Dans les tréfonds de Laurel Canyon, le gang de Wonderland mettait au point son dernier cambriolage. C’était un samedi soir, il n’y avait plus de drogues, plus d’argent, la situation était désespérée. Ils avaient vendu 500 grammes de bicarbonate pour 250 000 dollars et un contrat avait été mis sur leur tête. À présent, ils avaient une nouvelle idée. Ils se sont assis autour de la table en verre du coin cuisine. Devant eux se trouvaient deux paires de menottes, un badge de police volé, plusieurs pistolets automatiques ainsi qu’une feuille de papier cornée : le plan d’une maison. Il leur fallait un coup, et ils l’avaient. Ils étaient sept à s’être réunis dans la maison de Wonderland Avenue, une baraque en stuc jaunâtre située sur la route escarpée et sinueuse surplombant les collines d’Hollywood. Le bail était au nom de Joy Audrey Miller, 46 ans. C’était une femme mince, blonde, grossière, héroïnomane, qui avait déjà été arrêtée à sept reprises. Elle était maman de deux filles et avait été mariée, il fut un temps, à un avocat de Beverly Hills. Un an auparavant, elle avait été prise en flagrant délit de trafic de stupéfiants dans sa maison de Wonderland. Six mois plus tard, elle subissait une mammectomie. Son amant, Billy DeVerell, 42 ans, était lui aussi héroïnomane. De faible corpulence, le visage grêlé, il comptait treize arrestations à son actif. « Il ressemblait à un type tout droit sorti d’un bar miteux d’El Paso », selon un voisin. ulyces-johnholmes-01 Ronald Launius, 37 ans, partageait la maison avec Miller et DeVerell. Blond et barbu, Launius avait passé du temps entre les murs d’une prison fédérale pour trafic de stupéfiants. Un policier californien le décrit comme « une des personnes les plus insensibles que j’aie jamais rencontrées ». Le loyer de la maison du 8763 Wonderland Avenue s’élevait à 750 dollars par mois. Au rez-de-chaussée, on trouvait un garage, et les premier et deuxième étages étaient pourvus de balcons donnant sur la rue. Un grillage métallique encerclait l’escalier menant du garage à la porte d’entrée. Il y avait un interphone, un verrou électronique sur le portail et deux pitbulls qui dormaient sur les marches du perron. Bien que sécurisée, la maison n’en était pas moins la verrue de ce quartier branché : sa peinture s’écaillait et les tâches de rouille ne cessaient de s’étendre. Laurel Canyon était depuis longtemps une adresse de prestige, un cadre naturel et boisé à quelques minutes seulement des paillettes et de l’excitation de la clinquante Hollywood. Tom Mix et Harry Houdini y avaient vécu un temps, au milieu des pins, des cailles et des coyotes. Plus tard, dans les années 1960, le canyon attirait des écrivains et d’autres artistes, rock stars et gourous. Le numéro 8763 avait sa propre histoire : des membres de Paul Revere & the Raiders y avaient vécu un temps.

Au pays des merveilles

Au début des années 1980, l’ancien gouverneur de Californie Jerry Brown vivait sur Wonderland Avenue, et Steven Spielberg faisait construire pas loin. La maison du 8763 avait changé de locataires, passant d’un groupe tapageur de jeunes femmes (les voisins se rappellent de femmes nues balancées par le balcon du premier étage) aux membres du gang de Wonderland. Il y avait constamment de l’activité dans la maison, toujours quelqu’un pour s’y pointer avec une arnaque à monter. Miller, DeVerell et Launius avaient besoin de se shooter quotidiennement. Ils étaient donc constamment à l’affût. Bijouteries, supérettes, propriétés privées : tout était bon à prendre tant qu’il y avait de l’argent ou de la came à la clé. « Il y avait toujours du mouvement, jour et nuit », raconte un voisin. « De la Volkswagen à la Rolls-Royce. Ils balançaient des sacs en papier du balcon. On entendait des cris, des rires et du rock, 24 heures sur 24. »

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Une mauvaise année
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Le soir du 28 juin 1981, le calme régnait sur Wonderland Avenue. Cinq hommes et deux femmes étaient rassemblés dans le petit coin cuisine, assis sur des chaises pivotantes ou adossés aux murs. Le plan de la maison étalé devant eux représentait un pavillon quatre pièces haut-de-gamme, situé dans une impasse de vallée de San Fernando. Elle comportait une piscine, un salon encaissé et une façade en pierres blanches. À l’intérieur : un Rembrandt, une collection d’ivoires et de jades, de l’argent massif, des bijoux et mieux encore, des tas d’argent liquide et de drogue. Le propriétaire de la maison était Adel Nasrallah, plus connu sous le nom d’Eddie Nash. Naturalisé américain, Nash avait débarqué en Californie de sa Palestine natale au début des années 1950.

En 1960, il avait ouvert un stand de hot-dog sur Hollywood Boulevard. Au milieu des années 1970, il possédait déjà trente-six débits de boissons, et des biens immobiliers et autres d’une valeur de plus de 30 millions de dollars. Nash possédait des clubs de toutes sortes, satisfaisant les besoins de tout le monde. Le Kit Kat était un club de strip-tease. Le Seven Seas, un bar situé en face du cinéma Mann’s Chinese sur Hollywood Boulevard, avait des allures tropicales : on y proposait un menu de cocktails spéciaux, un spectacle polynésien et parfois des danseuses du ventre. Ses clubs gay étaient les premiers à Los Angeles à permettre aux gens du même sexe de danser ensemble. Son club noir revêtait les atours d’un Harlem hollywoodien où se mêlaient jazz, bagues en or et chapeaux de paille à large bord. Sur Santa Monica Boulevard, le Starwood proposait un rock éclectique. À la fin des années 1970, la police de Los Angeles y faisait en moyenne vingt-cinq saisies de drogue par mois. Lors d’une fouille des locaux, on trouvera même un carton contenant quatre mille boîtes de Quaalude contrefaites. Sur le carton on pouvait lire, inscrit au Marker bleu : « vente au guichet ». En plus de dealer, Nash était un gros consommateur. Ce qu’il préférait, c’était inhaler de la free-base, un cocktail maison de crack et de cocaïne, dont il fumait 50 à 100 grammes par jour. Chez lui, on trouvait toujours de grandes quantités de cocaïne, d’héroïne, de Quaalude et d’autres drogues. Gregory DeWitt Diles, son garde du corps, était un expert en karaté, un criminel endurci de 300 kilos de gras. Selon un témoin oculaire, Diles aurait un jour poursuivi un homme hors du Kit Kat et vidé le chargeur de son calibre .38 sur la voiture de l’individu. La voiture se trouvait de l’autre côté de Santa Monica Boulevard, derrière six voies de circulation. Il était 14 h 30. Personne n’avait été blessé. Nash et Diles étaient bien connus sur Sunset Strip. « Eddie Nash estimait qu’on lui devait le respect », déclare un habitué du quartier. « Et si quelqu’un avait le malheur de l’importuner… » Mais revenons plutôt au coin cuisine. Un grand homme émacié aux cheveux bouclés et à la barbe clairsemée pointait du doigt le plan qu’il avait dessiné : « — Là, c’est la chambre du fond, la chambre de Diles. Il y garde un fusil à canon scié sous une couverture… Ici, c’est la chambre de Nash. Il y a un coffre dans le placard, juste… là. — T’en es sûr, bite de cheval ? a demandé Tracy McCourt, le chauffeur du gang. — T’inquiète, c’est bon, a répondu John Holmes, 36 ans et auteur du plan. Je connais Eddie. Nash, il m’adore. Il me prend pour une célébrité. » John Holmes en était une, de célébrité. Du moins dans certains cercles. Et ce qui l’avait rendu célèbre, c’était son pénis. Au cours d’une carrière qui aura duré vingt ans, Holmes aurait tourné 2 274 films pornographiques et couché avec 14 000 femmes. Au sommet de sa popularité, il recevait 3 000 dollars par jour sur des tournages et presque autant comme gigolo, indifféremment au service d’hommes ou de femmes fortunés, des deux côtés de l’Atlantique.

Depuis la fin des années 1960, Holmes exploitait son don de la nature. Selon la légende, son pénis en érection mesurait entre 27 et 38 cm en longueur. Toutefois, ces derniers temps, son don était plutôt d’attirer les emmerdes. Il prenait sa dose de free-base toutes les dix ou quinze minutes, et avalait quarante à cinquante comprimés de Valium par jour pour en contrebalancer les effets. Les drogues affectaient ses performances : il ne parvenait plus à bander, et ne pouvait ainsi plus travailler dans l’industrie de la pornographie. Il faisait donc des livraisons pour le gang de Wonderland. Sa maîtresse, Jeana, qui était avec lui depuis qu’elle avait 15 ans, faisait le trottoir pour lui ramener sa dose. Ils vivaient ensemble dans la Chevrolet Malibu de sa femme, dont il s’était séparé. Il volait aussi des valises sur les carrousels à bagages de l’aéroport de Los Angeles, ou achetait divers appareils avec la carte de crédit de sa femme, dont il faisait ensuite le recel.

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Eddie Nash

Holmes devait une petite fortune à Nash. Et à présent, il avait aussi une dette envers le gang de Wonderland. Il avait raté une livraison et s’était querellé avec DeVerell et Launius. Ils lui avaient repris la clé de la maison, Launius l’avait mis KO, puis battu avec sa propre canne en prunellier. Ils avaient exigé de lui qu’il se rachète, et il avait réfléchi à la question. Ses synapses embrouillées avaient alors formé une image dans son esprit : le visage d’Eddie Nash. « — Alors tu y vas, a dit Launius à Holmes, en passant le plan en revue. Tu parles à Nash, de n’importe quoi, et puis tu lui dis que tu dois aller pisser. Et ensuite ? — Je débloque la porte coulissante : celle-là, a lancé Holmes en pointant le plan du doigt. Là, dans le fond, la chambre d’amis. Puis je m’en vais. Je reviens à Wonderland, je vous dis si la voie est libre, et vous allez vous le faire. » C’était le plan. À minuit, les types de Wonderland ont réuni 400 dollars et Holmes s’est rendu chez Nash sous prétexte de lui acheter de la drogue. Pas moins de trois kilomètres séparaient Wonderland Avenue de Dona Lola Place, pratique quand on sait que le réservoir de la Ford Granada volée conduite par le gang de Wonderland était pratiquement à sec. Dans la voiture se trouvaient DeVerell, Launius, McCourt et un homme du nom de David Lind, un ami de Launius. Lind et sa copine étaient arrivés de Sacramento trois semaines auparavant et s’étaient installés à Wonderland. Ancien détenu condamné pour cambriolage, faux et usage de faux, ainsi qu’une agression avec tentative de viol, Lind avait été invité en ville pour, comme il le dira lui-même devant un tribunal, « exercer sa profession » – c’est-à-dire commettre des crimes. McCourt a remonté Laurel Canyon Boulevard et traversé Mulholland Drive, par-delà le sommet des collines de Santa Monica, jusque dans la vallée.

