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L’énergie

Je retourne à la société Aetherius un dimanche après-midi. Aujourd’hui, Brian m’enseignera deux mantras différents, afin que je puisse participer à l’opération « Pouvoir de la prière » plus tard dans la semaine. Nous entrons dans le sanctuaire, une pièce ouverte aux murs roses. Des photos encadrées de planètes sont accrochées aux côtés de portraits de Jésus, Bouddha et Krishna. Au fond de cette pièce vide, deux chaises pliantes sont posées devant un autel. Nous nous asseyons.

King avait prévu un plan de succession qui a assuré la survie de l’église après sa mort.

« Nous avons des règles très strictes au sujet des mantras », dit Brian. « Ces mantras que je vais vous apprendre, nous vous demandons de ne les transmettre à personne. » J’accepte de garder le secret et Brian passe derrière l’autel pour lancer un enregistrement de George King. La voix de King sort du haut-parleur, une voix sèche de ténor anglais, qui détache lentement chaque syllabe du mantra en sanskrit. Lorsque le tutoriel se termine, Brian se joint de nouveau à moi. Il reprend le mantra une fois de plus, et je le répète après lui. Il se concentre intensément sur mes paroles. Il me propose des corrections sur la prononciation. Ses yeux se rivent aux miens pendant que je récite le mantra.

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King avait prévu un plan de succession qui a assuré la continuité de l’église après sa mort. Mais celle-ci a également besoin de la force de nouveaux membres pour perpétuer sa vision. Ashima en fait partie. Elle a la vingtaine, elle est intelligente et passionnément dévouée à l’église. Née à Hong Kong, Ashima a émigré au Canada avec son père et ses frères, peu de temps après avoir terminé ses études secondaires. Là, elle a fait la connaissance d’un garçon qui lui a présenté la Société. « Ce qui m’a vraiment attirée dans la société Aetherius, c’est l’accent mis sur le service. Il s’agit de redonner au monde, à tous ceux qui nous entourent, à la Terre et même au-delà. Car nous sommes tous liés. » En 2011, elle a pris la décision de déménager du Canada à Los Angeles, pour rejoindre le siège. Ashima fait partie d’un groupe dévoué de bénévoles que la Société appelle les « membres de l’équipe de travail ». La Société fonctionne avec un budget très restreint et dépend fortement de bénévoles comme Ashima pour assurer sa survie au quotidien. Ashima travaille à plein temps, et elle se consacre bénévolement à la Société de 19 h 30 à 22 h les soirs de semaine, et de 10 h à 22 h le week-end.

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King recharge la batterie
Crédits : The Aetherius Society/Facebook

« L’organisation en place est assez stricte », dit-elle. « Nous sommes tenus de consacrer la majeure partie de notre temps libre à aider la Société, et d’y remplir nos tâches. Je suis présente à peu près sept jours sur sept, sauf pendant mes vacances. » Bien que cet engagement puisse sembler intense, Ashima compare son expérience à celle de sa mère, une religieuse bouddhiste qui vit dans un temple à Taïwan. Les deux femmes ont consacré leur vie à leurs croyances spirituelles respectives, mais Ashima considère que son engagement est beaucoup moins contraignant que celui de sa mère. « Ma mère vit en suivant les exigences typiques de certains ordres monastiques », explique-t-elle. « D’une certaine manière, mon engagement envers la société Aetherius est sensiblement le même, mais pas tout à fait. La société Aetherius n’a pas d’exigences comportementales – par exemple, les gens peuvent boire, fumer, manger de la viande. Ma mère est végétarienne et c’est une exigence. Elle ne peut pas boire et elle doit demeurer célibataire. » Rodney prend soin de souligner que la plupart des membres de l’église ne lui consacrent pas autant de temps qu’Ashima. « Ceux qui veulent vraiment consacrer leur vie à notre cause peuvent choisir de devenir membre du personnel, comme Ashima », explique Rodney. « Mais notre organisation n’exige absolument pas de ses membres qu’ils augmentent leur degré d’implication. La Société recherche uniquement des membres qui aspirent à être parmi nous, et qui entrent en résonance avec nos enseignements. »

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Certains membres portent des blouses pour convaincre
Crédits : The Aetherius Society/Facebook

Karen est une jeune batteuse de punk rock, qui a récemment rejoint la société Aetherius. Elle est aujourd’hui très enthousiaste, mais elle a d’abord été prise au dépourvu par son expérience de l’opération « Pouvoir de la prière », le rituel hebdomadaire durant lequel les membres rechargent la « batterie spirituelle avec l’énergie de la prière ». « J’ai d’abord assisté à l’opération “Pouvoir de la prière” et j’ai été un peu effrayée », se souvient Karen en riant. « J’ai trouvé ça vraiment bizarre. Il m’a fallu beaucoup de temps pour me montrer plus ouverte. » « Qu’est-ce qui t’a fait revenir ? » lui ai-je demandé. « C’était agréable, tout simplement. Ce n’était pas comme si quelqu’un m’avait lavé le cerveau ou quelque chose comme ça. En réalité, si j’ai eu peur la première fois que j’y ai assisté, c’est parce que j’ai littéralement senti l’énergie sortir de mes mains. Nous, les êtres humains, avons du mal à croire en quelque chose que nous ne pouvons pas voir, n’est-ce pas ? Mais après l’avoir ressentie, j’ai pensé : “Comment puis-je ne pas y croire, alors que je la ressens ?” » Elle a raison de dire que beaucoup de gens ont du mal à croire « ce qu’ils ne peuvent pas voir ». C’est pourquoi je voulais vraiment assister moi-même au rituel.

