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Au paradis

Pourquoi avez-vous décidé qu’il était temps de sortir du silence ?

Il s’est dit beaucoup de choses à mon sujet, et beaucoup de ces choses sont fausses. Il y a eu de nombreuses contradictions. Peu m’importe la critique, mais je n’aime pas les mensonges. J’ai le sentiment d’avoir toujours été quelqu’un d’honnête dans ma vie et dans mon travail, et je ne peux pas tolérer que les gens disent autant de mensonges impunément.

Vous lisez tout ce qu’on écrit sur vous ?

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À la suite de cette rencontre,
Prince et Neal Karlen sont devenus très amis

Crédits : ©Neal Karlen

Pas tout, non. Quelquefois, un ami me fait lire un truc marrant. Je viens d’écrire un morceau qui s’intitule « Hello », qu’on retrouve sur la face B du single « Pop Life ». À la fin du morceau, je chante : « La vie est assez cruelle sans avoir besoin d’y ajouter des mots assassins. » Je suis la cible de beaucoup de mots assassins. C’est le cas de beaucoup de gens. Les critiques ont été très durs avec Stevie Wonder quand il a fait Journey through the Secret Life of Plants. Stevie a fait des tonnes de morceaux géniaux, mais les gens disent malgré tout : « Tu as raté, tu n’aurais pas dû faire ça, retourne à ta place. » Je ne pourrais jamais dire de Stevie Wonder qu’il a raté quelque chose. [Prince met l’album de Stevie Wonder sur la platine, en écoute un morceau, puis met le nouvel album de Miles Davis.] Ou de Miles. Les critiques vont dire : « Ah, Mike s’est égaré. » Pourquoi dire une chose pareille ? Pourquoi dire à Mike qu’il s’est trompé ? Si vous n’aimez pas, n’en parlez pas. Allez acheter un autre album ! Il n’y a pas longtemps, j’ai parlé à George Clinton, un homme qui a fait beaucoup pour le funk et qui sait de quoi il parle. George m’a dit à quel point il aimait Around the World in a Day. Ses mots importent beaucoup plus pour moi que ceux d’un type à lunettes assis derrière sa machine à écrire.

Vous n’aimez pas les critiques rock ? Pensez-vous qu’ils ont peur de vous ?

[Il rit.] Non, ce n’est rien de grave. Mais c’est moi qui ai peur d’eux ! Au début de ma carrière, je me suis engueulé avec un journaliste new-yorkais, un vrai serpent. Il m’a dit : « Je vais te confier un secret, Prince. Les journalistes écrivent pour les autres journalistes, et la plupart du temps il est beaucoup plus marrant d’être méchant. » Je suis resté sans voix. Mais quand j’y ai repensé sérieusement et que j’ai essayé de me mettre à sa place, j’ai compris qu’il faisait juste son boulot. Je comprends, ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Mais moi aussi. Je peux peindre les paysages que j’ai envie de peindre avec mes albums. Cette liberté, j’ai essayé de l’instiller dans tous les projets sur lesquels j’ai travaillé.

Quel paysage avez-vous cherché à peindre avec Around the World in a Day ?

[Il rit à nouveau.] J’ai entendu des gens dire que je ne parlais de rien sur cet album. Ce que beaucoup de gens ne comprennent pas, c’est que je n’essaie pas d’être un sorcier visionnaire. Paisley Park est dans le cœur de chacun, ce n’est pas un endroit dont je suis le seul à avoir les clés. J’ai essayé de dire quelque chose à propos du fait de chercher la perfection en soi-même. La perfection est en nous tous. Personne n’est parfait, mais nous en avons le potentiel. Il se peut qu’on ne parvienne jamais à l’atteindre, mais il vaut mieux y aspirer que de ne pas le faire.

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La pochette d’Around the World in a Day

Ça sonne comme des paroles religieuses.

