré le Séminaire St. Anthony, une école catholique située en face de la maison familiale, où ses professeurs lui ont permis de rendre des « films de fin d’année » à la place des mémoires habituels. « Tous ses films parlaient de tueurs au couteau ou de massacres », se souvient un de ses amis du lycée. « Pendant un cours de religion, il avait ce personnage androïde de prêtre-terminator, et cela faisait parfaitement sens. » Rodriguez était également en charge de filmer les matchs de football américain, mais il a été sommairement relevé de ses fonctions. « Je ne comprenais pas comment le sport fonctionnait, se remémore-t-il. Je prenais juste les meilleurs plans possibles de mes camarades en train de lancer le ballon, puis la caméra suivait sa trajectoire dans les airs avec un effet théâtral jusqu’à ce qu’un gars l’attrape, et je montais le tout avec de la musique en fond sonore. Les joueurs adoraient ça, mais les entraîneurs ont dit : “Non, non ! Il faut braquer la caméra sur le terrain tout entier et ne pas la bouger, pour qu’on puisse suivre les matchs !” » Après le lycée, il s’est inscrit à l’Université du Texas, dans l’intention de faire des études de cinéma. Il a également trouvé le temps de travailler sur des dessins humoristiques pour le Daily Texan. Sa bande-dessinée, Los Hooligans, avait pour personnages principaux deux vauriens jumeaux et latino-américains. Le rythme acharné imposé par un rendu quotidien lui a appris à travailler rapidement et renoncer au perfectionnisme – à faire les choses d’un coup et avancer. « Créer une petite bande-dessinée par jour, comme toute chose, demande de la discipline dans le processus de création, précise Rodriguez. Je rentrais chez moi parfois et j’espérais pouvoir simplement m’allonger, me vider l’esprit, et laisser venir à moi les idées pour le dessin du jour. Ç’aurait été l’idéal, n’est-ce pas ? Mais non, cela ne marchait pas. Après avoir perdu deux heures, je devais m’installer à mon bureau, puis me mettre à dessiner et dessiner encore, jusqu’à ce que la trame commence à se profiler. »

« J’ai mis en place mon propre star system. » — Robert Rodriguez

En 1990, Rodriguez a donc intégré l’école de cinéma de l’Université du Texas et a tourné son premier vrai film, Bedhead. Comme Los Hooligans, Bedhead était inspiré de son vécu de jeune homme – avec une évidente prise de liberté avec la réalité. Il a engagé sa petite sœur Rebecca dans le rôle d’une enfant qui développe des pouvoirs télékinétiques après avoir été accidentellement assommée par son grand frère. Le film, qui a remporté quelques prix dans plusieurs petits festivals, comporte beaucoup de thèmes qui seront récurrents tout au long de l’œuvre de Rodriguez : les enfants livrés à eux-mêmes et les pouvoirs tout-puissants de l’imagination (à un moment donné du film, le personnage de Rebecca rêve d’être « la première femme latino-américaine à devenir présidente des États-Unis ! »). La chose est aussi évident par la description sans effort et banale qu’il fait des enfants latino-américains, et son pari que n’importe quel spectateur s’identifiera à eux. Comme Rodriguez le dira plus tard : « Je cherchais juste à faire quelque chose de grand public et à nous y inclure [les Latino-Américains], comme pour dire : “Nous sommes le grand public.” C’est tout ce dont nous avons besoin. »

Une affaire personnelle

Rodriguez n’a cependant pas passé toute sa carrière à tenter de démonter les stéréotypes dominants. Mais il a toujours voulu que ses films les reflètent, lui et sa famille. En arrivant à Hollywood au début des années 1990 après avoir réalisé El Mariachi, il a été étonné de découvrir la faible proportion d’acteurs hispaniques disponibles pour ses castings. « J’ai dû repérer Salma Hayek. J’ai dû faire venir Antonio Banderas d’Espagne. J’ai dû engager Cheech Marin et Danny Trejo. En somme, j’ai mis en place mon propre star system. »

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Jessica Alba et Robert Rodriguez
Tournage de Machete Kills
Crédits : Robert Rodriguez

