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Kim Dotcom n’est pas un pirate. C’est un héros, le sauveur de nos libertés sur Internet. C’est un entrepreneur numérique visionnaire. Megaupload, son entreprise, était une compagnie de stockage de données utilisée par des centaines de millions de personnes, parmi lesquelles des employés de la NASA, du CENTCOM (l’unité de commandement central des USA) et même du FBI. Le raid lancé sur son manoir en Nouvelle-Zélande était abusif et illégal, une vulgaire tentative d’intimidation. Hollywood est terrorisé par les avancées numériques et un innocent en a payé le prix. Kim est un martyr. Mais Kim triomphera. Vous l’adoreriez, il est cool.

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Kim Dotcom est un pirate. Un bouffon criminel et mégalomane. Un opportuniste doublé d’un criminel de carrière. Son entreprise Megaupload a généré des centaines de millions de dollars de profit en proposant des films, des albums, des livres et des logiciels volés. Et il n’a pas cessé de s’en vanter. Il voulait que j’écrive une belle histoire à son sujet, alors il m’a manipulé en me fournissant des informations exclusives, assorties de quelques larmes, dans l’espoir que j’en sorte un bon papier. Mais Kim est un criminel. Il le sait très bien. Comme tous les pirates, les seules libertés qui lui importent sont celles qu’il peut enfreindre pour s’enrichir. Tout le reste, c’est juste de la com’. Si vous le croyez cool, c’est que vous ne le connaissez pas.

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Kim Dotcom est assez riche pour travailler dans n’importe quelles conditions. Et ce qui le botte vraiment, c’est de bosser dans son lit.

Une bonne histoire

Son lit préféré est un meuble personnalisé, conçu entièrement à la main par les artisans suédois de la société Hästens. Chaque exemplaire est le fruit de plus de 160 heures de travail de la part d’un maître ébéniste capable de confectionner le plus parfait écrin de crin, de coton, de lin et de laine. Prix facturé après assemblage : 103 000 dollars. La demeure néo-zélandaise de Kim comporte trois de ces lits. L’un des trois fait face à une forêt de moniteurs, de disques-durs et de monceaux de câbles. Il est flanqué de chaque côté par des lampes qui ressemblent (et sont probablement) des AK-47 chromés. C’est le « lit de travail » de Kim, celui qui lui sert de bureau. C’est là qu’il s’est étendu aux premières heures du 20 janvier 2012, après une longue nuit passée à travailler sur son album, l’un de ses nombreux projets annexes. Kim venait de passer les sept heures précédentes aux Studios Roundhead, à composer des beats avec son parolier Mario « Tex » James et le producteur des Black Eyed Peas, Printez Board, dans un studio d’enregistrement dont le propriétaire n’était autre que le frontman du groupe Crowded House, Neil Finn. Ils ont fini vers quatre heures et demie du matin, après quoi Kim s’est hissé sur la banquette arrière de sa Mercedes Classe S pour retourner à son manoir. Peu de temps après avoir quitté le parking, Kim avait remarqué la lueur des phares qui semblait filer sa voiture. « Je crois qu’on est suivi », avait-il dit à son chauffeur.

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L’avatar de Kim Dotcom sur Twitter
Crédits : Kim Dotcom/Twitter

Ils parvinrent au palais loué par Kim peu avant l’aube. Sa femme et ses enfants dormaient depuis longtemps dans une autre aile du bâtiment. Kim, une fois parvenu dans sa chambre à l’étage, prit une douche avant d’enfiler son habituel costume de nuit, intégralement noir. Après avoir pris son habituelle bouteille d’eau de Fiji dans le frigidaire, il s’installa devant les écrans de son lit de travail. C’est alors qu’il entendit un bruit. C’était un son grave, fluctuant, qui semblait provenir de l’extérieur. Kim n’en était pas certain : le labyrinthe caverneux de salles bétonnées avalait le moindre son avant de le régurgiter, et les lourds rideaux de velours sombre lui occultaient la vue. Il se dit que cela devait être l’hélicoptère. Il ne se préoccupait pas de ce genre de détails : son personnel était là pour ça. Il savait que plusieurs VIP du monde du divertissement en provenance de Los Angeles devaient lui rendre visite demain pour son 38e anniversaire. Peut-être étaient-ils arrivés plus tôt et que Roy, son pilote, les avait amenés à la résidence pour le rencontrer ? Quelques instants plus tard, le son du gravier projeté sur les fenêtres vint confirmer l’hypothèse de l’hélicoptère. Sacré Roy ! On lui avait pourtant dit de ne pas se poser si près du bâtiment… mais cette pensée fut interrompue par une explosion, aussi assourdissante que proche. Le fracas provenait de l’autre côté de la porte du bureau. Une porte en bois, épaisse de plusieurs centimètres, renforcée par des charnières en acier insérées dans la pierre du chambranle. Kim se remit péniblement sur pied tandis que la porte tremblait et vacillait sur ses gonds. Quelque chose ou quelqu’un tentait de pénétrer à l’intérieur. Kim percevait d’autres bruits à présent, des cris, des claquements de portes et le bruit caractéristique de bottes gravissant des escaliers. Des intrus avaient pénétré chez lui. Kim Dotcom prit alors conscience qu’il était attaqué.

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De l’autre côté de l’océan, plusieurs heures avant le début de l’opération Takedown, le département de la Justice des États-Unis avait laissé filtrer les détails de l’opération auprès d’un cercle très restreint de journalistes. Même si vous ne connaissez rien du tout à propos de Kim Dotcom, de l’affaire fédérale le concernant comme de son ancienne entreprise en ligne, Megaupload, vous avez sûrement entendu parler du raid. Son récit ressemble à un blockbuster hollywoodien. Et c’est une excellente histoire. Le décor est posé : la Nouvelle-Zélande. Un pays vert, vierge et très lointain. C’est le Canada de l’Australie, un pays de Galles en chemises hawaïennes, un pays de cocagne pour hobbits et autres émeus. Et voici venir le méchant de l’histoire : Kim Dotcom, né Kim Schmitz, alias Tim Vestor, Kimble et Dr Evil. Un méchant millionnaire tout droit sorti d’un comics, ancien condamné allemand expatrié, ex-hacker régnant sur son Pirate Bay personnel à 30 minutes de route au nord de Auckland. Kim Dotcom se met en scène comme un géant maléfique, un vrai personnage de deux mètres de haut pesant plus de 160 kilos. On le voyait souvent prendre la pose une arme à la main, sur un yacht ou avec des voitures de luxe. On l’a vu au volant de Mega Mercedes gonflées au Nitrox dans des rallyes ou sur des circuits, envoyer de faux signes de gang à des magnats du rap et des stars du porno, en arrosant tout ce beau monde des 185 millions de dollars issus de son butin numérique mal acquis.

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Le manoir de Kim Dotcom
Crédits : Wilk

Son vaisseau pirate estimé à 50 petabytes de données, c’est Megaupload.com, un cargo titanesque qui, au summum de sa gloire, voyait passer plus de 50 millions d’usagers par jour, soit 4 % du trafic mondial global sur Internet. Megaupload était un espace de stockage gratuit en ligne, un cloud utilisé pour l’hébergement de fichiers trop volumineux pour être transmis par courriel. L’entreprise générait un montant estimé de 25 millions de dollars en recettes publicitaires et 150 autres millions grâce à un service Premium payant, lequel garantissait un accès libre et illimité à son contenu. Le département de la Justice maintient que l’entreprise légale de stockage en ligne n’était qu’une façade, exactement comme les blanchisseries tenues par la mafia : les profits auraient été surtout générés dans l’arrière boutique. Megaupload était une mega bourse d’échange pour plus de 500 millions de dollars de matériels piratés : des films, de la musique, des livres, des jeux vidéo et des logiciels. Kim, affirme-t-il, agissait comme un Jabba le Hutt, contrôlant son grand bazar de la violation de la propriété intellectuelle depuis sa Tatooine kiwie, bien protégé par ses rayons lasers, ses gardes et ses armes, ses caméras de surveillance – dont certaines à infrarouge – et ses capsules de sauvetages… parmi lesquelles un hélicoptère personnel et plusieurs voitures de sport à très haute performance. Le FBI pensait même que Kim avait en sa possession un dispositif portable spécial avec lequel il aurait pu, en pressant simplement un bouton, effacer le contenu de tous les serveurs de Megaupload, détruisant ainsi toutes les preuves. Les agents fédéraux l’appelaient le « bouton rouge ». L’opération Takedown fut menée par des unités spéciales de la police néo-zélandaise, pilotées par le FBI via un canal vidéo. Les descriptions de l’opération varièrent selon les médias mais la plupart inclurent la spectaculaire arrivée des hommes en hélicoptère sur le toit de l’extravagant manoir Dotcom et leur lutte contre son système de sécurité digne d’un ponte de la mafia.

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L’assaut est donné sur la propriété
Crédits : Kim Dotcom/YouTube

On a ainsi pu lire que les forces de police avaient dû se frayer un chemin jusqu’à la panic room de Dotcom, où elles le trouvèrent à couvert, armé d’un fusil à canon scié. Le même jour, plusieurs autres raids similaires eurent lieu dans huit autres pays abritant des serveurs ou des bureaux de l’entreprise. C’était de la justice dispensée à une échelle épique, avec comme cerise sur la Schadenfreude, le géant obèse humilié et rabaissé, le roi pirate vantard mis à bas. Menotté et jeté en cellule, son butin saisi, son entreprise s’échoua alors contre les récifs des lois anti-recels. Si tout se déroulait selon le plan, Dotcom et ses six généraux seraient extradés vers les USA pour être confrontés au juge de Virginie les ayant inculpés. Ils risquaient jusqu’à 55 ans de prison chacun. Si une telle mésaventure arrivait à Kim Dotcom, alors personne n’était à l’abri, tel était le message. Méditez bien sur ses mots, ô vous qui vous procurez la trilogie Dark Knight sur BitTorrent, ô vous les voleurs à la sauvette de 50 Cent, et lamentez-vous sur votre baie des pirates. La justice a triomphé, fin de l’histoire, lancez le générique. Ouais, c’était une bonne histoire. Le seul souci : cette histoire est en partie une fiction.