Le soleil était déjà chaud, mais sa lumière encore tamisée. Les arroseurs automatiques étaient à l’œuvre sur les pelouses et l’heure était aux embouteillages. 8 h 30, un lundi matin. Bien que Holmes ait quitté Wonderland vers minuit, il était resté six heures chez Nash, à fumer les 400 dollars qu’on lui avait passés, profitant encore un peu plus de Nash et de ses largesses. Nash était très hospitalier. Il appelait tout le temps Holmes « mon frère ». Ils se connaissaient depuis trois ans. Alors que la nuit faisait place au jour, Holmes a eu une crise de conscience, un soupçon de lucidité, se rendant compte que braquer Eddie Nash pourrait créer du grabuge. Nash connaissait ceux de Wonderland. Il ne les avait jamais rencontrés, mais par le biais de Holmes, il leur avait fait un prêt de 1 000 dollars. Holmes a bafouillé à Nash quelques mots à leur propos. Il est resté vague, mais cela n’avait aucune importance de toute manière. Nash n’avait pas fermé l’œil depuis dix jours. Il comprenait à peine ce que Holmes lui racontait. Et tandis que son stock de cocaïne diminuait, sa conscience s’amenuisait avec le manque. Holmes s’est excusé, a quitté la pièce et débloqué la porte coulissante. De retour à Wonderland peu avant l’aube, Holmes a annoncé que la voie était libre. « Le timing est nickel », a-t-il dit à Lind. Seule ombre au tableau : DeVerell, Launius et McCourt, tous héroïnomanes, étaient raides défoncés. ulyces-johnholmes-04 Trois heures plus tard, tout le monde était enfin opérationnel. Holmes est retourné chez Nash s’assurer que la porte coulissante était toujours ouverte. Mais cette fois, le gang n’a attendu pas son retour. McCourt a pris à droite, quitté Laurel Canyon pour Dona Pegita, quand il a vu Holmes conduire en sens inverse. Les deux voitures ont ralenti pour s’arrêter au même niveau. Holmes a baissé la vitre côté conducteur, McCourt a fait de même. « C’est le moment », a soufflé Holmes. Puis il a souri, levé son poing et crié : « À vous de jouer, les gars ! »

Docteur Holmes et Mister Wadd

John Curtis Holmes avait eu la carrière la plus longue et la plus prolifique de toute l’histoire de la pornographie. Il a couché à l’écran avec deux générations de partenaires, de Seka et Marilyn Chambers à Traci Lords et Ginger Lynn, en passant par Cicciolina, plus tard devenue membre du Parlement italien. Premier homme à avoir gagné un prix d’interprétation pour un film X, Holmes était autant une icône qu’une idole, l’acteur le plus en vue de son époque. C’est vers 1968 que Holmes a débuté dans le milieu, une époque où la pornographie commençait tout juste à s’émanciper, passant de la discrétion des Peep shows et des fraternités étudiantes, à une acceptation de masse. Les années 1960, la pilule, « l’amour libre », les communautés, l’échangisme, la créativité perverse et protéiforme d’artistes repoussant sans cesse les limites de ce qui est admis, toutes ces choses offraient à la pornographie l’atmosphère idéale pour s’épanouir. Le moment crucial de l’histoire du porno restera la sortie en 1972 de Gorge profonde, interprété par Linda Lovelace et Harry Reems. Quand le film a commencé à faire le tour des cinémas du pays, il a été considéré comme obscène et retiré de l’affiche presque partout. Ses producteurs ont contesté ces interdictions devant les tribunaux, et gagné le procès. En fin de compte, Gorge profonde aura été un produit de consommation de masse pour un public enthousiaste. Avec les sorties la même année de The Devil in Miss Jones et Derrière la porte verte, la pornographie a investi la culture populaire. Tout d’un coup, des présentateurs télé comme Johnny Carson faisaient des blagues tirées de Gorge profonde dans le Tonight Show.

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John Holmes en action

Un jour de 1970, Holmes a rencontré le producteur hawaïen Bob Chinn. Jusqu’alors, Holmes s’était cantonné à faire des photos, des petits films et des mini-bandes 8 mm. Il a montré à Chinn son portfolio, puis il s’est mis à nu. Le soir même, Chinn rédigeait un scénario de trois pages ; un partenariat était né. Au milieu des années 1970, il mènera Holmes à son rôle le plus célèbre : Johnny Wadd, le détective dur à cuir, parodie X de Sam Spade. Le personnage interprété par Holmes est décrit par Al Goldstein dans la revue pornographique Screw Magazine comme « un privé en imper, maigre, la peau sur les os, outrageusement excité, couchant indifféremment avec client et suspect ». D’après Goldstein, « c’était une série de films bébêtes, grossièrement réalisés », mais le succès était largement au rendez-vous. D’une certaine manière, Holmes représentait le gigolo qui sommeille en chaque homme, un beau parleur en polyester, à la moustache fine, au col pelle à tarte et aux boutons défaits. Il n’était pas menaçant. Il mâchait du chewing-gum et surjouait irrésistiblement. Son approche du sexe était similaire à celle d’un chanteur de bar avec la chanson : délibérément doux, ostentatoirement malicieux, un type ordinaire avec une bague au petit doigt et un gros engin dans le froc, convaincu d’être le rêve de toute femme. Holmes apparaîtra dans plus de 2 000 films, dont Teenage Cowgirls, Liquid Lips, China Cat, Tapestry of Passion, ou encore Eruption – un remake pornographique d’Assurance sur la mort, Dickman and Throbbin –, une parodie de Batman & Robin, Hard Candy, un thriller en 3D, et Exhausted, un « documentaire » pornographique tourné sur sa vie en 1981.

Avec le temps, Holmes est devenu le Errol Flynn du porno. Et comme la tête d’affiche de jadis, ce qu’on savait de lui tenait principalement du mythe. Selon la légende (en grande partie de son fait) Holmes serait né à New York, où il aurait vécu avec une riche tante qui s’était mariée quinze fois. Sa tante l’aurait envoyé faire de l’escrime, de la danse, et prendre des cours de savoir-vivre. Ils auraient habité à Londres, à Paris, dans le Michigan et en Floride, où il aurait perdu sa virginité à six ans, avec Frieda, sa gouvernante suisse. Au lycée, d’après ses dires, il avait couché avec toutes les filles de sa classe, sauf trois. Il serait sorti diplômé de l’université de Californie à Los Angeles (UCLA) en physiothérapie, en pédiatrie, en médecine générale et en sciences politiques. Son premier film pornographique avait été tourné à l’époque de la faculté. Une fille de son dortoir l’avait personnellement recommandé. C’est aussi en ce temps-là qu’il aurait pratiqué des « ballets de jazz moderne nu », et conduit une ambulance. Une fois établi comme star du porno, Holmes affirmait avoir une demi-douzaine d’agents au travail pour lui. Il tournait non-stop, et recevait quatre-vingt à quatre-vingt-dix coups de fil par jour. Il avait vingt-sept fan clubs : des gens lui demandaient même des poils pubiens par courrier. Les hommes lui demandaient de signer des autographes sur les seins de leur femme. Des femmes lui demandaient de déflorer leurs filles. Un de ses numéros habituels était de débouler dans la chambre de la femme pendant qu’elle regardait la télévision, de l’attacher au lit et de coucher avec elle. Sous les yeux du mari, caché dans un placard. Holmes prétendait avoir baisé dans des avions, des hélicoptères, des trains, des ascenseurs, des cuisines, des salles de bain, sur des toits, dans des caves, des abris anti-tempêtes, des bunkers en Europe, sous la table d’un restaurant bondé, à quinze mètres sous l’eau avec des bouteilles de plongée. Il aurait couché avec trois gouverneurs, deux de leurs femmes et un sénateur, qui était « un vrai tordu ». Holmes assurait détenir dix commerces, être un véritable cordon bleu, avoir écrit vingt-neuf livres, dont un manuel combinant sexe et cuisine. Son pénis, disait-il, était « plus grand qu’un téléphone public, mais plus petit qu’une Cadillac ». ulyces-johnholmes-06-1Sa voix, douce et séduisante, ressemblait à celle d’Eddie Haskell dans la série Leave It to Beaver, et Holmes lui-même rappelait l’acteur qui l’interprétait. Il adorait par-dessus tout, disait-il, son travail : « Un jardinier heureux a les mains pleines de terre. Un chef cuistot heureux est bien grassouillet. Je ne me lasse pas de ce que je fais car je suis un véritable obsédé sexuel. Je suis insatiable. »

En réalité, John Curtis Holmes est né de l’union de Mary et Edward Holmes, le 8 août 1944, à Pickaway County, dans l’Ohio. C’était le petit dernier d’une fratrie de deux garçons et d’une fille. Edward, charpentier, était alcoolique. Mary était une vraie dévote baptiste. John se souvenait des cris, des invectives, de son père vomissant sur ses enfants… Ses parents s’étaient séparés quand il avait trois ans, et Mary a déménagé la famille dans un HLM de Columbus. Ils partageaient un appartement avec une autre femme divorcée et ses deux enfants. À huit ans, Holmes a vu sa mère épouser Harold, un maniaco-dépressif qui travaillait pour une compagnie téléphonique. Ils ont alors déménagé dans une maison dotée de 20 000  m² de terrain, dans la région rurale et boisée de Pataskala, dans l’Ohio. Harold était un gros buveur. Un jour, il a eu la bonne idée de mettre sa main dans une moissonneuse. Il y a perdu son pouce et trois autres doigts. À l’hôpital, quand l’anesthésie s’est dissipée, il a confié à Mary : « Je n’aurai plus jamais à travailler. » Effectivement. C’est donc Mary qui est partie travailler à l’usine, chez Western Electric. John était un garçon timide et solitaire qui ne cherchait pas de compagnie et allait à la messe le dimanche. Il avait perdu sa virginité à 12 ans avec une amie de sa mère qui en avait 36. À la maison, Harold s’en prenait à John. Il y avait les gifles, les semonces, les crises de rage sous l’emprise de l’alcool. À la naissance de son demi-frère, John passait déjà la majeure partie de son temps dans les bois à chasser, pêcher, poser des pièges et se tenir à distance d’Harold. Et puis un jour, Harold a balancé John dans les escaliers et s’en est pris à lui. John l’a esquivé et l’a mis KO. Pour son seizième anniversaire, Holmes a rejoint les rangs de l’armée. Il a intégré le corps des transmissions et passé trois ans à Nuremberg, en Allemagne. Il ne rentrerait jamais plus à la maison. À sa sortie de l’armée, à 19 ans, Holmes a travaillé comme ambulancier, et fait peu après la rencontre de Sharon Gebenini. Elle était infirmière à l’hôpital USC, et faisait partie d’une équipe qui repoussait les limites des opérations à cœur ouvert. Elle avait 20 ans, et était enfant de militaire. Ils se sont mariés en août 1965 à Fort Ord, en Californie.