Créer des personnages non-hispaniques ne l’a jamais effleuré. « Spy Kids était inspiré de ma famille, dit-il. Et ma famille est latino. » Le scénario qu’il a rendu a tout de même suscité des remarques. « Pourquoi les faire latinos ? » s’est vu demander Rodriguez. « Est-ce que cela ne va pas provoquer la confusion chez les gens ? » Rodriguez s’est retrouvé contraint d’expliquer et de réexpliquer que le film ne fonctionnerait pas seulement auprès d’un public hispanique. Que ce serait grand public, qu’il était en anglais. Mais les questions ne cessaient de pleuvoir. Rodriguez a donc reformulé sa justification. « Il n’est pas nécessaire d’être anglais pour aimer James Bond », se rappelle-t-il leur avoir rétorqué. « Et ils ont juste dit : “Oh. D’accord.” » Cela a été une révélation pour Rodriguez. Il s’est rendu compte que ses personnages n’auraient jamais conservé leur origine s’il n’en avait pas fait une affaire personnelle. « Si je n’avais pas été latino, dit-il, j’aurais abandonné. J’aurais plié. » Mais il a eu le dessus, et Spy Kids, le premier opus de ce qui allait devenir une franchise de quatre films à grand succès, a totalisé une recette de 148 millions de dollars dans le monde. Rodriguez en est peu à peu arrivé à la conclusion que la sous-représentation hispanique dans le cinéma américain était une conséquence directe du manque de réalisateurs d’origine hispanique à Hollywood. « On ne peut tout simplement pas se pointer devant un réalisateur qui n’est pas latino et lui dire : “Mets-moi dans ton film ! Fais-moi jouer le héros !” m’explique Rodriguez. Cela ne fonctionne pas comme ça. » L’une des raisons qui l’ont amené à faire du lancement d’El Rey comme une affaire personnelle a été la perspective de faire une place à ces réalisateurs et scénaristes d’origine hispanique nés aux États-Unis, qui s’identifient à la culture grand public, pour qu’ils puissent comme lui raconter des histoires chevillées à leur identité et à leur vécu personnel, sans qu’il leur soit demandé sans cesse : « Pourquoi faites-vous des personnages latinos ? » Après la signature de l’accord pour El Rey, Rodriguez a commencé à songer à des idées d’émissions. Il est allé trouver son ami Rene Ortiz, un cuisinier, et lui a suggéré d’ouvrir un restaurant ensemble et de créer une émission qui mêlerait différentes thématiques, comme la famille, la vie en communauté, la cuisine et la culture traditionnelles. (Ortiz, lui aussi originaire de San Antonio, a contribué à l’ouverture de La Condesa, un restaurant de cuisine mexicaine, et de Sway, un restaurant thaïlandais haut de gamme, tous deux installés à Austin.)

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Robert Rodriguez et Rene Ortiz
Originaires de San Antonio
Crédits : Robert Rodriguez

Rodriguez lui-même est un fervent cuisinier, qui prépare des tortillas maison d’après la recette de sa grand-mère. (Ses vidéos « 10 minute cooking school », disponibles sur YouTube, sont garnies de conseils politiquement incorrects, tels que : « Première étape : les tortillas. Prenez des tortillas, celles que vous pouvez trouver en magasin – vous savez, celles qui ont une texture de caoutchouc ? Sortez-les du réfrigérateur et jetez-les à la poubelle. C’est de la merde. ») Mais lorsqu’il a fait part de son idée à Ortiz, c’est tombé à plat. « Il m’a livré un aperçu de son humilité hispanique », racopnte Rodriguez. Ortiz a incliné la tête et a marmonné quelque chose sur son niveau d’espagnol, qui n’était pas très bon. Ce à quoi Rodriguez a répliqué que cela n’avait pas d’importance, vu que l’émission serait en anglais. « Il m’a alors lancé un regard encore plus répugné, se rappelle Rodriguez, et il a dit : “Tu veux dire pocho ?” » Au Mexique, pocho est un terme péjoratif pour désigner les Latino-Américains, les gens qui ne connaissent pas intimement la culture ni ne savent correctement parler la langue. Là encore, cela a été une révélation. « Je lui ai répondu : “Wow, tu as vraiment une si mauvaise image de toi-même ? Tu te traites tout seul de pocho !” Et Rene a dit : “Oh, je n’y ai jamais vraiment fait attention, mais cela me hante tous les jours.” » Rodriguez était abasourdi. « Si cela te hante tous les jours, c’est un sacré problème ! » Il a commencé à songer davantage aux défis auxquels les Latino-Américains anglophones et nés aux États-Unis sont confrontés. Selon des projections basées sur les chiffres du recensement de 2010, cette population est presque amenée à tripler d’ici à 2060, un futur dans lequel un Américain sur trois sera d’ascendance hispanique. Du point de vue de l’industrie du divertissement, cela représente une opportunité majeure, mais la manière d’en tirer profit est sujette à débat. Ce groupe doit-il être vu comme un marché distinct du marché dit grand public ? Après tout, ils seront de la seconde, troisième, quatrième ou même cinquième génération d’Hispaniques anglophones – tout comme Rodriguez. Dans les années 1980, quand la conscience de la population hispanique a pris de l’ampleur, les agences de marketing ont commencé à opérer des distinctions au sein de la communauté, selon trois segments démographiques : non-intégrés ou arrivants récents, biculturels, et intégrés. Selon Gabriela Gonzalez, une planificatrice stratégique de Dieste, une agence de publicité multiculturelle implantée à Dallas et New York, ces idées de l’époque se sont enracinées dans les esprits.