À ce propos, laissez-moi vous raconter une histoire à propos de Wendy Melvoin. Nous devions prendre l’avion pour nous rendre quelque part, au début de la tournée, et Wendy a une peur bleue de l’avion. Elle est montée à bord, elle a eu très peur et j’avais peur pour elle. J’ai essayé de la calmer en lui racontant des blagues, mais ça n’a pas marché. Alors j’ai réfléchi un moment et je lui ai demandé : « Est-ce que tu crois en Dieu ? » Elle m’a répondu oui. J’ai continué : « Est-ce que tu lui fais confiance ? » Elle m’a répondu oui. « Alors pourquoi as-tu peur de prendre l’avion ? » Elle s’est mise à rire et m’a dit : « Ok, ok, ok. » Prendre l’avion n’est toujours pas son truc, mais elle sait qu’elle est entre de bonnes mains et elle n’a plus autant peur. Cela fait un bien fou de savoir qu’il existe quelqu’un d’autre et qu’il existe un ailleurs. Et si j’ai tort et qu’il n’y a rien, tant pis ! Au moins, j’aurai eu une bonne raison de vivre.

Quand vous parlez de Dieu, vous pensez à un Dieu en particulier ?

Oui, bien sûr. Il y a quelques temps, j’ai vécu une expérience qui a changé ma vie et qui m’a fait envisager différemment la façon dont j’écris de la musique et dont je me comporte avec les gens. Entendez-moi bien, je suis toujours aussi sauvage qu’auparavant. Je canalise juste mon énergie dans une autre direction. Aujourd’hui, j’analyse tellement les choses que parfois je n’arrive plus à débrancher et ça finit par me faire du mal.

Quelle était cette expérience qui vous a changé ?

Je n’ai pas envie d’entrer dans les détails. Mais durant la période Dirty Mind, j’avais des accès de dépression et je me rendais malade physiquement. À tel point que j’ai eu besoin d’appeler des gens pour m’aider à en sortir. Je ne le fais plus à présent.

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Crédits : Pictorial Press Ltd

Pourquoi étiez-vous déprimé ?

Pour une bonne part à cause de la situation avec le groupe. Je ne parvenais pas à leur faire comprendre combien nous pourrions être bons si seulement on jouait tous notre rôle à la perfection. C’était aussi dû au fait que j’aimais quelqu’un qui ne m’aimait pas en retour. Sans compter que je ne parlais pas beaucoup avec mon père et ma sœur… Enfin bref, beaucoup de choses se sont passées en l’espace de deux jours, mais je n’ai pas envie de me confier à ce sujet pour le moment.

Comment vous en êtes-vous sorti ?

Pour le moment, je peux seulement dire que Paisley Park m’a permis de m’en sortir. Paisley Park est un endroit dans lequel on peut se retrouver si on se sent seul.

Et qu’avez-vous trouvé ?

Une combinaison de choses. Je pense que quand quelqu’un se découvre, c’est Dieu qu’il découvre. Ou peut-être est-ce l’inverse. Je ne suis pas sûr… Il est difficile de mettre des mots sur ce genre de choses. C’est un sentiment : on sait quand on y accède. C’est tout ce que je peux dire.

Croyez-vous au paradis ?

Je pense qu’il y a un au-delà. Pour une raison ou pour une autre, j’ai la sensation que ça ressemble beaucoup à cette vie, mais que… Désolé, je n’aime pas tellement parler de ce genre de choses. C’est trop personnel.

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Plymouth Avenue, à Minneapolis
Crédits : Mike Zerby

Mauvaise réputation

Est-ce que votre célébrité affecte votre travail ?