Le rituel

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Opération « Pouvoir de la prière »
Crédits : The Aetherius Society/Facebook

« Bonsoir et bienvenue à l’opération “Pouvoir de la prière” », dit Brian. Il se tient devant le sanctuaire d’Aetherius et parle dans un micro. Un groupe d’environ quarante personnes en robes rouges forment un demi-cercle devant lui. Des projecteurs bleu foncé éclairent les participants. À l’avant de la salle, monté sur un trépied, se trouve une boîte vert clair de la taille d’un radio émetteur des années 1960. Cette boîte est la « batterie spirituelle de prière », et ce soir, nous sommes réunis pour charger cette batterie grâce à l’énergie de la prière. Cette énergie sera « stockée » dans la batterie, puis libérée pour guérir le monde lors d’une période de crise. Pratique. Une musique douce et aérienne sort du sound system. Je me tiens au fond de la salle, derrière les membres en robe rouge. Nous ouvrons les mains et levons nos paumes vers la batterie. Brian dirige alors le groupe dans la récitation rapide d’un mantra. « Plus vite », encourage-t-il, à mesure que l’intensité du chant augmente. Bien que je ne croie pas à l’existence des saints extraterrestres, des OVNI ou des dieux, il est impossible de nier l’intensité de ce rassemblement. On dirait qu’il sort tout droit de l’imagination de Stanley Kubrick.

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Les membres doivent recharger la batterie avec leur force spirituelle
Crédits : The Aetherius Society/Facebook

Alors que le groupe poursuit son incantation rythmée, trois individus en robe s’avancent. Ils se présentent face à la batterie de prière. Le premier – un homme mince d’une soixantaine d’années – s’approche de la batterie. Sa tignasse blanche est entourée d’un halo bleu. Il place une main sur la batterie et lève l’autre vers le ciel. « Bénis soient les planétaires, qui ont quitté leur béatitude pour accepter une vie de contraintes parmi nous, afin de nous assurer une expérience la plus totale. » Il prie avec un élan dramatique. Sa voix est un rugissement contenu, elle s’élève au-dessus de la foule qui psalmodie.

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Dans son livre sur les sectes, le docteur Marc Galanter, professeur de psychiatrie à l’école de médecine de l’université de New York, évite une approche sensationnaliste des sectes, proposant une compréhension plus nuancée. Galanter utilise l’expression « groupe charismatique » comme terme générique dans lequel il regroupe les sectes radicales, les groupes de guérison tournés vers la spiritualité et même les groupes d’entraide idéologiquement orientés. Son livre examine un vaste éventail de groupes charismatiques, dont certains ont un impact positif sur leurs membres (comme les Alcooliques anonymes) et d’autres négatif (Heaven’s Gate).

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À la base, c’est surtout du yoga
Crédits : The Aetherius Society/Facebook

Selon Galanter, tous les groupes charismatiques sont unis par quatre éléments psychologiques. « Leurs membres 1. partagent un même système de croyances 2. favorisent un niveau élevé de cohésion sociale 3. sont fortement influencés par les normes comportementales du groupe 4. imputent le pouvoir charismatique (ou parfois divin) au groupe ou à sa direction. » La société Aetherius répond à tous ces critères, à l’exception d’un seul : ses membres ne sont pas fortement influencés par l’adoption de normes comportementales peu communes. Selon Galanter, « les normes de comportement dans un groupe charismatique jouent un rôle démesuré et déterminent la façon dont ses membres se conduisent ». Le contraire est vrai de la société Aetherius. Chaque membre avec qui j’ai parlé a veillé à souligner que la Société n’imposait jamais de règles comportementales à ses membres. « George King parle en fait de l’importance du discernement. Ce qu’il veut dire, c’est que c’est à vous de déterminer ce qui est bien ou mal », dit Rodney. « On peut prendre l’exemple de Heaven’s Gate et des professeurs qui ont dit : “Enfilez ces baskets noires, nous allons tous mourir et sauter sur une comète.” Ne soyez pas idiot. Choisissiez précautionneusement tout type d’organisation ou d’activité dans laquelle vous vous impliquez. Étudiez-la, examinez-la. Est-ce bien ou mal ? » À cet égard, la société Aetherius diffère des autres sectes. C’est certes un nouveau mouvement à caractère religieux, formé par un leader charismatique et possédant un système de croyances idiosyncrasique. Mais son but est celui que partage de nombreuses religions : « réduire les souffrances dans le monde ». Si les méthodes de la Société pour y parvenir (comme le fait de recharger une batterie avec des prières) sont scientifiquement discutables, l’intention est authentique. En fin de compte, j’ai été surtout surpris de ne pas avoir été scandalisé par la société Aetherius.