L’une des photos montrait Rodriguez assis en face du président Barack Obama. Le président riait aux éclats.

« Aujourd’hui encore, nous avons d’importants clients qui ne parviennent pas à sortir de ces cases, dit Gonzalez. Mais en tant qu’agence, dans l’objectif de vendre un bon produit ou une bonne stratégie marketing, nous essayons évidemment de les mener vers un autre état d’esprit. On ne peut pas toucher le consommateur en se basant sur ces segments de population. » Elle souligne le fait qu’une large proportion de la génération des années 2000, estimée entre 40 et 45 %, est multiculturelle. « Une fois que nous avons identifié une tendance, nous estimons le nombre de personnes d’une communauté qui représentent la cible. On observe combien d’entre eux sont hispaniques, combien parlent espagnol ou anglais, et nous intégrons ces données à notre stratégie. » Voici comment les agences les plus sophistiquées procèdent de nos jours. Elles essaient d’identifier les tendances et les attitudes présentes chez des groupes importants d’individus, qui ne se bornent pas nécessairement à une seule communauté. « La génération des années 2000 a atteint une telle importance qu’il est désormais ridicule d’espérer les cibler en se fondant sur des données démographiques ou sur la langue », affirme Gonzalez. Cela ne signifie pas qu’une approche spécifique n’est pas nécessaire. D’après Rodriguez, « lorsque les gens disent : “Bien, ils consomment simplement comme tout le monde alors”, c’est qu’ils ne comprennent pas ce que c’est que d’avoir l’impression de ne pas exprimer pleinement son potentiel. Le sentiment de ne pas savoir qui vous êtes, cela se transmet à vos enfants. C’est toute une culture qui est en train de prendre son essor – nous représentons un Américain sur six aujourd’hui, et nous représenterons bientôt un Américain sur trois –, et les individus qui la portent ne savent pas qui ils sont. C’est un désastre pour le pays ! Ces gens n’exprimeront jamais pleinement leur potentiel à cause de la vision négative qu’ils ont d’eux-mêmes, tout bonnement car ils ne sont pas représentés au sein des médias – dans lesquels ils n’ont pas voix au chapitre. » Rodriguez s’inquiète du fait qu’il y a eu peu de cinéastes d’origine hispanique nés aux États-Unis à prendre sa suite. « Je pense que c’est parce qu’ils n’ont nulle part où aller. » Les réalisateurs hispaniques nés à l’étranger, à l’instar de ses amis Alfonso Cuarón et Guillermo del Toro, tous deux mexicains, ont pu réaliser des films dans leur pays natal avant d’arriver à Hollywood, sans avoir ainsi à faire leurs preuves. Mais les réalisateurs latino-américains ont plus de difficultés à faire le premier pas dans leur carrière, lorsqu’ils ont pour ambition de réaliser des projets plus personnels.

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« Pocho ? Non, El Rey. »
Frontière mexicaine
Crédits : Robert Rodriguez