Beaucoup de gens le pensent, mais ce n’est pas le cas. Je pense que la chose la plus intelligente que j’ai faite a été d’enregistrer Around the World in a Day juste après avoir fait Purple Rain. Je n’ai pas attendu de voir ce qui allait se passer avec Purple Rain. C’est pour cela que les deux albums sont si différents. Les gens se disent que le nouvel album n’est pas à moitié aussi fort que Purple Rain ou 1999. Mais savez-vous combien il aurait été facile de commencer Around the World in a Day avec le solo de guitare de la fin de « Let’s Go Crazy » ? Savez-vous combien il aurait été facile de le refaire en changeant simplement de ton ? Tout le monde aurait été content, mais je n’ai pas envie de faire un album qui ressemble au précédent. Il est plus agréable de pouvoir passer ses albums à la suite sans que cela devienne ennuyeux, non ? Je ne sais pas combien d’artistes en sont capables.

Que pensez-vous des comparaisons que certains font entre vous et Jimi Hendrix ?

C’est seulement dû au fait qu’il est noir. C’est vraiment la seule chose que nous avons en commun. Il ne jouait pas de la guitare de la même façon que moi. Si les gens écoutaient vraiment ce que je fais, ils y verraient davantage d’influences de Santana que de Jimi Hendrix. Hendrix jouait plus blues ; Santana est plus coquet. Mais on ne peut pas comparer les gens, c’est impossible, à moins que quelqu’un ne copie ouvertement quelqu’un d’autre. Il faut bien comprendre qu’on peut faire une infinité de choses avec une guitare électrique. Les gens qui disent ce genre de conneries n’en jouent pas, généralement. Une guitare peut produire des tonnes de sons, et Dieu sait que j’ai essayé de faire sonner la mienne d’une façon totalement inédite à mes oreilles.

Y a-t-il des musiciens actuels dont vous vous inspirez ?

« Je ne vis pas dans une prison avec des gardes armés autour de moi. »

Non. Je respecte le succès des gens, mais je n’aime pas la musique pop. Je n’ai jamais aimé ça. J’ai plutôt tendance à écouter les musiciens de mon enfance. De nos jours, les gens n’écrivent plus de chansons. Il y a beaucoup de sons, de répétitions. Ce sont les producteurs qui ont pris les commandes, on ne joue plus live.

Les gens semblent penser que vous vivez dans un monastère fortifié construit à votre gloire.

Premièrement, je ne vis pas dans une prison avec des gardes armés autour de moi. La raison pour laquelle j’ai un gardien dehors, c’est qu’après Purple Rain, toutes sortes de gens ont commencé à venir traîner ici. Ça ne me dérangeait pas tellement, mais les voisins ont commencé à s’agacer du fait que les gens passaient devant la musique à fond, ou qu’ils restaient là à chanter. C’est une des raisons qui font que je vais acheter plus de terrain. Comme ça, si les gens veulent venir, il n’y aura pas de problème. Mais j’aimerais que davantage de mes amis passent dans le coin.

Vos amis ?

Des musiciens, les gens que je fréquente… Souvent, ils pensent que je n’ai pas envie d’être dérangé. Quand j’ai dit à Susannah Melvoin que vous veniez, elle m’a dit : « Je peux faire quelque chose ? Est-ce que tu veux que je passe pour donner l’impression que tu as des amis qui te rendent visite ? » J’ai répondu que ce serait un mensonge et elle a baissé la tête, parce qu’elle sait qu’elle ne vient pas me voir aussi souvent qu’elle en a envie. C’était intéressant. Vous voyez, vous avez fait quelque chose de bien sans même le savoir !

Avez-vous peur de demander à vos amis de passer vous voir ?

Un peu, peut-être. Je crois que c’est parce qu’il arrive parfois que tout le groupe se réunisse ici, et nous avons de longues discussions. Mais ça n’arrive pas souvent, ces rencontres sont très espacées et c’est surtout moi qui parle. Quand on a fini, il arrive que l’un d’eux vienne me voir et me dise : « Prends soin de toi, tu sais que je t’aime. » Ça peut sembler bizarre, mais je crois qu’on s’aime tellement que s’ils venaient ici tout le temps, je serais incapable d’être ce que je suis pour eux, et vice-versa. Je pense que nous avons tous besoin de nos espaces, comme ça quand on se retrouve avec ce qu’on a concocté dans nos têtes, on est ravis.