Un jour d’été 1968, Sharon est rentrée un peu plus tôt du travail. Son nouveau chef, un pédiatre, avait fermé le bureau pour l’après-midi. Elle en a profité pour faire les courses, et préparer un dîner spécial pour son mari. À cette époque-là, Holmes était un grand échalas d’1 m 80 pour 68 kg. Il gardait ses cheveux en brosse, comme à l’armée. Quand ils se sont mariés, Sharon se rappelle qu’il était naïf, à la recherche de la relation parfaite. « Il était très possessif. Et il ne me laissait jamais rencontrer ses collègues. » Plus tard, Holmes papillonnera de travail en travail, cherchant sa voie. Il a quitté son travail d’ambulancier pour aller touiller des cuves de chocolat dans une usine Coffee Nips, à Glendale. Puis il a vendu des chaussures, des meubles et même des balayettes en porte-à-porte. Il a piloté un chariot élévateur dans un entrepôt d’emballage de viande à Cudahy, jusqu’à ce que ses poumons ne lâchent à force de travailler dans un frigo. Après quoi il a débuté une formation de vigile en uniforme. Sans que Sharon ne le sache, Holmes s’était aussi lancé dans la pornographie, à la suite d’une rencontre avec un photographe professionnel nommé Joel dans les toilettes d’un salon de poker à Gardina. Holmes faisait des séances photo nu, et dansait dans des clubs. ulyces-johnholmes-07-3 Ainsi, rentrée plus tôt du travail, Sharon a laissé son sac dans le vestibule, fait grincer le parquet avec ses semelles blanches et s’est dirigée vers la salle de bain de leur deux pièces à Glendale. La porte était ouverte, et John, son mari, se trouvait à l’intérieur. Il tenait un mètre d’une main, son pénis de l’autre. « — Mais qu’est-ce que tu fais ? a-t-elle demandé. — À ton avis ? — Quelque chose ne va pas ? Tu as peur qu’elle se flétrisse et qu’elle meure ? s’est-elle moquée. — Non, je suis juste curieux », a tranché Holmes. Sharon s’est rendue dans la chambre, s’est allongée et a pris un magazine. Vingt minutes plus tard, Holmes est entré dans la pièce. Il avait une érection prodigieuse. « — C’est incroyable ! — Quoi donc ? — Elle passe de 12 à 25 cm. 25 cm de long ! 10 cm de circonférence ! — Génial, répond Sharon, tournant une page de son magazine. Tu veux que j’appelle la presse ? » Son mari l’a fixée un long moment, avant de finir par lancer : « Je dois t’avouer que j’ai aussi fait d’autres choses, et je crois que je veux en faire mon métier. » Holmes lui a expliqué qu’il voulait trouver un domaine dans lequel il serait le meilleur, et il pensait que c’était le cas avec la pornographie. Sharon était vierge lorsqu’ils s’étaient rencontrés. Cette nouvelle ne la réjouissait guère. « — Ne sois pas coincée sur le sujet, a dit John, un refrain qu’elle apprendrait à connaître par cœur durant les quinze années à venir. Ça n’a aucune signification pour moi. C’est comme si je faisais de la charpente. Voilà mes outils, je les utilise pour gagner ma vie. Et quand je rentre à la maison, les outils restent sur le chantier. — Tu couches avec d’autres femmes, a rétorqué Sharon. C’est comme si j’étais mariée à une pute. » Holmes n’a rien trouvé à répondre. Ainsi a commencé le déroulement de la longue série de bobines qui donneraient plus tard naissance à Johnny Wadd. Holmes s’est laissé pousser les cheveux, et s’est mis à porter des costumes trois-pièces. Sharon et lui se sont installés dans une étrange vie de famille hybride. Elle payait pour la nourriture et les dépenses du foyer, lavait son linge et lui préparait ses repas, quand il était à la maison. John gardait l’argent de ses films et ne le dépensait que pour lui-même.

En 1973, John et Sharon vivaient sous le même toit, dormaient dans le même lit, mais n’avaient plus de relations sexuelles. Sharon avait même coupé court à tout contact physique, mais elle ne pouvait se résoudre à le mettre à la porte. « Il faut se rendre à l’évidence, dit-elle, j’aimais cet imbécile. Mais je n’aimais pas son métier. » John s’est acheté un pick-up El Camino et un solitaire en diamant qui deviendrait son signe distinctif dans ses films. Il a ensuite fait monter une bague en or sertie de diamants en forme de libellule, et une boucle de ceinture en or de 20 cm par 12. La boucle représentait une baleine nageant dans l’océan, son baleineau s’alimentant en dessous. John s’intéressait à la protection des baleines. Il portait cette boucle quand Sharon et lui vendaient des autocollants pour pare-chocs en porte-à-porte. ulyces-johnholmes-08En 1974, Sharon est devenue concierge d’une résidence de dix appartements à Glendale qui était la propriété du pédiatre avec lequel elle travaillait. Holmes et elle vivaient dans un appartement de fonction adjacent. John y travaillait parfois comme homme à tout faire ou jardinier. Il rénovait aussi leur maison, se surpassant en particulier pour la salle de bain principale, où il a recréé une sorte de cabane au fond du jardin, avec sa coupe en quart-de-lune, son toit en bardeaux au-dessus de la baignoire et son coffret taillé grossièrement, près de la chaise percée. Holmes était un collectionneur invétéré de toutes sortes de choses. Il ramassait du fil de fer dans des décharges, revendait du cuivre. Il visitait les vide-greniers et achetait de vieux meubles. Il pouvait réparer tout et n’importe quoi, aimait faire des esquisses et travailler l’argile. Holmes collectionnait aussi les crânes d’animaux. Sharon raconte qu’il avait un jour ramené un crâne humain des labos de l’UCLA. Il l’a fait bouillir dans une des marmites de Sharon, et le couple l’avait surnommé Louise. À Noël, ils décoraient Louise avec des bougies colorées. À la même époque, Sharon ajoute que John a commencé à faire des livraisons pour la mafia. « Il rentrait d’une première pour un de ses films, retirait ses bottes, ôtait ses chaussettes et en ressortait une liasse de billets. Il me disait : “Vas-y, compte.” Il y en avait pour 56 000 dollars, fourrés dans ses bottes. »

Le cauchemar de Jeana

Jeana Sellers (c’est un pseudonyme) est entrée dans la vie de John en 1976. Elle était adolescente et ses parents venaient tout juste de divorcer. Elle était partie de Miami en voiture avec son père et sa plus jeune sœur. Sur la route, dans le Colorado, M. Sellers a accepté de prendre un auto-stoppeur qui allait à Glendale voir sa copine. Sellers n’avait pas de plan précis : Glendale, ça lui convenait. Lorsqu’ils sont arrivés devant la résidence gérée par Sharon Holmes, il pris une décision : les Sellers s’installeraient là. La résidence était constituée de dix cabanons amovibles bâtis autour d’une cour intérieure. Le demi-frère de Holmes et sa femme y vivaient. Cette petite communauté était le fief personnel de John Holmes. Un jour, alors que Jeana rendait visite à un voisin, Holmes est venu lui livrer un sachet d’herbe. Holmes a parlé un moment, et scruté Jeana de la tête aux pieds. « Dommage que tu sois si jeune », avait-t-il conclu avant de partir.

Peu de temps après, il a commencé à lui faire la cour. À chaque fois qu’il revenait après plusieurs jours ou semaines d’absence, Holmes lui ramenait des cadeaux : animaux empaillés, roses, bague. Pour sa sœur Terry, qui avait 14 ans et des kilos en trop, il ramenait ce qu’il appelait la « Terry food », soit des kilos de bonbons. Holmes a embauché les deux sœurs pour faire des travaux de jardinage dans la résidence. Après leurs tâches, il leur apportait des sandwiches. Il avait enfin son propre van, et il organisait des séjours en camping avec Jeana, Terry et le copain de Terry, José. « J’étais vraiment sous le charme, raconte Jeana. Je ne touchais plus terre, j’avais un traitement de faveur. » John avait 31 ans, elle 15. Un soir, Holmes a demandé à Jeana de le rejoindre au van. Ils sont allés à la plage. Elle explique : « Je ne savais pas ce qui allait se passer, mais j’avais mon idée. Nous nous sommes assis sur les rochers au clair de lune. Nous sommes restés ainsi un long moment, et il restait très silencieux. Il se contentait de regarder. Je suis allée me baigner. En revenant, il m’a dit : “On y va”, et nous avons repris le chemin de la maison. Et soudain, alors que nous arrivions à une intersection, il a écrasé les freins. Il m’a demandé : “Veux-tu faire l’amour avec moi ?” J’ai répondu oui de tout mon corps. Je l’ai dit. Oui. Je l’aimais. On l’a fait dans le van. Après ça, j’étais à lui. »

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En rouge, Dawn Schiller, alias Jeana
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Avec le temps, le père de Jeana est rentré à Miami, en gardant Terry avec lui. Jeana s’est alors installée chez le demi-frère de John et sa femme, David et Karen. Elle a quitté le lycée de Glendale. Le jour, elle travaillait dans une crèche. La nuit, elle faisait du baby-sitting pour David et Karen. En 1978, Holmes prenait son cocktail de free-base sans arrêt. Il avait été initié aux drogues lors d’un tournage à Las Vegas et ne s’était plus arrêté depuis. Il n’allait nulle part sans sa valise marron Samsonite, dans laquelle se trouvaient : ses drogues, sa pipe à crack, du bicarbonate de soude, une boîte de Petri qu’il utilisait pour transformer la poudre de cocaïne en cristaux, une bouteille de rhum 151, et des petites boules de coton pour allumer la pipe. Jeana prenait de la free-base elle aussi, presque chaque soir. « Quand il prenait de la coke, décrit Jeana, il en prenait jusqu’à ce qu’il n’en reste plus du tout, puis il raclait la pipe, fumait toute la résine qu’il trouvait, et se finissait au Valium. Il me faisait lui préparer des cookies au beurre de cacahuète, pépites de chocolat et sucre roux. Le sucre l’aidait à redescendre. Il buvait un grand verre de lait, et on regardait des dessins animés. Après, il allait dormir dans la chambre avec Sharon. Je m’endormais en règle générale sur le canapé. »

À cette époque, Sharon était devenue amie avec Jeana. « Cette pauvre fille était décharnée », se rappelle Sharon. Elle a commencé par la sortir de chez David et Karen, et l’installer dans un appartement-garage de la résidence. Quelques mois plus tard, Jeana est venue habiter dans leur chambre d’amis. « Je voyais bien le tableau », dit Sharon. « Il avait choisi une gamine qui ne connaissait rien à rien. Il a fallu que je lui fasse découvrir le monde extérieur, que je lui montre que John n’était pas Dieu tout puissant. John était terrifié à l’idée que je m’oppose à elle. Mais je n’avais aucune raison de le faire. Pourquoi l’aurais-je fait ? Il n’avait aucune importance à mes yeux de ce côté-là. » Holmes s’absentait de plus en plus souvent, à tourner des films en Europe, à San Francisco et à Hawaï, à faire le gigolo pour des clients privés, ou à assister à des premières de ses films à travers les États-Unis. En même temps, il servait d’informateur au lieutenant Tom Blake de la brigade des mœurs de L.A., concernant le milieu de la pornographie et de la prostitution. Il a commencé à tout balancer en 1973, après son arrestation sur un plateau de tournage. Reste à savoir si Holmes lui a jamais dit quelque chose d’exploitable.

