Le sexe fort

En parcourant une salle de la Royal Society of Medicine, à Londres, Sharon Moalem passe à côté de bustes d’hommes barbus. Il n’y a pas une femme parmi ces figures illustres de la science. Leurs noms sont aussi en minorité sur les tranches des livres étagés autour de lui. Ce déséquilibre n’a évidemment rien de naturel. Si la science n’avait pas dénigré une moitié de l’humanité pendant des siècles, elle se serait rendue compte de son génie, mais aussi de sa supériorité génétique.

Sharon Moalem est bien placé pour le savoir, lui qui, en ce début d’année 2020, est ici pour faire la promotion de son livre The Better Half: On the Genetic Superiority of Women (La Meilleure moitié, qui paraîtra le 23 septembre chez Kero). L’ouvrage est sorti le 7 avril outre-Manche, pile au moment où les faits étaient en train de lui donner raison.

« Alors que le coronavirus continue de traverser les frontières, les océans et les continents, il y a un élément déroutant qui a jusqu’ici échappé à une vraie explication », constate ce généticien basé à New York. « Dans presque tous les pays, il y a plus d’hommes que de femmes à mourir du virus ». Mi-avril, deux fois plus d’Espagnols avaient succombé au Covid-19 que d’Espagnoles, les chiffres étaient les mêmes en Angleterre, tandis que le taux de mortalité était de 10,6 % pour les Italiens infectés contre 6 % pour les Italiennes.

En juin, les analyses de GlobalHealth5050 ont confirmé cette tendance. Au Danemark, 5,7 % des hommes testés positifs étaient décédés, contre seulement 2,7 % des femmes, alors qu’elles étaient les plus touchées. D’autres pays calculent un taux de décès plus élevé chez les hommes : l’Irlande avec un ratio de 2 contre 1, l’Italie et la Suisse (1,9 contre 1) ainsi que la Chine (2,8 % chez les femmes et 4,7 % chez les hommes). Le livre de Sharon Moalem tombait donc à point nommé pour expliquer de tels écarts.

Certes les hommes fument plus, ont moins tendance à consulter un médecin et se lavent moins volontiers les mains. Mais ces êtres dont la taille, le poids et la force physique sont en moyenne supérieurs vivent bel et bien moins vieux. Et s’ils sont moins taillés pour la survie que les femmes, ce n’est pas seulement parce qu’ils prendraient davantage de risques : c’est aussi dans leurs gènes. Autrement dit, les femmes sont génétiquement plus fortes.

Cette résistance immunitaire s’observe avec d’autres maladies. Les femmes survivent mieux au cancer, vivent plus longtemps et risquent moins de développer des maladies infectieuses. Selon les statistiques mondiales de 2018, une femme sur onze meurt d’un cancer, contre un homme sur huit. En France, le cancer est la première cause de décès chez l’homme, et la deuxième chez la femme. Sur les 20 dernières années, les recherches ont d’ailleurs démontré que la réaction de l’organisme face à une maladie diffère selon le genre. Sharon Moalem va plus loin en parlant de supériorité génétique des femmes.

Le facteur X

Pour le médecin canadien, c’est le chromosome X qui fait la différence. Ce morceau d’ADN présent en double chez les femmes, alors que les hommes y adjoignent un chromosome Y, est plus robuste et plus complet. Il contient un millier de gènes contre seulement une trentaine pour le chromosome Y. C’est ce qui expliquerait que les femmes réagissent davantage aux vaccins et aux infections, poussant leur organisme à mieux se défendre face au virus.

Les généticiens ont longtemps pensé qu’une cellule de femme n’utilisait qu’un seul de ses deux chromosomes X, le deuxième s’étant désactivé de lui-même par « redondance génétique ». Lors de ses recherches, Moalem s’est aperçu que le rôle du chromosome Y était décrit avec précision dans la littérature scientifique, afin d’expliquer ce qui « fait un homme ». Il faut dire que ceux qui ont étudié le sujet en avaient un. Mais Moalem a réalisé que le deuxième chromosome X des femmes n’était en réalité par complètement désactivé. Il offre des options supplémentaires et vient en soutien en cas d’infection.

Les femmes sont donc équipées d’un « back up », un soutien génétique supplémentaire par rapport aux hommes, qui leur permet de répondre aux défis biologiques que sont les blessures ou les maladies. Dans le cas du Covid-19, le virus a une protéine qui sert de clé pour déverrouiller une autre protéine (ACE2) située à la surface de nos cellules. C’est comme ça que le virus s’introduit dans notre organisme. 

Comme l’ACE2 se trouve sur le chromosome X, les hommes n’ont qu’une seule protéine ACE2 pour protéger leurs cellules. Inversement, il est plus difficile pour le virus de s’introduire chez les femmes, puisqu’elles possèdent deux protéines ACE2. Par ailleurs, chromosomes et hormones sont liés : de hauts niveaux de testostérone ont tendance à inhiber le système immunitaire, tandis que les œstrogènes le stimulent.

À en croire le Dr Moalem, cet avantage joue tout au long de l’existence. En 2018, une étude a démontré que les femmes étaient capables de survivre plus longtemps que les hommes dans des conditions extrêmes comme pendant une famine ou une pandémie. « L’hypothèse que les femmes ont un avantage biologique pour survivre est soutenue par le fait que dans des conditions de vie rudes, les femmes survivent plus que les hommes », appuient les chercheurs. 

Le rôle du chromosome X a jusqu’à présent été peu étudié car les médecins ont pris l’habitude de s’intéresser prioritairement à des cellules de mâles, des tissus de mâles et des organes de mâles. Pour Sharon Moalem, ces statues d’hommes qui peuplent la bibliothèque de la The Royal Society of Medicine posent donc problème : elles montrent que la médecine, en étant faite par et pour les hommes, a oublié d’étudier les forces des femmes. Mais c’est heureusement en train de changer.


Couverture : Scott Webb