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Prince and the Revolution

Cela vous embête que des inconnus fassent des pèlerinages chez vous ?

Non, pas du tout. Mais il y a un temps pour tout. Parfois, il peut être deux heures de l’après-midi et quelqu’un me demande des choses étranges à l’interphone. Je me rappelle de cette fille qui n’arrêtait pas d’appuyer sur le bouton. Elle appuyait, elle appuyait et puis elle a commencé à pleurer. Je ne savais pas ce qu’il se passait, j’ai pensé qu’elle était peut-être tombée. Alors j’ai commencé à lui parler. Elle n’arrêtait pas de me répéter : « Je ne peux pas croire que c’est vous. » Je lui ai répondu : « La belle affaire. Je ne suis personne de spécial, je ne suis pas différent de vous. » Elle m’a demandé si je pouvais sortir et je lui ai répondu non. Elle a compris. J’ai fait la leçon à quelques-unes de ces personnes. Je leur dis : « Pensez à ce que vous êtes en train de dire. Comment vous réagiriez à ma place ? » Je leur pose souvent cette question. Ils finissent par comprendre. Et allez savoir pourquoi, ils me prêtent tous une activité sexuelle débordante.

Il n’y a pas que les gens qui se pressent à votre porte qui pensent que vous avez une activité sexuelle débordante.

Jusqu’à un certain point, c’est le cas, mais pas 24 heures sur 24. Personne ne peut être ce qu’il est 24 heures sur 24, peu importe ce qu’il est. On doit manger, dormir, réfléchir et travailler. Je travaille beaucoup, et je n’ai pas le temps pour grand-chose d’autre quand c’est le cas.

Est-ce que cela vous met en colère quand les gens fouillent dans votre passé, quand ils veulent savoir ce qu’il se passe sous votre couette, ce genre de choses ?

Tout le monde pense que j’ai mauvais caractère et que je n’aime pas que les gens fassent ci ou ça. Mais j’ai beaucoup d’humour. Il y a peu, j’ai regardé Saturday Night Live avec Billy Crystal et je pleurais de rire. Son imitation de moi était fantastique ! Il chantait : « I am the world, I am the children ! » Et puis Bruce Springsteen l’a rejoint au micro, et Hulk Hogan l’a sorti de force. C’était hilarant. Et bien sûr, c’est très éloigné de la réalité. http://www.dailymotion.com/video/x6t4t5_billy-crystal-hulk-hogan-mr-t_fun

Comment vous sentez-vous quand vous allez à New York ou Los Angeles et que vous voyez la vie que vous pourriez y mener ?

L.A. est un endroit parfait pour travailler. Et j’aimais New York quand je n’étais pas connu, quand on ne venait pas m’embêter au moindre pas dehors. Vous n’imaginez pas. Il y a des photographes qui me poursuivent jusque dans les discothèques ! Je n’ai pas de problème avec le fait d’être pris en photo, si c’est fait de la bonne manière. Ce n’est pas compliqué de demander : « Prince, je peux vous prendre en photo ? » Je ne sais pas pourquoi les gens ne se comportent pas de façon plus humaine. Maintenant, quand j’y vais, j’aime bien me faufiler et essayer des trucs. Je vais en cachette voir des concerts et je vois si je peux m’en tirer sans qu’on prenne une seule photo de moi. C’est marrant. C’est comme de jouer au chat et à la souris. Vivre à Minneapolis, c’est une bonne et une mauvaise chose. Mauvaise dans le sens où je ne peux pas faire tout ce que fait une rock star de première classe : je ne peux pas aller aux fêtes et aux galas de charité, assister aux soirées de remise des prix, etc. Mais j’aime être ici. C’est confortable.

Le plaisir de jouer

On vous a reproché l’attitude de vos gardes du corps, tout particulièrement à L.A. quand Chick Huntsberry a – paraît-il – frappé un photographe.