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Jeana à 15 ans
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À cette période, Holmes passait le plus clair de son temps avec son meilleur et seul véritable ami, Bill Amerson, qui vivait à Sherman Oaks. Amerson, du haut de son menaçant mètre quatre-vingt-quinze, et de ses 130 kilos, raconte ses propres histoires dans le milieu du trafic de stupéfiants et du crime organisé. Il affirme avoir joué professionnellement au football américain et exercé comme cascadeur spécialisé dans les accidents de moto. Il était désormais dans la pornographie, comme scénariste, réalisateur et producteur. Amerson et Holmes s’étaient rencontrés lors d’un tournage à San Francisco en 1970. Ils ont reconnu en l’autre un alter ego. « John était comme un petit frère pour moi », confie Amerson. Amerson a demandé à John d’être le parrain de ses enfants et lui a offert une chambre dans sa propre maison. Holmes et Amerson allaient chasser, pêcher en pleine mer, ou camper. Généralement, ajoute Amerson, Holmes et lui excluaient les femmes : « Les femmes lui importaient finalement peu. Parfois, je me disais même qu’il ne les aimait pas. Il préférait aller se balader en forêt. Il était resté un enfant aux envies simples. Il adorait aller à Disneyland, il aimait toutes les attractions. Il était très sensible, mais ne voulait pas que les gens le sachent. Un chiot renversé par une voiture, un oiseau mort… des choses étranges le faisaient pleurer. On a passé des heures à parler de réincarnation, de la vie, de Dieu ou plutôt de son absence. »

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C’est autour de 1978 que Holmes a commencé à devenir imprévisible. Sur les plateaux, il était de plus en plus difficile de travailler avec lui. Il s’enfermait dans les salles de bain, dans les placards. Ses collègues plaisantaient en disant qu’il fallait lui laisser une piste de free-base de la salle de bain au lit pour l’amener à travailler. Amerson recevait des appels de réalisateurs. Il arrivait sur les plateaux, souvent des maisons louées pour l’occasion dans la vallée de San Fernando, et y retrouvait Holmes fouillant chaque tiroir, cherchant quelque chose à voler. Il était devenu un vulgaire cambrioleur. « John est devenu bizarre », affirme Amerson. « Il avait des yeux de fou. Ses paroles n’avaient aucun sens. » Très vite, l’homme qui se targuait de gagner près de 500 000 dollars par an en vendant ses charmes, s’est mis à travailler comme livreur de stupéfiants pour le gang de hors-la-loi et de camés qui vivait sur Wonderland Avenue. Il volait des bagages, des voitures, rendait visite à des vieilles conquêtes et les arnaquait, dépensait pour 30 000 dollars en appareils divers avec les cartes de crédit de Sharon…

Pendant un temps, son demi-frère David et lui ont tenté l’aventure d’ouvrir un commerce d’antiquités et de serrurerie. Jeana gérait le magasin, le Just Looking Emporium. Une aventure bien éphémère. Selon Jeana, le soir de la fermeture du magasin, John était shooté et complètement parano. « C’est cette nuit-là qu’il m’a donné un coup pour la première fois. » Par la suite, les raclées sont devenues régulières. Début 1980, Holmes et Jeana ont définitivement quitté la résidence. Ils restaient parfois dans des motels, mais le plus souvent, ils vivaient dans la Chevrolet Malibu de Sharon. Du moins, Jeana y vivait. « J’étais connue pour attendre dans cette voiture », dit-elle. « On allait quelque part pour un deal. Il sortait de la voiture et j’attendais. Parfois pendant deux jours. J’avais un six-pack de Pepsi et un pot de café pour uriner. Et mon chien, Thor. Un petit chihuahua. John et Sharon me l’avaient offert. »

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Survivre à Holmes
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La situation a duré jusqu’à leur arrestation en janvier 1981. À l’époque, John obligeait Jeana, désormais âgée de 20 ans, à faire le trottoir. Elle habitait un appartement dans la Vallée, avec une actrice porno et une prostituée de luxe nommée Michelle. Tôt le matin du 14 janvier, Jeana et Michelle visitaient un appartement dans Marina Del Rey. John les attendait sur le parking, mais il était allé voler un ordinateur dans une voiture. Jusqu’alors, Holmes avait eu de la chance. Son statut d’informateur pour la police de Los Angeles lui avait évité bon nombre d’arrestations, mais Holmes commettait désormais des délits jour après jour. La chance avait fini par tourner. Les policiers les ont arrêté sur le parking. Le lendemain, Eddie Nash a payé leur caution. Jeana ne voulait pas retourner chez Michelle. John a insisté. Elle a refusé. Il lui a donné un coup dans le ventre et l’a traînée à l’intérieur. « Repose-toi », lui a-t-il lancé. « Tu travailles ce soir. » John préparait un bain. Jeana l’a entendu fermer le robinet et entrer dans la baignoire. Elle n’allait pas revivre ça. Elle en avait assez. « Chérie ! » a-t-il appelé de la baignoire. « Apporte-moi un café, tu veux bien ? » Elle était sur le pas de la porte quand elle a entendu sa voix. Elle s’est figée un instant, puis a reculé à l’intérieur. Elle a pris une grande inspiration. Puis la voilà partie. Jeana a couru, avec Thor dans les bras, jusqu’à un restaurant de la chaîne Denny’s. Un petit vieux lui a donné une pièce. Elle a appelé sa mère dans l’Oregon et lui a demandé un billet de bus. Sa mère a accepté, mais ça devait attendre le lendemain. Jeana s’est assise et a pleuré. Le petit vieux lui a payé un bol de chili, puis l’a faite entrer en douce dans sa maison de retraite. Jeana dormirait sur le sol, au pied du lit. Pour les autres résidents, c’était le scandale du siècle. Au petit matin, nombreux sont ceux qui lui ont offert une tartine à la cafétéria. Jeana a pris congé, puis appelé la gare routière de Glendale. Elle a avoué à l’agent de service que John Holmes, la star du porno, la cherchait pour la tuer. Elle l’a supplié de ne rien lui dire. L’homme a accepté de l’aider et lui a alors demandé comment elle comptait se rendre à la station. Lui et son fils viendraient la chercher. Comme Jeana s’y attendait, Holmes s’est montré à la gare routière. L’agent l’a embrouillé, et Holmes a suivi le mauvais bus tout du long, jusqu’à San Francisco.

Au fond, tout au fond

Tracy McCourt a pris à droite sur Dona Lola Place, avancé sur cent mètres dans une impasse, s’est garé et a coupé le moteur. DeVerell, Lind et Launius ont poussé le portail grillagé ouvrant sur la voie de garage chez Nash et se sont faufilés sur leur droite, derrière la maison. La porte coulissante était toujours ouverte, comme Holmes l’avait annoncé. Une fois à l’intérieur, ils ont ouvert la porte de la chambre d’amis et y ont jeté un coup d’œil. Lind ouvrait la marche et fonçait dans le couloir, un magnum .357 à canon court dans une main et un badge volé de la police de San Francisco dans l’autre. Diles et Nash étaient dans le salon, l’un en survêtement, portant un plateau avec le petit déjeuner, l’autre en maillot de bain bleu. « Plus un geste ! » a hurlé Lind. « Vous êtes en état d’arrestation ! Police ! » ulyces-johnholmes-12 DeVerell et Launius se sont occupés de Nash. Lind s’est dirigé dans le dos du garde du corps grassouillet au torse nu. Il a placé le badge dans l’autre main, la gauche, et sorti des menottes de la droite. Alors qu’il luttait avec son équipement et les poignets épais de Diles, Launius s’est avancé pour lui prêter main forte, trébuchant et lui heurtant le bras. Le coup est parti. Diles aveuglé par la détonation, le côté droit de son dos, au-dessus du rein, s’est mis à saigner. Nash est tombé à genoux. Il les a supplié de lui laisser le temps d’une prière pour ses enfants. « On s’en fout de tes gosses ! » a crié Launius. « Montre-nous la dope. » Lind a tourné Diles sur le ventre, l’a menotté et lui a jeté un tapis perse sur la tête. Puis il a rejoint les autres dans la chambre de Nash. Tout était là où Holmes l’avait dit. Lind pressait le canon du .357 contre la tempe de Nash en lui demandant la combinaison du coffre encastré dans le sol. Nash a refusé de lui donner. Launius lui a alors mis le canon en métal dans la bouche. Dans le coffre : deux gros sachets refermables pleins de cocaïne. Dans une valise grise, ils ont ramassé du liquide et des bijoux. Dans une tirelire : plusieurs milliers de Quaaludes, et davantage de cocaïne. Sur une commode, ils ont trouvé une fiole de laboratoire au trois quarts pleine d’héroïne. Lind a scotché les mains de Nash dans le dos et lui a mis un drap sur la tête. Il a trouvé un Browning 9 mm sous son lit, puis il est allé dans la chambre de Diles, où il a trouvé d’autres armes. Pendant ce temps, Launius a demandé à Lind son couteau de chasse. Il s’est dirigé vers Diles, a retiré le tapis posé sur sa tête, et porté la lame à son cou. « — Où est le reste de l’héroïne ? lui a-t-il demandé. — Je ne sais pas », a répondu Diles. Launius lui pressait lentement la lame en travers de la gorge. Le sang a commencé à couler. Soudain, à l’extérieur, Tracy McCourt a klaxonné dans la voiture qu’ils devaient prendre pour s’enfuir. « Oublie ça ! » l’a interrompu Lind. « On y va. » À 10 heures du matin, Lind, McCourt, Launius et DeVerell passaient la porte de la maison de Wonderland. Holmes s’est levé du canapé : « — Alors ? Comment ça s’est passé ? — Ne lui dit rien », a sèchement lâché Lind. Launius, DeVerell et Lind sont entrés dans la chambre de Launius. Avant de quitter la maison de Nash, ils avaient décidé de tromper Holmes et McCourt sur leur part du butin. Agissant promptement, Launius a retiré quelques 100 000 dollars de la valise et les a cachés dans sa chambre. ulyces-johnholmes-13

Pendant ce temps, Joy Miller et Barbara Richardson, la copine de Lind, ont quitté la maison et roulé jusqu’au magasin de Laurel Canyon pour faire le plein de la voiture et acheter des cartouches de cigarettes. Quand elles sont rentrées, les hommes étaient assis autour de la table en verre dans le coin cuisine. Tout le monde était occupé. Holmes et Lind pesaient la cocaïne. Launius comptait les Quaalude. DeVerell comptait l’argent. Sur la table, on trouvait : 3,5 kg de cocaïne, 5 000 Quaalude, un kilo d’héroïne China White de haute qualité, et 10 000 dollars en liquide. Les bijoux seraiont plus tard revendus pour 150 000 dollars. Lind, Launius et DeVerell, les trois à avoir accompli le cambriolage, recevaient 25 % du butin chacun. Holmes et McCourt devaient se diviser la dernière part. Dès qu’il a terminé la pesée, Holmes est allé dans la cuisine préparer de la poudre de cocaïne pour en faire de la free-base, qu’il est allé fumer dans la salle de bain. Le petit monde de Wonderland s’est servi tour à tour en cocaïne et en héroïne. Après un bon moment, Holmes est revenu dans le salon. Il s’est plaint de sa part, qui n’était que de 3 000 dollars. Il savait pertinemment que Nash cachait bien plus que ça chez lui. Une dispute a éclaté. Launius a étalé Holmes d’un coup de poing dans le ventre. « Maintenant, casse-toi ! » lui a-t-il hurlé.

