Larry David observe un sac de postier en cuir brun posé sur le sol d’un studio situé à l’étage d’un immeuble de la 42e rue, lorsqu’il déclare, sans s’adresser à quiconque en particulier : « — Je n’avais jamais eu de sac à main avant. Et là, tout d’un coup, j’en ai un. — Ce n’est pas vraiment un sac à main, corrige sa partenaire Rita Wilson. C’est une sacoche. — Non, insiste-t-il, c’est un sac à main. Il y a des trucs dedans qui font très sac à main. — Sa sangle est trop longue, réplique Wilson. — Jusqu’où tu trimbales ça ? demande Anna Shapiro, la metteuse en scène. Ce serait un sac à main si seulement tu devais le mettre dans une voiture. » Mais il n’en a pas fini au sujet des effets personnels. David renchérit en parlant du sac à dos à roulettes dont il se sert pour voyager, et de l’habitude qu’il a de toujours mettre ses bagages dans la soute de l’avion pour ne pas avoir à les soulever jusqu’au compartiment supérieur (son imitation du mouvement relève du pantomime dédaigneux, comme si ce geste soulignait une faiblesse de sa part).

La 42ème rue à New York, temple du stand up et du théâtreCrédits

La 42e rue à New York, temple du stand-up et du théâtre
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Par un jeudi après-midi, il y a peu, David, Wilson et le reste de la troupe répétaient Fish in the Dark, la première pièce de théâtre de David en tant qu’auteur et – exception faite d’apparitions dans des pièces scolaires en primaire et au collège – en tant que comédien. David a eu l’idée d’écrire cette pièce grâce à son ami Llyod Braun, un responsable de divertissement dont le père, puissant avocat de Beverly Hills spécialisé dans le droit de la musique, venait de mourir après trois jours sous surveillance médicale. « On commençait la Shiv’ah », se souvient Braun, « Larry était venu chez moi le premier jour, et je lui ai raconté un tas d’histoires sur les récents événements, car certaines étaient folles et hilarantes. Par exemple : un cousin éloigné qui débarque d’on ne sait où parce qu’il veut se lancer dans le showbiz. Pour moi, cette histoire avait du potentiel. Là, on a commencé à se dire qu’il y a un sketch incroyable à faire. Et Larry a dit tout de suite: “Ça, c’est une pièce pour Broadway.” »

La création

On pourrait se demander pourquoi Larry David, qui a déjà connu le succès en tant que co-créateur de Seinfeld et en tant qu’auteur-réalisateur de Curb Your Enthusiasm (Larry et son nombril en français), série diffusée sur HBO, a aussitôt pensé à monter une pièce de théâtre. La première raison pourrait être que le nombre limité de décors suggérait une production scénique. Mais David avait également été intrigué par la pièce de son amie Nora Ephron, Lucky Guy, en assistant à une représentation. Il s’était alors imaginé le frisson provoqué par le rire du public en direct. À peine avait-il quitté la salle qu’il s’est lancé dans l’écriture de Fish in the Dark. Plus tard, il a reçu un mail du producteur Scott Rudin : « Tu as écrit une pièce ? Tu te sens bien ? » David n’avait pas l’intention de jouer dans la pièce, mais Rudin l’a persuadé que le public le voudrait dans le rôle (aux côtés, entre autres, de Rita Wilson, Rosie Perez, Ben Shenkman, Lewis J. Stadlen et Jayne Houdyshell). Le producteur a aussi choisi d’associer David avec Shapiro, qui avait déjà fait ses preuves dans le domptage des spécimens étrangers au théâtre, qu’elle préparait pour Broadway, comme Chris Rock avec The Motherfucker With the Hat, ou Tavi Gavinson avec This Is Our Youth. David l’a très vite entraînée dans son univers bien à lui, en lui demandant par exemple pourquoi il fallait se changer en arrivant au théâtre ? Pourquoi ne pourrait-il pas venir vêtu du premier des cinq ou six costumes qu’il porte dans la pièce ? « Au début, j’ai pensé que c’était une question bête », avoue Shapiro. « Et puis, je me suis dit : “Ne pourrait-on pas lui donner une malle de vêtements qu’il emmènerait à son hôtel ?” Il a rétorqué : “Oui, je n’aime pas me déshabiller n’importe où.” »