On m’a souvent accusé de lâcher mes gardes du corps sur les gens, c’est vrai. Vous savez ce qu’il s’est passé à Los Angeles ? Ce cher photographe a tenté d’entrer dans la voiture ! Le fait que quelqu’un que je connais monte en voiture avec moi et la demoiselle qui m’accompagne ne me pose aucun problème. Mais un type comme ça ? Juste pour prendre une photo ?

Pourquoi Chick ne travaille-t-il plus pour vous ?

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Prince et Chick Huntsberry

Chick est la personne la plus fière que je connaisse. Je pense qu’après l’incident de L.A., il a eu peur de perdre son travail. Dès que je disais quelque chose, il partait au quart de tour : « Pourquoi tu me sautes dessus comme ça ? Quel est le problème ? Pourquoi as-tu subitement changé ? » Je lui ai dit qu’il se faisait des idées, mais finalement il a décidé de partir, il en avait assez. Je lui ai dit que je comprenais et il est rentré chez lui à New York. J’ai laissé passer quelques semaines et je l’ai rappelé. Je lui ai dit qu’il pouvait reprendre son job s’il voulait, que j’étais seul. Il m’a répondu qu’on se verrait lorsque je viendrais à New York, mais il n’est pas venu. Il me manque.

Est-il vrai qu’il est toujours payé ?

Oui.

Qu’en est-il du portrait qu’il a dressé de vous dans le National Enquirer ?

Je ne crois jamais rien de ce que je lis dans l’Enquirer. Je me rappelle avoir lu des histoires dedans quand j’étais gamin du type : « Je me suis faite baiser par une soucoupe volante, et voilà le bébé qui le prouve. » Je pense qu’ils ont pris ses propos et raconté n’importe quoi avec. Ça fait vendre du papier. Grand bien leur fasse. La seule chose qui m’ennuie, c’est que mes fans pensent que je vis dans une prison. Ce n’est pas le cas.

Vous avez joué pour des collectes de nourriture dans plusieurs villes, donné des concerts gratuits pour les enfants handicapés et fait don de beaucoup d’argent à l’école Marva Collins, du centre-ville de Chicago. Quand on vous a attaqué pour n’être pas venu à l’enregistrement de « We Are the World », vous n’avez pas eu envie de vous lever et de dire : « Eh, j’ai fait ma part. »

Non. Je n’ai jamais été riche, donc j’ai très peu de considération pour l’argent aujourd’hui. Je ne le respecte que lorsqu’il permet à quelqu’un de se nourrir. Je donne beaucoup de choses, des cadeaux, de l’argent… L’argent est plus utile à ceux qui en ont besoin. C’est tout ce que j’ai à dire. Je n’aime pas m’étendre sur les choses que je fais dans ce sens.

Les gens pensent que vous êtes un tyran en studio, que vous voulez tout contrôler. À L.A. pourtant, j’ai vu Wendy et Lisa mixer des morceaux pendant que vous étiez à Paris. Qu’est-ce que cela vous fait d’avoir cette réputation ?

J’ai réalisé mon premier album complètement seul. Sur le second, j’ai utilisé André Cymone, un bassiste, sur « Why You Wanna Treat Me So Bad? ». Il chantait une petite harmonie qui ne s’entend même pas. Il y a eu une erreur de typo sur l’album et André n’a pas été crédité. C’est comme ça que tout a commencé. J’ai essayé de lui expliquer ce qu’il s’était passé, mais quand vous êtes en train de réussir, vous avez beau expliquer les choses, les gens penseront ce qu’ils veulent.

