Magic Makers

En juin dernier s’est tenu le premier « festi­­val de code par et pour les enfants », Oh My Code !, au parc de la Villette à Paris. Celui-ci présen­­tait les meilleures créa­­tions des élèves de Magic Makers, atelier de program­­ma­­tion infor­­ma­­tique destiné aux enfants de 6 à 15 ans. Et ces créa­­tions sont souvent bluf­­fantes. Une fillette de 11 ans a par exemple desi­­gné une manette pour pilo­­ter un drone en moins d’une semaine. Puis elle l’a impri­­mée en 3D et créé moins de dix lignes de code pour lui ordon­­ner d’avan­­cer ou de se poser, raconte la fonda­­trice de Magic Makers, Claude Tero­­sier. Cette ingé­­nieure de 42 ans s’est lancée dans l’aven­­ture en 2014. Mais l’idée date de 2012 : « Pour les quinze ans de ma promo, nous faisions avec mes anciens cama­­rades le bilan des boule­­ver­­se­­ments tech­­no­­lo­­giques surve­­nus au cours de ces dernières années. […] Un inter­­­ve­­nant a conseillé d’ap­­prendre à coder à nos enfants. J’en ai deux, aujourd’­­hui âgés de 6 et 8 ans. J’ai cher­­ché des cours mais je n’ai rien trouvé. C’est à partir de ce moment-là que j’ai décidé de tenter de combler le déca­­lage entre la place prise par l’in­­for­­ma­­tique dans la société et celle, trop faible, qu’elle occupe dans l’édu­­ca­­tion. »

Crédits : Magic Makers

Cinq ans plus tard, Magic Makers a accueilli près de 5 000 enfants. Il compte six centres et 60 forma­­teurs. Lesquels s’ap­­puient notam­­ment sur le logi­­ciel d’ap­­pren­­tis­­sage du code en accès libre Scratch Junior, qui a été déve­­loppé par des cher­­cheurs en sciences sociales de l’Ins­­ti­­tut de tech­­no­­lo­­gie du Massa­­chu­­setts (MIT). Tout comme les forma­­teurs de la Tech Kids Academy, autre atelier de déve­­lop­­pe­­ment infor­­ma­­tique destiné aux enfants fondé en 2014 par deux passion­­nés du numé­­rique, Tony Bassette et Alexan­­dra Bernard. « Dans nos ateliers et stages, nous privi­­lé­­gions une approche par projets », explique cette dernière. « Par groupe de 12 maxi­­mum, les enfants sont guidés pas à pas par un anima­­teur pour créer un jeu vidéo. Pour les stages de robo­­tique, nous orga­­ni­­sons des chal­­lenges que les enfants doivent essayer de résoudre par équipe. Nous invi­­tons les enfants à réflé­­chir, à expé­­ri­­men­­ter, à se trom­­per aussi parce que c’est comme ça qu’on apprend, et à s’en­­trai­­der afin de parta­­ger une expé­­rience inno­­vante excep­­tion­­nelle. À la fin des stages, ils repartent avec leurs jeux et peuvent conti­­nuer à le person­­na­­li­­ser ou l’amé­­lio­­rer. »

Mais les jeux vidéo ne sont pas seule­­ment un moyen de moti­­ver les enfants à se fami­­lia­­ri­­ser avec les langages infor­­ma­­tiques. Certains d’entre eux sont de véri­­tables instru­­ments de cet appren­­tis­­sage. Le jeu Play’n’Code, par exemple, propose aux enfants de 8 à 12 ans d’in­­té­­grer les notions du code en s’amu­­sant. « Le person­­nage prin­­ci­­pal est accom­­pa­­gné par TTY, le copain robot du joueur », précisent ses concep­­teurs, d’an­­ciens étudiants de l’école Epitech. « Ensemble, ils sont immer­­gés dans un univers magique et traversent les villages d’une planète incon­­nue pour tenter de résoudre des énigmes sur le thème de la program­­ma­­tion ! » Car, sur la planète du code pour les enfants, le robot semble le meilleur des compa­­gnons…