« Lorsque j’ai fait El Mariachi, je ne l’ai pas fait pour Columbia Pictures, dit Rodriguez. Je n’aurais jamais levé mon cul de ma chaise pour aller le proposer à Columbia Pictures ! Quel intérêt auraient-ils eu à sortir un film pareil ? En espagnol qui plus est ? La seule raison pour laquelle je l’ai fait, c’est parce que je savais qu’il y avait un marché de la vidéo qui me l’achèterait. Je savais où j’allais. » C’est ainsi qu’il imagine ce que sera sa chaîne de télévision : un chez soi médiatique. « C’est comme un royaume sur la montagne, où tout sera merveilleux, dit-il. Pour que la prochaine fois que quelqu’un dira : « T’es un pocho ? » on puisse lui répondre : “Non, je suis El Rey.” » En 2012, Rodriguez s’est rendu à Washington pour prendre la parole à l’Institut du Congrès hispanique concernant l’importance de la diversification des chaînes de distributions. Alors qu’il se trouvait là-bas, il a été invité à prendre part à une table ronde présidentielle. Rodriguez est un chroniqueur consciencieux de sa propre vie, et pendant qu’il me racontait cette histoire, il m’a tendu son téléphone – ce n’était pas la première fois – pour me montrer quelques photos. L’une d’entre elles montrait Rodriguez assis en face du président Barack Obama. Le président est incliné en arrière sur sa chaise, en train de rire aux éclats. Rodriguez m’a expliqué qu’il venait juste de raconter à Obama l’histoire d’Ortiz, son ami cuisinier, et sa réticence initiale quant à la création d’une chaîne pocho. « Je lui ai dit : “Une personne sur six est d’origine hispanique en ce moment même aux États-Unis”, se souvient Rodriguez. Même les Hispaniques sont étonnés par ce nombre. Ils se disent : “Mais où sont-ils tous ? Où sont-ils ?” Et je me suis dit : “S’ils ont tous les yeux baissés comme mon ami, il n’est pas étonnant qu’on n’en prenne pas conscience. En leur donnant des raisons de relever la tête, on prendra conscience de leur nombre. En fait, ils ne seront plus un nombre mais des personnes. Et c’est ce dont nous avons besoin. Et je crois qu’on ne peut faire cela que par le biais des médias.” » « Les médias sont si puissants, poursuit-il. Les gens ne se rendent pas compte à quel point. Ils se demanderont ce qui a changé. » Je lui ai demandé d’éclaircir ce point. « J’étais en train de parler à un sénateur – tu vois le genre, Ricain, Républicain. Je lui parlais de l’idée et du potentiel de la chaîne et des films que j’avais réalisés, et il m’interrompt : “Oh, Spy Kids. Oui, je connais.” Alors je lui demande : “Qu’est-ce qui vous prend de regarder un film latino ?” Ce à quoi il répond : “Oh, je ne savais même pas que c’en était un !” Et je lui dis : “Exactement !” Il a saisi tout de suite. “C’est très bien joué !” m’a-t-il dit. » Comcast s’appuie sur la célébrité de Rodriguez (ainsi que sur Magic Johnson et “Diddy”) pour attirer un public et des publicitaires, la pression sur ses épaules est donc inévitable. Il a déjà rassemblé les fonds nécessaires pour alimenter la chaîne pendant les quatre prochaines années. Et El Rey a récemment signé un accord de placement de produit avec General Motors, qui stipule que la chaîne fera figurer des voitures GM dans tous ses contenus originaux.

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Retour au Titty Twister
Sur le tournage de la série Une Nuit en enfer
Crédits : El Rey Network

Mais Rodriguez a toujours fait montre d’un don mystérieux pour savoir ce que l’industrie veut avant qu’elle ne le sache elle-même. C’est grâce à lui – ou à cause, tout dépend du point de vue – que les films d’exploitation ultra-violents et les comédies d’aventure et d’action pour enfants se sont démocratisés. Newman, l’agent de Rodriguez, attribue la longévité de son client, son succès financier et sa capacité à vivre sa créativité comme il l’entend, à la détermination dont il fait preuve pour tracer son propre sillon dans un secteur d’activité connu pour être rigide. « Certaines personnes ont peur du changement et d’autres le provoquent, me confie Newman. Robert a toujours été acteur du changement. Il a toujours été visionnaire. » Un visionnaire dont le secret semble néanmoins résider dans son innocence, et sa naïveté à l’égard de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas.

Home Sweet Home

Par une journée glaciale et venteuse, deux semaines avant Noël, je me suis rendue aux studios Troublemaker pour voir Rodriguez à l’œuvre sur la série Une Nuit en enfer. C’est un endroit caverneux. Dans le hangar principal (car il y en a maintenant deux), qui servait autrefois d’abri à l’avion du gouverneur, on trouve désormais plusieurs salles d’enregistrement, les bureaux de la production, ainsi que l’écran vert. (Le second hangar contient les accessoires et les costumes.) Ce jour-là, Rodriguez filmait un épisode écrit par Marcel, qui était présent pour superviser. L’atmosphère était cordiale et détendue – Rodriguez jouait de la guitare entre les prises (on m’a rapporté qu’il le faisait systématiquement), et quelqu’un faisait passer un plateau de burgers venus du tout nouveau Burger In-N-Out.

