Communication de crise

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Jeu d’Influences
Crédits : Fano Loco

Pouvez-vous nous raconter la genèse de Jeu d’influences ?

Julien Goetz : Premières Lignes est une boîte de production qui s’est spécialisée dans des enquêtes pointues, mais presque exclusivement réservées pour la télévision. La Contre-histoire de l’Internet a été leur premier documentaire axé bi-média. À Premières Lignes, il se trouve que j’étais l’un des seuls à m’intéresser à la question de comment adapter un récit sur le web. L’été dernier, Luc Hermann est venu me parler d’un autre projet transmédia. Il était en train d’écrire pour France 5 deux documentaires sur les spin doctors et la communication de crise. « Je suis superstitieux, je ne t’en dis pas plus, mais j’aimerais bien que tu prennes en charge le jeu qui va avec… » Son idée était de créer, en parallèle au documentaire, un jeu qui mettrait le joueur dans la position d’un spin doctor enlisé dans une crise connue. Le premier concept proposé par Luc, c’était de reprendre l’affaire Quick, quand un adolescent était mort après avoir mangé un burger. En détournant les noms, mais en reprenant les étapes-clés de la gestion de la crise. «Voici les scripts des documentaires, je te laisse t’imprégner de la matière, tu me dis ce que tu en penses. »

Je suis retourné vers Luc pour approfondir un peu le sujet. J’ai proposé d’oublier l’idée de reprendre une crise existante. C’était intéressant en soi, mais après avoir lu les synopsis de ses documentaires, j’y ai vu tellement de stratégies de communication que je trouvais un peu frustrant de se concentrer sur un domaine très précis. Il y a tant de mécaniques à l’œuvre dans le domaine politique ou industriel. Ces rapports de force m’ont passionné et surpris. J’ai dit : « Et si on prenait le parti de construire un univers de fiction dans lequel on injecterait ces stratégies de communication ? » Une histoire purement fictionnelle, mais aussi purement documentaire, puisqu’elle s’inspirerait de stratégies de com existantes. J’ai proposé un deuxième aspect : « Je pense qu’il vaut mieux mettre le joueur non pas à la place du spin, mais à la place de celui qui paye le spin. »

Pourquoi ?

Julien : Pour une question de complémentarité entre le documentaire et le jeu. Dans le docu, ce ne sont quasiment que des spin doctors et des journalistes qui sont interviewés. Ils expliquent très bien leur boulot. Le travail de Luc autour des spin doctors n’est pas manichéen. Par moment ils réussissent à sauver des entreprises, donc des emplois, à calmer une pression médiatique qui n’était pas forcément justifiée. En regardant les documentaires, on comprend qui sont ces personnages, comment ils fonctionnent. Le spin doctor propose des idées qui peuvent paraître scandaleuses – ou pas – mais il n’est pas dans l’affect. « Il y a un problème, il faut trouver une solution. » C’est du pragmatisme. La raison pour laquelle ils sont appelés, c’est parce qu’ils sont extérieurs aux problèmes. L’affect, il est plutôt dans la tête de celui qui doit choisir. Je trouvais intéressant de développer cette question de la communication de crise à partir d’un autre point de vue, celui de l’industriel ou du politique qui paye un spin doctor pour le conseiller dans ses choix. Il y a tellement d’enjeux compliqués à mettre en balance quand on gère des crises.

« Écrire un jeu-documentaire, une fiction jouable, je ne sais pas comment l’appeler, c’est quelque chose que je n’avais jamais fait. »

– Julien Goetz

Le sujet de la communication me passionne depuis longtemps, mais j’ai toujours un peu du mal avec le fait qu’on traite le sujet avec un glacis un peu froid. La communication implique forcément de l’humain. Le patron d’une boîte ou le politique s’entoure parfois de personnes avec qui il travaille depuis dix ans. Il connaît leur vie, entretient peut-être des liens d’amitié avec eux. Ces choix de communication vont avoir des répercussions. Je suis peut-être un optimiste naïf, mais je crois difficilement que ces gens ne soient pas traversés par ces conflits intérieurs. Ils peuvent trancher d’une manière radicale, mais cela ne les déresponsabilise pas pour autant. L’idée de mettre le joueur à la place de celui qui paye le spin doctor, c’est aussi pour rendre compte de cette réalité. Il y a une crise, voilà les options de com que vous avez, qu’est-ce que vous choisissez ? Nous étions alors au mois de novembre. Luc était partant, France Télévisions aussi. Écrire un jeu-documentaire, une fiction jouable, je ne sais pas comment l’appeler, c’est quelque chose que je n’avais jamais fait. Ils m’ont laissé carte blanche, à la fois pour constituer une équipe et pour construire l’histoire. Le premier arrivé dans l’équipe a été Florent.