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L’incantation de l’opération « Pouvoir de la prière » touche à sa fin. Un membre nous guide dans un cercle pour une prière finale. Après un moment d’immobilité, le service se termine. Alors que la foule se disperse, une femme se tourne vers moi, avec un sourire plein d’espoir. prt_333x187_1453734222« Tu l’as ressentie ? », demande-t-elle. « Tu as ressenti l’énergie ? » En vérité, je n’ai rien senti, mais son visage irradie tellement de joie que je ne peux pas me résoudre à répondre par la négative. « Oui », dis-je. Bien que je ne l’aie pas ressentie moi-même, il est indéniable que les membres de la société Aetherius semblent la ressentir intensément. Qui suis-je pour nier l’expérience de cette femme ? À bien des égards, la société Aetherius réunit tous les récits religieux. Dans leur théologie, les grands chefs religieux (Bouddha, Jésus, Krishna, Gandhi et les autres) représentent tous la même chose : ils sont les manifestations terrestres de grands Maîtres cosmiques. Maintenant, votre capacité à croire ce méta-récit dépend de votre volonté d’inclure les OVNI et Jésus dans une même phrase. operation-prayer-power1L’aspect le plus important de la société Aetherius se résume dans sa propre littérature officielle : « La Société ne se considère pas comme le seul et unique chemin vers l’illumination ou le salut. Elle soutient que toutes les grandes religions sont simplement des expressions différentes de l’unique réalité intemporelle essentielle qu’est la Source Divine. » Il n’ont pas l’impression d’offrit l’unique vérité théologique. Nous cherchons tous à comprendre le mystère de la vie. Probablement qu’eux aussi, à leur façon. Je ne rejoindrai évidemment jamais la société Aetherius, mais le pouvoir de recharger des batteries à volonté est assez cool.


Traduit de l’anglais par Juliette Murray d’après l’article « Jesus Was an Alien », paru dans MEL. Couverture : Jésus en soucoupe volante. (Ulyces)


APOCALYPSE MIAOU AU CŒUR DE LA SECTE QUI VÉNÈRE LES CHATS COMME DES ÊTRES DIVINS

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Lorsque l’association Eva’s Eden a ouvert son refuge pour chatons, personne n’imaginait que ses bénévoles faisaient partie d’une secte aussi absurde que dangereux.

La liste des raisons pour lesquelles vous êtes susceptible de connaître Columbia est vite faite. C’est dans cette ville du Tennessee qu’est né James K. Polk, le 11e président des États-Unis. Chaque année en avril y est organisé le « jour de la mule », avec sa parade et son festival. Et peut-être avez-vous eu vent des émeutes qui s’y sont déroulées en 1946, quand ses habitants afro-américains luttaient pour que l’avocat Thurgood Marshall ait le droit d’exercer sa profession (il a plus tard été élu à la Cour Suprême). Il se pourrait aussi qu’elle abrite un culte apocalyptique des chats.

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Le logo de l’Éden d’Ève

La révérende Sheryl Ruthven et quelques dizaines de ses adeptes ont quitté l’État de Washington il y a trois ans. Ils cherchaient un endroit où vivre en paix en attendant tranquillement l’apocalypse. D’ici là, ils espéraient sauver le plus de chats possible. D’après les écrits de Ruthven et des entretiens avec ses anciens adeptes, les chats seraient des créatures divines censées porter les 144 000 âmes mentionnées dans le Livre de la Révélation. Mais l’histoire controversée du groupe l’a suivi à travers le pays. En public, les adeptes de Ruthven – qui s’occupent d’un refuge pour chats à but non lucratif connu sous le nom d’Eva’s Eden (l’Éden d’Ève) – se présentent comme une association paisible dévouée à Mère Nature et à la vie en harmonie. Ils recueillent chez eux des dizaines de chatons et organisent des journées d’adoption dans leur caravane climatisée, transformée en cour de récré pour chats. « Notre credo a toujours été d’aider à apaiser les souffrances, nous sommes l’Éden d’Ève … nous apportons l’amour au monde, un chat après l’autre », ont-ils écrit dans un post Facebook aujourd’hui effacé. Mais certains de ses anciens adeptes disent que le ministère de Ruthven est un culte de la personnalité dédié à sa prophétesse. Elle prétendrait être la Divine Madeleine, la réincarnation d’une figure messianique qui créera un nouvel Éden après l’apocalypse. Ces anciens adeptes racontent qu’ils adulaient Ruthven, suivant chacun de ses commandements, même lorsqu’il a leur a fallu abandonner leurs familles pour la suivre. Ils administrent maintenant une page Facebook dénonçant ce qu’ils considèrent comme une secte. L’Éden d’Ève nie en bloc. Ils affirment que ces anciens membres sont des haters coordonnés par l’ex-mari de Ruthven, voués à calomnier leur foi. L’association a répondu aux critiques en les attaquant en ligne et en échangeant des lettres de menaces de poursuites… avant de poster des vidéos d’adorables chatons sur YouTube.

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