Le Manoir Dotcom

En ce jour gris de fin juillet, le chef de la sécurité de Kim Dotcom m’attend à l’aéroport de Auckland. Il est difficile de manquer Wayne Tempero dans la foule : au milieu des chauffeurs de limousines et des familles portant ballons de baudruche se tient un mur de muscles tatoués néo-zélandais portant un hoody noir ajusté, le crâne rasé, d’un sérieux mortel. Avant de travailler dans la protection rapprochée pour les plus grandes célébrités de Nouvelle-Zélande, Tempero a protégé d’autres grands noms, de David Beckham à la famille royale de Brunei. C’est un expert dans le combat au corps-à-corps. Un type très sympathique, qui sait fort bien jouer du couteau. ulyces-kimdotcommanor-16La voiture nous attend à l’extérieur. Ce n’est pas une Lamborghini, ni la Cadillac rose série 62, ni une des trois Mercedes CLK DTM customisées avec des sièges extra-larges : les flics les ont toutes saisies. Il s’agit juste d’une modeste Mercedes G55 AMG noire dont la plaque d’immatriculation arbore l’inscription « kimcom ». « Je crois que j’ai été suivi en arrivant ici », me confie Tempero. En réalité, tout le monde dans l’entourage de Kim estime que quelqu’un les surveille et que leurs conversations personnelles sont sur écoute. Tempero est tombé sous le coup de la loi pour port d’arme (pour un fusil à pompe enregistré à son nom) et il n’a pas envie d’avoir d’autres soucis avec la police. « Peut-être qu’on est tous un peu parano ces derniers temps », me dit-il avec un grand sourire alors que nous atteignons la limite de vitesse autorisée. On ne peut pas rater le Manoir Dotcom, principalement à cause des grandes lettres industrielles chromées, illuminées par LED, qui indiquent « Manoir Dotcom » au-dessus du portail. Il se murmure que cette demeure située dans les collines verdoyantes de Coatesville serait la plus chère de tout le pays. L’allée de calcaire nous mène jusqu’à un complexe d’une valeur de 24 millions de dollars, un château de banlieue doté de plusieurs étangs, d’un cour de tennis, d’une piscine, d’une fontaine à étages qui ne dépareillerait pas à Las Vegas et d’un labyrinthe végétal. Les 24 hectares de terrain environnant sont tout aussi escarpés qu’ils sont bien entretenus.

Il y a encore deux mois, Kim ne pouvait pas résider dans sa propre maison, car il a été assigné en résidence surveillée suite à un mois de détention. Pendant trois mois, il a été confiné dans une maison qu’il réserve à ses hôtes, une prison de laque et de cuir noir, de tables Versace et d’écrans LCD assez grands pour occuper des murs entiers. Les murs sont couverts de posters grandeur nature de Kim et de sa jolie femme de 24 ans, Mona… même si sur la plupart il s’agit juste de Kim : Kim et son hélicoptère, Kim sur le pont d’un yacht de luxe, Kim venant de pêcher un gros poisson ou posant devant un château européen, un fusil et un canard abattu à la main, ou bien encore Kim, assis à la califourchon au sommet d’une montagne, le regard perdu dans le lointain, tourné vers l’avenir. Tout cela ressemble plus à Kim Jong-il qu’à Kim Dotcom. Dotcom (ou plutôt le personnage de Dotcom) est présent partout ici, mais la majorité des 53 membres du personnel qui entretenaient les lieux sont partis en même temps que la fortune saisie par la justice. En regardant par la fenêtre, on ne voit pas âme qui vive. Il n’y a rien à faire. Les environs sont gris et froids, c’est l’hiver dans l’hémisphère sud. La clôture avertit des risques d’électrocution. Les caméras fonctionnant en circuit fermé capturent sous tous les angles les arbres et les toits, envoyant des images vacillantes aux écrans surveillés par le staff réduit qui gère à distance les corps de garde de la maison. Comme je soupçonne la surveillance du FBI ou des forces anti-terroristes néo-zélandaises, je me garde bien de me connecter au réseau wifi de la maison ou même de passer un coup de fil… à moins que je ne craigne plutôt la surveillance de l’ancien hacker millionnaire. J’ai l’impression d’être l’hôte d’un méchant de James Bond après un enlèvement. Tempero m’a informé que son patron venait juste de se coucher, peu avant mon arrivée à l’aube. Il n’y a aucun moyen de savoir quand il se réveillera.

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Le maître des lieux
Crédits : Wilk

Kim vit dans le luxe, mais un sommeil pur est ce qu’il prise par-dessus tout. Il n’aime pas toujours se lever le matin et il n’apprécie pas toujours de devoir se coucher le soir, mais – et c’est là son secret – il n’en a pas besoin. Qu’on soit le jour ou la nuit, peu importe. L’horloge, ce ne sont que des chiffres dans un cercle, une absurdité décimale. L’horloge est une machine culpabilisatrice, un métronome pour les vies ordinaires des personnes médiocres. Il fait toujours noir quelque part. Et il fait toujours nuit dans le Manoir Dotcom. De grands rideaux d’étoffe noire occultent la lumière et d’épais murs étouffent les sons. Le lit Hästens à 103 000 dollars attend. Dans sa chambre à coucher, on ne trouve pas un appareil électronique, aucun bidule vibrant ou soufflant, pas de pollution visuelle des LED, pas trace d’une batterie ou d’un ventilateur. Car pour jouir d’un sommeil d’excellente qualité, pour profiter d’un somme pour épicurien de luxe, un silence total est requis et imposé. Les jardiniers ne passent pas la tondeuse, les domestiques ne nettoient plus. Les cuisiniers s’affairent calmement dans une autre aile, les nourrices s’occupent des enfants dans une autre maison du complexe.

Quand Kim dort, le manoir retient son souffle. Kim ne peut pas fournir d’emploi du temps. Il n’en a pas besoin. Nous sommes chez lui. Quand Kim dort, il vole. Il ne sue plus, envolés ses problèmes de santé, ses mauvais genoux ou son mal de dos. Il n’est plus en procès, il n’a plus de besoin de reconnaissance. Il n’est plus l’enfant qui craint le retour de son père ou qui est encore plus terrifié à l’idée qu’il ne revienne pas. Il n’est plus extradé vers un lieu où ses geôliers marquent le passage du jour à la nuit par une simple pression d’interrupteur. Quand Kim dort, il est libre. « D’habitude, je suis son Twitter », m’explique Tempero. « C’est le seul moyen de savoir quand le patron est debout. » En fin d’après-midi, les tweets de Kim commencent à pleuvoir. Il tweete beaucoup : pour annoncer les avancées dans les auditions du tribunal, pour présenter son nouveau single pop (« Precious », un duo entraînant avec sa femme) ou pour poster une vidéo musicale des cinq enfants Dotcom avec des séquences filmées à l’hôpital lors de la naissance de ses jumeaux cinq mois auparavant. D’autres messages du stream s’adressent à Julian Assange, parlent de la liberté sur Internet ou de la tyrannie du FBI. Quelques minutes plus tard, Tempero est à ma porte. Le patron est réveillé.

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Sur son site, Kim propose les clips de ses chansons
Crédits : Kim.com

Je trouve Kim derrière le volant de son chariot de golf, dans sa tenue habituelle. Il porte une veste noire couvrant un T-shirt noir très fin, un pantalon très large, une grande écharpe noire et une lourde casquette de baseball en cuir noir. C’est un homme énorme, il occupe la majeure partie du siège avant du véhicule à lui tout seul. Malgré ses lunettes Cartier en verre teinté bleu, le soleil lui fait plisser les yeux. En m’apercevant, il accélère et, parvenu à ma hauteur, il me fait un fist bump. « Wouah, vous ressemblez à un viking », me dit-il. Il veut probablement dire que je suis grand et blond comme lui. Son anglais est précis, mâtiné d’un accent germano-finnois. « C’est cool ! » Puis il se coule dans un chariot de golf modifié pour dépasser les 40 km/h. Je le suis le long de la piste de calcaire que Kim appelle sa colline, là où il peut prendre quelques minutes d’un précieux bain de soleil hivernal. À cette période de l’année, Kim et sa famille devraient normalement se trouver à leur étage réservé de l’hôtel Grand Hyatt à Hong Kong, ou sur un yacht loué les longs des côtes de Monaco ou de St Tropez. Le raid a eu pour conséquence une assignation à résidence façon Hotel California : la famille est coincée sur une île paradisiaque, mais elle demeure prisonnière. « On finira par gagner le procès d’extradition », m’assure Kim. « Mais quel intérêt ? » Ils seront toujours coincés en Nouvelle-Zélande ou vulnérables dans n’importe quel pays disposant d’un accord d’extradition avec les USA. La seule véritable victoire serait d’affronter les accusations aux États-Unis et de gagner le procès. Mais pour le moment, le département de la Justice leur refuse le droit d’utiliser les biens gelés de Megaupload pour se relocaliser aux USA et payer les avocats. Les frais de justice se chiffrent actuellement en millions de dollars. Une somme qui ne cesse d’augmenter.

