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Pas de cardio

Même s’il prenait la discipline au sérieux, Kimbo avait commencé tard. Ses lacunes de combattant étaient évidentes, même après des années d’entraînement à l’American Top Team, l’un des meilleurs camps de MMA du monde. Kimbo n’avait aucun cardio, son menton était fragile et sa force légendaire – très utile dans un combat d’arrière-cour d’une minute – s’évanouissait dès le premier round d’un combat pro dans l’Octogone. Sans compter qu’il était incapable de lutter au sol et qu’il ne maîtrisait aucune technique de jiu-jitsu. Mais il se battait avec le cœur, il était humble et, de toute évidence, désireux d’apprendre. Au cours de ses interviews, il se présentait comme un athlète moyen, reconnaissant avec sincérité qu’il avait besoin de travailler dur et de s’améliorer.

Plus de six millions de personnes ont allumé leur télévision pour le regarder se battre.

Kimbo a entretenu sa réputation de renégat et sa célébrité en ligne pendant quelques années de plus. Pour son troisième combat pro en 2008, dans le cadre d’un événement promotionnel EliteXC, il était la tête d’affiche du premier combat de MMA diffusé en prime time sur une chaîne majeure de la télévision américaine. Il avait 34 ans. À l’époque, EliteXC tentait de concurrencer l’UFC. Kimbo, sur CBS, dans un combat organisé par Gus Johnson : c’était l’événement majeur, le point culminant de sa carrière. « Après ce combat », a promis l’organisateur d’EliteXC Gary Shaw avant l’événement, « Kimbo Slice va devenir le plus grand nom du MMA. » Il n’était pas question que Kimbo perde. Plus de six millions de personnes ont allumé leur télévision pour le regarder se battre contre un ancien recouvreur de dettes du nom de James Thompson, faisant de l’événement l’un des plus regardés de l’histoire du MMA. C’était un combat terrible. Thompson a frappé Kimbo au sol pendant deux rounds, écrasant le néophyte du MMA qui n’était finalement pas si effrayant. Puis, dans le troisième round, Kimbo a asséné d’énormes coups de poing à Thompson dont l’oreille en chou-fleur, enflée de façon grotesque – pour une raison incompréhensible, elle n’avait pas été drainée avant le combat –, a explosé en direct à la télévision. C’était plus affreux que n’importe quelle bagarre clandestine, et pas seulement parce qu’un organe s’était presque détaché du crâne de son propriétaire en direct. Mais les promoteurs n’ont qu’un but : vendre des billets et faire de l’audimat. L’explosion d’une oreille en chou-fleur à la télévision a eu l’effet escompté. La tension qui règne entre la cupidité des promoteurs et l’éthique sportive a souvent fait du tort au MMA, un sport jeune en mal de légitimité. Et Kimbo, peut-être plus qu’aucun autre combattant, se trouvait à la croisée de ces deux pôles. Il bénéficiait de plus d’attention qu’il n’en avait jamais eu sur YouTube. Le MMA professionnel était un environnement tout aussi favorable à l’exploitation de son image que les arrière-cours de Miami où il avait fait ses armes.

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L’oreille en chou-fleur
Crédits : EliteXC

Il a perdu le combat suivant par KO technique après seulement 14 secondes de combat. Il affrontait un remplaçant de dernière minute appelé Seth Petruzelli. Kimbo s’est montré vulnérable mais il n’était pas le seul : tout le battage promotionnel qui l’entourait s’est écroulé avec lui. Quand Petruzelli a mis Kimbo à terre de façon humiliante en lui lançant un coup de pied tout en lui frappant le crâne, Gus Johnson a retourné sa veste et s’est écrié : « Rocky ! Rocky est là ! Seth Petruzelli a fait trembler le monde ! C’est la victoire la plus incroyable de l’histoire du MMA ! » Mais la seule chose incroyable dans la carrière pro de Kimbo Slice était le gouffre qui séparait les moyens investis par les promoteurs pour vanter ses talents et ce qu’ils étaient en réalité. Avant son combat contre Petruzelli, le président de l’UFC Dana White a fait part d’une analyse plus honnête : « Kimbo est nul à chier. » Après le combat, White a renchéri en déclarant que « Kimbo Slice se ferait assassiner en UFC », entendant par là qu’il n’avait pas les compétences pour combattre dans la cour des grands du MMA.