Fish in the dark, la première pièce de Larry DavidCrédits

Fish in the Dark, la première pièce de Larry David
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David est dégingandé et ne tient pas en place. Pendant la répétition, entre les répliques d’une scène se déroulant autour d’un lit de mort à l’hôpital, il est agité, mâche du chewing-gum, se balance d’un pied sur l’autre, fait les cent pas, enlève sa veste en velours côtelé, étire son écharpe derrière sa tête comme s’il s’agissait d’un élastique de fitness, et fait des allers-retours jusqu’à une table où se trouve tout un éventail de choses dont il peut se gaver : un paquet de chewing-gums Trident White, une boîte de réglisses Altoids, ou encore une boîte en étain contenant des pastilles Rescue en forme de losanges. David doit s’imprégner d’un personnage répondant au nom de Norman, mais il aurait tout aussi bien pu être en train de jouer dans une adaptation théâtrale de Curb Your Enthusiasm. Son intonation comique est si prononcée, ses manières et ses cadences si singulières, et les reliquats de Seinfeld et de Curb Your Enthusiasm si présents, que presque chaque parole et chaque geste s’apparentent au personnage qu’il se façonne depuis des années : un défenseur tantôt pleurnichard, tantôt assuré de sa vision particulière du contrat social. Dans le cas de Jason Alexander, qui a pu étudier Larry David de près alors qu’il jouait son alter ego, George Costanza, dans Seinfeld, c’est un tic nerveux de David qui lui a donné le déclic pour l’interprétation du personnage : « Quand on lui dit quelque chose qui le coupe dans son élan, la mâchoire lui en tombe, et Larry presse alors sa langue contre ses dents du bas. Il va balancer la tête d’un côté ou de l’autre, la hocher par intermittence, et hausser les sourcils à chaque hochement, comme s’il était en train de réfléchir à la véracité de ce qu’on vient de lui dire et aux réponses, ou non-réponses potentielles qu’il pourrait donner. »

Les scènes que je l’ai vu répéter incluent bon nombre des obsessions de David, dont la cupidité et l’égocentrisme.

Malgré les craintes qu’a David de voir l’intrigue de Fish in the Dark gâchée par des révélations prématurées, Rudin résume la pièce comme étant « l’histoire d’un type qui, suite à la mort du patriarche de sa famille – que personne ne voyait vraiment comme un patriarche –, laisse les relations familiales se dégrader pour finalement se retrouver pieds et poings liés entre sa femme et sa mère. » Entre les mains de David, cela promet une cascade de mesquineries à n’en plus finir, au cours de laquelle devrait s’insérer théoriquement un moment de chagrin en toute sobriété. Les scènes que je l’ai vu répéter incluent bon nombre des obsessions de David, dont la cupidité, l’égocentrisme, la malhonnêteté, les offenses faites à autrui et la gêne occasionnée par le fait de donner un pourboire. Mais outre les nombreuses aliénations comiques qu’on lui connaît, la pièce laissera plus de place à une structure dramatique traditionnelle, du moins comparée à Seinfeld – où le credo sur le lieu de tournage était « pas de câlins, pas de savoir » – ou à Curb Your Enthusiasm, qui se distinguait aussi par l’absence d’évolution de ses personnages.

Le personnage

Cet après-midi-là, alors qu’il se prépare à répéter une scène du deuil, David a besoin d’éclaircir un point. Shapiro lui dit qu’un moment de la pièce (quand Norman se voit gratifié d’un « bad hello » pendant l’enterrement) est repris d’une scène de Seinfeld. Sceptique, David demande alors son avis à l’un des scénaristes de la sitcom, qui ne s’en rappelle pas non plus. « — Je peux te raconter l’épisode, je peux te réciter le dialogue, insiste Shapiro qui connaît la série sur le bout des doigts. Ne me sous-estime pas là-dessus, Larry David. — C’est drôle, rétorque David, parce que je me rappelle le moment où j’ai noté l’idée de cette scène, et c’était pendant un hommage à Nora Ephron, bien après Seinfeld. — Tu sais quoi, reprend Shapiro, ton humour touche l’inconscient collectif. Je ne sais pas quoi te dire. » Comme David n’est toujours pas convaincu, Shapiro se lance dans un récit détaillé de l’intrigue de l’épisode, tandis qu’un membre de la troupe confirme ses souvenirs via Google. David secoue la tête et dit qu’il ne peut plus répéter ce passage. « J’ai eu deux fois la même idée », a-t-il reconnu plus tard. Il a supprimé la scène de la pièce.

Le Manhattan Plaza, résidence d'artistes qui a abrité de nombreux acteurs, dont Larry DavidCrédits

Le Manhattan Plaza, résidence d’artistes qui a abrité de nombreux acteurs, dont Larry David
Crédits : Google

Après les répétitions, David et Shapiro partagent un taxi jusque dans l’Upper East Side. « C’est mon ancien immeuble », remarque David alors que nous passons à côté d’un gratte-ciel pour artistes subventionnés dans la 43e rue, où il a vécu dans les années 1980. Nous sommes en plein dans la vague de froid de début janvier. Alors que la voiture accélère, longeant les tuyaux de vapeur qui se gonflent et les New-Yorkais emmitouflés qui marchent d’un pas rapide, Shapiro consulte une appli météo sur son smartphone, et déclare qu’à cet instant, il fait -15°C, mais qu’on dirait plutôt un bon -23. « — Tu sais, je ne crois pas à ces “on dirait que”, lance David. — D’accord, lui répond Shapiro, mais tu dis ça comme quelqu’un qui aurait passé trop de temps sous un climat chaud. — Tu peux me donner la température, ce sera seulement la température. -15, c’est -15. — S’il fait -15 et qu’il n’y a pas de vent, il fait -15, insiste-t-elle. Mais s’il fait -15 avec du vent, ce n’est pas pareil. — Oh, à -15 on peut bien se dire qu’il va y avoir du vent », rétorque David.