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Pendant les premiers mois qu’elle a passé dans l’Oregon chez sa mère, Jeana a refusé de prendre les appels de John. Elle avait trouvé un travail dans une crèche, payait un loyer à sa mère, essayait de reconstruire sa vie. Mais Holmes continuait d’appeler. Il lui envoyait des fleurs, des cadeaux, des photos d’eux avec le chien. En mai, Jeana a accepté de lui parler. En juin, elle se disait : Bon, je n’ai rien à faire par ici. Le 27 juin, deux jours avant le cambriolage chez Nash, elle a pris un vol pour Los Angeles. John transportait deux valises quand il est allé l’accueillir. Oh, merde, a-t-elle pensé, sans rien dire. « Je ne voulais pas croire que j’étais retombée dans son petit jeu », explique Jeana. « Il était gentil. Il n’y a eu aucun problème. Nous sommes allés dans un motel, nous avons célébré nos retrouvailles. Sans drogues. C’était vraiment sympa. Je retrouvais l’ancien John. Et puis il est parti. » Le jour du cambriolage, Holmes n’était toujours pas revenu. La réception a demandé à Jeana de partir. Holmes n’avait pas payé la chambre. ulyces-johnholmes-14 Jeana a fait sa valise et pris son chihuahua. Sans argent, elle ne savait pas quoi faire. Elle ne pouvait décemment pas appeler Sharon, elles ne s’étaient pas parlé depuis deux ans. Jeana traînait quelque part dans le centre-ville. Elle ne savait pas bien où. Elle errait dans les rues, en essayant de penser. Un mac a tenté de la prendre avec lui. Puis un autre. Elle est enfin tombé sur une femme délivrant des prêches sulfureux à un coin de rue. La femme l’a emmenée chez elle, l’a faite repeindre un mur. Pendant ce temps, Jeana a laissé un message sur la messagerie de John, lui donnant le numéro où la joindre. Holmes l’appellerait finalement dans l’après-midi du 29, après que le gang de Wonderland l’eut mis à la porte. Il s’est montré assez tôt le soir même. « Il avait la plus grande montagne de cocaïne que j’aie jamais vue de toute ma vie, déclare Jeana. Il a investi la cuisine. Il a préparé la coke toute la nuit. Il a même fait fumer la sœur de l’évangéliste. » Au petit matin, ils sont sortis chercher à manger. « Quand nous sommes revenus, la porte était fermée à clé, dit Jeana. L’évangéliste était sur le balcon, agitant un drapeau chrétien, priant et braillant, chantant “Nous Triompherons. Elle disait que John avait coupé de la cocaïne avec une vieille carte de tarot, ce qu’elle prenait pour un signe du démon. Je lui ai dit : “S’il vous plait, laissez-moi seulement récupérer mes vêtements et mon chien, après on s’en ira.” »

La vengeance d’Eddie Nash

Gregory DeWitt Diles, 1 m 95, 130 kg, a déboulé par la porte d’entrée dans la maison donnant sur Dona Lola, traînant John Holmes avec lui par la peau du coup. « Par ici », a dit Nash. Diles a bousculé Holmes qui a dérapé sur le tapis. Nash a fermé derrière lui la porte de la chambre. C’était un mercredi après-midi, le 1er juillet, soit deux jours après le cambriolage. Jeana était cachée dans un autre hôtel de la Vallée. Une heure auparavant, Holmes avait croisé Diles. Holmes portait une des bagues volées à son patron.

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Eddie Nash des années plus tard

Eddie Nash, 52 ans, 1 mètre 90, les cheveux gris, fort et nerveux. Sa famille était propriétaire de plusieurs hôtels avant la création d’Israël en 1948. Nash a raconté à un ami que la lueur de la lune et les oliviers de son pays natal lui manquaient, qu’il avait passé un moment dans un camp de réfugiés, et que son beau-frère avait été tué par des soldats israéliens. Plus jeune fils de la famille, Nash était arrivé en Amérique avec 7 dollars en poche. Il avait travaillé quelques temps pour d’autres, puis ouvert le Beef’s Chuck, un stand de hot-dog sur Hollywood Boulevard. Nash trimait nuit et jour, portant sa toque blanche de chef, et faisait lui-même le service. Professeur des écoles à Santa Barbara, June M. Schuyler se rappelle avoir rencontré ce « bel étranger à la peau claire » au Beef’s Chuck. Elle habitait Hollywood tandis que son fils autiste était à l’école Belle Dubnoff pour les enfants atteints de lésions cérébrales. L’école se trouvait à un pâté de maison du stand de Nash. Elle y emmenait souvent déjeuner son fils. Des années plus tard, Schuyler écrira dans une lettre à l’attention d’un juge : « Dès lors, Ed Nasrallah se lança dans une parade de séduction aussi vieux jeu que possible. Des mois durant, il m’invitait à dîner, me présentait sa mère et le reste de sa famille. Il n’y avait jamais rien eu de sexuel entre nous. Je lui avais dit “non” et je m’y tenais. » L’année suivante, Nasrallah lui a apporté des feuilles de vigne, du houmous et du café turc. Schuyler raconte qu’Ed aimait son fils extrêmement fort, et qu’il lui avait offert « d’arranger un rendez-vous avec l’un des meilleurs neurochirurgien qui soient… sans contrepartie ».

Au milieu des années 1970, Ed Nasrallah était devenu Eddie Nash et avait amassé une fortune. Lui aussi était dealer de drogue, et gros consommateur. Sa drogue de prédilection était la free-base ; parfois, il mélangeait du crack à de l’héroïne. Il lui manquait une partie de la cavité nasale, on lui avait retiré un poumon, et il avait une plaque de métal sous le crâne. Durant les années qui ont suivi, Nash n’a quitté que rarement sa maison de style ranch en pierres blanches, à Studio City. Chez lui, il se baladait en robe de chambre en soie marron, ou parfois en slip, son corps couvert d’une fine pellicule de sueur. Sa voix avait une douce sonorité arabe. « Vous voulez jouer au baseball ? » demandait-il à ses invités, présents en permanence, en allumant la flamme à gaz, offrant une bouffée de sa pipe. « La consommation d’alcool et de drogues était perpétuelle, une chose du quotidien » déclare un avocat, connaissance de longue date de Nash. « Le défilé allait de deux à trois personnes, jusqu’à dix et parfois plus. C’était incroyable, cette façon nonchalante qu’avaient les gens d’aller et venir. En rentrant chez Nash, on voyait des femmes très diverses, plus ou moins vêtues. Certaines étaient vraiment belles. D’autres semblaient avoir tiré un peu trop longtemps sur la pipe à crack. Quand on rencontrait Eddie, c’était chez lui, selon ses règles. Je crois que la paranoïa induite par la cocaïne a créé en lui le désir de rester maître de cet environnement dont il avait le contrôle. Plus que tout, une des lignes directrices dans la vie d’Eddie aura été la notion de contrôle. Il voulait être responsable. Il voulait être le bédouin dans sa tente, le maître, celui qui accorde l’hospitalité. Tous ses avocats – je crois qu’il en employait six ou sept sur différentes affaires –, ainsi que des agents, des employés, des clients… tout le monde venait le voir ! Et il y avait Jimmie, le cuistot, qui lui préparait des festins. On pouvait entrer chez lui, murmurer quelque chose à son oreille, et il faisait en sorte que cela se réalise. Quoi que ce soit. Vous n’aviez qu’à demander, il vous l’offrait. »

L'entrée du Kit Kat en 1982 L'un des nombreux clubs de Nash

L’entrée du Kit Kat en 1982
L’un des nombreux clubs de Nash

D’après un témoignage au tribunal, Nash aurait eu un penchant pour les jeunes filles, les fouets, et ce jeu impliquant un pistolet, qu’on appelle la roulette russe. Une femme ayant eu des relations sexuelles avec Nash se remémore « beaucoup de tentations. Il y avait des montagnes de cocaïne devant vous. Des bijoux, des liasses de billets. On vous laissait dans une pièce pendant des heures, puis c’était à votre tour d’être appelée. Il y avait un miroir sans tain dans la chambre, et tout ce que vous aviez jamais désiré vous était apporté. D’une certaine manière, Eddie vous évaluait en fonction de ce que vous preniez, ou non. » Début 1981, la seconde femme de Nash, la mère de ses deux fils, âgés de huit et cinq ans à l’époque, a fait une demande d’ordonnance restrictive contre lui. Selon les affidavits du jugement, elle aurait dit après l’avoir quitté : « J’ai emmené mes enfants dans l’Oklahoma, à la ferme de ma tante et de mon oncle, avec mes parents. Mon mari a engagé une fille pour nous suivre. Elle est venue à la ferme pour savoir si j’étais avec un homme. Après son départ, mon mari m’a appelée à la ferme et m’a ordonnée de revenir immédiatement à la maison. » « Quand j’ai refusé, il a dit : “Ne remets plus les pieds en Californie, ou j’enverrai deux hommes t’attendre à l’aéroport pour te tuer, et je ferai tuer tes parents.” » On raconte que Nash avait des appuis dans les milieux de la politique, de la police et du crime organisé. Selon un agent des forces de l’ordre de Los Angeles, « Ed Nash était une figure bien connue de la police dans le Hollywood des années 1960, mais cette relation n’a jamais été conflictuelle. » Un des amis et invités réguliers de Nash était, selon les dires d’un autre agent, un Israélien au passé de militaire, « le soi-disant parrain réputé de la mafia israélienne ». Un document du département de la Justice de Californie révèle que la mafia israélienne était active en Californie à la fin des années 1970 et au début des années 1980, et qu’elle était impliquée dans le trafic de stupéfiants, les incendies criminels, le racket, le trafic d’armes, ainsi qu’un certain nombre de meurtres, dont ceux de deux ressortissants israéliens tués et démembrés dans une chambre du luxueux hôtel Bonaventure, dans le centre-ville de Los Angeles.