Florent Maurin : Cela faisait plusieurs années qu’on se connaissait avec Julien. Au cours d’un déjeuner de ce mois de novembre, Julien m’a lancé : « Je suis peut-être sur un truc. » Il m’a rappelé deux jours plus tard : « C’est confirmé. J’aimerais travailler avec un game designer, je te montre le dossier pour qu’on en discute. » Je n’ai pas quinze ans d’Ubisoft dans les pattes, mais j’avais déjà fait des dizaines de jeux, donc je commençais à avoir des réflexes. Manifestement, le projet lorgnait du côté de l’histoire fictionnelle. Cette aventure un peu étonnante, on la doit en grande partie à Boris Razon, débauché par France Télévisions pour créer Nouvelles Écritures, une structure spécialisée dans les narrations interactives sur Internet. Boris est quelqu’un de très ouvert. Il a tout de suite trouvé l’idée super.

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Les 360 post-it
Crédits : Julien Goetz

Julien : Il me paraissait important que Florent intègre l’écriture très tôt, puisqu’il s’agissait d’un jeu vidéo. Et puis, il ne fallait pas que je m’enferme. Mine de rien j’avais passé presque quatre mois dans une pièce couverte de post-it – sur un, deux, trois, puis quatre murs. À chaque fois qu’on se voyait, je lui racontais où en était l’histoire. Certaines choses lui paraissaient incohérentes, il proposait en retour des choses qui marchaient mieux. Son savoir-faire en matière de mécaniques de jeu était essentiel. Luc venait régulièrement vérifier et valider éditorialement l’histoire et ses rebondissements. Il fallait que tout soit crédible. À partir de décembre, j’ai bâti une première arche narrative en m’inspirant principalement de la matière que Luc, Jules Giraudat et Gilles Bovon, le réalisateur, avaient récolté en interview pendant l’enquête. J’ai lu toutes les retranscriptions pour comprendre les mécaniques de stratégie de com, et ainsi monter une histoire plausible. Eux étaient en prise directe avec le réel, moi dans les mécaniques de fiction. Nous nous sommes assis autour d’une table pour définir les grandes lignes. Est-ce qu’il s’agirait d’une grosse entreprise, d’un politique, d’un industriel ? Est-ce qu’on laisserait au joueur la possibilité de choisir un homme ou une femme ? Est-ce que sa famille allait être en danger ? Il fallait choisir vite à cause des contraintes de temps, de budget, d’écriture.

Florent : Nous n’avions aucune idée du rendu final au moment de valider le budget. Quand nous sommes sortis de la réunion de validation, je me suis arrêté sur le trottoir devant France Télévisions, et j’ai dit à Julien : « Mais il va avoir quelle gueule notre truc ? » Tu n’as jamais eu l’air inquiet, mais moi, cela m’a toujours terrifié.

Julien : Il n’y avait pas de maquette, juste l’histoire. Nous avons beaucoup échangé avec Antonin Lhôte de Nouvelles Écritures. En janvier, l’arc narratif était validé. Nouvelles Écritures assumait complètement le risque. Je suis rentré dans ce qu’on appelle la phase de continuité dialoguée, le déroulé de l’écriture étape par étape. Une première passe où j’ai rentré tous les éléments de l’histoire : la description de chaque séquence, les dialogues, les choix que les joueurs allaient devoir effectuer, etc.

Florent : La question majeure qui se posait était : « Comment transformer une histoire en un jeu ? » Les ludologues et les narratologues se tapent dessus depuis des années. J’avoue que si Julien était venu me trouver il y a trois ou quatre ans, j’aurais répondu : « J’ai quelques références, quelques idées, mais ça va être chaud. » Il y a ce problème d’irréconciabilité entre le gameplay et l’histoire. Sauf qu’entre-temps, The Walking Dead était sorti. Pour moi et pas mal d’autres gens, il a ouvert des portes en matière de corrélation entre histoire et le gameplay. « Tu es gentil, tu vas aller jouer à The Walking Dead » est la première chose que j’ai dite à Julien. On s’est aussi inspirés de jeux indés ou en flash. On y trouve des choses super intéressantes en matière de narratologie. Tout ne passe pas forcément par l’histoire, mais par des mécanismes bien intégrés. Je pense à One and One Story, un jeu entre une fille et un garçon amoureux d’elle, où le gameplay évolue en fonction de l’histoire qui est racontée. C’est malin.