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Julius Bencko, l’un des compères en fuite de Kim Dotcom
Crédits : Július Benčko

Mais Kim a de bonnes raisons d’espérer que son pays d’adoption pourrait bien servir sa cause. D’ici quelques jours, il sera au tribunal pour une confrontation très attendue avec les procureurs concernant les excès du raid contre sa propriété. Ce n’est qu’un événement mineur avant la procès d’extradition prévu en mars, mais un événement mineur qui pourrait déterminer le destin de Kim. Les Kiwis se rappellent avec fierté que leur gouvernement à interdit le mouillage des vaisseaux de guerre des États-Unis dans les ports nationaux. Kim n’est pas un citoyen néo-zélandais, mais nombreux sont ceux qui ont pris le raid orchestré par le FBI sur un plan très personnel, comme s’il s’agissait d’une invasion américaine digne d’un épisode de COPS. Au cours des dernières semaines, les juges de la Couronne de Nouvelle-Zélande ont porté un rude coup au département de la Justice américain, en déclarant que le mandat d’arrêt contre Kim ainsi que la saisie de ses disques durs personnels étaient illégaux. Les charges demeurent accablantes : jusqu’à 55 ans de prison pour plusieurs délits, dont celui de conspiration pour avoir violé la propriété intellectuelle, blanchiment d’argent et recel. « Ils nous traitent comme si on faisait partie de la mafia, mec ! », dit Kim. « C’est incroyable. Tout ça parce qu’ils ne peuvent pas nous extrader aux USA pour violation de copyright. Mais s’ils nous traitent comme une sorte de conspiration criminelle internationale, là ils peuvent nous extrader. »

Ce « nous » qu’il emploie fait référence à ses six co-accusés, ses partenaires de Megaupload. Andrus Nomn, résidant en Turquie et en Estonie, a été appréhendé en Hollande ; Sven Echternach a réussi à fuir jusque chez lui en Allemagne (un pays qui refuse d’extrader ses citoyens) et Julius Bencko, de Slovaquie, est toujours en fuite. Les trois derniers, dont Kim, se sont fait pincer en Nouvelle-Zélande. Deux d’entre eux s’approchent d’ailleurs du sommet de la colline de Kim dans des voitures de golf. Ce sont tous des jeunes hommes en jeans et chemise Oxford déboutonnées. Le premier est Bram van der Kolk, celui qui supervisait la programmation des sites Mega. À 30 ans, il ressemble à un Matt Damon hollandais. Puis vient Finn Batato, le chef du département marketing de Megaupload. Batato est un homme de 39 ans, mi-Palestinien, mi-Allemand. Originaire de Munich, c’est un gros fumeur détendu et un grand amateur de montres et de vins. Et enfin, serpentant vers le sommet de la colline sur son Segway tout-terrain, voici Mathias Ortmann, le directeur technique en chef de Megaupload, cofondateur et directeur de la boîte, le Monsieur Spock de Kim, ce Kirk teutonique. Il détient 25 % des 68 % de parts détenues par Kim dans Megaupload. Ortmann est ex-hacker allemand de 40 ans et il en a l’allure, avec son T-shirt sombre à col en V et ses lunettes carrées.

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Les quatre hommes au procès
Crédits : Wilk

« C’est un génie, vous savez », me confie Batato en allumant une cigarette. « Pas juste parce qu’il parle quatre langues : un génie du niveau d’Einstein. » Ortmann détache son regard de son iPhone puis cligne des yeux. « Mathias, s’il te plaît, admets-le quand même : c’est la vérité. » Ortmann retourne à son écran, occupé à établir une connexion avec sa compagne restée à la maison, en Allemagne. « S’il vous plaît, dites-le au monde », me supplie Batato. « Il n’y a que des gens normaux ici. » En temps ordinaire, il serait en Europe, peut-être dans le sud de la France, à boire des Opus. Au lieu de cela, il est coincé ici en hiver, avec le risque d’être incarcéré, obligé d’emprunter de l’argent pour s’acheter des cigarettes et de vivre en collocation avec van der Kolk. Batato craint que des personnes de son entourage en viennent à croire qu’il n’est réellement une sorte de gangster. « Enfin quoi, regardez-nous ! » s’exclame van der Kolk. « Kim n’est pas un pirate mafioso. C’est un nerd programmeur dont la femme est une Philippine ex-mannequin avec un gosse de 3 ans. Quelle connerie ! On est des cibles faciles à cause de notre style de vie. Mais conduire avec des plaques mafia ou d’autres inscriptions… c’est juste son type d’humour. » Tempero apparaît au loin au volant d’une voiture de golf. Il gravit la pente raide de la colline pour tendre une bouteille d’eau de Fiji à Kim. « Tout va bien, patron ? » ulyces-kimdotcommanor-21« Ouais », lui répond Kim en débouchant la bouteille. Tout le monde le regarde tandis que le soleil mourant marque la fin d’un autre jour sur cette île paradisiaque. Leur île d’Elbe.

Pour le moment, les seules choses qui se dressent entre la petite troupe et leur destin sont leurs équipes d’avocats et Kim lui-même. Évidemment, le département de la Justice des États-Unis cite une poignée de courriels saisis au contenu accablant, mais c’est Kim qui les a rassemblés ici. Dotcom s’est comparé lui-même à Bill Gates, Steve Jobs, Julian Assange et Martin Luther King Junior. C’était le visionnaire de l’équipe. Maintenant, il doit trouver un moyen de les sortir du pétrin. Kim leur a promis qu’il y parviendrait. Il a un plan. Il couve quelque chose d’encore meilleur et d’encore plus grand. Plus méga que Megaupload. Une technologie que personne ne pourra saisir. Quelque chose qui changera le monde. Ils vont battre le département de la Justice, l’humilier même. Après quoi, Kim le leur a promis, ils auront leur vengeance.

L’homme derrière Dotcom

Le soleil se couche tôt en hiver. Les hommes se retirent dans la chaleur de la cuisine de Kim, aussi grande qu’une maison et agrémenté d’un aquarium de huit mètres de haut. Une jeune domestique philippine apporte à Kim une serviette propre et de l’eau. Batato se réfugie à sa place habituelle sous le porche, occupé à fumer et à ruminer. Le reste des hommes fixent en silence leurs iPhone, absorbés dans l’étude des blogs de news, en quête d’indices sur leurs futurs. Les dernières informations se concentrent sur les dons que Dotcom aurait fait à John Banks, un parlementaire néo-zélandais : son vote a été décisif pour assurer la majorité au Premier ministre. Interrogé à ce sujet, Banks a affirmé ne pas se souvenir de l’identité du donateur, pas plus qu’il ne se rappelait des tours en hélicoptère en compagnie de Dotcom, ni des autres événements semblables qui auraient pu l’inculper. Plusieurs membres du gouvernement ont exigé sa démission ou son inculpation.

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Mathias Ortmann
Crédits : MEGA Limited

« — Qu’est-ce que tu en penses, Mathias ? lui demande Kim. Est-ce que je devrais donner des interviews sur les dons ? — As-tu dit la vérité, rien que la vérité, toute la vérité ? — Oui. — Ah bien, fonce, répond Mathias. Mais je pense que c’est un événement mineur. — Mais ça pourrait être intéressant, non ? — Quoi, abattre un gouvernement ? — Ouais. — On devrait en abattre un plus gros si tu veux mon avis. » Il s’agit, bien sûr, de celui des États-Unis d’Amérique. Kim et ses associés sont convaincus que leur entreprise a été prise pour cible par l’administration Obama pour des motifs plus politiques que juridiques. Alors, tandis que 28 avocats récusent les accusations contre Megaupload partout dans le monde, Kim s’est mis en tête de se charger de l’administration Obama.. Il a commencé par le clip vidéo de son single « Mr President », puis par un sondage en ligne demandant sa non-réélection. Les réseaux sociaux sont une nouveauté pour Kim, mais il a plus de 130 000 followers sur Twitter (plus de 470 000 aujourd’hui) et en seulement quelques jours, il a atteint la limite des 5 000 amis sur Facebook. « Bah, c’est idiot », me dit-il. « L’interface est naze. Je suis bombardé de news par des personnes que je ne connais même pas. Comment les gens peuvent-ils supporter ce truc ? » Kim sollicite également des amis réels : il a invité des admirateurs transis à des séances de « viens nager chez Kim » dans sa piscine, et il a également hébergé le co-fondateur d’Apple, Steve Wozniak, il y a quelques semaines au cours d’un show de solidarité pour la Liberté Électronique.

Il reformule le problème : ce n’est pas le département de la Justice contre Dotcom, mais Hollywood contre la Silicon Valley. Kim soutient que le cœur du problème résulte d’un manque de compréhension de l’Internet. Il ne faisait que gérer un disque dur dans un espace de stockage virtuel. Personne ne peut contester que Megaupload était un casier virtuel en ligne qui stockait des données pour des millions d’utilisateurs. Les registres des connexions des serveurs indiquent que les 100 plus grandes entreprises au monde tout comme des gouvernements avaient recours au site. Il est aussi évident que Megaupload était l’un des nombreux sites qui stockaient et tiraient profit de copies illégales d’œuvres protégées par les lois de la propriété intellectuelle. La seule question est de savoir si Kim et son entreprise doivent porter la responsabilité pénale de cette dualité.

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Finn Batato
Crédits : MEGA Limited

La loi gérant l’équilibre entre les détenteurs des droits et les fournisseurs d’accès à Internet fut signée par le président Clinton en 1998. Le Digital Millenium Copyright Act institue le concept de « sphère de sécurité » (safe harbor en anglais), qui dégage les fournisseurs d’accès de toute responsabilité tant qu’ils ne sont pas certains que leur service de stockage ne contient pas de fichiers violant la propriété intellectuelle. De plus, les fournisseurs s’engagent à supprimer diligemment tout fichier délictueux sur simple demande du gouvernement. Cette loi a été mise à l’épreuve en juin 2010, lorsqu’une cour de justice américaine a décrété que YouTube était protégé par une sphère de sécurité suite à un procès de Viacom lui demandant un milliard de dollars. Les employés de Google ne pouvaient matériellement pas estimer si chaque clip de, disons, Jersey Jones mis en ligne sur YouTube l’avait été légalement ou non. Le DMCA voulait clarifier les zones grises légales sur Internet. Mais en permettant au fournisseur de stockage en ligne de se retrancher derrière leur ignorance des contenus pour échapper aux poursuites, la loi a engendré une nouvelle zone grise, ménageant ainsi une niche très lucrative pour les pirates.

