Why so serious?

Un jour, Maeve Higgins s’est mise au défi. L’humoriste irlandaise voulait savoir à quoi ressemblerait la vie si elle arrêtait de rire de choses qui n’étaient pas drôles. Il s’est avéré que ce n’était pas aussi facile qu’elle l’imaginait. « C’était super dur », dit-elle. « Le rire met de la graisse dans les rouages, c’est une habitude. Il est très difficile d’arrêter de se marrer. »

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Higgins et Ronson sur scène
Crédits : Journal Snaps

Il est près de 23 heures à New York et dehors, l’air est glacé. Higgins et son ami Jon Ronson sont en coulisse, cachés derrière un épais rideau noir. Ils discutent de la façon dont s’est passée la dernière de leur série de stand-up mensuelle, I’m New Here – Can You Show Me Around?. Ils sont satisfaits. Ce soir, le duo remporté l’adhésion du public jeune et branché qui a bravé le froid pour se blottir dans ce pub à l’éclairage tamisé. Ils sont venus chercher des rires pour se réchauffer. Leur spectacle s’inspire de ce qu’on ressent lorsqu’on est nouveau dans une ville. Higgins et Ronson partent de leur expérience, ils sont arrivés il y a peu à Brooklyn. Higgins (très populaire en Irlande) et Ronson (l’auteur des Chèvres du Pentagone) sont d’avis que l’expérience du rire sur scène est unique en son genre. Il y a une curieuse alchimie à l’œuvre lorsque les gens se rassemblent spécifiquement dans le but de rire (ou pas, selon la qualité du show). « C’est une connexion unique », dit Ronson. « C’est de ça que parle le spectacle : de notre connexion avec le public… Je crois que ça vient aussi du fait qu’en étant réunis dans une pièce où tout le monde rit, on étudie le langage corporel des uns et des autres. »

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Jon Ronson
Crédits : Tuesday Agency

Higgins acquiesce. « Carrément. C’est libérateur. » Selon elle, les humoristes sont parfois des anthropologues de circonstance lorsqu’ils font face à un public. Ils sont à même d’observer la façon dont les gens réagissent ou interagissent lorsqu’ils entendent quelque chose qui les fait rire. « Par exemple, je vois souvent les couples observer la réaction de l’autre. “C’est OK si je ris de ça ?” » Faire rire les gens a aussi le pouvoir de rasséréner celui l’humoriste lui-même. « C’est parfait pour moi », dit Ronson. Il aime ce dispositif, qui permet aux deux amis de raconter des histoires drôles dans un espace presque intime. « Ce spectacle est vraiment une thérapie pour moi. » Les spectacles comiques sont davantage qu’un moyen efficace de passer une soirée agréable, et l’humour est plus qu’une chose amusante. Ils font partie de notre vie de tous les jours. Qu’on raconte une histoire amusante à ses amis au café, qu’on fasse une blague auto-dévalorisante après qu’on nous a fait un compliment ou qu’on lance un trait d’humour noir à un enterrement, l’humour est partout. Mais à quoi sert-il ? Et peut-il changer quoi que ce soit à la façon dont on se sent, dont on pense et dont on agit ?