Petit bain de foule pour la star de Fish in the darkCrédits : Twitter

Petit bain de foule pour la star de Fish in the Dark
Crédits : Twitter

Cette sémantique des températures amène David à repenser à un psychothérapeute, consulté quelques années plus tôt, auquel il avait raconté un rêve dans lequel il conduisait un bus. « Il me dit : “Eh bien, le bus, c’est votre maison.” Je réponds : “D’accord et du coup, ma maison c’est quoi ?” » L’histoire prête à confusion, dans la mesure où David n’a jamais suivi de  thérapie et ne peut pas supporter l’idée d’en suivre une. « Donnez à un type une copine et un super boulot, il n’aura pas besoin de psy, voilà ma théorie », m’a-t-il confié. « — Ces types de la publicité ont vraiment peur de moi, lance-t-il avec un gloussement machiavélique. — Je ne vois pas pourquoi, reprend Shapiro. Tu me fais paraître conciliante, et je t’en remercie. » Le Larry David de Curb Your Enthusiasm est un grincheux misanthrope qui n’a cure des mondanités. David a façonné lui-même son personnage à l’image de l’homme qu’il aimerait être, s’il n’était pas entravé par les contraintes sociales. Mais ses amis ont l’habitude de devoir expliquer qu’il n’est pas vraiment celui qu’on voit à l’écran. Ils le décrivent en employant des termes si inappropriés qu’ils en deviennent choquants, comme « terriblement gentil » (Jason Alexander), « aimable » (Jeff Garlin), ou « généreux sur tous les plans » (Steve Adams). Shapiro confie qu’elle se méfiait, au début. « Je pensais qu’il serait névrosé, et d’une manière pas très amusante. Je pensais que je me confronterais à la part d’ombre cachée derrière son humour. Et finalement, ça n’a pas été le cas. J’ai découvert quelqu’un d’incroyablement chaleureux, de très amical, vraiment gentil et très respectueux dans ses relations, très généreux. Je n’ai pas assez de vocabulaire pour le décrire en tant que personne. »

David a le don d’identifier et d’extrapoler un désastre potentiel dans des situations quelconques.

David est une personne dont le cerveau capte les « bugs » dans les interactions sociales, ceux que beaucoup de gens remarquent à peine, ou choisissent d’ignorer. Il en perçoit le potentiel comique et griffonne les idées qu’ils lui inspirent dans le cahier à couverture en cuir qu’il emmène partout avec lui. « Il est courant de voir Larry David marcher dans la rue et fixer quelque chose du regard », affirme Ricky Gervais, « et là, on se met à rire parce qu’on sait à peu près ce qu’il pense. » Le vrai David « sait distinguer les piques, les insultes et le rabaissement, mais il n’y répond pas forcément », explique Alexander. Dans la vraie vie, David est du genre à vous dire « c’est un plaisir de vous rencontrer », et à se détourner de son chemin pour jeter un trognon de pomme dans la bonne poubelle. Par ailleurs, contrairement à son personnage dans Curb Your Enthusiasm, il a des enfants, deux filles, étudiantes à l’université, avec lesquelles il adore discuter via FaceTime. Son talent artistique réside principalement dans sa capacité à échafauder des intrigues à la structure complexe et à l’orchestration élaborée, résolues par un unique dénouement qui explose telle une bombe à fragmentation. Néanmoins, les remarques et les incidents typiquement « davidesques » sont tirés à la fois de sa vie et de sa vision du monde. Par exemple, David a réellement participé à un concours de masturbation comme celui qui se déroule dans « The Contest », l’épisode de Seinfeld qui a permis à la série de remporter un Emmy Award. Dans un autre épisode, George Costanza, vexé, démissionne, puis retourne au travail le lendemain comme si de rien n’était – c’est inspiré de David, qui a fait la même chose. La série est remplie de véritables noms : ceux des amis de sa tante qui vivent avec elle dans un village retraite en Floride où, chaque matin après la diffusion de l’épisode hebdomadaire, on s’agitait autour de la personne dont le nom avait été cité. David a le don d’identifier et d’extrapoler un désastre potentiel dans des situations quelconques. « Larry David, c’est une Edith Wharton barbare », déclare Larry Charles, scénariste et réalisateur ayant travaillé avec David par intermittence pendant plus de trente ans. « Quand je mange avec lui et que le repas part en vrille pour des raisons très larry-davidesques, ce qui arrive presque à chaque fois, il est tout à fait conscient de ce qui se passe, et il s’imagine ce qui pourrait arriver, comme s’il simulait une comédie sur un échiquier en trois dimensions. Il échafaude des théories sur les conséquences probables. » Robert Weide, qui a produit les cinq premières saisons de Curb Your Enthusiasm, se souvient de « tellement de fois où il sortait ce petit carnet pour y écrire une idée inspirée de ce qui pourrait mal tourner ».