À l’époque, on n’avait pas encore trouvé comment rendre une banque de données à la fois publique et privée. Les législateurs ont tenté de régler le problème en 2012 avec les mesures anti-piratage SOFA/PIPA, mais des millions de défenseurs de la liberté sur Internet leur ont fait barrage et le 20 janvier, et la loi a été abandonnée. Le raid sur Kim a eu lieu la même semaine. « Les USA ont montré au monde qu’ils n’avaient pas besoin de SOPA ou d’un procès pour contrôler Internet », m’explique Kim.« Ils le font les armes à la main. » Le département de la Justice des États-Unis affirme que Megaupload était parfaitement conscient du contenu piraté présent sur son site. Pour être précis, l’acte d’inculpation affirme que les dirigeants de Megaupload partageaient eux-mêmes des fichiers volés, et qu’ils encourageaient même cette pratique grâce à un programme incitatif versant de l’argent aux usagers proposant du contenu populaire, et qu’ils ont été lents et sélectifs dans l’application des demandes de retrait de contenu. Ils n’auraient retiré les contenus problématiques et supprimé le programme incitatif que lorsque l’entreprise était au sommet de sa puissance. Megaupload argue que la gestion de milliards de fichiers était totalement impossible. Cela aurait de plus constitué une violation de leur politique client. L’entreprise affirme avoir fait tout son possible pour se conformer aux notifications de retrait comme la loi l’exigeait. Ils avaient des raisons raisonnables de penser qu’on reconnaîtrait la même sphère de sécurité à Megaupload qu’à Google. Mais au contraire du procès Viacom contre Google, les charges qui pèsent sur Megaupload ne sont pas civiles mais criminelles. Les responsables ne font pas juste face à des poursuites, ils risquent la prison. Ce n’est pas la première fois que Kim se retrouve mêlé à une affaire criminelle suite à un usage détourné de la technologie.

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Bram van der Kolk
Crédits : MEGA Limited

Le concept de sphère de sécurité peut-il s’appliquer à une affaire criminelle ? Il n’est même pas certain qu’un statut criminel contre la violation de propriété intellectuelle par la seconde partie puisse s’appliquer. Bienvenue dans la zone la plus trouble d’Internet… Le procès intenté par le département de la Justice met au cœur de son argumentaire l’aspect volontaire de la démarche. La question est de savoir si les hommes de Megaupload avaient conscience d’agir en criminels. Et c’est pour cette raison que la personne de Kim concentre toutes les attentions. Dotcom a été condamné plusieurs fois en Allemagne. Avec sa réputation de mauvais garçon, il est connu pour travailler à la frontière du technologiquement possible et du légalement acceptable. Mais cette description partielle fait-elle de Kim un Don Corleone ou un Da Vinci ? Rien n’est moins sûr. « Ils se sont sûrement dits que ce type était un criminel cinglé, qu’ils allaient trouver énormément de merdes sur lui une fois qu’il aurait craqué », avance Kim. « Ils croyaient que je serais une cible facile, un rigolo. Ils m’ont sous-estimé, mec. Tout ce qu’ils disent sur moi, ça a dix ans de retard. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que je suis l’homme le plus honnête du coin. » Dotcom essuie la sueur sur son front puis replie sa serviette noire. « Le plus marrant dans toute cette histoire, c’est que tout le monde pense me connaître. Mais personne ne me connaît vraiment. »

Kimble.org

Kim avait 19 ans lors de sa première incarcération. L’inculpation parle de « détention de biens volés », mais la réalité n’est pas si simple. À l’époque, la justice allemande ne disposait pas d’une terminologie spécifique pour décrire le délit de piratage. Kim a grandi dans la ville de Kiel, au nord de l’Allemagne, en compagnie de sa mère et d’un père alcoolique. Il a eu des ennuis avec la justice bien avant de découvrir l’informatique. Alors que je suis assis à table en sa compagnie, bien longtemps après que ses domestiques ont débarrassé le couvert, que sa femme et ses partenaires se sont retirés, Kim me parle avec hésitation de son enfance « en proie à la peur », de ce père qui battait sa mère lorsqu’il était saoul ou qui faisait pendre Kim dans le vide au balcon, à la manière de Mickaël Jackson. « Je voulais être celui qui serait capable de tout réparer. J’étais persuadé qu’en essayant assez fort, je pourrais reprogrammer mon père, ou, plus tard, convaincre ma mère de se remettre en ménage avec lui. » Cela n’a pas fonctionné, mais les traumatismes ont modelé sa personnalité. « À six ans, j’en avais tellement vu que plus rien ne me faisait peur. Ça m’a endurci. »

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Kiel, dans le nord de l’Allemagne
Crédits : Klaas Ole Kürtz

Le gamin tout juste sorti de l’enfance était futé et obstiné. Il n’avait pas peur des adultes, pas plus qu’il ne respectait leur autorité. Leurs enseignements ne l’intéressaient guère, que ce soit les cours arbitraires ou la magie supposée d’un diplôme. Kim préférait faire la grasse mâtinée et l’école buissonnière. Son peu d’application lui a valu, au lycée, d’être renvoyé en classe de collège. Il raconte que son comportement difficile l’a fait atterrir dans le bureau d’un psychiatre. Le médecin lui a fait passer des tests : Kim a réussi à dérober son porte-feuille pour payer des glaces à ses amis avec l’argent volé. Il avait 11 ans quand il a vu pour la première fois son premier Commodore C-16 dans une vitrine : la machine faisait tourner la démonstration d’un jeu pixelisé. Kim a harcelé sa mère pour qu’elle lui achète. Il s’est assis à son bureau face à la machine : une énigme lui demandait sa solution en BASIC. Tout cela était bien plus intéressant que l’école ne le serait jamais. Un camarade de classe avait un logiciel appelé ICE sur une disquette : il permettait de faire des copies de jeux, en retirant simplement une ligne de code. À l’époque, personne ne parlait de piratage. Il disposait d’un accès illimité. La seule limite était le possible. L’un de ses amis lui avait décrit un Éden numérique du nom de X.25, en somme un réseau fermé pré-Internet. Kim s’est acheté un modem à 2400-baud, le genre d’appareil sur lequel on devait coller un combiné téléphonique avec un coupleur en caoutchouc. « J’étais dans un nouveau monde. » Il ne voulait plus en sortir. ulyces-kimdotcommanor-26« Le X.25, c’était difficile d’y entrer : il vous fallait les codes d’accès. Mais une fois qu’on y était, les personnes étaient très disposées à vous expliquer comment hacker différentes choses, ils partageaient les numéros d’accès. La parole y était très libre. » Kim, calmement assis à son bureau, rôdait sur le réseau, absorbant la moindre information. Il n’a pas fallu longtemps avant qu’il lance sa première attaque. L’un de ses hackings préférés, c’était une attaque par porte dérobée sur les systèmes des entreprises opérant en système PBX, le réseau téléphonique et de transfert de données interne d’une entreprise. « À l’époque, le concept d’administrateur réseau n’existait pas. Très peu d’administrateurs savaient comment changer les mots de passe par défaut des réseaux. Cela ne leur a jamais traversé l’esprit qu’un gamin puisse pénétrer dans le système. C’était exactement comme pénétrer dans un de ces petits villages suédois où aucune porte n’a de verrou. Vous entrez, vous vous attribuez tous les droits et c’est comme si le réseau vous appartenait. Une véritable aubaine ! » La majorité des premiers PBX étaient basés de l’autre côté de l’océan, dans la zone 212 de Manhattan. Il fallait de coûteux appels longue distance pour les joindre. Par chance, Kim connaissait un forum BBS de hackers qui s’échangeaient des numéros de cartes téléphoniques volées. Kim adorait pénétrer dans la base de données d’une nouvelle compagnie : il fallait être très attentif aux appels modem en cours, qui le mèneraient à encore davantage de PBX. Kim a écrit un petit script qu’il faisait tourner la nuit : le programme composait tout seul des numéros puis se ménager en douceur un accès aux backdoors.

Le lendemain, Kim avait accès à plus 800 comptes avec leurs mots de passe et leurs identifiants complets. Il se bâtissait une armée. « Ado, quand tu découvres ce monde à quoi, 14, 15 ans ? tu ne penses même plus à aller à l’école, mec. T’en as plus rien à foutre. » Kim voulait juste rester chez lui dans le contrôle de son monde virtuel, un contrôle qui avait toujours fait défaut à sa vie réelle. Ses exploits le faisaient passer aux yeux de ses copains pour un type cool et dangereux, un héros. Et la communauté des hackers se nourrit de ce sentiment, celui du groupe contre le reste du monde. Les services de messagerie en ligne avec paiement à la minute, très populaires au début des années 1990, ont été le théâtre de l’escroquerie qui lui a valu sa première arrestation. Ce sont les équivalents allemands des boucles téléphoniques communes pour lesquelles les compagnies téléphoniques facturaient un appel longue distance, généralement autour de 1,20 dollars la minute. L’opérateur de la ligne percevait un pourcentage sur la communication locale, environ 15 centimes par appelant : plus il y en avait, plus le propriétaire de la boucle téléphonique empochait d’argent. Kim a installé sa propre boucle téléphonique aux Antilles néerlandaises. Une fois ceci fait, il a généré un afflux de trafic énorme grâce aux numéros de cartes téléphoniques volées sur les tableaux des forums de hackers.