Fin de carrière

Moins d’un an plus tard pourtant, White a signé un contrat avec Kimbo. Il faisait partie d’une longue file de promoteurs qui voulaient tirer le plus d’argent possible de ce qu’il restait de la légende. Kimbo est apparu dans l’émission de télé-réalité de l’UFC, The Ultimate Fighter, où il a battu des records d’audience. Il a remporté un combat au sein de l’organisation, en a perdu un autre, puis on l’a viré comme un malpropre. Durant toutes ces épreuves, Kimbo est resté fidèle à lui-même, cela avait quelque chose de tragique. Il a été mis sur le devant de la scène à un âge avancé en dépit d’un entraînement rudimentaire, uniquement parce qu’il avait fait sensation dans les milieux undergrounds et que les fans adoraient son authenticité. Ils mouraient d’envie de le voir se battre. Ce n’est pas sa faute s’il luttait pour être à la hauteur, à ce niveau de compétition. Les gens avaient envie de croire que Kimbo était l’homme le plus thug de la planète et les promoteurs étaient ravis de leur vendre cette illusion. Kimbo aussi jouait volontiers le jeu, mais on ne peut pas lui reprocher d’avoir voulu essayer : il ne se contentait pas de vouloir cet argent, il en avait besoin en tant que père de six enfants qui n’avait pas fait d’études supérieures et qui avait vécu dans la rue. Combattre était sa meilleure option.

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Kimbo Slice vs. Dada 5000
Crédits : Bellator MMA

Après son départ de l’UFC, il est devenu boxeur professionnel pendant deux ans. Il est retourné au MMA en 2015 pour affronter le vétéran Ken Shamrock, 51 ans, dans une soirée organisée par Bellator. C’était un combat curieux durant lequel Shamrock a relâché son emprise sur Kimbo de manière inexplicable, alors qu’il était en plein étranglement, pour être mis KO quelques secondes plus tard. Il se murmurait que quelques-unes des précédentes rencontres de Kimbo avaient été truquées, mais le combat contre Shamrock n’a pas seulement donné lieu à des rumeurs, il a été analysé en profondeur. Il est néanmoins possible que le combat ait paru truqué tant il était mauvais. Malgré cela, la diffusion du combat sur Spike TV a rassemblé plus de spectateurs que toutes les affiches précédentes de Bellator. Le dernier combat de Kimbo a été le plus triste et l’un des épisodes les plus pénibles à regarder de l’histoire du MMA. Un corps à corps mortellement ennuyeux de trois rounds que Kimbo a remporté par KO technique – mais la victoire lui a été retirée après qu’il a été testé positif aux stéroïdes. Son adversaire, un combattant de rue de Miami du nom de Dada 5000 (l’un de ses anciens associés), a été sorti de l’Octogone sur une civière et a plus tard déclaré avoir subi deux crises cardiaque durant le combat. Évidemment, Kimbo versus Dada 5000 a battu tous les records d’audience pour un match Bellator. ulyces-kimboslice-03 La semaine dernière, son cœur a déposé les armes. Kimbo a été mis sous respiration artificielle mais il est mort alors que les médecins s’apprêtaient à l’ajouter à la liste des transplantations cardiaques. La vie de Kimbo Slice a pris fin à une heure de route de l’endroit où Kevin Ferguson a grandi. Bien que la carrière de MMA de Kimbo relève de la farce, l’homme qui l’a menée n’en était pas moins sincère. Un authentique combattant de rue qui a captivé l’imagination de millions de personne, qui s’est exposé au mépris des puristes du MMA lorsqu’il a mis les pieds sur le ring et qui a fini par l’emporter sur ses détracteurs car il était impossible de ne pas l’aimer. Kimbo a travaillé dur pour y arriver. Il avait du respect pour la discipline. Il était humble. Il voulait sans cesse s’améliorer. En 2010, pendant sa préparation en vue de son combat contre Matt Mitrione à l’UFC 113, Kimbo a parlé de la façon dont il voulait qu’on se souvienne de lui après sa mort. « Je veux juste que les gens se disent que j’ai évolué », a-t-il dit. https://www.youtube.com/watch?v=XL_j1NKmbF4 En regardant cette vidéo, vous pourrez décider si Kimbo Slice était un bandit, un ménestrel ou une brute invincible. S’il a entaché quoi que ce soit ou s’il s’agissait juste d’un mec qui avait eu la vie dure et qui faisait tout pour la rendre meilleure. Un homme qui a trouvé la force en lui pour crever l’écran et faire trembler le monde.


Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac d’après l’article « The Ultimate Fighter », paru dans  Slate.com. Couverture : Kimbo Slice. (Création graphique par Ulyces)


LES MOINES SHAOLIN FONT DU MMA, MAINTENANT

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Avec l’arrivée en force du MMA en Chine, le Kung-fu traditionnel tombe en désuétude. Pourtant, à Shaolin, les jeunes bénéficient de l’enseignement de combattants étrangers.

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Centre-ville de Chengdu
Province du Sichuan

Peu après l’aube aux abords de Chengdu, la capitale de la province du Sichuan, Li Quan frappe un sac de sable à coups de pieds. Malgré le vrombissement constant des bus qui se dirigent vers la ville, on peut entendre l’eau bouillir sur la cuisinière. Après son entraînement, Li vérifie son téléphone et se sert une tasse de thé. Des étrangers sont en chemin pour s’entraîner au Kung-fu avec le maître. En Chine, le nombre d’artistes martiaux qui, comme Li, maintiennent en vie la flamme de cette vieille tradition, se réduit rapidement. Quelques-uns de ces maîtres, généralement âgés de quarante ou cinquante ans, sont d’heureux directeurs d’écoles d’arts martiaux remplies d’élèves… mais pour la plupart, ils sont agents de sécurité, professeurs d’éducation physique, conducteurs de poids lourds, voire gardes du corps. Dans les films, les maîtres du Kung-fu ont un travail pour couvrir leurs activités nocturnes héroïques. Mais en réalité, ce travail leur permet tout bonnement de survivre.

I. Shaolin, Inc.

Après les purges répétées du gouvernement central et des décennies d’exploitation commerciale, le Kung-fu traditionnel chinois n’est aujourd’hui plus que l’ombre de ce qu’il a été. Tandis que les maîtres luttent pour imposer sur le marché leurs styles de plus en plus dilués, leurs étudiants potentiels sont captés par les arts martiaux mixtes (mixted martial arts, le MMA), un sport de combat dont la popularité explose partout dans le monde. De fait, peu de combattants perçoivent  encore le Kung-fu comme un art martial crédible.

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Disciples de Shaolin pratiquant le ju-jitsu brésilien
École d’arts martiaux de Tagou
Crédits : Sascha Matuszak

Ces dernières années, du Kung-fu (terme recouvrant un certain nombre d’arts martiaux chinois développés au fil des siècles) se sont détachés plusieurs courants qui rivalisent pour s’imposer dans le monde des arts martiaux. Parmi eux, on peut citer le wushu performatif, que certains ont vainement tenté de hisser en sport olympique pendant des années ; le sanda, un style de frappe et de takedownspécifiquement pensé pour les sports de combat ; et le tai chi, un « art martial intérieur », qui se concentre sur la maîtrise de l’énergie du corps (le qi) dans une approche auto-défensive. Les Chinois entretiennent une relation complexe avec leur art martial national. Le Kung-fu est d’abord admiré pour son esthétique, mais malgré le profond respect dont jouissent les artistes martiaux traditionnels, leur art est considéré comme inutile en compétition. Le Kung-fu a aussi été entaché par sa commercialisation : au célèbre temple Shaolin, une façade de tradition cache une usine à sous qui permet aux moines de conduire des voitures de luxe et de voyager autour du globe pour promouvoir la marque Shaolin.

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