Une expérience commune

En tant qu’élément incontournable des relations humaines, l’humour est un sujet de réflexion pour les intellectuels depuis des siècles. Comme le professeur de psychologie Peter McGraw et le journaliste Joel Warner l’expliquent dans leur récent ouvrage, « Platon et Aristote se sont penchés sur la signification du rire en posant les fondations de la philosophie occidentale… Charles Darwin cherchait son origine dans les cris de joie des chimpanzés lorsqu’on les chatouillait. Quant à Sigmund Freud, il sondait les motivations sous-jacentes des blagues dans les recoins de notre inconscient. » On doit l’une des théories les plus tenaces concernant l’humour au philosophe Thomas Hobbes. Il affirmait que le rire servait à se moquer de la faiblesse et à exercer sa supériorité. S’il s’agit sans aucun doute de la fonction d’un certain type de rire, c’est une explication morose et bien trop partielle du véritable sens de l’humour. « Ce qui me vient tout de suite à l’esprit quand je pense à l’humour, c’est qu’il s’agit d’une heureuse évolution. Ça nous évite d’avoir à nous taper sur le crâne avec des bâtons », explique Scott Weems, auteur et neuroscientifique cognitif. stacks_image_4163Dans son dernier livre, Weems passe en revue une série d’études académiques sur le rire, dont celles qui utilisant un scanner pour déterminer quelles parties du cerveau sont stimulées lorsque quelque chose nous fait rire. Sa théorie est que l’humour a essentiellement une fonction de soutien psychologique. Il s’agirait d’un mécanisme de défense nous aidant à appréhender des messages complexes et contradictoires, une « réponse au conflit et à la confusion qui règnent dans notre cerveau ». Selon lui, c’est en partie la raison pour laquelle nous rions face à des événements tragiques qui n’ont a priori rien de drôle. Le fait que nous soyons capables de rire à des blagues sur les attentats ne signifie-t-il pas que nous recherchons collectivement du sens à des événements qui nous ont profondément perturbés ? L’humour de mauvais goût ou dirigé contre un groupe particulier de personnes peut générer des conflits, mais pour Weems, c’est un moyen pour nous de composer avec des sujets ou des sentiments difficiles.

Avec les années, les chercheurs ont pu démontrer que certains registres comiques, comme la satire, avaient une puissante fonction sociale. L’humour est capable de briser des tabous aussi bien que de demander des comptes aux puissants. C’est un sujet qu’Avner Ziv, qui a écrit un certain nombre de livres sur l’humour, explore en profondeur. Il écrit que « la comédie et la satire ont comme dénominateur commun d’essayer de transformer la société au moyen de l’humour. Ces deux formes comiques constituent une excellente illustration de la fonction sociale de l’humour. » De nombreux humoristes placent les questions de société au centre de leur travail. Pour certains, il ne s’agit pas seulement de faire rire mais aussi de changer la façon dont nous pensons – et peut-être même dont nous agissons. Josie Long est l’humoriste anglaise qui incarne le mieux cette mouvance. Humoriste et militante, Long a la réputation d’avoir un humour léger et optimiste. Elle monte sur scène depuis qu’elle est adolescente et ses récentes performances radiophoniques sur la BBC ont un grand succès outre-Manche. Pourtant, au fil de sa carrière, elle a sciemment choisi d’aborder des questions politiques et sociales dans ses spectacles. Elle est convaincue que les humoristes ont un rôle à jouer pour expliquer les grands problèmes actuels et en rire.

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Josie Long
Crédits : josielong.com

« La politique afflige et désespère souvent », dit-elle. « Il y a une maxime qui dit que la satire sert “à consoler les affligés et à affliger les nantis”. C’est pourquoi l’humour est si important pour moi. C’est une façon d’être utile aux autres. » Dans son travail, Long passe les réalités politiques de la Grande-Bretagne contemporaine au crible de l’humour. Pour elle, il est vital de comprendre que l’humoriste est un poids qui sert à contrebalancer celui du fanatisme ou des discriminations. Elle a aussi à cœur de discerner les types d’humour susceptibles de renforcer les stéréotypes négatifs. « Je veux être sûre de taper sur les puissants, pas sur les faibles », dit-elle. Pour Long, les chroniques audacieuses de John Oliver ou Stewart Lee ont aujourd’hui une « place très puissante » dans le champ humoristique et social. Le rôle qu’ils jouent au sein de la société contemporaine va incontestablement au-delà du divertissement. Leur travail est la preuve que l’humour peut avoir un impact plus grand. « Aujourd’hui, les gens écoutent plus John Oliver que les commentateurs politiques », dit-elle. « Quoi qu’il se passe dans la société britannique, le stand-up enclenche immédiatement un processus de réinterprétation », dit Sophie Quirk, auteure et chercheuse à l’université du Kent. « C’est un processus qui implique nécessairement davantage que la simple expression du point de vue de l’artiste. Si on trouve une blague offensante, on proteste en ne riant pas. »