Larry David en pleine discussion dans la rue, à New YorkCrédits

Larry David en pleine discussion dans une rue new-yorkaise
Crédits : Twitter

David, comme le dit Jerry Seinfeld, est quelqu’un à qui il semble arriver des choses amusantes par hasard (bien que, parfois, il les provoque sciemment). Weide se rappelle un jour où il patientait avec David dans la file d’attente d’une banque, quand, après dix minutes, ce dernier a remarqué que la file n’avait toujours pas avancé et a commencé à se demander à voix haute ce qui se passait. « J’ai pensé : oh non, c’est parti », se souvient Weide. David s’est mis à examiner les guichets et, voyant qu’un des clients était en train de discuter avec une guichetière, il a commencé à s’énerver. « Excusez-moi ? Excusez-moi ? Vous avez l’intention de jacasser toute la journée ? On aimerait tous jacasser aussi, mais on a autre chose à faire. » Dans les années 1970, le comédien Richard Lewis a emmené David avec lui à une thérapie de groupe, puis à une réunion qui se tenait juste après dans l’appartement d’un des membres dudit groupe, situé dans l’Upper East Side. « Je vois Larry se tortiller », raconte Lewis. « Il se lève, et déclare : “Je ne peux pas supporter les pleurnichards dans votre genre, je n’ai pas besoin d’entendre les problèmes des autres, c’est de la merde.” Je riais, mais je lui ai dit de se rasseoir. » David a ensuite fui l’appartement, poursuivi par le groupe. « Il commence à courir sur la Deuxième Avenue, avec cette bande d’Adlériens en manque d’affection aux trousses. Il se la jouait cavalier seul, comme s’il était fichu s’il s’éloignait du groupe. » David s’est réfugié dans une cabine téléphonique. « On était neuf à tambouriner aux vitres de la cabine. Il disait : “Laissez-moi tranquille, je n’ai pas besoin d’une thérapie !” Et nous on criait : “Reviens, on t’aime !” » La frontière ténue entre le vrai Larry David et son alter ego fictionnel le dépasse lui aussi. Quand le personnage de « Larry David » organise une réunion avec les membres de Seinfeld dans un épisode de Curb Your Enthusiasm, et que « Jason Alexander » – qui joue George Costanza dans cette scène – quitte le plateau, « Larry David » décide d’intervenir et de jouer le rôle de Costanza qui est, après tout, basé sur sa personne. Mais durant le tournage, le vrai David a appelé le vrai Alexander et lui a demandé de venir sur le plateau pour l’aider à interpréter les répliques de Costanza. « L’ironie là-dedans », se rappelle Alexander, « était évidente pour tout le monde à part lui. Je lui ai dit : mais George c’est toi, imbécile. »

Le passé

D’après ses souvenirs et ceux d’autres personnes, David n’était pas un enfant amusant. Toutefois, arrivé à la vingtaine, lorsqu’il a commencé à développer sa voix comique, à puiser son jeu d’humoriste dans les absurdités des infractions sociales et dans l’attente constante de l’échec, il a trouvé dans son enfance une source riche d’inspiration. « C’est incroyable qu’un être humain fonctionnel comme lui puisse être issu de ce foyer, sincèrement », raconte Laurie, l’ex-femme de David, en faisait référence à l’appartement de Sheepshead Bay dans lequel Larry et son frère aîné Ken, les enfants de Rose et de Morty David, un ouvrier du textile, ont grandi avec peu d’intimité. Une de leurs tantes vivait dans l’appartement voisin, une grand-mère à l’étage du dessus, et un de leurs cousins a emménagé avec eux. Leur père faisait beaucoup d’heures supplémentaires. « Ce dont je me souviens le plus », raconte Ken David, « c’est de sa main gauche surgissant de derrière la porte des toilettes, tendue vers le haut, avant d’hurler : “Larry, ramène-moi plus de papier toilette !” »

