Légende urbaine

Kimbo Slice est mort le lundi 6 juin 2016, il avait 42 ans. Le monde l’avait découvert sur YouTube.  115 kilos de muscles, le crâne chauve, la barbe drue et les dents recouvertes d’or : il incarnait une présence menaçante venue des plus sombres recoins d’Internet. Il avait le combat dans le sang.

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Kimbo vs. Big D

L’histoire de Kimbo commence avec son premier combat filmé : une baston à mains nues tournée en 2003 qui lui a rapporté 3 000 dollars et l’a instantanément transformé en star du net. À ses débuts, tous ses combats se déroulaient dans des coins déserts de Miami et dans ce cas précis, il s’agissait d’un petit jardin entouré de palissades en bois et de palmiers. Kimbo arrive avec son crew, se poste face à son adversaire – un colosse appelé « Big D » – et commence à jouer des poings. Pas d’échauffement, pas de causette et pas de véritables règles. On assiste à un combat de rue très cru. Kimbo avait un don pour ça. Après sa victoire contre Big D, arrachée grâce à un crochet du gauche si violent que le visage de son adversaire s’est ouvert sous le choc, ses fans ont ajouté « Slice » après son nom. D’autres combattants, pourtant coriaces, ont connu un sort similaire à celui de Big D. Afro Puff, Big Mac, Chico, Dreads, Adryan : ils sont tous allés au tapis. « Finissons-en ! » grognait Kimbo face caméra avant d’achever son adversaire. Il avait l’air d’un ogre et il en jouait.

On peut se demander si les palissades de Miami abritaient vraiment une telle sauvagerie, si ces féroces guerriers se donnaient réellement rendez-vous dans des lieux discrets pour se battre clandestinement. La réponse est oui et pas qu’à Miami. Ces rencontres étaient fréquentes entre le début et le milieu des années 2000, jusqu’à ce que l’UFC ne parvienne à redorer complètement son blason et que le MMA gagne les faveurs du grand public. Les gens avaient soif d’une violence authentique, qui avait l’air de se dérouler à deux pas de chez eux. Les séries DVD comme Ghetto Fights, Bumfights  et Felony Fights sont devenus l’objet d’un culte grandissant. Mais Kimbo était unique. Il taillait d’étranges motifs dans les poils de son torse. Il portait autour du cou un énorme poing en or. Il était à la fois bizarre et terrifiant. Mais surtout, il était facile de voir ses combats en ligne. Il y a un parallèle à faire entre son histoire et l’essor de la pornographie gratuite et omniprésente sur Internet : la possibilité de regarder ce que vous voulez, quand vous voulez, en ligne et gratuitement, peu importe la nature extrême du contenu. On ne s’étonnera donc pas du fait que les combats de Kimbo étaient au départ diffusés sur un site porno – après avoir été videur dans un strip club, il est devenu agent de sécurité pour une entreprise de Miami spécialisée dans la pornographie. Mais Kimbo a attiré l’attention du grand public quand ses vidéos ont commencé à être postées sur YouTube. En 2006, il était devenu une légende urbaine, un bagarreur qui s’était fait tout seul et qui était sorti de sa misère grâce aux vidéos en streaming.

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Crédits : Robert Laberge

De la rue au ring

En 2008, Kimbo Slice est passé au MMA et, contre toute attente, il a fait la couverture du magazine ESPN, le menton appuyé sur sa main comme Le Penseur de Rodin. Le journaliste Dan Le Batard a déterré son histoire et révélé que Kimbo, alias Kevin Ferguson, était une future star du football américain au lycée, avant que ses espoirs de jouer dans l’équipe universitaire ne soient réduits à néant par l’ouragan Andrew. Il s’est ensuite retrouvé à la rue et vivait dans sa Nissan Pathfinder, se lavant dans l’océan. Le Batard décrivait la trajectoire hors du commun d’un homme en passe de devenir riche après avoir vécu dans la misère la plus noire. Cependant, cette attention grandissante a fini par miner la redoutable légende de YouTube. Kimbo était l’incarnation de la destruction sur petit écran, un Mike Tyson des premières heures de l’ère d’Internet. Il était si méchant qu’on en venait à douter de l’authenticité des combats. Mais Kevin Ferguson était une vraie personne, un immigré bahamien et père de famille luttant pour sa survie et le bien-être de ses six enfants. Certes, il aimait se battre. Certes, il travaillait pour l’industrie du porno, mais c’était un homme plein de dignité.

D’après Le Batard, Big D « terrorisait le quartier en répandant le crime et la peur » jusqu’à ce qu’il morde la poussière dans la première vidéo de Kimbo. La justice de la rue avait parlé. Mais tout le monde n’a pas accueilli le phénomène Kimbo avec la même chaleur. LZ Granderson, un rédacteur d’ESPN, a dit de lui qu’il « entachait l’histoire de la culture afro-américaine », avant d’ajouter : CkXitmjXAAMPu1e« Je ne sais pas s’il est vraiment stupide car je ne l’ai jamais rencontré, mais il semble en tout cas bien malavisé. Sinon, pourquoi Slice resterait-il indifférent à tout sens de l’honneur, de la fierté et de l’Histoire ? L’image qu’il renvoie est un mélange entre Lil’ Wayne et Kunta Kinte : celle d’un esclave en fuite à la bouche pleine de dents en or qui se plie à tous les stéréotypes de l’homme afro-américain en échange d’une adoration passagère, venue d’un média sans âme et frappé de trouble du déficit de l’attention. » Kimbo était voué à devenir un symbole. Selon l’angle sous lequel on le regardait, il était l’homme le plus fort du monde, le Père Fouettard des cités, une figure inspirante ou bien un ménestrel faisant le clown pour de l’argent. Pour les organisateurs de combats, il incarnait avant tout la nouveauté, un nom à imprimer sur un flyer pour vendre des billets sans besoin d’en rajouter. Il n’y a pas d’autre explication à sa carrière dans le MMA. Il a fait ses débuts dans la compétition en 2007, lors d’un combat d’exhibition confus l’opposant à Ray Mercer, ancien champion de boxe poids lourds de 46 ans. Kimbo a battu Mercer au premier round et n’a jamais été si bon dans la cage.

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COMMENT KIMBO SLICE A RÉUSSI À INTÉGRER L’UFC

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Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac d’après l’article « The Ultimate Fighter », paru dans  Slate.com. Couverture : Kimbo Slice. (Création graphique par Ulyces)