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John Oliver
Crédits : HBO

Elle s’est entretenue avec de nombreux humoristes pour le besoin de ses recherches. « Je pense que les chercheurs négligent souvent le fait que l’humour a beaucoup de poids en société », dit-elle. « Plaisanter est un moyen de créer du lien entre les gens. » Quant à l’humour politique, il peut favoriser le sentiment de partager des idéaux. « Si vous rassemblez des gens et que vous les faites rire en faveur d’opinions généralement perçues comme marginales, vous renforcez ces opinions en quelque sorte. » « Je pense aussi que l’humour peut être le vecteur d’idées néfastes », ajoute-t-elle, faisant écho à Long. Elle est d’avis qu’il est important d’étudier la façon dont l’humour peut renforcer ou discréditer certains stéréotypes. D’après l’humoriste politique new-yorkais John Fugelsang, le succès grandissant de l’humour politique aux États-Unis est un aspect fascinant du rôle de l’humour dans le divertissement américain – et dans la culture du pays au sens large. « Je pense que si quelqu’un parvient à vous faire rire de la situation déplorable du monde dans lequel on vit, non seulement cette personne gagne votre admiration, mais à un certain niveau, elle gagne aussi votre confiance. » Dans le cas des États-Unis, l’humour s’est considérablement amélioré car la situation a énormément empiré. « Les humoristes politiques vivent un âge d’or. C’est peut-être parce qu’on a plus que jamais besoin d’eux. » Les meilleurs humoristes sont souvent les meilleurs anthropologues et les meilleurs critiques, d’après lui. « Quand il est réussi, l’humour politique est un vecteur de vérité. »

Un sujet sérieux

L’humoriste britannique Stephen K. Amos attire des milliers de personnes à ses spectacles depuis des années. Chaque soir, il fait salle comble. Amos est convaincu que lorsque les humoristes abordent sciemment une thématique sociale préoccupante comme le racisme ou l’homophobie, ils ne se contentent pas de mettre les gens de bonne humeur pendant quelques instants, ils les touchent à un degré bien plus important. Et même s’il ne pourrait pas le prouver par des chiffres, il affirme que l’impact social et psychologique de l’humour entraîne une reconnaissance plus importante. Évidemment, certains types d’humour n’ont pas de portée sociale manifeste – les humoristes n’essayent pas de changer le monde comme un seul homme –, mais Amos prétend qu’une des propriétés singulières de l’humour, « lorsqu’il est réussi », est d’explorer des idées d’une façon non-conventionnelle pour subvertir les normes sociales.

« Souvent, les humoristes utilisent la logique pour donner du sens à des choses douloureuses. »

La recherche étaye ses propos. Bien que le rôle de l’humour soit avant toute chose d’être divertissant, en s’entretenant avec des humoristes, Sharon Lockyer – sociologue et directrice du centre d’études comiques de l’université Brunel – a identifié un certain nombre d’autres fonctions. Elles incluent la remise en cause « des stéréotypes et des discours dominants qui marginalisent et stigmatisent des individus en particulier », comme ceux qui ont trait à l’infirmité ou à la sexualité. Amos aborde fréquemment les questions de l’homosexualité et de l’ethnicité sur scène, en retournant les stéréotypes. « Je ne fais pas ça pour choquer », dit-il. « Je m’attaque à des choses qui sont importantes pour moi. À une époque, on se contentait de faire des blagues. Mais ça a changé, aujourd’hui les gens parlent de choses importantes. » Pour donner un exemple du pouvoir de l’humour, Amos raconte la fois où un adolescent est venu le voir après un spectacle durant lequel Amos raconte le jour où il a annoncé à sa famille qu’il était gay. « Ce jeune est venu me voir et il m’a dit : “Je suis venu tout seul… Je crois que je suis gay et je vais l’annoncer à mes parents ce soir.” » Une autre fois, une femme qui avait amené son père au spectacle a dit à Amos que cela l’avait amené à reconsidérer la façon dont il voyait les homosexuels. « Toucher les gens de cette façon est un sentiment merveilleux », dit-il. « Mon travail, c’est de les aider à libérer en eux les éléments chimiques qui les font rire de façon incontrôlable. Si ça passe par la remise en cause de certaines idées toutes faites sur la personne que je suis, ça me va. Je sais faire. » « Souvent, les humoristes utilisent la logique pour donner du sens à des choses douloureuses », dit John Fugelsang. « Avec des blagues, ils expriment des émotions et des idées compliquées qui, lorsqu’on les laisse au fond de soi sans les examiner, demeurent obscures. »