Ozobot

« Il existe de plus en plus d’objets program­­més », souligne Thierry Klein, fonda­­teur de la start-up lilloise Spee­­chi. « Pour maîtri­­ser leur envi­­ron­­ne­­ment, les enfants doivent comprendre comment ces objets fonc­­tionnent. » Et donc les construire. Voilà pourquoi Spee­­chi conçoit des kits de fabri­­ca­­tion de robots à program­­mer à desti­­na­­tion des écoles. Ils contiennent des « Artec Blocs », de petits éléments évoquant des Lego, une carte, un moteur et d’autres compo­­sants, tels que des capteurs de mouve­­ment ou de lumière. Les élèves les assemblent en suivant les instruc­­tions du profes­­seur. Puis ils connectent la carte à un logi­­ciel de program­­ma­­tion simpli­­fié. Ils peuvent alors lui donner des ordres…

Ce n’est pas un secret, les robots plaisent beau­­coup aux enfants. En témoigne le succès de Nao, huma­­noïde de 58 centi­­mètres devenu célèbre en août 2007, lorsqu’il est choisi pour succé­­der au quadru­­pède de Sony en tant que robot offi­­ciel de la RoboCup, cham­­pion­­nat de foot­­ball disputé par des robots et leurs concep­­teurs – les étudiants des meilleures écoles de robo­­tique du monde. Aujourd’­­hui, il est présent dans de nombreuses écoles. « Nao suscite un inté­­rêt mani­­feste auprès des élèves », rapporte Luc Boutin, ensei­­gnant au lycée Turgot, à Limoges. « Il éveille leur curio­­sité tech­­nique dans des domaines variés : est-ce que Nao peut commu­­niquer avec nous ? Est ce qu’il peut se dépla­­cer de façon auto­­nome ? etc. La compa­­rai­­son avec nos propres capa­­ci­­tés physiques et senso­­rielles est un atout remarquable pour son poten­­tiel péda­­go­­gique. »

Crédits : Ozobot

Mais Nao est loin d’être le seul robot présent dans les écoles. L’an­­née dernière, ce sont le tout petit Ozobot, le mobile M-Bot et la sympa­­thique Bee-Bot qui ont permis aux élèves de CM2 de l’école Henri Dunant à Dammar­­tin-en-Goëlle de s’ini­­tier au déve­­lop­­pe­­ment infor­­ma­­tique. Pendant des mois, ils ont joué et travaillé avec eux, appre­­nant par là même à program­­mer leurs dépla­­ce­­ments. Pour déter­­mi­­ner leur trajec­­toire et leur vitesse, les élèves écrivent le code et entrent les instruc­­tions dans le système avant de le lancer. Ensuite, ils dressent la liste de ce qui n’a pas fonc­­tionné. Comment se fait-il que tel robot n’ar­­rive pas à exécu­­ter le programme conçu par eux ? Par exemple, pourquoi ne peut-il pas se dépla­­cer en ligne droite ? Ne leur reste plus qu’à imagi­­ner la solu­­tion.

Aux États-Unis, c’est Sphero qui ravit les écoliers. Cette balle télé­­gui­­dée exécute des danses et des figures, brille de diffé­­rentes couleurs et permet, via un langage de code simpli­­fié, d’ap­­prendre la program­­ma­­tion en jouant avec. Elle a égale­­ment fait sensa­­tion au Consu­­mer Elec­­tro­­nics Show 2017, trônant au centre du Hall Sud du Las Vegas Conven­­tion Center avec Sphero City, décor de village dans lequel Ulyces a fait la rencontre de ses deux concep­­teurs, Adam Wilson et Ian Bern­­stein. « Il n’y a pas long­­temps, j’ai vu un enfant de quatre ans commen­­cer à repro­­gram­­mer Sphero », racon­­tait ce dernier. « Il fera partie de la nouvelle géné­­ra­­tion de makers et de déve­­lop­­peurs qu’on va voir émer­­ger au cours de la prochaine décen­­nie. »