Durant ses six ou sept ans de consommation, déclare l’avocat, « Nash a perdu plus d’un million en drogues. Son empire s’est totalement atrophié à cause de la cocaïne. Ce qui me fait rire, c’est qu’on le considère comme un trafiquant de drogues. C’est n’importe quoi. La drogue, il la consommait. À un rythme alarmant. » L’après-midi du 1er juillet 1981, Eddie Nash consommait encore des drogues à un rythme alarmant. Il avait été dépouillé de 3,5 kg de cocaïne, mais le gang de Wonderland n’avait pas trouvé son stock personnel, et il tirait furieusement sur sa pipe. Il avait envoyé deux hommes de main le réapprovisionner, mais ils n’étaient pas encore revenus. Deux clients attendaient. Ils prenaient des bouffées de sa pipe, tout en scrutant la porte. Un de ceux-ci s’appelait Scott Thorson. Il était venu en voiture de Lake Tahoe pour acheter sa dose à Nash. Ou peut-être bien qu’il était venu d’avion de Las Vegas. Dans son témoignage devant le tribunal, des années plus tard, il déclarera en réponse à plusieurs questions : « Je ne m’en souviens plus. Vraiment, je ne m’en souviens plus. » Thorson était l’amant qui vivait au domicile de l’artiste Liberace. Il faisait également partie de son numéro sur scène à Las Vegas. Vêtu d’une tenue ornée de bijoux, il conduisait Liberace sur scène dans une mini Rolls-Royce scintillante, lui ouvrait la porte et ôtait le manteau de fourrure de son maître. Liberace faisait alors une blague, comme quoi il possédait le seul manteau en fourrure qui disposait de son propre service de limousine. Pendant une tournée, Thorson avait dansé avec les Rockettes. Liberace le surnommait Booper (« chiot », ou « toutou » ou toute autre expression hypocoristique, ndt), et le traitait à la fois comme un fils, un amant et un animal de compagnie. Thorson était cocaïnomane depuis plusieurs années. Selon les dires de Thorson dans son livre Ma Vie avec Liberace, cela a commencé quand Liberace lui a imposé une chirurgie esthétique. Dans un premier temps, il lui fallait perdre 15 kilos, et un médecin peu recommandable lui avait prescrit une mixture de drogues variées pour l’aider à perdre du poids. La cocaïne pharmaceutique en était un des ingrédients.

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Liberace et son protégé Scott Thorson

Un peu plus tard, une fois l’opération terminée, Thorson a été façonné à la manière d’une version plus jeune de Liberace. Mais il est resté dépendant à la cocaïne. Au moment où Diles a déboulé par la porte d’entrée en traînant Holmes, Thorson était avec Eddie dans sa chambre, à s’envoyer des doses. Nash était vraiment en colère. « Je les mettrai à genoux ! » répétait-il à Thorson. « Je leur donnerai une bonne leçon ! Ils ne risquent plus de voler qui que ce soit ! » Thorson a été prié de sortir, puis Nash a fermé la porte. Diles a giflé Holmes, l’a lancé à travers la pièce et poussé contre un mur. « Comment as-tu pu faire une chose pareille ?! » a grondé Eddie Nash. Diles l’a frappé une fois de plus. « Je te faisais confiance. Je t’ai tout donné ! » Nash et Holmes s’étaient rencontrés trois ans auparavant au Seven Seas. Nash raffolait de pornographie. Il avait investi dans des films, et louait des espaces de bureaux à plusieurs sociétés en lien avec le milieu. Holmes en était un des grands noms et Nash aimait l’avoir à ses côtés. Il le montrait à tous ses invités : « J’aimerais vous présenter M. John Holmes. » De son côté, Holmes faisait tout ce qui était en son pouvoir pour Nash. Il lui ramenait souvent des filles. Le jour de Noël 1980, il lui avait même présenté Jeana. Nash lui rendrait la pareille avec 10 g de cocaïne. Holmes voyait en Nash l’être le plus démoniaque qu’il ait jamais rencontré, mais puisqu’il n’arrivait pas à le cerner, il le respectait. Désormais, rien n’allait plus aussi bien entre eux. Holmes était écrasé contre le sol. Diles pointait un pistolet sur sa tête. Nash feuilletait un petit livre noir trouvé par Diles dans les poches de John. « C’est qui là, dans l’Ohio ? » a hurlé Nash. « Qui est cette Mary ? Ta mère ? Qui c’est là, dans le Montana ? Ton frère ? Je vais buter toute ta famille. Je les tuerai tous ! Retourne dans cette baraque ! Récupère ce qui est à moi ! Apporte-moi leurs yeux ! Je les veux dans un sac, et j’oublierai alors ce que tu m’as fait ! Vas-y ! »

En sursis

Jeudi 2 juillet, 3 h 30 du matin. Sharon Holmes a allumé la lumière du porche et regardé par l’œil de bœuf. Mon Dieu, a-t-elle pensé, John. Elle ne l’avait pas vu depuis trois mois. Ses vêtements étaient déchirés et il était couvert de sang. Il fixait droit devant lui, sans ciller. Elle a ouvert la porte et croisé les bras contre sa poitrine. « — Eh bien ? — Accident… voiture… hum… a-t-il balbutié. Je… peux entrer ? »

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John et Sharon Holmes en des jours plus heureux

Ils sont allés dans la salle de bain. Sharon, infirmière diplômée, a fouillé une armoire à pharmacie bien remplie, en a sorti du mercurochrome et des boules de coton. Elle s’est approchée et, le tenant par le menton, a fait pivoter sa tête de droite à gauche. Étrange, s’est-elle dit, pas de coupures, pas de zones abrasées. Juste du sang. « Tu as eu un accident avec la Malibu ? » John a baissé le regard. Il clignait rapidement des yeux. Ils étaient mariés depuis seize ans, et Sharon savait toujours quand il mentait. C’est probablement la raison pour laquelle il revenait toujours. « Fais-moi couler un bain, veux-tu ? » John s’est glissé dans la baignoire. Sharon s’est assise sur la commode en contreplaqué. Et maintenant ? pensait-elle. Il a plongé la tête sous l’eau, puis s’est couvert le visage avec un gant fumant de vapeur. Enfin, il s’est rassis. « — Les meurtres, a-t-il dit. J’y étais. — Qu’est-ce que tu veux dire ? — C’était de ma faute, reprend John, les yeux remplis de larmes. Je suis resté là, je les ai vus tuer ces gens. — De quoi parles-tu, John ? — Je suis impliqué dans un cambriolage », a-t-il commencé. Il lui a alors raconté toute l’histoire. Le plan, le cambriolage, les menaces de Nash sur sa famille – y compris Sharon. « — Alors je lui ai tout dit, a poursuivi John. Je lui ai dit où vivaient les cambrioleurs, et comment il pouvait s’y rendre. J’étais forcé de les y conduire. — Qui ça ? — Trois hommes, et moi-même. — D’accord, tu les y as conduits… — Oui. La maison avait un système de sécurité. J’ai sonné, et dit que j’avais des choses à remettre à quelqu’un à l’intérieur, qu’ils devaient me laisser monter. Ils ont ouvert le portail de sécurité, et on a gravi les marches à quatre. Quand la porte s’est ouverte, ils ont forcé le passage. J’avais un pistolet sur la tempe. Je suis resté là, contre le mur. Je les ai regardés les battre à mort. — Tu es resté là ? — Je ne pouvais rien faire. — John, comment as-tu pu ? — C’était eux ou moi. Ils ont été stupides, ils l’ont fait supplier de ne pas le tuer. Ils ont eu ce qu’ils méritaient. »

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« Du sang ! Du sang ! Tellement de sang ! » Holmes faisait un cauchemar, gesticulant et gémissant, lançant pieds et poings en l’air. « Tellement de sang ! » gémissait-il sans arrêt. Jeana était morte de trouille. Elle ne savait que faire. Le réveiller ? Le laisser hurler ? C’était un jeudi, le 2 juillet 1981. Après avoir pris son bain chez Sharon, Holmes était revenu au motel de la Vallée. Il avait passé le seuil de la porte, était tombé sur le lit et avait perdu connaissance. Jeana restait calmement assise sur le bord du lit, à regarder la télévision fixée sur le mur. Après un moment, le JT a commencé. L’information principale montrait une série de multiples homicides. ulyces-johnholmes-19Quatre cadavres. Une hécatombe. Une maison sur Wonderland Avenue. Jeana s’est levée pour s’approcher un peu plus de l’écran. Cette maison, s’est-elle dit. Tout commençait à s’expliquer. J’ai attendu devant cette maison. N’était-ce pas là où John allait chercher ses doses ? Les heures ont passé, et John s’est enfin réveillé. Jeana demeurait silencieuse. Ils sont allés au McDonald’s chercher des hamburgers, puis sont rentrés regarder la télévision. Est arrivé le JT du soir. Les flics désignaient les meurtres sous le nom de « Quatre au tapis ». Les victimes étaient Joy Miller, Billy DeVerell, Ron Launius et Barbara Richardson. Le gang de Wonderland. L’arme du crime était un tuyau en métal entouré de ficelle à son extrémité. Des résidus de ficelle avaient été découverts sur les murs, sur les crânes, sur la peau. La maison avait été vandalisée par les assaillants. Du sang et de la cervelle étalés partout, même au plafond. Les corps avaient été découverts par des ouvriers travaillant dans la maison mitoyenne ; ils avaient entendu des râles à l’arrière de la maison : « À l’aide, à l’aide ! » Une cinquième victime avait été transportée vivante. Susan Launius, 25 ans, la femme de Ron. Elle était en soins intensifs, avec de sévères lésions cérébrales et digitales. Les meurtres avaient été si brutaux que la police les comparait à ceux du cas Tate-LaBianca, commis par la famille Manson. Holmes et Jeana regardaient toujours la télévision, au lit. Jeana avait peur de poser son regard sur John. Elle a lentement tourné les yeux et aperçu son profil. Il était transi. Son visage avait perdu ses couleurs. Elle percevait le changement, d’abord sur son front, puis sur ses joues, et enfin sur son cou. Il était devenu parfaitement livide. Jeana n’a dit rien. Après un moment, le JT a cédé la place au bulletin météo. Elle s’est éclairci la voix : « — John ? — Quoi ? — Tu as fait ce rêve, tu sais, dans ton sommeil. Tu disais quelque chose par rapport au sang. » John avait les yeux écarquillés. Il semblait vraiment effrayé. Elle ne l’avait jamais vu avoir peur. « Ouais, euh… a-t-il commencé. J’ai… hier, en ouvrant le coffre de la voiture, je me le suis pris dans le nez et ça a saigné. Ne t’en fais pas. »

