Enjeu climatique

Entre de grands panaches gris, quelques arbres sortent la tête au milieu d’un tapis de fumée. Au sol leurs voisins noircissent dans les flammes. En cette fin du mois juin 2020, de violents incendies déciment la région de Rondônia, dans l’est du Brésil. En un mois, plus de 2 248 feux ont été récences en Amazonie, le pire bilan depuis 13 ans. La déforestation a atteint un record au premier semestre par rapport à l’an passé en augmentant de 25 % selon les chiffres de l’Institut national des recherches spatiales (INPE). En plus de sévèrement affecter notre environnement, cette fumée est lourde de menaces. 

La déforestation fait partie des facteurs qui augmentent l’apparition de virus en provenance d’animaux, appelés zoonoses. Selon le programme des Nations unies pour l’environnement (UNEP), la dégradation de notre environnement par la déforestation, l’exploitation de la vie sauvage, l’extraction de ressources et le réchauffement climatique, altère la vie de la faune avec laquelle les humains interagissent. Or, une large part de la déforestation est due à l’élevage de bêtes destinées à être mangées par l’être humain. 

Crédits : Mat Zimmerman

L’élevage est responsable de 63 % de la déforestation de la forêt amazonienne et de 18 % des gaz à effets de serre. Comme les espèces sont choisies en fonction de leur productivité, les animaux deviennent quasiment identiques avec un système immunitaire faible et donc une capacité de résistance aux maladies moindres. « Les scientifiques s’accordent sur le fait que si l’on continue d’exploiter la vie sauvage et de détruire nos écosystèmes, nous pouvons prévoir l’arrivée d’un flux de ce genre de maladie dans les prochaines années », s’inquiète Inger Andersen, secrétaire général adjoint et directeur exécutif du programme des Nations unies. 

La déforestation détruit les habitats naturels d’animaux, notamment ceux des chauves-souris, qui contiennent de nombreux virus. La chasse et la consommation d’animaux sauvages présentent également des risques car ce sont des occasions où les humains peuvent entrer en contact avec des animaux contaminés. Selon la FRB, « la fragmentation et la réduction rapide des habitats naturels qui génèrent un effondrement de populations animales et végétales […] sont vraisemblablement à l’origine de la multiplication des zoonoses ».

La vie sauvage est de plus en plus dénichée de son habitat naturel et exploitée alors que l’UNEP précise, dans une estimation publiée le 6 juillet dernier, qu’environ 60 % des 1 400 microbes connus pour leur capacité à infecter les humains, sont d’origine animale. « En exploitant les territoires reculés, nous créons des opportunités de transmission », déclare Eric Fièvre, professeur des maladies infectieuses d’origine animale à l’Université de Liverpool.

Selon le département étasunien de la santé, 16% des décès recensés recensés à l’échelle mondiale sont liés à des maladies infectieuses, dont deux tiers sont des zoonoses. La multiplication des élevages industriels entraîne inévitablement des contacts plus nombreux entre les animaux et les humains, causant environ 2 millions de morts dans les pays les plus touchés chaque année. Ces contacts, nous les retrouvons également sur les marchés d’animaux sauvages en Chine, en Asie du Sud ou encore en Afrique.

Enjeu industriel

Les rencontres entre animaux et humains ont déjà fait des ravages avant l’apparition du Covid-19, notamment avec le virus MERS qui se transmettrait à l’ homme par le dromadaire en 2012. « Parce que les élevages fortement concentrés ont tendance à rassembler d’importants groupes d’animaux sur une surface réduite, ils facilitent la transmission et le mélange des virus », précise Jacques Caplat, agronome et ethnologue, dans le livre L’Agriculture biologique pour nourrir l’humanité.

La déforestation et la colonisation de territoires reculés par les humains entraînent, avec la migration des animaux, des rencontres qui n’avaient jamais lieu auparavant. De nombreux membres du parlement européen l’ont admis, il est nécessaire de lutter pour la préservation des écosystèmes afin de limiter la transmission de nouveaux virus exotiques entre les animaux et les hommes. La protection de la biodiversité passe par l’augmentation de la surface des espaces protégés.

Ces derniers concernent actuellement 15 % de la planète, mais ils devraient en couvrir au moins 30 % d’ici 2030 selon les scientifiques. En dehors de ces espaces, il est indispensable de réduire rapidement les pressions sur la biodiversité, comme le recommande la directrice de la Fondation pour la Recherche et la Biodiversité (FRB) : « Plus spécifiquement, la destruction des écosystèmes et donc des habitats de la vie sauvage résiduelle doit être impérativement stoppée ». 

Pour faire face à ce phénomène grandissant, les Nations unies proposent de favoriser une gestion durable des terres, une amélioration de la qualité de la biodiversité et des investissements dans la recherche scientifique. Leur projet encourage aussi les États à promouvoir une agriculture durable, renforcer les mesures d’hygiène alimentaire, aider au développement des producteurs locaux et créer de nouveaux emplois pour les personnes travaillant avec la faune.

Inger Andersen Crédits : CIAT

Mais c’est aussi toute l’industrie qui est à revoir. Les barrages et l’élevage industriel sont liés à 25 % des maladies infectieuses qui touchent les humains. Les transports, les voyages et les chaînes alimentaires ont effacé les frontières, facilitant ainsi la propagation de pathogènes. « Nous avons intensifié l’agriculture, élargi les infrastructures et extrait les ressources au détriment de nos espaces sauvages », explique Inger Andersen. La production de viande a par exemple augmenté de 260 % en 50 ans selon elle. L’émergence des zoonoses s’observe alors que les demandes de protéines animales augmentent fortement et que les exploitations intenses et non-durables se développent de plus en plus.

Fin février, la Chine a officiellement interdit le commerce et la consommation d’animaux sauvages. Mais la consommation de viande a fortement augmenté dans le pays, passant de 37;5 kg en 1994 à 57,3 kg en 2009, une tendance qui devrait se renforcer dans les années à venir, à moins que le Covid-19 n’entraîne une réelle prise de conscience. Mais, signe que noue ne en sommes pas encore là, la ville de Yulin organisait encore son traditionnel marché de viande de chien au mois de juin.

La fermeture de ces marchés, la mise en place d’un élevage qualitatif, la lutte contre la perte d’habitat et la déforestation sont des points essentiels pour lesquels il faut agir afin de réduire les risques de nouvelles pandémies d’origine animale.


Couverture : Clément Falize