Choix binaires

Avez-vous joué à Crise au quai d’Orsay ?

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Arborescence des choix dans Jeu d’Influences

Florent : Crise au quai d’Orsay, c’était intéressant, mais FibreTigre a développé une approche systémique qui ne pouvait pas être la nôtre. Je savais que Julien souhaitait quelque chose de plus écrit et ressenti. J’allais dire sensuel. C’est bizarre, mais c’est vrai, Julien a travaillé son écriture dans ce sens. Fibre est dans l’expressivité des variables, c’est très intéressant, mais il y a ce côté un petit peu mécanique dans l’engrenage qui n’avait pas sa place dans ce projet. Ce qui m’a semblé faire sens tout de suite, c’était insister sur les conséquences des choix des joueurs, et les mettre en perspective en les confrontant aux choix des autres. Je trouve que c’est toujours intéressant d’être dans une situation de dilemme moral. On a pensé à la mécanique du feedback immédiat, très puissante dans The Walking Dead : quand on réalise une action et qu’un pop-up « Clementine s’en souviendra toute sa vie » apparaît. Voilà le type d’aspects qu’on a implémenté dans le projet. Ils ne changent pas la face du monde, mais ils ont une énorme importance dans la poétique, faisant que chaque joueur va se faire sa propre représentation du jeu.

Pour moi, le gameplay de The Walking Dead ne se résume pas à des quick time event où il faut massacrer un bouton. On a eu une longue discussion à ce propos : est-ce qu’on insère des quick time event ou pas ? On est arrivés à la conclusion qu’on n’en avait pas besoin. Je pense même que ce n’était pas souhaitable, parce que pour moi, le vrai gameplay de The Walking Dead, c’est le choix, l’arbitrage dans les possibilités qu’on nous propose. Nous avons fait quelques concessions : il y a des actions qui nécessitent un timer, quand il faut prendre une décision rapidement. Et c’est quasiment tout ce qu’on a en gameplay. Les trois quarts des choix, voire plus, sont binaires. Oui. Non. Dit comme ça, ça a l’air simple, mais…

Oui, Non. Comment justifiez-vous cette binarité ?

Julien : Elle est justifiée, justement parce qu’on est dans une situation de crise. Le choix est tranché, parce qu’il faut trancher. Mais cela ne veut pas dire que le jeu est simple. Ce que ces choix mettent en branle est complexe. Oui a un impact, Non aussi. J’ignore si cela marchera, mais je n’ai pas l’impression que ce soit si simple à l’arrivée.

Florent : Ce n’est pas parce que c’est binaire que c’est manichéen. Notamment parce que les choix que le jeu propose offrent souvent une seconde chance. Si on répond Non, le spin revient à la charge. Cela me gênait un peu au début, je disais à Julien : « L’utilisateur va avoir l’impression qu’on lui force la main. » Mais en fait, non. Je crois que le spin doctor est là pour mettre en doute nos convictions : « Attendez, avez-vous bien pesé les conséquences de vos actes ? »

Julien : L’histoire paraît simple quand on la raconte. Des choix faits de Oui et de Non, on se dit que cela doit être simple à coder. Sauf qu’en tant qu’utilisateur, il faut avoir l’impression de glisser dans l’histoire, il ne faut pas de blocage et d’interruption dans le déroulé des écrans. Du point de vue de la fluidité, de la transition entre les éléments, les codeurs ont parfaitement relevé le défi de l’ergonomie. J’ai vraiment abordé cela comme la réalisation d’un film. Comme si j’étais à côté d’un monteur : « Ce passage est trop cut, là il faut qu’on ait plus d’air. » Et ça, c’est assez délicat pour eux. Parce que la mécanique est normée côté codeur. Plus c’est répétitif, mieux c’est. Moi je vais chasser le répétitif. Eux, ils sont en permanence en train de faire la guerre aux exceptions, or c’est un projet où il n’y a que des exceptions.

La dimension psychologique l’emporte-t-elle sur la stratégie de com ?