Rodriguez peint les portraits, puis invite les acteurs à embellir leurs propres images durant les temps morts des tournages.

Dans la scène qu’ils tournaient, D.J. Cotrona et Zane Holtz, qui incarnent respectivement Seth et Richie Gecko, frappent à la porte d’une chambre de motel et sont sur le point de prendre en otage la famille d’un pasteur. Les coups à la porte ont nécessité plusieurs prises : un martèlement, des coups légers, un rasage et une nouvelle coupe de cheveux, puis un toc minimaliste. Rodriguez m’a conviée à le rejoindre et à suivre l’action sur le combo, en s’excusant car les choses n’étaient pas très palpitantes ce jour-là. Il aurait voulu me recevoir un jour de tournage en extérieur, durant lequel ils faisaient quelque chose d’amusant, mais la météo ne s’était pas montrée très coopérative. Dégainant une fois de plus son téléphone, il m’a montré certaines scènes très pyrotechniques qu’ils avaient récemment tournées, et pas de doute, cela faisait bien plus vibrer qu’un duo de types frappant à une porte des dizaines de fois à la suite. Il n’empêche que l’atmosphère de cette journée de tournage avait quelque chose d’intimiste ; après tout, ce genre de séquences minutieuses jouent un rôle important dans la mise en scène, et l’ensemble donnait l’impression que le cinéaste était chez lui, déambulant en chaussons. Rodriguez fait tout son possible pour distiller ce sentiment de confort. Un peu plus tard dans la journée, un de ses assistants m’a montré une cachette, derrière un pan de mur du studio, dans laquelle étaient empilées des peintures. C’étaient des portraits d’acteur qui avaient joué dans les films de Rodriguez : Salma Hayek, Rosario Dawson, Bruce Willis, Joseph Gordon-Levitt. Mais ce n’était pas tout. Rodriguez peint les portraits, puis invite les acteurs à embellir leurs propres images durant les temps morts des tournages. L’idée est de les faire se sentir comme des enfants jouant dans le jardin de la maison. Au bout du compte, même les plus sceptiques deviennent possédés par cette activité. « Tu vas voir, nous allons couper et ils vont se ruer par ici », m’a annoncé Rodriguez un peu plus tard. Une fois, la copine de l’un des acteurs s’est approchée de Rodriguez et lui a demandé où les acteurs se cachaient sans arrêt. « “Est-ce que vous vous droguez ?” m’a-t-elle demandé. “Vous disparaissez et vous revenez surexcités.” Je lui ai répondu : “Non ! nous peignons !” » Rodriguez est absolument convaincu de l’effet boule de neige d’un flux créatif ininterrompu. « On peint un moment et lorsqu’on revient sur le plateau, tous les problèmes rencontrés précédemment peuvent être résolus immédiatement, car on était en train de résoudre des problématiques créatives à un autre niveau, m’explique-t-il. Ce n’est pas grand-chose en fait. Et tout le monde est dans cet état d’esprit, car cela les rend créatifs à temps complet, pas seulement quand on dit : “Action ! Soyez créatifs ! »  Cette approche se reflète dans sa propre méthode de travail. « Je travaille beaucoup depuis chez moi, dit Rodriguez. C’est vraiment ma méthode. Quand mes enfants étaient plus jeunes, les gens se demandaient comment je pouvais enchaîner si vite un film après l’autre. » Son secret, me confie-t-il, c’est qu’il travaillait la nuit. C’était de loin le moyen le plus efficace. « Il n’y a personne pour appeler, pas de mails non plus. » Le matin, il prenait son petit-déjeuner avec ses enfants, puis ils allaient à l’école et lui allait dormir. Il les récupérait ensuite à 15 h, pour jouer, aller à la piscine ou dessiner avec eux.