Le 10 juillet, la police a frappé à la porte de leur chambre, et arrêté Jeana et John. Les trois jours suivants, Holmes, Jeana et Sharon ont été gardés en détention préventive dans un hôtel de luxe du centre-ville de Los Angeles : gardes armés à l’accueil, dans le hall, et service de chambre. Holmes tentait de conclure un marché avec les policiers. Il demandait un programme de protection des témoins, une nouvelle identité, de l’argent et une maison. Il demandait aussi de nouveaux noms pour Sharon et Jeana. Il offrait de révéler une foule de secrets à la police. Des noms de mafieux, de dealers, de prostituées et de souteneurs. La police, elle, voulait connaître l’identité des meurtriers du gang de Wonderland. Holmes l’a bouclée. « Holmes, il se comportait toujours comme s’il était sur un plateau de cinéma, au premier plan, lumières et caméra braquées sur lui », déclare un détective présent à l’époque. « C’est comme s’il tournait un film. Il était là, avec deux femmes autour de lui. Tous les trois dormaient dans le même lit. Il nous caressait dans le sens du poil, puis nous menait en bateau. Il nous a confié certaines choses. Que nous étions dans la bonne direction, que ça s’était bien passé de telle manière, que le mobile était ceci ou cela, que ça avait été conçu comme ci ou comme ça… Il a tiré sur la corde autant que possible, puis nous a dit qu’il ne témoignerait pas devant un tribunal. On l’a alors laissé tomber. » ulyces-johnholmes-20 Tous trois sont retournés chez Sharon, qui a préparé un dîner. Holmes était allé chercher Thor et les deux chiens de Sharon au chenil. Plus tard, les deux femmes lui ont teint les cheveux en noir. Holmes et Jeana ont peint la Malibu en gris, avec un toit rouge. Ils ont utilisé de la peinture en spray. Ça gouttait, il y avait des striures partout, mais qu’importe. Ils allaient vivre incognito. Minuit, sur le parking d’une supérette Safeway, à Glendale. La Malibu était au repos. Jeana était assise sur le siège passager, Thor blotti dans ses bras. Holmes était appuyé contre le pare-chocs arrière, à fumer une cigarette. Sharon restait debout, les bras croisés. « — Change d’avis. Viens avec nous, Sharon. — Aucune chance, John. — On peut être tous les trois Sharon, comme au bon vieux temps. — T’es pas sérieux, j’espère. — Tu ne peux pas me faire ça, a-t-il dit. — Et pourquoi pas ? Pourquoi ne le pourrais-je pas ? — Parce que je t’aime. » Sharon l’a fixé du regard. À leur premier rendez-vous, il avait apporté une bouteille de rosé et un bouquet de fleurs. Sharon l’avait vu par la fenêtre cueillir les fleurs sur la pelouse du voisin. Désormais, elle faisait non de la tête. Elle a contourné la voiture jusqu’au siège passager. Jeana a sorti la tête par la fenêtre, et elles se sont enlacées. Avec les années, elles étaient devenues comme une mère et sa fille. « Prends soin de lui », lui a demandé Sharon.

Le démon de John Holmes

« — Salut Jeana. — Chris ? C’est bien toi ? — Comment tu vas, sœurette ? — Ça va. Tu appelles d’où ? Tu sembles proche. — Je suis ici. — À Miami ? — Ouais. — Qu’est-ce que tu fais là ? — Ben, je… je suis venu… avec un ami. Écoute, dis-moi où tu te trouves, je viendrai te chercher. » Jeana a raccroché le combiné. Son frère Chris, 16 ans, vivait dans l’Oregon. Elle n’avait pas eu de ses nouvelles depuis, quoi, six mois ? Pas depuis qu’elle avait quitté la maison. Nous étions désormais le 4 décembre 1981. Après avoir quitté la Californie, Jeana et Holmes étaient passés par Vegas, puis par le Montana, pour ensuite filer vers le sud, voir le Grand Canyon et le Painted Desert. Holmes avait forcé quelques voitures au passage. Le couple avait terminé sa course à Miami, dans un petit hôtel délabré de Collins Avenue. Tout le monde là-bas partait à la dérive. Big Rosie, la gérante, avait accepté que Jeana s’occupe du standard, et de faire les chambres en échange d’un loyer. Holmes travaillait dans le bâtiment, peignant la façade d’un hôtel plus loin sur l’avenue. Pour se faire un peu plus d’argent, Jeana faisait quelques passes sur la plage. « À l’hôtel, tout le monde a fini par nous connaître », se souvient Jeana. « Nous nous entendions très bien. John dessinait beaucoup. Il faisait des dessins du chien, de moi. Nous dînions avec d’autres clients de l’hôtel, nous allions au cinéma. Nous étions comme un couple normal. Après un certain temps, j’ai dit que je ne voulais plus aller sur la plage. Nous nous sommes disputés. J’ai quitté la chambre, filé vers la piscine et il m’a couru après, l’idiot. Tout le monde était là. Il m’a foutu une raclée, puis il est remonté à la chambre. Les gens étaient sous le choc. » ulyces-johnholmes-21 Le jour suivant, pendant que Holmes était au travail, une délégation de résidents est venue trouver Jeana. Une mère et sa fille lui ont offert de l’aider. La fille avait un enfant et du travail. Elle s’installait dans une nouvelle maison. Accepterait-elle d’être sa fille au pair ? Jeana a ramassé son sac, récupéré Thor et mis le pistolet de John dans son sac à main. C’était le 4 décembre, et elle n’avait pas vu John depuis déjà deux semaines. Son frère était en ville ; quelque chose clochait. Chris n’avait pas de permis de conduire. Comment pouvait-il bien louer une voiture ? Ils ont acheté des boissons, sont allés au parc et se sont assis près d’une mare. « — Jeana, il faut que je te dise. Tu vois cette voiture ? Ce sont des flics. — Espèce de… » Jeana s’est levée pour partir, mais Chris l’a rattrapée. — Écoute, lui a-t-il dit en la tenant par le coude, des gens sont à la recherche de John, et ils pensent que tu es avec lui. Il va t’arriver un malheur. Dis aux flics ce qu’ils veulent savoir, sinon John sera mort d’ici quelques jours. Tu peux sans doute lui sauver la vie. » Quand la police est arrivée à son hôtel, John était là. « Je vous attendais », a-t-il dit. Après quoi il leur a proposé du café.

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« Comment vas-tu John ? » a demandé l’homme au costume gris, se penchant contre la barrière du lit. « John ? Tu te souviens de moi ? » Février 1988, sept ans après les meurtres. Une chambre ensoleillée de l’hôpital des vétérans de Sepulveda, en Californie. L’homme au costume gris était l’inspecteur de la police de Los Angeles, Tom Lange. Derrière lui se trouvait son coéquipier, Mac McClain. Le dossier Wonderland était toujours en instruction. Ils avaient quelques questions à poser à John Holmes. « Nous voulons te parler d’Eddie Nash », a continué McClain. « John ?… Tu te souviens d’Eddie ?… John ? Tu es réveillé ? » Ses paupières ont cligné. Il ne pesait plus que quarante kilos, ses ongles mesuraient cinq centimètres de long. John Holmes était en train de mourir. Suite à son arrestation à Miami, Holmes avait été jugé pour le meurtre du gang de Wonderland. Sa défense était simple : il était la « sixième victime » dans les meurtres de Wonderland, et Eddie Nash était « l’incarnation du Diable ».

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« L’acteur porno John Holmes arrêté pour une affaire de meurtre »

« Mesdames et messieurs », avait déclaré son avocat au jury en ouverture du procès, « contrairement à bien des mystères, il ne s’agit pas de savoir ici qui est le coupable. Il s’agit de savoir pourquoi les responsables ne sont pas présents devant vous. » En fin de compte, la preuve la plus accablante que l’accusation avait pu produire se résumait à une empreinte digitale retrouvée sur une tête de lit, au-dessus d’une des victimes. Holmes avait refusé de témoigner. Le jury l’avait déclaré non coupable. Holmes est toutefois resté en prison, concernant l’affaire non résolue du cambriolage. En attendant le jugement, il avait été sommé par un juge de raconter devant le grand jury ce qu’il savait des meurtres de Wonderland. Parce qu’il avait déjà été jugé, Holmes ne pouvait plus invoquer le cinquième amendement de la Constitution. Selon la loi, il devait parler. Mais il avait refusé. Il avait sous-estimé Nash une fois, et ne comptait pas recommencer. Nash le tuerait, lui et sa famille, s’il parlait. Il en était certain. Il était ainsi resté en prison pour outrage à la cour. Derrière les barreaux, Holmes avait fait une grève de la faim. Deux semaines plus tard, il n’avait perdu que trois kilos. Les gardiens affirmaient que d’autres prisonniers lui donnaient des barres chocolatées. Plus tard, on a affirmé que Holmes avait interrompu son jeun, avalé un repas, puis l’avait repris.

Finalement, l’après-midi du 22 novembre 1982, Holmes a cédé et témoigné. Il avait déjà fait onze mois de prison, dont 110 jours pour outrage. Son avocat a expliqué son revirement aux journalistes par « certains arrangements », faits sous « certaines circonstances » qui avaient surgies. Il se peut qu’il ait fait référence à l’emprisonnement, le matin du même jour, d’Eddie Nash, pour trafic de stupéfiants. Immédiatement après les meurtres, Nash et Diles s’étaient retrouvés dans de sales draps. Il y avait eu trois descentes de police à la maison de Nash. Chaque fois, des drogues, de l’argent et des armes avaient été saisis. Chaque fois, Nash avait été libéré sous caution. Nash a alors été arrêté avec trois autres personnes pour racket, incendie criminel, fraude postale et arnaque aux assurances. Les trois co-conspirateurs de Nash ont été déclarés coupables, et Nash acquitté. Finalement, Diles et Nash ont terminé en prison. Diles a pris sept ans suite à des accusations liées aux descentes de la police et à la drogue trouvée. Nash a été déclaré coupable de possession d’un kilo de cocaïne destinée à la vente. Au tribunal, son avocat a tenté d’expliquer que cette cocaïne, d’une valeur de plus d’un million de dollars, n’était pas destinée à la vente, mais strictement pour son usage personnel. Pendant les suspensions d’audience, Nash courait à sa voiture prendre de la free-base. Il avalait alors quelques Quaaludes et revenait. Son avocat avait engagé un jeune associé pour piquer Nash avec une épingle à chaque fois qu’il s’endormait au tribunal. Le juge de cette affaire était Everett E. Ricks, Jr. Si l’on s’en réfère à ses commentaires, il était évident que Ricks, un jusqu’au-boutiste, considérait Nash comme un véritable poison. Ricks a même quitté le lit alors qu’il était malade pour délivrer sa condamnation à Nash. Toussant dans son micro, Ricks traitait Nash de « danger public » et lui a donné la peine maximale, soit huit ans de prison ferme et une amende de 120 350 dollars. Deux ans plus tard, Ricks a réduit la condamnation, et Nash s’est vu libérer. Ricks a évoqué à cette occasion le besoin de Nash de subir une délicate opération de chirurgie pour l’ablation d’une tumeur sinusoïdale. « Je ne voudrais vraiment pas être opéré dans la prison de San Quentin », a ajouté Ricks avec empathie.