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Prince sur scène en 1985
Crédits : Michael Ochs

La raison pour laquelle je me suis souvent passé de musiciens, c’est à cause des horaires auxquelles je travaille. Je jure devant Dieu que ce n’est pas par vantardise que je dis ça, mais je ne connais personne de mon entourage qui puisse rester éveillé aussi longtemps que moi. La musique me tient éveillé. Il y a des fois où je travaille en studio pendant vingt heures d’affilée. Après ça je m’endors sur ma chaise, mais je suis encore capable de dire à l’ingénieur du son quelles coupes je veux faire. J’utilise souvent des ingénieurs qui se relaient, car quand je commence quelque chose, j’aime aller au bout d’une seule traite. Il y a très peu de musiciens qui peuvent rester debout aussi longtemps.

Les autres sont conscients de votre travail ?

Non, je ne pense pas. Beaucoup de mes pairs font des remarques à propos du fait que mes musiciens et moi nous faisons des choses idiotes sur scène et en studio. Morris Day, l’ancien chanteur de The Time, a été très critiqué pour ça.

Quel genre d’idioties, exactement ?

Oh des tas de choses – que ce soit la musique, la danse ou les paroles. Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que c’est très exactement ce que nous voulons faire. Ce n’est pas de l’idiotie, c’est de la folie. La folie, c’est juste un mot pour désigner quelque chose que quelqu’un d’autre ne ferait pas. C’est ce que je recherche constamment. On ne cherche pas à faire quelque chose de cool, ce n’est pas l’idée. Si je me surprends à faire quelque chose qui appartient ou qui fait penser à quelqu’un d’autre, je m’empresse de faire autre chose.

Pourquoi Morris a-t-il dit des choses si négatives à votre sujet après avoir quitté le groupe ?

« Quand quelqu’un fait un tube, tout le monde essaie de le refaire une seconde fois. »

Les gens qui quittent un projet font souvent cela par besoin d’exprimer quelque chose qu’ils ne peuvent pas exprimer à l’intérieur. C’est tout bête. Morris, par exemple, a toujours rêvé d’une carrière solo. Je pense que Morris essaye aujourd’hui de se créer sa propre identité, et l’une des façons d’y parvenir consiste à prétendre qu’on n’a pas de passé. Jesse Johnson, l’ancien guitariste de The Time, est le seul à avoir dit ce qui s’était réellement passé au sein du groupe quand il est parti. Il raconte qu’il y a eu des tensions parce qu’il était dans une situation qui ne lui allait pas. Jesse voulait être sur le devant de la scène constamment. Je pense pour ma part que Dieu ne met pas tout le monde dans cette position. Et parfois, il m’arrive d’être assez franc pour le dire aux gens. Donc je lui ai dit : « Je pense pas que tu devrais être le frontman. Je pense que ce devrait être Morris. » Wendy, par exemple, dit très clairement qu’elle veut être à la place qu’elle occupe. Elle se sent plus utile au groupe ainsi. C’est la raison pour laquelle j’aime The Revolution plus que n’importe quel autre groupe avec lequel j’ai joué. Tout le monde sait ce qu’il a à faire et le fait, point.

Comment les choses se passent avec The Revolution ?

Bobby Z a été le premier à se joindre à moi. C’est mon meilleur ami. Ce n’est pas le batteur le plus spectaculaire du monde, mais il me regarde mieux qu’aucun autre batteur. Parfois, des batteurs extraordinaires comme Morris sont plus absorbés par le beat qu’il construisent que par le break auquel j’ai envie d’arriver. Quant à Mark Brown, c’est tout simplement le meilleur bassiste que je connaisse. Je ne voudrais de personne d’autre. S’il ne jouait pas avec moi, je supprimerais la basse de ma musique. C’est la même chose avec Matt Fink. C’est un des claviéristes les plus rapides du monde. Et Wendy me fait avoir bonne figure auprès du public.

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Prince et Wendy Melvoin pendant la tournée Purple Rain

Comment ça ?

Grâce au sourire qui illumine son visage. Quand je ricane, elle sourit. Ce n’est pas prémédité, elle sourit, c’est tout. C’est un bon contraste. Et Lisa est comme ma sœur. Elle peut jouer des choses que d’autres sont incapables de jouer. Elle peut jouer deux notes avec un seul doigt pour que l’accord soit plus ample, par exemple, ce genre de choses. Elle est plus abstraite. J’aime beaucoup Joni Mitchell et elle aussi.