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Rodriguez guitariste
Sur les images de Desperado 2
Crédits : Robert Rodriguez

« Ensuite, je leur préparais le dîner et on rigolait un peu avant qu’ils n’aillent se coucher vers 20 h. Après quoi je travaillais de 20 h à 8 h du matin. Cela représentait douze heures de travail ininterrompu. Aucune distraction possible – tout est fermé à cette heure. Je faisais d’abord du montage, et durant les trois dernières heures, je pouvais ajouter le son et la musique sur les scènes que je venais de monter. C’était extrêmement rapide. Je pouvais sortir jusqu’à deux ou trois films par an, et les enfants ne me voyaient jamais travailler. J’étais comme un elfe. C’était vraiment l’emploi du temps idéal. Je ne rentrais pas tard à cause du travail, puisque je travaillais pendant qu’ils dormaient, et je dormais pendant qu’ils étaient à l’école. » J’ai demandé à Ted Hope, producteur de longue date et organisateur du festival de Sundance, ce qu’il pensait du parcours de Rodriguez, depuis l’outsider débrouillard qu’il était jusqu’au bâtisseur d’empire qu’il est devenu. Selon lui, cette trajectoire est en partie due à l’époque. Il est peu probable qu’aujourd’hui, quelqu’un produisant l’équivalent d’El Mariachi puisse aller aussi loin que Rodriguez l’a fait. « Mais je prends aussi en compte sa volonté d’avoir la main sur les moyens de production, ajoute Hope, et de trouver les moyens de financer [ses films] intégralement de l’extérieur. » Ce qui fait de Rodriguez un cinéaste unique, souligne-t-il, c’est son choix de diriger lui-même cette énorme machine en constante mutation. « La plupart des artistes sont peu enclins à faire le nécessaire pour prendre complètement en main leur propre destinée, et en être les seuls décisionnaires – c’est la raison même de l’existence de l’écosystème des agents, des assistants et des courtiers. » Malgré cela, plus Rodriguez parle de sa vie et son travail, plus cet aspect débrouillard, familial et casanier prend son sens. Son art, son foyer et cette espèce de liberté anarchique sont intimement imbriqués pour lui, et il sait par expérience que toute organisation qui tendrait à les distinguer ne serait pas naturelle. Depuis ses débuts, Rodriguez a fait de son vécu et de ses expériences personnelles la base de son travail, d’une manière ou d’une autre. Il semble avoir émergé de son enfance avec une vision artistique déjà parvenue à maturité – c’est probablement la raison pour laquelle son travail a quelque chose d’enfantin et le degré de maturité d’un garçon de 12 ans.

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Rodriguez dirige Josh Brolin
Sur le tournage de Sin City 2
Crédits : Dimension Films

Contrôler ses moyens de production a été crucial, car cela lui a permis de recréer les conditions de création idéales dans lesquelles il avait grandi. Tout ce temps passé à écrire avec ses frères et à faire du montage avec ses sœurs, à engager ses cousins, à faire jouer ses cousines et à travailler avec d’autres enfants, toutes ses propriété et ses franchises – et même la collaboration professionnelle avec son ex-femme – comment interpréter tout cela autrement que par une volonté inextinguible d’étendre l’univers de son enfance, jouissant simplement de plus de liberté et de plus gros jouets ? Lorsque j’ai fait part de ma réflexion à Marcel, il a réagi comme si la réponse était évidente. « On essaie tous de retrouver ce moment où l’on était inspiré et émerveillé, et de parvenir à le rendre réel pour les autres, m’a-t-il dit. Je crois que c’est un moyen pour nous de rester soudés, de rester une famille, de la façon dont nous avons grandi. » Avec El Rey, Rodriguez construit un endroit où ces conditions sont rendues possibles pour d’autres. « Les films prennent tellement de temps à se faire, dit-il. Ce processus vous anéantit. Une grande partie de ce que je fais est dédiée à la création d’une méthode grâce à laquelle il ne serait plus si difficile de réaliser des films ou des émissions. » Il se demande comment cela se passerait si les peintres devaient endurer la même chose que les cinéastes avant de pouvoir être en mesure de poser un pinceau sur une toile. « Ils abandonneraient ! C’est tellement éreintant. Et une fois le tableau fini, ils ne voudraient plus toucher à la peinture pendant les quatre années suivantes. Ce n’est pas la réalisation mais le processus qui vous y amène, qui vide les films de leur vie. La dimension politique et la méthodologie autour de tout ça, c’est tellement dommage ! C’est pour cela que les gens trouvent rafraîchissant de venir ici. Ils me disent : “C’est ce que nous avons toujours voulu faire ! On ne veut rien d’autre, on veut juste faire ça !”  »


Traduit de l’anglais par Matthieu Volait et Nicolas Prouillac d’après l’article « King of Dreams », paru dans Texas Monthly. Couverture : Robert Rodriguez – Open Road Films. Création graphique par Ulyces.