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Holmes en 1986

Deux ans plus tard, Ricks était lui-même forcé à contrecœur de subir un examen psychiatrique. L’ancien juriste de 52 ans avait été arrêté après avoir supposément frappé sa mère de 82 ans, et menacé de tuer une personne si elle ne lui donnait pas ses clés de voiture… À sa sortie, Nash a déclaré à un ami que la prison lui avait sauvé la vie. Il s’est installé dans un modeste appartement de Tarzana et s’est reconstruit, en suivant des cours de commerce du soir à la fac. Les drogues, l’inattention, les arriérés fiscaux et le salaire des avocats avaient sérieusement réduit sa fortune. Pendant ce temps, Holmes avait recommencé à tourner des films. À sa sortie de prison, Holmes était extatique. Il avait accueilli les journalistes, dîné avec son avocat, puis appelé Sharon. Elle lui a hurlé de « sortir de sa vie ». Il ne pouvait pas appeler Jeana. Personne ne savait où elle était. Holmes n’avait rien à faire, nulle part où aller. Son avocat lui a prêté une Volkswagen Beetle et 100 dollars, et Holmes est allé chez son ami Amerson. Alors que John était en prison, Amerson avait monté une société baptisée John Holmes Productions. Il distribuait les vieux films de Holmes en vidéo. Comme tous les acteurs porno, John avait été payé au cachet, et avait renoncé aux droits de ses propres films. Son vieil ami n’était que trop content de les racheter. « Voyons les choses en face », dit Amerson, « John était un produit. Je l’ai vendu. Il n’est question que de ça. C’est le business. » Avec toute la publicité faite autour des meurtres, John Holmes était presque devenu un sujet de société. Le marché de la vidéo venait tout juste d’éclore, et John était un peu le Marlon Brando du porno. Il n’était plus la vedette, mais l’invité de luxe. Dans California Valley Girls, par exemple, il n’avait qu’une seule scène : il entre dans le champ, s’assied sur un canapé. Une fille entre par la droite. Puis une autre, et encore une. À la fin, elles sont six à s’occuper de lui.

Début 1983, Holmes tournait Fleshpond dans un studio de San Francisco. Une des actrices sélectionnées était Laurie Rose. Elle avait 19 ans et venait d’une petite ville en dehors de Vegas. Dans le milieu, elle était connue comme Misty Dawn, la reine de l’anal. « La première fois, nous n’avons pas eu de scène ensemble », explique Laurie, « mais nous avons senti une attirance. Ça peut paraître idiot, mais vous voyez ce que ça fait, quand vous rencontrez quelqu’un pour la première fois et que vous avez l’impression de le connaître depuis toujours ? » Après le film, John et Laurie, qui ressemblait à Jeana, ont débuté une relation. En gros, ils fumaient de la free-base et couchaient ensemble. Puis, raconte Laurie, « la troisième fois, il est venu me voir avec un miroir et m’a dit : “Tu veux une ligne ?” Je me suis tournée vers lui et lui ai répondu que non. Il était surpris. Il m’a demandé pourquoi et je lui ai répondu : “Parce que ça me rend bizarre et que je ne peux plus parler.” Il s’est alors enfermé seul dans la salle de bain. Il y est resté quelque chose comme trois heures. J’étais là, à me tourner les pouces. Il en est finalement sorti et m’a dit : “Tu sais quoi ? Ce truc me rend bizarre, moi aussi. Je vais arrêter.” » Avec le temps, John et Laurie se sont installés chez Amerson. Quand ce dernier a augmenté le loyer à 400 dollars, ils ont pris leur propre appartement à Encino. John a continué de tourner, mais il a demandé à Laurie d’arrêter. « Il trouvait qu’une personne de la famille dans le porno, c’était assez, dit-elle. Il y avait aussi le sida qui commençait à faire parler. Personne n’avait encore été contaminé, mais tout le monde y pensait. Il se disait : “Si je dois prendre le risque, c’est suffisant.” » Apparemment, Holmes avait tenu sa promesse et cessé de se droguer. John et Laurie restaient souvent à la maison à regarder des vidéos. Durant les weekends, ils se rendaient à des brocantes et des vide-greniers. « Personne ne venait à la maison », dit Laurie. « Personne ne savait où nous habitions. D’après John : “Un ami, ça peut être fatal.” Nous prenions nos précautions. Et puis, Eddie Nash est sorti de prison, et John était vraiment inquiet. On faisait des rondes de vingt-quatre heures. Pendant trois semaines, l’un de nous a dû rester éveillé. On se serait cru dans un film. »

Fin 1984, John travaillait comme cadre chez VCX films, une société appartenant à Amerson. Il était supposé gérer les ventes, la pré-production, l’écriture et le montage des films, en plus de jouer dedans. Amerson raconte que Holmes passait le plus clair de son temps à jouer aux cartes ou aux fléchettes. Quand VCX a réduit son salaire, Amerson a investi dans une nouvelle société : Penguin Productions. Holmes devait la diriger, et Laurie en être la secrétaire. « John en avait assez de ce milieu, confie-t-elle. Il voulait se faire un million de dollars, puis partir et en finir. » Mais à l’été 1985, John a été testé positif. Il avait contracté le virus du sida. « Il a pété les plombs, raconte Amerson. Il a paniqué, tourné en rond dans le bureau du docteur, jetant sa mallette par terre. Il a crié : “Je vais mourir !” puis il est monté en voiture et s’en est allé. » « Quand il est revenu, poursuit Laurie, il en riait. Nous avons fermé le bureau, et nous sommes allés à la plage. Nous avons joué nos chansons préférées, marché et parlé. John disait qu’il avait été “choisi” pour contracter le sida, à cause de la personne qu’il était, de son mode de vie. Il pensait être un exemple. »

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John et Laurie

Mais John a continué à tourner quelques temps. Son dernier film serait The Rise and Fall of the Roman Empress, avec Ilona « Cicciolina » Staller, qui deviendrait plus tard membre du Parlement italien. À l’époque de sa sortie en 1987, la santé de Holmes avait commencé à décliner. Dans le milieu, on disait qu’il avait un cancer du côlon. Holmes racontait que les médecins lui avaient retiré cinq mètres d’intestin. La réalité était que Holmes avait été opéré des hémorroïdes. À cette époque, il développait aussi des complications dues au sida. Quant à Amerson, il a accusé son ami d’avoir escroqué la société de 200 000 dollars. Il a viré Holmes et annulé sa mutuelle. « John était vraiment malade à ce moment-là, dit Laurie. On déménageait souvent car les loyers augmentaient tout le temps. Je travaillais comme programmeuse informatique. John restait juste à la maison. Il souffrait tant qu’on ne pouvait même pas le toucher. Il ne pouvait plus marcher. Ses jambes et ses pieds étaient enflés, ses oreilles saignaient, il avait une infection pulmonaire. Son opération chirurgicale ne voulait pas non plus cicatriser. Il était en colère contre le milieu. Il avait produit des millionnaires, et nous étions sans le sou. Il appelait certaines personnes qui lui répondaient : “Bien sûr, on va vous aider.” Mais il n’a jamais eu l’argent qu’on lui promettait. » Le 24 janvier 1988, John et Laurie se sont mariés à la Petite Chapelle des Fleurs, à Las Vegas. C’était une cérémonie toute simple. La mariée était en blanc. « C’était un véritable calvaire pour lui, explique Laurie. Il savait qu’il allait mourir. Il savait que nous n’aurions pas de vie à deux. » En février, Holmes a été admis à l’hôpital des vétérans de Sepulveda. Peu après, les inspecteurs Lange et McClain ont appelé l’hôpital. Ils voulaient voir Holmes.

Après sept années, le procureur rouvrait l’affaire Wonderland, en partie à cause du témoignage que venait de donner Scott Thorson, l’ex-amant de Liberace. Thorson, qui attendait son jugement dans une affaire de drogues et de braquage à main armée, avait conclu un marché avec la police. Il était prêt à dévoiler qu’Eddie Nash avait envoyé Holmes et Diles à Wonderland Avenue, et que Nash se sentait responsable du « carnage » qui en avait résulté. La police voulait désormais le témoignage de Holmes. Laurie attendait à la porte quand Lange et McClain sont apparus dans le couloir. « John, ils arrivent », a-t-elle chuchoté. Holmes a hoché la tête, éteint sa cigarette et fermé les yeux. « Il était incohérent », assure Lange. John Holmes est mort le 13 mars 1988. « Ses yeux étaient ouverts, raconte Laurie. On aurait pu croire qu’il regardait la Mort en face et lui disait : “Me voilà.” Il s’agit du regard le plus paisible que j’aie jamais vu. J’ai tenté de fermer ses paupières, comme dans les films, mais elles ne voulaient pas rester closes. » Holmes ne voulait pas de cérémonie funéraire, mais il avait un dernier vœu. « Il voulait que je voie son corps, et que je m’assure que tout était bien là, affirme Laurie. Il ne voulait pas qu’on mette un certain morceau de lui dans du formol quelque part. J’ai vu son corps nu, puis je les ai vus mettre le couvercle sur le cercueil, et celui-ci au four. Nous avons dispersé ses cendres dans l’océan. » Six mois plus tard, le 8 septembre 1988, Diles et Nash ont été inculpés des meurtres de Wonderland Avenue. Après une audience préliminaire en janvier 1989, à laquelle Thorson et d’autres ont témoigné, Nash et Diles devaient comparaître le même été ; ils sont actuellement détenus sans possibilité de libération sous caution à la prison de Los Angeles. Leurs avocats maintiennent que leurs clients sont innocents et questionnent la crédibilité des témoins présentés par l’accusation. « Vous savez, dit l’inspecteur Lange, il n’y a aucun mystère dans cette affaire. Chaque fois que vous lisez quelque chose, on en fait un grand mystère. Pareil à la télé. Ou bien dans cette émission à New York, A Current Affair. Un bon gros mystère. Comme avec les extra-terrestres. Mais il n’y a aucun mystère. John Holmes ne nous a quittés qu’à cause du sida, et rien d’autre. Il nous avait déjà tout raconté à l’époque des faits. » « C’est une chose que de raconter des faits à quelqu’un, reprend Lange. Mais c’en est une autre de témoigner devant un tribunal. » ulyces-johnholmes-25


Traduit de l’anglais par Gwendal Padovan d’après l’article « The Devil and John Holmes », paru dans Rolling Stone. Couverture : John Holmes et L.A., dans les années 1980. Création graphique par Ulyces.