Julien : C’est un aspect dans l’écriture qui a été questionné au cours des échanges très ouverts que nous avons eus avec Luc. Lui, au départ, pensait plus à l’aspect stratégie de com. Quand je lui ai raconté le scénario, il avait l’impression qu’on partait dans un truc très psycho. Il y a eu un moment de doute. Était-on sur le bon chemin ? Mais dès le début, j’ai eu la sensation qu’il fallait faire coexister les deux éléments – le volet médiatique et émotionnel – dans cette histoire. Ce n’est jamais neutre. Ce sont des gens qui vivent dans la peur. Ils en profitent, jouent avec, mais je ne suis pas sûr que ce soit une position super confortable à l’intérieur. On a tous nos questionnements. Il fallait l’utiliser comme point d’entrée pour le joueur. C’est ici que Florent est intervenu pour équilibrer les variables.

« On espère que ce stress qu’on a essayé d’installer va pousser l’utilisateur dans ses retranchements. »

— Florent Maurin

Florent : J’ai essayé de matérialiser ce malaise par trois jauges : le niveau de stress, le niveau de confiance que le spin doctor a en nous, et l’unité de bruit médiatique (UBM), une mesure – réelle – que les spin doctors utilisent pour décrire à quel point on parle d’une affaire. Ces jauges qui montent et qui descendent, c’est une simulation de ce que ces gens ressentent probablement. Tant que nous n’aurons pas d’électrodes dans le cerveau pour jauger ces niveaux, c’est le mieux que l’on puisse faire pour simuler l’angoisse. Tout cela en sachant que si on atteint 100 % de stress ou 0 % de confiance du spin, c’est game over. Il y a cette pression qui consiste à se dire : « Il faut que j’arrive à passer entre les gouttes. » Est-ce qu’on va réussir à résister à cette pression, ne pas renoncer aux valeurs qu’on portait avant de commencer à jouer ? Va-t-on se dire à un moment donné : « Tant pis, je ferais n’importe quoi pourvu que l’UBM redescende. » La permanence de ces jauges et du feedback est très importante. On espère que ce stress qu’on a essayé d’installer va pousser l’utilisateur dans ses retranchements. Là où on s’éloigne de The Walking Dead, c’est qu’on n’a pas de zombies et tous ces coups de pression. C’est aussi pour cela que les quick time event où il faut appuyer comme un fou n’étaient pas adaptés.

Julien : Qu’est-ce que nos choix racontent de nous ? Pour répondre à la question, on s’est dit qu’on allait utiliser une fois par chapitre des flashbacks liés aux choix que le joueur effectue pendant la crise. Dit d’une autre façon, le passé s’écrit en fonction des choix que le joueur effectue au présent. Plus on fait des choix de communication agressifs au présent, plus l’histoire du patron dans l’entreprise devient celle d’un homme qui n’a pas fait dans la dentelle. Et inversement. Ce n’est pas une invention révolutionnaire. Mais ces flashbacks permettent de distiller des clés pour les choix à venir.

Florent : Les gens qui utilisent leur spin doctor pour enfumer leur monde participent à une certaine forme de pourrissement. On se disait qu’on pouvait trouver une manière ou une autre, subtile de préférence, de rendre ce pourrissement sensible jusque dans l’interface du jeu. Mais on nous a dit que ce n’était pas une bonne idée.

Julien : Si nous l’avons mis de côté, ce n’est pas tant à cause des remarques. Mais matérialiser le degré de finesse qu’on voulait implémenter dedans aurait été trop complexe. Il y avait un vrai risque que le résultat soit visuellement kitsch. On en a parlé avec le webdesigner. Cela aurait altéré le jeu à tous les niveaux : graphisme, musique… Or, nous n’avions que quelques mois devant nous, ce n’était juste pas possible. Nous nous sommes finalement limités à ces flashbacks commentés en voix off.

De l’empathie

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Nuit
Crédits : Fano Loco

Vous voilà avec une histoire, un gameplay, restait à définir une direction artistique.

Julien : La première approche développée au cours de nos discussions avec Luc a été la vidéo.

Florent : Personnellement, je trouvais que cette option manquait de flexibilité.

Julien : J’étais assez d’accord pour dire que c’était un peu lourd. En plus de cela, pendant l’écriture, je ne m’étais mis volontairement aucune limite au niveau des décors, des personnages. Notre budget était assez correct. Mais en vue de tourner quelque chose qui ressemble à de la bonne fiction, pour que cela ne fasse pas kitsch justement, nous étions très loin du compte. Nous aurions pu tourner un petit truc à l’arrache, mais je n’avais pas envie de bidouiller. J’ai préféré réfléchir à d’autres options de réalisation un peu plus léchées. Nous avons pensé à des solutions intermédiaires : est-ce qu’on ne ferait pas toutes les séquences de flashbacks en illustration, et pour tout le reste, se limiter à filmer une salle qui pourrait être la cellule de crise ? Mais il y avait le risque ce soit un peu réducteur pour l’imaginaire du joueur.