Larry David a grandi dans le quartier de Sheepshead Bay à New YorkCrédits

Larry David a grandi dans le quartier de Sheepshead Bay
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Leur mère, c’était une autre histoire. Elle était « à la fois bruyante, autoritaire et timide », raconte Laurie. Un jour, alors que Morty revenait d’un long voyage d’affaires, il a découvert que sa femme était partie seule en Floride. Ce n’était pas la fin de leur mariage, juste un étrange incident. Rose pensait que Larry ne serait jamais bon à rien, elle a même écrit une lettre à la chroniqueuse de la rubrique conseils du New York Post, Rose Franz-blau, pour la consulter à propos de son fils cadet. Larry raconte : « Ma mère me demandait toujours – même après qu’on soit devenus numéro un : “Est-ce qu’ils t’apprécient ? Est-ce qu’ils vont te garder ? Est-ce qu’ils sont satisfaits de ton travail ? Est-ce qu’ils te disent que tu es doué ? Est-ce qu’ils te complimentent pour ce que tu fais ?” » La fortune de David est estimée à plusieurs centaines de millions de dollars, mais quand Laurie et Larry ont réservé aux parents de ce dernier des billets d’avion en première classe et une chambre dans un grand hôtel pour un séjour à Los Angeles, Rose a fait déclasser les billets en deuxième classe et, découvrant le prix de la chambre d’hôtel, refusé d’y séjourner, puis réservé pour moins cher. Les David étaient fiers de leur fils, mais Rose disait toujours : « Larry, ne gaspille pas ton argent. » Au début des années 1970, le succès de Seinfeld était encore bien loin. David ramait dur, enchaînant les petits boulots (vendeur de sous-vêtements féminins au porte-à-porte, chauffeur…), et vivant dans une location infestée de cafards que possédait son père dans le centre-ville. Sa mère lui a vivement conseillé de voir un psychiatre, qu’elle voulait lui payer. Lorsqu’il a pris la décision de devenir comédien (il avait assisté à des cours de comédie lors desquels il avait découvert que quand il improvisait, les autres étudiants riaient), Rose n’était pas rassurée. « Ma mère s’inquiétait terriblement pour lui », explique Ken, qui occupe un poste de consultant en informatique – un métier plus rassurant pour une mère angoissée. Il rapporte les propos de Rose : « Larry, pourquoi tu ne postulerais pas pour un travail dans l’administration scolaire ? Tu aurais une retraite et on s’occuperait de toi. Pourquoi fais-tu cela ? Es-tu fou ? »

Larry a débuté par le stand up, rencontrant notamment Jerry SeinfeldCrédits

Larry a débuté par le stand-up, rencontrant notamment Jerry Seinfeld
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Dès ses débuts dans le stand-up, la préoccupation de David pour les attitudes et l’éthique de la vie quotidienne était évidente. Il avait un sketch ayant pour sujet la mère de Jonas Salk, dans lequel il imaginait quelle insupportable vantarde elle avait dû être lorsqu’elle parlait de « son petit Jonas ». Un autre sketch commençait ainsi : « Tous les matins, je me réveille et je remercie Dieu de ne pas m’avoir fait riche propriétaire espagnol », parce qu’il ne saurait pas quand choisir entre le tu et le usted, et que cela risquerait de le mettre dans l’embarras. Son jeu était spontané. Certains de ses pairs, comme Jerry Seinfeld, Chris Rock ou Ricky Gervais, sont profondément versés dans l’histoire de la comédie. David, lui, était plutôt un artiste étranger au milieu. « Larry n’a aucune conception de ce qui l’a précédé dans le monde de la comédie, à part Abbott et Costello, et le Sergent Bilko », explique Weide. Cependant, la pureté de son point de vue lui a valu de la part de ses camarades humoristes, qui se rassemblaient au fond des salles où il se produisait pour le regarder jouer, une réputation de comique surdoué. Son succès était en partie dû à son instabilité explosive. Il ne voulait pas se réduire aux expressions passe-partout et mielleuses du stand-up telles que : « Comment allez-vous ce soir ? » Il se fichait de savoir comment allaient les gens. Il pouvait se lancer dans des disputes avec le public et sortir de scène en trombe avant que son apparition ne soit terminée.

Un jour, interrompu soudainement par Rodney Dangerfield, qui avait dit au public que « Larry David » sonnait comme « un nom de coiffeur pédé », David a poursuivi sa prestation, mais, voyant le public inattentif, leur a lancé : « Allez vous faire foutre, vous êtes trop cons ! » avant de sortir. « Parfois, c’était un peu comme de voir une prestation de Johnny Rotten », se souvient Larry Charles. « Je ne réagissais pas bien aux interruptions », admet David. « Ça m’énervait trop, je ne pouvais pas en rire. Je ne pouvais pas croire, parce que j’étais sur scène, que cette séparation entre moi et le public puisse encourager quelqu’un à se comporter comme un vrai con. C’était stupéfiant, ce manque de respect. Dans ma tête, je lui disais : “Quoi ?! Qu’est-ce qui te donne le droit de me parler comme ça ?” » La sensibilité de David aux insultes est demeurée intacte, même après avoir pris des vacances en 1979 et avoir ensuite rejoint l’équipe de Fridays, une pâle copie de Saturday Night Live qui n’a pas fait long feu. Il a déménagé à Los Angeles pour les besoins de l’émission et y a acheté sa première voiture, une décapotable sport de chez Fiat (automatique, parce qu’il n’aimait pas passer les vitesses). Il l’a sortie de chez le concessionnaire et a ouvert le toit. Un quart d’heure plus tard, alors qu’il s’arrêtait à un feu rouge, un homme posté près d’un arrêt de bus lui a crié : « Ton émission, elle craint ! » David a refermé le toit et ne l’a jamais rouvert. Plus tard, pendant la saison durant laquelle il a écrit pour SNL – durant laquelle il n’a réussi à diffuser qu’un seul sketch (qui, typiquement davidesque, disserte sur la nécessité d’avoir des tabourets dans les ascenseurs et sur les conditions dans lesquelles ils devraient être utilisés) –, il a démissionné, furieux, après avoir hurlé sur le producteur Dick Ebersol (c’était celui-ci, le fameux poste auquel il s’est représenté le lendemain comme s’il n’avait jamais démissionné).