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Stephen K. Amos
Crédits : Dave

Quand il s’agit de questions de société, « l’humour peut être un véritable remède », dit-il. « On le voit avec l’humour afro-américain, l’humour LGBT, l’humour latino, l’humour religieux et l’humour féministe. Ça nous amène à penser de façon plus souple et ça replace les situations dans le cadre de cette expérience commune qu’on appelle la vie. » Alfie Moore est un autre convaincu du pouvoir de l’humour. Policier de profession (actuellement en congé sabbatique) et intervenant régulier sur la BBC, le métier de Moore est on ne peut plus sérieux. Pourtant, il met à profit son expérience pour repousser les frontières de l’humour. Son credo est de se moquer du maintien de l’ordre et de jouer les funambules à la frontière du sérieux et de la bêtise, en utilisant l’humour pour souligner l’absurdité de certaines politiques. Moore raconte que les gens viennent à ses spectacles avec leurs propres idées sur la police, mais il arrive qu’ils en ressortent avec une perception différente du métier et de la façon dont il s’inscrit dans la société. « Récemment, j’ai entendu quelqu’un dire : “S’ils rient, c’est qu’ils écoutent.” Je pense que c’est très vrai. » « Personne ne m’a jamais écouté quand j’étais dans la police. Je n’avais aucune influence. Je n’ai jamais rencontré d’officiers supérieurs ni même le chef de mon district. Maintenant que je ne suis plus dans la police, beaucoup de gens m’écoutent. Mon émission sur Radio 4 rassemble 1,4 millions d’auditeurs à chaque épisode. J’ai reçu des mails venant de commissaires. »

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Alfie Moore
Crédits : alfiemoore.com

L’humour noir et méchant de Liz Carr repose sur des observations dérangeantes. Comme Amos, Carr, qui est aussi auteure et comédienne, est d’avis que considérer l’humour comme quelque chose de frivole témoigne d’une incompréhension de sa place dans le monde. Au cours de sa carrière, elle s’est essayée à la radio, à la télévision, au stand-up et aux sketchs. Carr est une des pionnières du milieu aujourd’hui bouillonnant des humoristes frappés d’infirmités. Elle est réputée pour défier constamment les conventions : dans ses spectacles, elle utilise des mots qu’on emploie généralement pour humilier les personnes handicapées. Une façon pour elle de se les réapproprier et de leur ôter leur venin. Elle risque de déranger plus de monde encore très bientôt avec sa comédie musicale sur le suicide assisté, qui sera interprétée au London’s Royal Festival Hall à l’automne 2016. D’après elle, c’est un exemple de plus de la façon dont l’humour peut s’aventurer sur les terrains les plus sombres pour encourager les gens à remettre en cause leur façon de voir les choses. « Souvent, on ne sait pas comment réagir à propos de tout ça », dit-elle. « On se dit qu’on ne devrait pas rire de ceci ou de cela. Je pense au handicap, par exemple. Les gens ne veulent offenser personne. Mais il y a des choses à en dire, et si vous pouvez le faire par le rire, c’est un soulagement pour tout le monde. En tant qu’humoriste, votre simple présence peut changer la façon dont les gens interagissent entre eux… Je pense que l’humour amène à s’ouvrir d’une manière qu’on ne trouve nulle part ailleurs. »

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Liz Carr
Crédits : BBC First

La sociologue Sharon Lockyer a étudié les connexions entre humour et infirmité. Elle a publié plusieurs articles qui ont pour sujet l’opinion d’humoristes handicapés à propos de l’humour dans industrie télévisuelle anglaise. Un glissement s’est opéré entre l’époque où les gens handicapés étaient la cible de l’humour et celle où ils sont devenus humoristes. Lockyer pense que cette transformation comme d’autres – les blagues méprisantes seraient de moins en moins tolérées – sont indicatives de changements plus profonds dans la société. « Le potentiel politique de l’humour indique clairement qu’il mérite qu’on le prenne au sérieux. »