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Kim Schmitz à l’époque

« Ça fonctionnait très bien », explique Kim. D’après lui, il se serait fait plus de 75 000 deutschemarks (plus de 180 000 euros actuels) « À l’époque, c’était une somme énorme, parce que j’étais gamin. Je voulais acheter plus de modems pour mon BBS, un meilleur ordinateur, bref du meilleur matos pour augmenter mes capacités. » En 1993, trois ans après le début de l’escroquerie, Kim se fait prendre. Il est arrêté et envoyé pour un mois dans une prison pour mineurs. Kim raconte qu’il « crevait de trouille » en prison mais que cela a été une expérience intéressante. « J’avais plein de visiteurs, des adultes employés par MCI et AT&T qui venaient me parler. » Kim était choqué du peu de connaissances de ces soi-disant experts embauchés par de grandes entreprises : ils n’avaient aucune idée du fonctionnement d’un PBX, encore moins du fait qu’on puisse le hacker. « C’était comme si je leur parlais chinois. C’était totalement hallucinant. » C’était aussi un business potentiel. Il s’est associé avec son compagnon hacker et génial codeur Mathias Ortmann pour créer Data Protect, l’une des premières entreprises de consulting en informatique : le duo facturait des centaines de dollars pour une heure passée à expliquer à des entreprises comment se protéger des personnes comme eux. Leurs anciens camarades de la communauté des hackers les considéraient comme des traîtres. Kim et Ortmann estimaient qu’ils prenaient du galon. Les médias allemands ont rapidement découvert l’adolescent prodige et Kim a réalisé qu’il appréciait d’être au centre des attentions. « Le hacker était le nouveau magicien », se souvient Kim. « Ils vous traitaient comme un putain de génie, mec ! Mais tout ce que j’avais fait, c’était d’analyser des tableaux en ligne. Je trouvais des mots de passe. Un singe pourrait faire ça. Il n’y avait rien de génial là-dedans. Mais on s’habitue vite au gros titres, aux gens qui vous complimentent, quand on vous dit que vous êtes génial. » La mécanique était en branle : Kim avait les besoins d’un outsider et le prestige d’une rock-star. Il n’avait que mépris pour le système et il disposait des moyens de le vaincre. Il se sentait puissant, impitoyable, on lui disait qu’il était le plus malin d’entre tous. À l’aube de la vingtaine, il touchait un gros salaire lui permettant d’acheter des voitures de luxes personnalisées et de beaux costumes. Bravache, il flambait son argent dans les boîtes de nuit. Il avait des filles pour lui. Sa propre bande. Il occupait la page de garde des magazines.

Au cours de l’année 1997, Kim s’est dit qu’il allait faire ses gros titres lui-même en lançant un site web consacré à sa vie et sa vision du monde. Il l’a baptisé Kimble.org, à partir de son nom de hacker, Kimble : une référence à Richard Kimble, le Fugitif. Kim aimait le fait que son véritable prénom soit inclus dans le titre de son site et il s’identifiait au personnage incompris et persécuté du film. Dix ans avant que Facebook ne fasse du partage en ligne la norme, Kim utilisait Kimble.org comme vitrine de sa propre vie. C’était un des premiers sites à utiliser le langage Flash. « Avant, Internet, c’était juste des caractères hideux avec des liens hypertexte soulignés en bleu. Les gens, en venant sur mon site, en voyant les animations et les couleurs, se disaient : “Qu’est-ce que c’est que ça ?” Ils n’avaient jamais rien vu de tel. »

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Une capture d’écran du site

Il y avait des vidéos de Kim, des photos de Kim. Kim comme icône de succès, une inspiration. Kim avec des femmes. Kim au sommet d’une montagne. Kim en costume noir. Kim en costume blanc. Kim dans un jet. Il avait rempli le site de listes de développement personnel telles que « les 10 règles du succès ». « Les gens croient que j’ai monté ce site pour satisfaire mon ego, mais c’était pour les motiver. » Kim sait que cela peut sembler idiot, mais il aspirait à devenir un modèle, une figure exemplaire, un Gates, un Jobs, un Branson, un Tony Roobins ou un Donald Trump. Les photos et les vidéos, les postures, le côté bling-bling, les mises en scène… tout ça agissait comme un appeau à confiance pour nerd, une incitation à prendre des risques et à entreprendre. Comme le faisait Kim.

En 2000, Kim a vendu la majorité de ses parts de Data Protect pour débuter un fonds d’investissement privé. Il avait des vues sur une société appelée LetsbuyIt.com, une sorte de proto-Groupon (comparateur de prix sur Internet) apparu dix ans trop tôt. Kim a investi des parts dans la société, pensant qu’il pourrait simplifier son interface et en faire un succès. Après quoi, il a annoncé son intention de lever 50 millions de dollars pour la subventionner. Les actions de la compagnie ont bondi de 220 % et Kim a vendu une partie de ses parts en réalisant un bon bénéfice. « Je me détendais à Bangkok quand j’ai appris la nouvelle », me dit Kim. Il était accusé de délit d’initié. Il a expliqué qu’il ne considérait pas le fait d’agir de manière individuelle comme un délit d’initié et qu’il était loyal envers la compagnie, mais apparemment, les régulateurs financiers ne partageaient pas son point de vue. Le récit d’une autre folle arnaque de la part du flamboyant Kim Schmitz a suscité une véritable frénésie médiatique. Une chaîne de télévision allemande est venue interviewer le célèbre génie dans la suite présidentielle du Grand Hyatt de Bangkok. « J’étais vraiment furieux et un poil prétentieux », concède Kim. « Je leur ai dit que si c’était la manière dont l’Allemagne traitait ses entrepreneurs, alors je ne voulais plus remettre les pieds en Allemagne. Ce fut une énorme erreur. »

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Le hall de l’hôtel Grand Hyatt de Bangkok
Crédits

La télévision allemande a passé en boucle les images de cette riche tête brûlée tançant le gouvernement depuis une suite de luxe en Thaïlande, agissant comme s’il était hors de portée de la loi allemande. Un procureur allemand a décidé de lui donner tort et a lancé un mandat d’arrêt contre Kim. L’ambassade allemande a révoqué son passeport. Kim était désormais un étranger en situation illégale en Thaïlande. La police thaïe est venue le cueillir dans sa suite pour le mener dans une prison pour migrants. « C’était pas une prison normale : c’était complètement dingue. Ils m’ont fait porter une combinaison spéciale. Ils m’ont jeté dans cet endroit, avec 18 mecs dormant sur le béton. Tout le monde portait des chemises dégueulasses, par 40 degrés… ça puait grave. Les moustiques me bouffaient littéralement, la nourriture était servie dans des seaux. »

L’avocat de Kim lui a alors dit qu’il pouvait contester la décision et gagner le procès : il sortirait libre dans un mois au plus tard. Kim a trouvé la plaisanterie excellente. Le gouvernement allemand lui a proposé un visa de voyage valable deux jours à condition qu’il accepte de rentrer au pays. « OK », a convenu Kim. Dans l’avion du retour, il était flanqué de deux policiers. La presse l’attendait de pied ferme. L’affaire a fait les gros titres en Allemagne : c’était le plus gros délit d’initié de l’histoire, et de plus l’accusé violait une loi existant depuis à peine quelques années. « Les journaux n’arrêtaient pas de faire allusion à mon poids, ils écrivaient “la chute de la grande gueule”, des trucs comme  ça. Mon style de vie et Kimble.org avaient fait de moi une cible. Ils parlaient de moi comme d’un  mégalomane, d’un arnaqueur, du roi des pirates. » Le gouvernement, considérant que la fuite de Kim était probable avant son procès, l’a fait passer cinq mois en prison avant qu’on ne lui propose une probation assortie d’une petite amende, à condition qu’il plaide coupable à son procès. « J’en avais marre et je savais que je n’avais plus d’avenir en Allemagne de toute façon », soupire Kim. Et il savait que Kimble.org était foutu également, il n’y avait plus la moindre chance pour qu’il devienne un modèle à présent. « Alors j’ai accepté l’offre. Et c’est mon plus grand regret. Parce que si j’avais plaidé à l’époque, alors je n’aurais pas eu mon étiquette actuelle de “criminel de carrière”. Et rien de tout cela ne serait arrivé. »

L’avènement de Megaupload

S’il est un seul domaine où Kim se livre à une activité illégale, il faut aller le chercher du côté de son besoin pathologique pour la vitesse. Il ne boit pas, ne prend aucune drogue, mais c’est un chauffard invétéré. Conduire est un vice pour lui, une véritable addiction à l’ivresse que procure la vitesse et au contrôle d’une machine gracieuse. Kim raconte qu’avant son départ de l’Allemagne, il a essayé d’établir le record du citoyen ayant perdu le plus de points sur son permis : « Je grillais les feux rouges en passant à fond, quand le radar me flashait, je m’arrangeais pour qu’on me voie le pouce bien levé. Après quoi je faisais demi-tour et je recommençais. » Pendant les rallyes routiers, il était connu pour tamponner les autres concurrents ou pour prendre des raccourcis : tout était bon pour arriver en tête. D’aucuns diraient que sa conduite était audacieuse, d’autres qu’elle était impitoyable, mais tout le monde s’entendait pour dire qu’il était sacrément doué.