Bien entendu, ce qui a tout changé, c’est une association comme il n’en arrive qu’une fois tous les millénaires : celle de David et de Seinfeld.

Même à cette époque, David avait des opinions bien arrêtées sur ce qu’il considérait comme étant drôle. Son ami Steve Adams, qui travaillait avec lui sur Fridays, raconte : « Il produisait du Larry David, mais l’heure de Larry David n’était pas encore venue. » Bien qu’il était adulé par d’autres comédiens, et que sa meilleure amie (et future femme) Laurie était alors agent de réservation pour le compte de David Lettermann, celle-ci n’est jamais parvenue à le faire passer dans Late Night. « Letterman ne comprenait pas son humour », explique Laurie. « Larry ne se produisait pas pour faire des blagues. Enfin si, mais il racontait plutôt des histoires et jouait des personnages, ce genre de choses. » David ne voulait même pas sortir de la ville pour y trouver du travail, ce qui « frisait la folie », dit Laurie. « C’est comme un pilote de ligne qui refuserait de voyager. » Weide n’était encore qu’un jeune responsable du développement quand il a lu le scénario de David pour Prognosis Negative, l’histoire d’un homme terrifié par l’engagement qui se choisit pour partenaire idéale une femme en phase terminale (dont la date d’expiration atterrit sur son bureau). David s’est rendu à quelques réunions, après quoi un cadre plus haut placé lui a dit qu’il trouvait ce script très drôle, mais que le personnage principal n’était ni agréable ni sympathique, et que David devrait faire quelque chose pour qu’il le soit davantage. « Larry y a réfléchi longuement avant de répondre : “Je ne crois pas, non.” C’est ainsi qu’il est devenu mon héros. » David savait où sa réticence à faire des compromis pourrait le mener. Lorsqu’il se promenait dans New York, il repérait les grilles et les auvents qui pourraient lui servir d’abri s’il se retrouvait à la rue. Weide confie : « J’ai carrément eu des conversations avec des amis de Larry à Los Angeles dont le sujet était : qu’est-ce qu’on va faire de Larry quand il n’aura plus les moyens d’avoir un toit sur la tête ? Est-ce qu’on se relaie pour l’héberger, ou est-ce qu’on rassemble des fonds pour l’aider à boucler ses fins de mois ? »

Le succès

Bien entendu, ce qui a tout changé, c’est une association comme il n’en arrive qu’une fois tous les millénaires : celle de David et de Seinfeld, un type que David connaissait grâce aux clubs et qui était devenu un ami proche. Laurie pense que le déclic s’est produit pendant une fête célébrant l’anniversaire de la comédienne Carole Leifer. Durant cette fête, David a offert à Carole deux pages de sketchs écrits pour l’occasion, que Jerry Seinfeld a lu à voix haute, provoquant l’hilarité générale. Quoi qu’il en soit, Seinfeld était alors, à la fin des années 1980, une vedette au succès notoire : la chaîne NBC l’avait contacté pour développer une série. Un soir, chez un traiteur coréen, les deux hommes se sont mis à improviser des blagues sur les objets divers et sans étiquette qui se trouvaient à côté de la caisse enregistreuse, et qui semblaient avoir été bricolés dans une cave. Ils étaient d’accord : ce genre de discours sur « des petits riens » était ce qui devait constituer la série.

Le casting de Seinfeld lors de la cérémonies des Emmy Awards 1993Crédits : Alan Light

Le casting de Seinfeld lors de la cérémonies des Emmy Awards 1993
Crédits : Alan Light

Le phénomène télévisuel qui en a découlé doit beaucoup à la façon dont Seinfeld est parvenu à canaliser David, rendant son humour convenable pour les téléspectateurs, et rendant David lui-même convenable pour le monde de la télévision. Aux débuts de la série, il menaçait constamment de démissionner et rejetait en bloc les remarques de la chaîne. NBC ne voulait pas diffuser un des premiers épisodes, qui se déroulait dans son intégralité dans la file d’attente d’un restaurant chinois (lequel est devenu un des épisodes cultes de la série), mais David s’en moquait. Le fait d’avoir déplacé la diffusion de Seinfeld du mercredi au jeudi a permis à la série de devenir l’immense succès qu’elle est à présent, mais cela avait contrarié David. Son objection : si quelqu’un ne prenait pas la peine de regarder la série le mercredi, pourquoi faudrait-il s’attendre à sa présence un jeudi ? Alors que la série décollait, la vie de David a changé encore de façon significative. Sa relation avec Laurie avait enfin dépassé le stade de l’amitié. « Enfin, il s’est avancé, s’est penché vers moi et m’a embrassée », raconte-t-elle. « Il ne lui aura fallu que six ans. » Ils sont tombés amoureux et se sont fiancés, mais ces fiançailles ont duré trois ans de plus que ce qui était prévu. « À chaque fois qu’on évoquait le sujet du mariage, ou même simplement celui de la bague de fiançailles, son cou se couvrait de plaques d’urticaire écarlates. J’ai fini par le mettre dehors. Il est revenu à la charge, il me traquait dans les restaurants de Los Angeles, il se morfondait, me suivait partout. On a finalement pris un avion pour Vegas. Il voulait qu’on se marie dans un de ces drive-in. Je lui ai dit : débarrasse-toi de cette voiture. C’est le moins que tu puisses faire comme concession. » David avait du mal à se faire aux avantages conférés par son succès grandissant. Au début des années 1990, Seinfeld, qui collectionne les Porsche, a encouragé le co-créateur de leur série à en acheter une. « Il me chantait les louanges de ces voitures », explique David, « et c’est là qu’il m’a parlé de la Tiptronic, un modèle à boîte automatique qu’ils venaient tout juste de sortir. Je me suis dit : et pourquoi pas après tout ! » Il a regretté aussitôt son achat : « C’était comme un costume mal taillé. Ça n’allait pas. Ça ne me correspondait pas. Je me suis senti très gêné. Je n’aimais pas ce que je disais aux gens. Quand j’allais au restaurant, je me garais deux pâtés de maison plus loin, pour évider d’avoir à sortir devant tout le monde. » Deux semaines après avoir acheté la voiture, David l’a ramenée, perdant 12 000 dollars sur le prix d’achat initial.