Florent : Dans la série In Treatment, tout se passe dans le bureau du psy. Je pensais que cela allait être ennuyeux à mourir. J’ai regardé les trois saisons, je ne me suis pas embêté une seconde.

Julien : Le mystère de Grimouville marche super bien aussi. C’est tourné en caméra subjective, et c’est super clean. Mais pour l’idée de rendu que j’avais en tête, avec ce type de réalisation, on risquait de se prendre les pieds dans le tapis. À un moment j’ai tranché : on oublie toute vidéo, on fait tout en illustrations. On assume un univers total qui sera le support d’une poétique où l’illustrateur aura apporté son style. Après, nous ne sommes pas dans un univers d’illustration sur un rythme BD où toutes les actions seraient illustrées. On parle d’illustrations qui se laissent exister sur des temps longs. Ces décors servent à laisser se dérouler l’histoire. Il y a un côté très littéraire. C’est un support à l’imaginaire qui nous fait percevoir plein de choses. Au moment où on pensait juste les cantonner à des flashbacks, j’avais informé notre illustrateur, Fano Loco, qu’il aurait peut-être une vingtaine de planches à faire. J’ai fini par lui dire qu’il y en aurait peut-être un peu plus.

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Storyboard

Il y a eu plusieurs étapes concernant l’illustration. J’ai d’abord composé un énorme document où j’ai listé les six chapitres et chaque séquence qui les composent. Il y avait des indications très précises : le moment de la journée, l’attitude des personnages. Un premier storyboard écrit à partir duquel Fano a sorti un premier crayonné. Il y a eu pas mal d’allers et retours dessus. À chaque fois qu’il m’envoyait un document, pour chaque séquence, je lui disais : « Là on est cadré un peu trop loin, là c’est parfait », à la manière d’un chef opérateur sur un plateau. Une fois qu’on était d’accord sur le cadrage, il passait à l’étape suivante, la colorisation. La dernière étape a été la mise en animation de 36 de ces illustrations. On n’avait pas les moyens de faire de la vraie animation, et on n’en voyait pas vraiment l’intérêt, parce qu’il y avait de toute façon beaucoup de textes à lire. On voulait des choses qui fassent bouger les décors de manière imperceptible. Un rideau, la lumière d’un phare, un regard qui vibre. C’était un travail très léger. Même si la vue d’ensemble semble statique, il se passe des choses.

J’ai appris énormément de choses en croisant tous ces domaines. J’ai eu la chance d’être très bien entouré. La bande-son, l’interface, le montage… Je savais que les éléments séparés étaient bons. Les éléments groupés aussi. Nous sommes arrivés à un résultat sacrément léché, mais en ayant tout bricolé nous-mêmes. L’illustrateur n’avait jamais réalisé ce genre de travail. On n’est pas loin d’avoir fait ça dans un garage. Même si, à la différence des développeurs indés, on avait un budget. Sur tout le reste, chacun a inventé à son niveau. J’ai une énorme confiance dans ce qui a été fait. Le game design de Florent est implacable, la manière dont il a réparti ses variables est très juste. La grosse pression que je ressens aujourd’hui, c’est : « Est-ce que le joueur va se laisser prendre au jeu ? » Les premiers tests laissent penser que oui. Des gens qui ne connaissaient rien à l’histoire ont manifesté des réactions proches de ce qu’on avait envie de mettre en place.

Pensez-vous avoir réussi à générer ce sentiment d’empathie qui vous tient à cœur ?

Florent : Tout est une question de réglage. Il y a eu un questionnement au niveau des variables. Si on les amplifiait ou les réduisait trop franchement, cela conduisait trop rapidement au game over. Or, la perspective d’un game over trop rapide peut conduire le joueur à perpétuellement changer, et ce n’est pas ce qu’on voulait. En restant à peu près cohérent, on voulait que le joueur puisse au prix de deux ou trois concessions continuer à être qui il est. Jeu d’Influences n’a pas la complexité de The Walking Dead. Nous n’en avons ni la richesse, ni l’expérience, mais nous avons des vibrations. Il me semble que c’est à l’image de l’histoire. Cette histoire, elle vibre. Il y a un côté poétique et organique. Je remplissais mon tableau Excel avec des 1, des 4, des 8, mais où les chiffres représentaient pour moi autant d’émotions.


Couverture : Jeu d’Influences, Fano Loco