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L’une des voitures de Kim Dotcom
Crédits : Kim.com

À partir de 2001, Kim et sa Mercedes customisée « MegaCar » étaient des habitués du rallye Gumball 3000, une version pour riche et presque légale des Cannonball Runs. Des vidéos d’époque montrent un Kim provocateur, souvent en compagnie de femmes légèrement vêtues, coiffé d’un casque de la Wehrmacht, portant bien haut son trophée. En 2004, il a lancé son propre rallye, à une vitesse bien supérieure. « Le Rally Ultimate était censé être un Gumball sous stéroïdes », me précise-t-il. L’événement avait souvent lieu dans des coins comme la Corée du Nord, et il attirait des pilotes officiels de formule 1, le tout avec un million de dollars à la clef pour le vainqueur. Kim a vite compris qu’il existait un marché basé sur les droits de retransmission vidéos et les sponsors. Kim et son nouvel associé, Bram van der Kolk, ont suscité l’intérêt en envoyant des vidéos des exploits de pilote de Kim, le plus souvent par courriel. Mais les vidéos en pièces-jointes étant trop lourdes, les courriels ne cessaient de leur revenir. Il devait certainement y avoir un meilleur moyen pour partager des fichiers volumineux sur le web. Ils ont baptisé leur solution Megaupload. Les charges qui pèsent contre l’entreprise en décrivent précisément le mode de fonctionnement : « Une fois que l’utilisateur a choisi un fichier présent sur son ordinateur et qu’il a cliqué sur le bouton “Upload”, Megaupload.com reproduit le fichier sur au moins un des serveurs de l’entreprise. Après quoi, il fournit à l’utilisateur un lien URL unique qui permettra à n’importe qui le connaissant de télécharger le fichier. » « C’était une idée toute simple. À ce stade, honnêtement, on ne s’attendait pas à en faire grand’chose de plus. » ulyces-kimdotcommanor-31

Initialement, Kim utilisait Megaupload pour générer du buzz autour de l’Ultimate Rally, allant jusqu’à offrir 5 000 dollars pour les meilleurs vidéos de rallyes urbains clandestins. « Très vite, tous les fanas de bagnoles ont commencé à mettre en ligne des vidéos et partager les liens avec leurs amis », s’exclame Kim. Les bandes passantes des serveurs ont très vite été saturées. Kim a alors réalisé que le site avait un potentiel qui allait bien au-delà des simples vidéos de courses. La taille des fichiers ne cessait de croître, le format HD commençait à se démocratiser. Le futur était évident. Il ne l’aurait jamais réalisé s’il était resté en Allemagne et si son ancienne entreprise n’avait pas mordu la poussière. Le futur était dans le cloud. « Je me suis dit : “Au diable Ultimate Rally !” » À partir de ce moment-là, Kim se consacrerait exclusivement à Megaupload. Kim Schmitz n’existait plus. Schmitz était le nom de son père. La dernière fois qu’il l’avait vu, son père était interviewé par la télévision allemande. Il avait l’air de vivre dans un abri de jardin : l’homme était complètement ravagé par l’alcool. Il avait déclaré aux journalistes que son fils ne venait jamais lui rendre visite. « Mais comment ils ont pu le laisser dire ça ? » enrage Kim. Il détourne le regard. « C’est pas juste. » Kim a reçu plusieurs lettres de son paternel par la suite, mais il n’y a jamais répondu. « Je sais pas, peut-être qu’il est mort maintenant », dit-il, l’œil humide. Kim a laissé ce monde derrière lui. Sa nouvelle entreprise était un nouveau départ qui ferait de lui un géant du numérique. Et si le monde le connaissait désormais sous le patronyme de Dotcom (« point com » en anglais) ? Une URL n’est rien de plus qu’un emplacement, à l’instar d’un numéro de téléphone. Kim était réellement surpris que personne n’ait songé à le faire avant lui.

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Un nouveau personnage
Crédits : Hannah Johnston

Une fois devenu Kim Dotcom, son nom était son site web, sa présence, son entreprise et son héritage. Comme il aurait été stupide et contre-productif de demeurer le Kim Schmitz de Megaupload à propos duquel on pouvait apprendre tellement de choses sur Kimble.org : quelle perte de temps, quelle solution de gagne-petit ! Qui aurait écouté jusqu’au bout un nom aussi long ?  Mais « Dotcom »… c’était la méga-clé. Les droits de rachat pour le nom de domaine Kim.com lui ont coûté une petite fortune, mais il a payé sans regret. Il allait reprendre le flambeau de Kimble.org, poursuivre son œuvre là où elle s’était arrêtée, devenir une source d’inspiration pour le monde entier. Kim peut prêter à rire quand il se compare aux plus grands innovateurs, mais une fois que Kim aurait révolutionné notre manière d’acheter, de penser et d’apprendre, alors Kim.com serait fait de l’étoffe des légendes. Kimble.org avait fait de lui une vaste blague. Mais Kim.com pouvait encore faire de lui un héros. Tout ce qu’il lui fallait désormais, c’était une méga success story.

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L’idée était simple et l’équipe pour la mettre en œuvre, réduite. Ortmann et van der Kolk étaient les seuls à contrôler l’accès aux serveurs. Pour faire le buzz et attirer les investisseurs, ils avaient besoin de débit, d’un grand trafic de données. Pour le bâtir, ils ont offert de l’argent à tous ceux qui mettaient en ligne des contenus demandés. Les utilisateurs de Megaupload ont très vite dépassé le stade du partage de vidéos de courses : bientôt, ils proposaient tous types de contenus… y compris du porno et du matériel volé. Kim m’explique que lui et son équipe ont très tôt compris que leur service était utilisé de cette façon, ils ont alors essayé de trouver une solution pour remédier au problème. Selon leurs avocats, la méthode était simple : en cas de demande légale, il fallait supprimer les fichiers délictueux. Kim affirme qu’en cas de demande, la suppression était systématique, mais la mise en examen du département de la Justice affirme qu’ils ne l’ont fait que de « manière sélective ». ulyces-kimdotcommanor-33Kim m’explique qu’ils ont fait de leur mieux pour se plier à la loi, bien plus que la plupart des autres acteurs du secteur, allant même jusqu’à remettre les fichiers violant la propriété intellectuelle directement aux studios lésés par leur mise en ligne. « Tous les éditeurs majeurs avaient un accès direct à nos serveurs. Personne d’autre ne fait ce genre de choses. » Kim me dit qu’il pensait en avoir fait suffisamment. Lui et ses partenaires n’auraient jamais pensé risquer de la prison.

En vérité, en 2010, Kim et ses associés avaient beaucoup plus à perdre qu’auparavant. Kim avait rencontré une jeune femme, Mona Verga, aux Philippines : ils s’étaient mariés et avaient fondé une famille. Kim précise qu’ils avaient choisi la Nouvelle-Zélande pour son côté vierge et vert, un pays qui avait les meilleures probabilités de survie dans un futur incertain. C’était l’endroit idéal depuis lequel diriger une entreprise numérique légale et florissante, qui comptait plus de 100 employés. C’est le caractère légal de ce succès qui est au cœur de la bataille judiciaire actuelle. Le département de la Justice cite plusieurs courriels de Megaupload comme preuves à charge, attestant du caractère délibérément illégal de l’entreprise (Van der Kolk : « on a un drôle de business […] nous sommes des pirates des temps modernes :). » Ortmann : « Nous ne sommes pas des pirates mais on leur fournit des moyens de diffusion :). » En réponse, Kim me dit que le FBI n’a aucun sens de l’humour et il pointe du doigt les 45 000 autres courriels qui ne sont pas cités. « Ils ont lu toute notre correspondance interne. Ils savent que nous sommes de bons citoyens responsables. » Il n’y a aucun doute sur le fait que la technologie utilisée par Megaupload n’est pas de nature criminelle. Selon la personne qui en fait usage, le service peut aussi bien mettre en relation des pirates et des gens téléchargeant des contenus illégaux que des artistes de premier plan et leur audience colossale.

En 2011, le site a connu plus de 4,9 milliards de connexions individuelles : Kim facturait très cher ses services aux sociétés publicitaires. Il commençait même à signer des contrats tout ce qu’il y a de plus légaux avec des stars de premiers plans telles que Kanye West, Will.I.Am, Jamie Foxx, Sean « Diddy » Combs, Alicia Keys et Chris Brown. Tout cela allait mener au lancement du service Megabox, qui aurait permis à des artistes de générer des profits à partir de pubs attachées directement à leurs chansons légalement téléchargées. Des téléchargements libres avec autorisation des ayants-droits n’étaient pas du piratage mais un nouveau mode de diffusion  qui aurait tué l’attrait du téléchargement illégal auprès de la plupart des pirates d’une part, et permis à chacun d’être rétribué d’autre part. Kim préparait un service similaire pour les films hollywoodiens et les émissions de télévision. Dotcom était prêt à passer au stade supérieur. Mais à ce stade, bien que Kim l’ignorait encore, il était déjà trop tard. Le 5 janvier 2012, un grand jury fédéral a envoyé une mise en accusation de 72 pages à Megaupload, suite à une enquête de deux ans dirigée par le FBI. Quelques jours plus tard, des membres du FBI ont contacté les services d’intervention antiterroriste néo-zélandais. La planification de l’opération Debut venait de commencer. Le 18 janvier, deux agents spéciaux américains et l’assistant d’un procureur américain étaient présents en Nouvelle-Zélande. Le 19, un agent de police, équipé d’une caméra miniature, s’est rendu au manoir Dotcom pour repérer furtivement la disposition des lieux et les dispositifs de sécurité. Le lendemain, deux sections du Groupe d’intervention tactique et quatre sections de l’Armed Offenders Squad ont été mobilisées sur Coatesville. L’opération Takedown débutait. ulyces-kimdotcommanor-tt

La Salle Rouge

Les hommes riches recourent aux services de protection privés pour les mêmes raisons que les banques : ils sont là où se trouvent l’argent. La famille de Kim était susceptible d’être la victime de vols, d’attaques de gangs et de kidnapping. Mais elle n’aurait jamais imaginée être la cible du raid d’une unité anti-terroriste. le matin de l’attaque, Kim, en entendant le vacarme, s’est souvenu du protocole de sécurité de Tempero : il s’est précipité vers le bouton d’alarme situé sur le côté de son lit de travail. Il ressemblait à un gros buzzer en laque noire de jeu télévisé, protégé d’une activation accidentelle par un clapet en verre à charnières. Kim, en pressant le bouton, a envoyé un SMS à tous les membres de la sécurité présents dans le complexe. La porte située derrière lui était sur le point de céder. Kim s’en est éloigné en empruntant un couloir courant en direction d’un hall central qui mène à des escaliers et à différentes parties du complexe. Il est arrivé dans une salle de bain aux dimensions gigantesques et dans l’atrium bleuté d’une piscine de 30 mètres de long. Des serviettes pour tous les membres de la famille étaient stockées dans un placard. Les étagères dissimulaient un escalier dérobé menant à une pièce que Tempero avait baptisé la Salle Rouge.