Larry David sur le tournage de Larry et son nombrilCrédits

Larry David sur le tournage de Curb Your Enthusiasm
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Depuis son divorce en 2007, David vit confortablement mais sans extravagances ni complications, dans une maison à quelques minutes en voiture de celle de son ex-femme, laquelle l’appelle « mon meilleur ami, de nouveau ». « Je n’étais pas ce qu’on peut appeler un mari idéal », m’a confié David. « C’est un scénariste, un producteur, un acteur créatif et brillant qui passe beaucoup de temps plongé dans ses pensées », explique Laurie. « Et passer beaucoup de temps comme cela, ce n’est pas le meilleur moyen d’entretenir une relation. L’autre peut se sentir un peu seul… » Bien que Laurie le décrive comme « le meilleur ex-mari dont vous pourriez rêver », David vit toujours largement dans sa bulle. Jeff Garlin, qui joue le rôle du manager de David dans Curb Your Enthusiasm, le considère comme un humoriste monomaniaque. « Je pourrais être cent fois plus drôle que je ne le suis, si je me focalisais sur ce qui est drôle autour de moi en faisant abstraction de tout le reste », dit Garlin. « Je ne dis pas qu’il est inattentif, mais… si, il est inattentif. » Même son de cloche pour Laurie : « On marchait dans les rues de New York, et on devait tourner à gauche. Il lui a fallu trois pâtés de maison pour réaliser que je n’étais plus avec lui. C’est vraiment arrivé. Je l’ai laissé continuer à marcher et j’étais étonnée de voir jusqu’où il était allé. » Le fait que le co-créateur de la sitcom la plus lucrative de l’histoire soit l’humoriste le plus inemployable de son époque est un paradoxe qui n’a échappé ni à David, ni à ses amis. Malgré tout, bien qu’il s’accorde certains luxes (il possède une BMW i3 électrique et fait partie d’un club de golf huppé), David n’a jamais été quelqu’un de matérialiste. Il aime sa célébrité, notamment parce qu’il s’est forgé un contexte public pour sa vie personnelle. Ces idées et ces comportements qui, auparavant, avaient pu le faire paraître antisocial, sont maintenant perçus comme amusants : Curb Your Enthusiasm lui a permis de se montrer plus agressif.

Les restaurants sont à Larry David ce que les vagins étaient à Georgia O’Keeffe, et les pensées dépressives à David Foster Wallace.

Gervais lui avait suggéré de répondre : « Non merci les gars, c’est pas mon truc » aux paparazzis qui lui demandaient de prendre la pose, et David est revenu le voir en disant qu’il avait essayé et que ça avait fonctionné : au lieu d’être contrariés, les paparazzis s’étaient mis à rire. Alexander se souvient d’avoir vu un de ses amis, qui présentait une émission de radio à Los Angeles, demander à David de participer à cette émission, et l’intéressé de répondre : « Non, je n’en ai pas envie, pourquoi je ferais ça ? » Laurie avoue que leurs filles le grondent et lui demandent d’être plus aimable dans la rue, « mais il répond : “Je n’ai pas à être aimable, tout le monde sait qui je suis.” » David ne nie pas ce témoignage. « Exactement », dit-il. « Être Larry David de Curb Your Enthusiasm est la meilleure chose qui lui soit arrivée de toute sa vie. » La célébrité a aussi grandement facilité les relations amoureuses de David par rapport à la période pré-Seinfeld. Je lui ai demandé s’il ne fréquentait que des femmes d’âge approprié. « Non », m’a-t-il répondu en riant. « Tout dépend de ce qu’on entend par “approprié”… Le truc, c’est que quand je parle à quelqu’un, je ne sais pas de quoi j’ai l’air. Je sais que je suis vieux, mais je n’ai pas l’impression d’être vieux. Vous voyez ce que je veux dire ? Je suis derrière mon visage, je ne peux pas le voir. Si je voyais ma tête, je me dirais : Éloigne-toi d’elle ! Mais je ne me vois pas, donc je ne sais pas à quoi je ressemble à ce moment-là, car rien ne me semble différent. C’est juste ma personnalité qui s’adresse à l’autre. C’est seulement après, quand vous voyez une photo de  vous, que vous vous dites : non, non, tu ne peux pas faire ça. C’est une sensation bizarre… comme si d’un coup, les gens étaient hors de portée. » Pendant qu’il m’expliquait cela, il était assis vers le fond d’un bistrot français à l’est de la 66e rue, le parfait cas de figure. Les restaurants sont à Larry David ce que les vagins étaient à Georgia O’Keeffe et les pensées dépressives à David Foster Wallace. Une grande partie des scènes de Curb Your Enthusiasm a été jouée dans des restaurants, une saison entière de la série est même consacrée à un personnage qui en ouvre un. Aucun aspect de l’univers de la restauration n’a échappé à l’œil de David.