Open mic

Notre appétit pour l’humour ne cesse de croître. Les plus grands humoristes attirent des milliers et des milliers de personnes à leurs spectacles. Des artistes aussi populaires que Louis CK se sont mis à diffuser leurs spectacles sur Internet, et on ne compte plus le nombre de Vines et de vidéos YouTube à visée comique qui déferlent sur la Toile. Certains des podcasts les plus populaires au monde sont humoristiques, comme WTF, de Marc Maron, qui compte environ 5 millions de téléchargements par mois et une moyenne de 450 000 par épisode. Il y a même un podcast pour humoristes animé par un humoriste, sobrement intitulé The Comedian’s Comedian Podcast.

« Ce n’est pas parce qu’une chose est drôle qu’elle est insignifiante. »

Les chercheurs sont pour leur part de plus en plus intéressés par l’humour. On les rassemble souvent sous l’étiquette des « humourologues ». En 2009, un laboratoire de recherche dédié à « l’étude scientifique de l’humour, ses antécédents et ses conséquences » a ouvert au sein de l’université du Colorado à Boulder (HuRL). Et au Royaume-Uni, le Centre d’études de l’humour (CCSR) a été mis en place au sein de l’université Brunel en 2013 pour étudier l’impact social de l’humour. Peter McGraw, expert en théorie de l’émotion et du comportement décisionnel au HuRL, s’est un jour entendu dire par un collègue issu d’une grande université privée qu’étudier l’humour allait « tuer sa carrière ». De son côté, il est convaincu que puisqu’on fait l’expérience du rire bien plus souvent que de la peur ou du regret, l’étudier a autant de mérite que d’autres sujets prétendument plus dignes d’intérêt. « Les gens recherchent l’humour dans différents aspects de leurs vies, dans leur consommation de divertissement ou lorsqu’ils sont en famille et entre amis. Il a été prouvé qu’on l’utilisait pour affronter la réalité. Mais il y a autre chose qui me semble important : lorsque vous essayez d’être drôle et que vous échouez, vous pouvez créer du conflit. Vous risquez de contrarier les gens, voire de les mettre en colère. » Sophie Quirk explique qu’il n’y a que lorsqu’elle établit un lien entre l’humour et un sujet dit « sérieux », comme la politique ou la négativité, que ses pairs sont susceptibles d’y accorder de l’attention. « Ce n’est pas parce qu’une chose est drôle qu’elle est insignifiante », dit-elle. « Les gens pensent qu’étudier la peur est capital. La raison pour laquelle le rire est négligé est qu’il s’agit d’un phénomène drôle et excitant. Vous conviendrez que c’est très, très bizarre. »

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Le Comedy Cellar, un comedy club mythique de New York
Crédits : Southpaw Beagle

La recherche explore de nombreux aspects de la question – de ce qu’il se passe dans le cerveau quand on comprend une blague aux bénéfices cardiovasculaires du rire. Elle pourrait aussi conduire à des révélations sur la nature des gens qui choisissent le rire comme carrière. Un travail de recherche présenté en 2014 suggère par exemple qu’en dépit de leur métier, les humoristes étudiés présentaient moins d’activité dans les régions du cerveau associées au plaisir et à la jouissance nées de l’humour comparés aux autres sujets. « Nous allons commencer à voir des gens étudier l’humour de la même façon que les générations précédentes ont étudié l’intelligence », dit Scott Weems. « L’humour est peut-être le moyen de comprendre enfin ce que la condition humaine a de si particulier… Je ne sais pas si on le découvrira de mon vivant, mais on est sur la bonne voie. »

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Sur la côte Pacifique des États-Unis, Jamie Masada déborde d’énergie. Nous sommes au bar de l’étage surplombant la scène du Laugh Factory comedy club, sur Sunset Boulevard à Los Angeles. Il s’apprête à animer la soirée open mic hebdomadaire durant laquelle de jeunes humoristes montent sur scène pendant trois minutes durant lesquelles ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Le meilleur est souvent mauvais mais ça n’a pas d’importance pour Masada. Depuis 30 ans qu’il anime cette soirée, il a vu tout ce qu’il y avait à voir. Au moins, ils tentent de faire marrer les gens.