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L’hélicoptère des forces d’intervention approche du manoir
Crédits : Kim.com

C’était un grenier tout simple au sol couvert de tapis, situé sous la pente du toit. Kim s’est rendu au bout de la pièce pour se cacher derrière un pilier. Il a entendu des éclats, des explosions et des cris relayés par les corridors et les escaliers. « Police ! » hurlait-on partout d’une seule voix. Kim savait exactement ce qu’il se passait. Il aurait pu sortir de sa cachette. Il aurait pu descendre les escaliers pour apparaître dans la salle bruyante. Mais cela ne lui a pas paru très sûr. Il ne voulait pas surgir d’un coup et risquer de surprendre les membres des forces de l’ordre. Il a préféré s’en tenir au protocole. À en croire les informations, Kim aurait été retrouvé occupé à se cacher non loin d’un fusil à canon scié, voire il se serait carrément retranché avec pour en découdre. Il est vrai que la Salle Rouge contient un fusil à pompe, mais Kim se cachait complètement à l’opposé, à plus de 15 mètres de l’arme. Il n’était même pas caché en réalité, son ample silhouette bien visible derrière le pilier, mais il tenait à protéger sa tête. Il a attendu là pendant plusieurs heures. Le vacarme se faisait de plus en plus proche. Quelques minutes après l’arrivée des unités tactiques, plusieurs dizaines d’hommes supplémentaires sont arrivés en hélicoptères, suivis de plusieurs vans noirs à vitres teintées, qui ont pris position autour de la propriété. Les lieux étaient désormais aux mains d’une petite armée.

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La police arrête toute personne se trouvant sur la propriété
Crédits : Kim.com

Mais la police ne parvenait pas à localiser Kim. Ils se doutaient que la demeure devait comporter une pièce de sécurité… quelque part. Mais ils ne connaissaient pas l’emplacement précis de son entrée. Les forces spéciales s’affairaient autour d’un monte-plat qu’ils pensaient être une cachette. Des détonations semblables à des coups de gongs ont retenti dans le manoir tandis que la police attaquait le métal des portes de sécurité à la masse. Finalement, un membre du personnel domestique a ouvert le monte-plat. Kim ne s’y cachait pas. Les unités d’élite anti-terroriste étaient en train de perdre une partie de cache-cache avec un nerd géant. L’homme muni d’un dispositif capable de détruire l’ensemble de ses serveurs leur faisait défaut depuis dix longues minutes. Tempero avait entendu le fracas dès l’atterrissage du premier hélicoptère. Il s’est précipité dehors… avant d’être arrêté dans son élan par un type en armure tactique noire qui lui pointait une arme sur le visage. « OK, amuse-toi bien, mec », lui a-t-il dit avant de coucher au sol. Il y était toujours quand la police est venue pour l’interroger. Tempero se faisait du souci pour son patron. Il leur a montré la porte dérobée vers la Salle Rouge. Ils ne l’avaient pas encore découverte. Kim raconte que les policiers lui ont donné des coups de pieds dans les côtes, plusieurs coups de poings au visage, assortis de coups de pieds jusqu’à ce qu’il saigne du nez (la police conteste ces affirmations). Ils l’ont ensuite plaqué au sol avant de l’entraîner dans l’escalier. Ce n’est que lorsqu’il est passé devant les fenêtres que Kim a eu une idée de l’ampleur des opérations.

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Armes et chiens sont de sortie
Crédits : Kim.com

Les flics étaient partout. En uniforme, en civil, en armure tactique, la plupart étaient armés de fusils Bushmaster ou de semi-automatiques. Il y avait même une unité canine et des types sur le toit avec des jumelles. L’opération impliquait tellement de monde que les flics étaient même venus avec des toilettes chimiques et un food truck. Kim avait du mal à en croire ses yeux. Les types rôdaient dans la propriété, avec leurs sandwichs et leur café en s’auto-congratulant. L’inventaire de la police ressemblerait à un catalogue d’articles de luxe : 15 Mercedes d’une valeur de plusieurs centaines de milliers de dollars pièce, deux Mini Cooper, une Cadillac El Dorado de 1957, une Cadillac décapotable de la série rose de 1962, une Lamborghini LM002, un coupé Rolls-Royce Phantom Drophead, des motos Harley Davidson et Von Dutch Kustom, huit télévisions et des œuvres d’arts visiblement d’une grande valeur, dont une imposante statue d’un Predator qui n’aurait pas dépareillé chez Planet Hollywood. Mais c’est l’argent qu’ils ont saisi qui a constitué la plus grosse prise : des millions entassés sur plus de 50 comptes bancaires à travers le monde. Si les méga-conspirateurs avaient l’intention de se défendre contre la puissance du système judiciaire US, ils devraient le faire à crédit. La police a conduit Kim jusqu’à la pelouse où la plupart des domestiques étaient rassemblés. « J’étais si inquiet à propos de Mona : elle était enceinte des jumeaux. Je n’arrêtais pas de leur demander où elle était et où étaient les enfants. » Kim ne les a pas vus mais il a aperçu Ortmann. Lui et Batato étaient arrivés pour participer à l’anniversaire dont Kim partagait la date avec son fils, Kimmo. Cela aurait dû être un événement épique, avec des artistes de premier ordre venus spécialement des États-Unis pour l’occasion. Le château gonflable ne l’était pas encore.

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La cadillac fétiche de Kim est enlevée
Crédits : Kim.com

La police a mis la main sur Batato à l’arrière de la maison : affairé sur son ordinateur portable, il était encore en robe de chambre. Ortmann dormait encore quand une équipe tactique a fait irruption dans sa chambre. Il avait vraiment l’air effrayé et brisé. Ce n’était pas le genre à prétendre qu’il faisait parti d’un gang. Il ne jouait même pas à des FPS. Kim a interpellé un officier de police : « Quelles sont les accusations ? » Il pensait qu’avec plus de 50 employés répartis sur toute la planète, l’un d’entre eux avait dû être mêlé à quelque chose d’illégal. La réponse l’a pris de cours : « Violation de la propriété intellectuelle. » Tandis que les flics l’entraînaient vers une fourgonnette, Kim est arrivé à la hauteur de Mona. Elle avait l’air effrayée. « Tout ça pour une histoire de copyright ? » lui a-t-elle dit. « C’est des conneries ! » Une fois dans le véhicule de police, on a remis une copie de l’acte d’accusation à Kim. Il a vu l’accusation de violation de la propriété intellectuelle, mais, et c’était plus surprenant, on l’accusait également de blanchiment d’argent. Il ne comprenait pas la premier chef d’accusation de la liste : « Racket ? » a-t-il demandé à un policier. « C’est une accusation réservée aux organisations criminelles, comme la mafia », lui a-t-on donné comme réponse.

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Célébration après l’arrestation
Crédits : Kim.com

Voilà qui n’augurait rien de bon. Kim possédait bien une plaque d’immatriculation sur laquelle était écrit « mafia », mais il en avait d’autres indiquant « dieu », « police » et « diable », pourtant on ne l’accusait pas d’être une de ces choses. Il devait y avoir erreur. Kim et ses associés avaient dépensé beaucoup d’argent pour comprendre toutes les facettes du business, y compris le DMCA. « C’est pour cette raison que nous avons localisé certains de nos serveurs en Virginie », dit Batato. « Pour être protégés par la sphère de sécurité. » Ils s’attendaient à être traînés au tribunal pour toutes sortes de raisons. Mais être sous le coup de charges criminelles ou risquer la prison, voilà qui était imprévu. Les hommes de Megaupload ont été conduits au commissariat central de la côte nord pour interrogatoire, puis au centre de détention de Mount Eden. Il faisait presque nuit quand ils y ont été admis. La cellule de béton de Kim contenait un matelas de 5 cm d’épaisseur. « Avec mon poids, c’est comme si je n’avais pas eu de matelas », précise-t-il. Quelques jours plus tard, il était en proie à de violentes douleurs dorsales. On lui a donné de l’ibuprofène, il a été placé dans un fauteuil roulant et mis sous garde constante pour éviter qu’il ne se suicide. « Le psy est venu me parler. Il m’a demandé si j’avais l’intention de me tuer et j’ai dit non. C’est vrai, tu sais ? Mais ils m’ont gardé à l’œil malgré tout, alors ils passaient dans ma cellule toutes les deux heures, pour voir si je bougeais encore. » L’équipe de Megaupload était dans le même bloc de cellules. Pendant les heures de ballades, ils s’asseyaient ensemble pour étudier de près les accusations. Plus Kim les lisait, plus elles lui paraissaient merdiques. Ils allaient remporter le procès, leur affirmait Kim. Puis ils déchaîneraient leurs avocats pour que le moindre penny saisi leur soit restitué, sans compter les pertes de revenus et les dommages et intérêts. Il a dit à Ortmann : « Je vais appeler mon bateau “J’ai été payé par le FBI”. » Les Américains étaient leurs ennemis dans l’affaire. Un coup de Hollywood qui avait financé Obama – peut-être que cette méga-opération était une méga-vengeance. Faire la différence au cours des prochaines présidentielles américaines ferait partie de leur retour, mais, en tant que hackers, ils devaient voir plus loin. Hollywood n’avait pas pris la main que Kim leur avait tendu. À présent, il devait leur offrir quelque chose d’autre. ulyces-kimdotcommanor-36Hollywood les accusait d’être des pirates en arguant qu’ils étaient conscients et responsables du contenu que leurs clients mettaient en ligne et téléchargeaient. Mais s’ils parvenaient à créer un moyen de stockage en ligne sur lequel personne, même eux, ne pourrait observer le contenu ? Voilà qui serait la sphère de sécurité ultime. Et cela changerait toutes les règles concernant la législation des données.