Larry et son nombril (Curb your enthusiasm), une série devenue célèbreCrédits

« Si mauvais, mais si drôle »
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Laurie décrit un repas au restaurant avec son ex-mari comme « un moment de vagabondage oculaire… un millier de questions, savoir ce qui compose chaque plat, puis l’angoisse de devoir donner un pourboire. » (David s’opposait aux vacances en famille, car il ne voulait pas se confronter au défi que représentent pour lui les pourboires. « Pendant les fêtes de Noël, à qui il doit donner une gratification, à qui il ne doit pas en donner… », explique Laurie. « Je m’occupe encore de certaines d’entre elles pour lui : le livreur de FedEx, le jardinier. À chaque Noël, c’est une vraie torture. »)

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Il est 15 h 30 et David boit de l’eau gazeuse, mais ne mange pas. « Ce n’est pas le meilleur moment pour se faire servir à manger », explique-t-il. « Un no-man’s land. » Nous avons déjà changé de table plus tôt, pour ne plus être à portée de voix des clients. « Est-ce qu’on nous entend à cette distance ? » demande David. « On serait mieux dans un restaurant bruyant. » Puis il me confie qu’il n’est plus aussi enclin qu’avant à se lancer dans des discussions interminables avec les serveurs. « Auparavant, si le plat était froid, je le renvoyais sans même y réfléchir. Maintenant, je me dis : “Oh, Larry David est un pauvre con.” » Les pourboires subissent aussi les conséquences de sa célébrité. « Les pourboires sont une obsession majeure », dit-il. « Maintenant, j’ai plus que jamais la pression avec les pourboires… Je dois être prêt à en donner un à n’importe quel moment. » Durant les quelques semaines pendant lesquelles David était à New York, il a fait un peu plus que répéter sa pièce et dîner au restaurant avec des amis. Le dimanche qui a suivi notre conversation, il devait retrouver Jerry Seinfeld, avec lequel il est toujours ami. Et il travaillerait encore sur la pièce. Shapiro trouvait qu’il y avait un problème de structure avec le dernier quart du script, et David allait passer le jour suivant à le réécrire. Par ailleurs, il s’était éloigné du script original pendant les répétitions. Les dialogues de Curb Your Enthusiasm étaient totalement improvisés, et David était à présent incapable d’arrêter ses improvisations pendant les répétitions. Cela a en partie permis d’améliorer le script, mais Shapiro a quand même dû le freiner. « Ça a été une leçon d’humilité », dit David. « Mais elle et Scott me pressaient. »

Larry David et le casting de Fish in the dark sur la scène du Cort theatreCrédits

Larry David et le casting de Fish in the dark sur la scène du Cort theatre
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Soudain, il perd de vue quel verre d’eau est à qui. « C’est le mien ? Il y a des bulles ? » Il le soulève et l’analyse d’un œil soupçonneux. « Bah, peu importe. » Il en boit une gorgée. « Ça a le goût d’eau du robinet… Nan, c’est bon. » Larry David vient-il de dire « peu importe » ? Je baisse le regard sur mes notes pendant un instant quand je prends conscience d’un bruit de fond semblable à un roulement de tambour, et relève les yeux. Les mains de David sont positionnées comme sur un clavier, et il tapote bruyamment la table du bout des doigts, comme s’il jouait du Rachmaninov. Il voit que je l’observe. « Oh non, non », lance-t-il. « Non, non, je ne te presse pas. » J’ai dû le regarder d’un air sceptique, parce qu’il tenait ses index droits comme des poteaux de but. « C’est… tu as mal compris. Tu as mal compris. Je ne te presse pas. Ce n’était pas comme si je baillais. Rien de tout ça. Je regardais l’ombre de mes doigts. Tu sais, ça n’a rien à voir avec… c’était pas ça. Ce n’était pas ça. Je te jure. Sur la vie de mes enfants. »


Traduit de l’anglais par Marie Le Breton d’après l’article « Sitting Shiva With Larry David », paru dans New York Magazine. Couverture : Curb Your Enthusiasm. Création graphique par Ulyces.