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Soirée open mic au Laugh Factory
Crédits : laughfactory.com

Masada a émigré en Amérique depuis l’Iran lorsqu’il était adolescent. Il affirme que si observer le public d’une nuit sur l’autre lui a bien appris quelque chose, c’est que l’humour a un impact profond sur la façon dont nous nous sentons, et sur la façon dont nous agissons. Il se rappelle avoir vu des gens arriver au comedy club avec une tête d’enterrement et ressortir avec un grand sourire au visage, littéralement transformés. Sans compter les couples mariés qui repartent enlacés alors qu’ils se parlaient à peine en entrant. « C’est essentiel pour nous tous », dit-il. « Nous avons besoin de rire comme de respirer. » L’exubérance de Masada peut sembler intéressée (après tout, c’est le patron du club), mais cela ne veut pas dire qu’il a tort. Des mécanismes profonds sont à l’œuvre dans le travail de beaucoup d’humoristes, surtout lorsque l’humour touche à des questions politiques et sociales. « Vous devriez essayer ! » m’encourage-t-il, un grand sourire au visage. « Faire rire quelqu’un est le plus grand pouvoir qu’un être humain peut avoir ! » Il ne plaisante pas.


Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « A serious business: what can comedy do? », paru dans Mosaic. Couverture : La salle vide d’un comedy club.


PORTRAIT DE LARRY DAVID ET DE SON NOMBRIL

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De ses débuts de comique new-yorkais au succès de Seinfeld et Curb Your Enthusiasm, rencontre avec l’artiste qui fait ses premiers pas à Broadway.

Larry David observe un sac de postier en cuir brun posé sur le sol d’un studio situé à l’étage d’un immeuble de la 42e rue, lorsqu’il déclare, sans s’adresser à quiconque en particulier : « — Je n’avais jamais eu de sac à main avant. Et là, tout d’un coup, j’en ai un. — Ce n’est pas vraiment un sac à main, corrige sa partenaire Rita Wilson. C’est une sacoche. — Non, insiste-t-il, c’est un sac à main. Il y a des trucs dedans qui font très sac à main. — Sa sangle est trop longue, réplique Wilson. — Jusqu’où tu trimbales ça ? demande Anna Shapiro, la metteuse en scène. Ce serait un sac à main si seulement tu devais le mettre dans une voiture. » Mais il n’en a pas fini au sujet des effets personnels. David renchérit en parlant du sac à dos à roulettes dont il se sert pour voyager, et de l’habitude qu’il a de toujours mettre ses bagages dans la soute de l’avion pour ne pas avoir à les soulever jusqu’au compartiment supérieur (son imitation du mouvement relève du pantomime dédaigneux, comme si ce geste soulignait une faiblesse de sa part).

La 42ème rue à New York, temple du stand up et du théâtreCrédits

La 42e rue à New York, temple du stand up et du théâtre

Par un jeudi après-midi, il y a peu, David, Wilson et le reste de la troupe répétaient Fish in the Dark, la première pièce de théâtre de David en tant qu’auteur et – exception faite d’apparitions dans des pièces scolaires en primaire et au collège – en tant que comédien. David a eu l’idée d’écrire cette pièce grâce à son ami Llyod Braun, un responsable de divertissement dont le père, puissant avocat de Beverly Hills spécialisé dans le droit de la musique, venait de mourir après trois jours sous surveillance médicale. « On commençait la Shiv’ah », se souvient Braun, « Larry était venu chez moi le premier jour, et je lui ai raconté un tas d’histoires sur les récents événements, car certaines étaient folles et hilarantes. Par exemple : un cousin éloigné qui débarque d’on ne sait où parce qu’il veut se lancer dans le showbiz. Pour moi, cette histoire avait du potentiel. Là, on a commencé à se dire qu’il y a un sketch incroyable à faire. Et Larry a dit tout de suite: “Ça, c’est une pièce pour Broadway.” »

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