Une nouvelle fois, la prison a contraint Kim à se montrer créatif. Il s’est assis en compagnie d’Ortmann, de van der Kolk et de Batato dans une cellule. Ils se sont penchés sur le problème en concevant une nouvelle technologie à partir de rien, uniquement dans leurs têtes. Elle reposait sur une idée simple : d’un clic, le fichier est crypté et mise en ligne. Seule la personne qui l’a mis en ligne détient la clé de cryptage. S’il la diffuse, c’est son problème. Comme toutes les données du serveur sont codées, il est impossible d’y chercher quoi que ce soit. Même si quelqu’un s’empare des données, il ne pourra rien en faire sans les clés de cryptage. Bienvenue dans une nouvelle zone grise parmi les plus troubles du globe. Ils l’ont appelé Mega. Comme Megaupload, le site combinerait une technologie de pointe avec une interface ergonomique. Il ne générerait sans doute pas autant de revenus que Megaupload, mais ils pensaient que les droits d’inscription pour les entreprises en ferait une affaire rentable. Plus important encore, le site fournirait aux citoyens d’Internet un moyen de partager des données personnelles avec un niveau de protection sans précédent, en épargnant aux fournisseurs d’accès la majorité des maux de tête juridiques. En d’autres mots, on ne pourrait pas débrancher Mega. Kim s’était fait du souci au sujet de Ortmann. Il semblait si fragile lors de son entrée en prison, mais à présent il était complètement galvanisé par le défi. Les longs débats ont remotivé les hommes de Megaupload et Kim était véritablement enthousiaste à propos du nouveau projet. Mais en son for intérieur, il craignait que son rêve ne soit mort. Il serait peut-être encore un millionnaire du numérique. Mais il ne serait plus jamais un héros.

Le procès

Cela fait sept jours que je suis l’hôte de Kim. Le samedi matin se change en après-midi, qui cède à son tour la place au soir, quand le gel glace à nouveau le toit endormi. Finalement, un tweet arrive, puis un texto. « Viens. » Il est 21 h 45 et Kim prend son petit-déjeuner.

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Peut-il vraiment tout perdre ?
Crédits : Wilk

Quand j’arrive dans la cuisine, l’une des domestiques philippine a disposé sur la table des gaufres, des pancakes, des tranches de divers saucissons, des pickles, du jus de fruit et un verre d’eau de Fiji, qu’elle remplit avec de minuscules bouteilles en plastique. « Il va falloir que je renonce à toute cette bouffe bientôt », m’explique Kim en tartinant une seconde miche de pain avec un steak tartare. « Soit je perds 30 kilos, soit je perds le procès. » Kim est ainsi, s’imaginant transformé, seyant pour ses débuts en Amérique dans un costume noir ajusté. C’était une belle vision, comme lorsqu’on s’imagine en costume à ses propres funérailles. Kim est un homme imposant, mais ce soir il semble aussi vulnérable qu’un enfant privé de sommeil. Il est d’humeur contemplative et il veut parler, toute la nuit si nécessaire. Il se souvient très bien à quel point cela a été difficile pour lui de se refaire après le coup dur en Allemagne, de tous les efforts qu’il a dû mettre en œuvre pour resurgir avec un nouveau business numérique et un nouveau nom de domaine. Megaupload aurait dû être la dynastie sur laquelle ses enfants se seraient étendus ; Kim.com ne fournira que l’héritage de Kim Dotcom. Il a ravivé les cendres de Kimble.org pour initier un site qui aurait fait de Kim le Ramsès II d’un empire numérique, un bâtisseur de mondes charismatique. Après des années de labeur, son méga-monument était quasi-achevé. « Mais pour qui est-ce que je pourrais être un modèle maintenant ? » se demande Kim. Il va remporter le procès et récupérer son argent. Et après ? Sa femme est jeune et belle. « Alors que moi… » souligne Kim en se désignant. Si le procès traîne, s’ils sont coincés pendant des années dans ce manoir vide et ennuyeux, Kim ne donne pas cher de son mariage. Il n’est pas plus optimiste concernant ses perspectives d’avenir.

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Il rêvait d’une fin plus épique
Crédits : Kim.com

Kim a 38 ans. Ses genoux sont en ruines, son dos n’est que douleur et il a quelque chose comme 70 kilos à perdre. Il est épuisé. Il lui faudrait une décennie pour bâtir un nouvel empire avec sa prochaine idée géniale. Mais il n’est pas sûr d’en avoir encore la force. « J’ai fait une erreur en Allemagne : j’ai abandonné. » Ça lui a coûté son nom. Il ne fera pas deux fois la même erreur. Il n’y aura pas de compromis avant le procès. Il va faire face et combattre le département de la Justice. Même s’il lui prend tout. Il est 5 h 30 et Kim Dotcom commence sa journée. Kim dort toute la journée du lendemain pour se reposer en vue des trois jours d’audience. Lundi midi, je le trouve attablé devant un petit-déjeuner, respectant son nouveau régime alimentaire : 500 mg de vitamine C, des fruits et des baies, des œufs et des yaourts. Sa femme est à ses côtés. Elle semble calme et radieuse, ses longs cheveux sombres fraîchement lavés. « OK », conclut Kim. Il enfile ses lunettes Cartier bleues teintées et une écharpe reposant sur le comptoir. « Allons botter des culs. »

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La tribunal est un bâtiment civil tout simple en briques, situé non loin d’un jardin public. Un détecteur de métal dont personne ne semble faire grand cas se trouve là, ainsi que plusieurs équipes de télé brandissant leurs micros duveteux. Mona et Kim s’assoient sur les bancs en compagnie de leur avocat américain, Ira Rothken et leurs co-défenseurs Ortmann, Batato et van der Kolk. Tempero et un autre membre de la sécurité attendent, derrière eux, aux aguets.

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Kim Dotcom relate les faits au tribunal
Crédits : Kim.com

Kim se rend à la barre pour raconter l’attaque. « Notre belle demeure s’est changée une maison hantée. » Dans toute la salle, les journalistes griffonnent sur leurs carnets. Le ton est donné. « Je veux y retourner », s’exclame Kim pendant un interlude. Il sert les poings comme un enfant au jardin public. « Putain, c’était trop bon ! » Au cours des deux journées qui ont suivi, le raid a été analysé en détails et le juge Helen Winkelmann a fréquemment interrompu les officiers de police. En Nouvelle-Zélande, la police ne porte habituellement pas d’armes : le raid est considéré comme un usage sans précédent des forces d’intervention anti-terroriste contre un domicile civil, sur la base d’un mandat d’arrêt spécieux et de renseignements inexacts. À la barre, il a été demandé au chef de la police anti-criminelle de Nouvelle-Zélande si le Manoir Dotcom était sous la surveillance d’un autre organisme d’État dont l’identité serait encore inconnue du public. Le fonctionnaire a répondu qu’il n’en était rien. Malheureusement, ce n’était pas la vérité. En réalité, le complexe était sous la surveillance des services spéciaux néo-zélandais depuis des mois. Les informations qu’ils ont collectées (des courriels, des appels téléphoniques et des textos) demeurent un mystère, mais la loi ne peut admettre de zone d’ombres. Le Bureau de la sécurité des communications du gouvernement n’a pas le droit d’espionner des résidents légaux en Nouvelle-Zélande. Au cours des semaines suivantes, Kim est devenu le point central du Watergate local. Même le Premier ministre a dû lui présenter ses plus plates excuses. La cour a fini par rendre à Kim une partie de l’argent perdu : 4,8 millions de dollars pour les frais de justice et ses dépenses courantes. Mais avant que la sentence ne soit rendue, on doit présenter certaines preuves dont plusieurs vidéos. Un huissier atténue la lumière et lance l’enregistrement.

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Dotcom n’est plus à l’abri dans son manoir
Crédits : Wilk

La vidéo débute par un plan magnifique à l’aube du 20 janvier, le cameraman se trouve dans un hélicoptère de la police. Nous nous élevons par-delà de vertes collines néo-zélandaises, au-dessus des lignes à haute tension, puis l’appareil survole une dernière colline et un policier crachote ses instructions dans les écouteurs alors que nous apercevons le Manoir Dotcom, un U d’un blanc majestueux sur l’étendue herbeuse. L’hélicoptère atterrit : on voit les pieds d’hommes en armes, lancés au pas de charge contre la porte principale tandis que l’hélicoptère reprend son envol pour décrire des cercles autour de la propriété. « Nous fournirons une copie de cet enregistrement aux médias », promet le juge. Mais comment diable, se demande-t-elle, pourra-t-elle distribuer ses copies identiques instantanément à toutes les station de radios et de TV ? Aux quatre coins de la salle d’audience, les hommes de Megaupload commencent à rire.

Le mardi 24 novembre 2015, après dix semaines d’examen par la Cour de district d’Auckland, l’audience pour la demande d’extradition de Kim Dotcom a pris fin. On ne connaît pas encore la date à laquelle le tribunal néo-zélandais rendra son jugement.


Traduit de l’anglais par Cédric Stome d’après l’article « Inside the Mansion—and Mind— of the Net’s Most Wanted Man », paru dans Wired. Couverture : Kim Dotcom interviewé par les médias néo-zélandais. Création graphique par Ulyces.