Après toutes ces années, est-ce que la musique vous donne autant de plaisir qu’au début ?

De plus en plus. L’un de mes amis s’inquiète du fait que je pourrais faire un burn-out. On se dit toujours qu’un jour, on fera un dernier fade sur un morceau et… [Il rit et laisse retomber sa tête en faisant le mort]. Ça devient de plus en plus intéressant chaque jour. Et j’essaie de ne pas me répéter, plus que tout autre chose. C’est la chose la plus difficile au monde. J’écris beaucoup plus que les gens ne le pensent, et j’essaie de ne jamais me répéter. Je pense que c’est le problème avec l’industrie musicale aujourd’hui. Quand quelqu’un fait un tube, tout le monde essaie de le refaire une seconde fois. Je crois que je n’ai jamais fait quoi que ce soit de ce genre. J’écris constamment et je coupe constamment. Je pourrais vous montrer mes archives, où je range tous mes vieux trucs. Il y a des tonnes d’enregistrements inédits. J’ai la suite de l’album 1999, par exemple. Je pourrais tout rassembler et vous le faire écouter, vous trouveriez probablement ça super. Et je pourrais le sortir, ça se vendrait probablement aussi bien que 1999. Mais j’essaie toujours de faire les choses différemment et de conquérir de nouveaux territoires. Du coup, les gens se disent que j’ai la grosse tête. Mais j’aimerais beaucoup qu’ils comprennent que j’ai toujours eu le sentiment d’être mauvais. Je n’aurais jamais commencé la musique si je ne pensais pas que j’étais mauvais. ulyces-princeportrait-05


Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « Prince Talks: The Silence Is Broken », paru dans Rolling Stone. Couverture : Prince (Création graphique par Ulyces).


QU’A FAIT D’ANGELO PENDANT LES 14 ANS QUI SÉPARENT SES DEUX CHEFS-D’ŒUVRE ?

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Il aura fallu quatorze ans à D’Angelo pour offrir une suite à Voodoo : Black Messiah. Ses collaborateurs retracent la création du troisième album de l’artiste.

« L’art n’est jamais terminé, seulement abandonné. » Léonard de Vinci Prenez la Joconde, par exemple. Une des œuvres les plus célébrées de Léonard de Vinci, considérée comme un chef-d’œuvre aussi bien par les amateurs d’art que par les néophytes. Beaucoup de gens savent que la femme représentée sur la toile était Lisa del Giocondo, dont le mari avait commandé son portrait à de Vinci au début des années 1500. Mais peu de gens connaissent un détail pourtant crucial à propos de la Joconde : elle est incomplète. L’observateur attentif peut discerner une ligne de la finesse d’un trait de crayon autour de son visage, marquant une transition confuse chez de Vinci entre l’esquisse et la peinture. D’autres détails ont été identifié par les experts comme les indicateurs évidents d’un travail inachevé : un salmigondis d’arrière-plans, des dégradés inconsistants sur la robe de la Mona Lisa, ainsi qu’un manque de détails structurants dans son visage. De Vinci a conservé le portrait pendant longtemps. Les historiens ont spéculé qu’il y était trop attaché pour s’en séparer. Il aurait continué à travailler dessus, sans jamais en trouver entière satisfaction. Procrastinateur bien connu, de Vinci n’a pas mené à terme un certain nombre de ses travaux. Certains disent que l’attention si minutieuse qu’il accordait au moindre détail s’est faite au détriment de sa propre créativité, tandis que d’autres suggèrent que deux des doigts de sa main droite étaient paralysés (il aurait été atteint de la maladie de Dupuytren), l’empêchant de continuer à peindre.

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D’Angelo
Crédits : Sony Music Entertainment

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