Un cheval de Troie

De l’autre côté de l’At­­lan­­tique en effet, la forma­­tion de la nouvelle géné­­ra­­tion de makers et de déve­­lop­­peurs appa­­raît comme une prio­­rité depuis 2013, lorsque Barack Obama a lancé la semaine de l’in­­for­­ma­­tique à l’école. « Cette compé­­tence n’est pas seule­­ment impor­­tante pour votre avenir, elle est impor­­tante pour l’ave­­nir de notre pays », a-t-il alors déclaré. « Si nous voulons que l’Amé­­rique reste à la pointe, nous avons besoin que les jeunes Améri­­cains comme vous maîtrisent les outils et la tech­­no­­lo­­gie qui vont chan­­ger la manière dont nous faisons presque tout. C’est pour cette raison que je vous demande de vous impliquer. N’ache­­tez pas un nouveau jeu vidéo, fabriquez-en un. Ne télé­­char­­gez pas les dernières appli­­ca­­tions, aidez à les dési­­gner. Ne jouez pas sur vos télé­­phones, program­­mez-les. »

De tels exer­­cices repré­­sen­­te­­raient bien des avan­­tages pour les plus jeunes selon la fonda­­trice de Magic Makers. « Ils réalisent que ce qu’ils utilisent dans l’or­­di­­na­­teur n’est pas magique mais fait par des hommes et des femmes, et qu’ils peuvent le faire eux aussi », dit-elle. « Ça le démy­­thi­­fie. Cela leur donne égale­­ment l’op­­por­­tu­­nité d’ap­­prendre à apprendre, à concep­­tua­­li­­ser : comment mener à bien un projet, défi­­nir son objec­­tif, trou­­ver comment y aller, déve­­lop­­per des stra­­té­­gies de réso­­lu­­tion de problème, tenter une chose, chan­­ger quand ça ne marche pas… »

Crédits : Tech Kids Academy

Même son de cloche du côté de la Tech Kids Academy : « Il nous semble impor­­tant que les enfants comprennent comment fonc­­tionnent les tech­­no­­lo­­gies et qu’ils soient moins passifs, plus actifs et créa­­tifs devant un écran. L’in­­for­­ma­­tique est un formi­­dable outil pour les enfants de révé­­ler leurs talents, quels qu’ils soient ! Cela déve­­loppe le sens logique et la créa­­ti­­vité et permet aussi à beau­­coup d’en­­fants de retrou­­ver confiance en eux et parfois de susci­­ter des voca­­tions. » Mais tout le monde n’est pas de cet avis. « Le code infor­­ma­­tique est pour beau­­coup un cheval de Troie pour faire entrer dans l’école d’autres manières d’ap­­prendre », estime Hubert Guillaud, rédac­­teur en chef d’Inter­­netActu. « Si c’est le cas, pourquoi ne pas se deman­­der simple­­ment comment apprendre autre­­ment ? Pour ma part, je ne suis pas convaincu que l’ap­­pren­­tis­­sage du code, diffi­­cile et ingrat, soit un bon moyen pour ça. »

Par ailleurs, de nombreuses études pointent le danger que repré­­sente la surex­­po­­si­­tion des enfants aux écrans. En 2016, l’Aca­­dé­­mie améri­­caine de pédia­­trie (APP) préve­­nait qu’elle augmen­­tait le risque d’obé­­sité, affec­­tait le sommeil et la scola­­rité, favo­­ri­­sait la dépres­­sion et les problèmes rela­­tion­­nels, rajeu­­nis­­sait les initia­­tions au tabac, à l’al­­cool et au sexe. Mais elle n’en restait pas là. Elle mettait égale­­ment un outil en ligne pour déli­­vrer des conseils aux parents : éviter toute utili­­sa­­tion d’écrans pour les enfants de moins de 18 mois, préfé­­rer les programmes de haute qualité, impo­­ser des limites de temps, instau­­rer des moments et des lieux « sans écran », etc. Le cours de code ne devrait donc jamais tota­­le­­ment rempla­­cer le cours de musique et la partie de foot à la récré.


Couver­­ture : Une enfant programme son Sphero. (Sphero)