Le Baron von Rolland

Le 6 février 1937 les SIS, les services secrets britanniques, plus connus sous l’acronyme MI6, produisirent un rapport intitulé « Activités nazies en Afrique du Nord ». Des extraits de ce dernier furent transmis quelques semaines plus tard à la sécurité intérieure britannique, le MI5. La source du SIS était un informateur allemand basé à Paris, et qui prétendait travailler pour une organisation d’émigrés allemands engagée dans le transit de volontaires vers l’Espagne, alors déchirée par une sanglante guerre civile.

Selon l’informateur, les Nazis avaient établi leur quartier général dans la ville de Ceuta, confetti de terre espagnole en Afrique du Nord, à la frontière avec le Maroc. Selon cette même source, le chef des agents nazis au Maroc était un certain « von Rolland » (sic) collaborant étroitement avec l’organisation nazie à Séville et à Lisbonne, ainsi qu’avec un groupe fasciste italien établi à Tunis et « responsable d’agitations anti-françaises sur ce territoire. »

Thames House, a été le quartier général du MI5 dans les années 30 et les années 90Crédits : wikipédia

Thames House, a été le quartier général du MI5 dans les années 30 et les années 90

Cela faisait 11 ans que le MI5 n’avait plus entendu parler du Baron von Rolland. L’homme était apparu pour la première fois dans les fichiers du renseignement britannique à la fin de la Première Guerre mondiale, durant laquelle il avait servi en tant qu’agent allemand du Abteilung IIIb, les services de renseignement militaire de l’Allemagne impériale. Le MI5 savait que le soi-disant baron réapparu en Afrique du Nord n’était ni baron, ni aristocrate, ni même un Rolland, mais un Juif de Salonique nommé Isaac Mizrachi ou, parfois, Ezratty.

Son dossier, de 1918 à 1947, ne laisse aucun doute sur sa loyauté envers l’Allemagne, ni sur le fait qu’à partir des années 1930 et presque jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale il travailla pour le service de renseignement militaire de l’Allemagne nazie. Le faux baron était né à Salonique, ou Thessalonique comme on l’appelle aujourd’hui, le 15 avril 1893. Son père, Eliaou Ezratty, était un marchand bien installé. Lorsque naquit le petit Isaac, la communauté juive de la ville comptait 60 000 âmes. Salonique faisant alors partie de l’empire ottoman, il vint donc au monde en tant que sujet turc.

Des familles juives sans logement à la suite du pogrom de 1931Crédits : wikipédia

Des familles juives de Salonique sans logement à la suite du pogrom de 1931

Bien qu’on trouve des traces d’une présence juive à Salonique remontant jusqu’à l’antiquité, via l’épître de Saint-Paul aux Thessaloniciens dans le Nouveau Testament, la communauté juive moderne résultait surtout de l’expulsion des juifs d’Espagne, en 1492. En effet, au cours du recensement ottoman, à peine 14 ans plus tôt, on n’y comptait aucun habitant juif. Vestige de sa vie en péninsule ibérique, la communauté séfarade perpétua l’usage de la langue Ladino, bien moins éloignée de l’espagnol que son équivalent ashkénaze, le Yiddish, ne l’était de l’allemand.

Les deux communautés étaient présentes dans la ville, bien que la séfarade fut dominante. Les Ezratty appartenaient à la classe aisée de cette communauté, et étaient des privilégiés, car une grande partie des séfarades vivait dans la pauvreté. Les Juifs ne représentaient, bien sûr, qu’une petite fraction de la population cosmopolite de la ville. Dans son livre sur la ville, l’historien Mark Mazower cite un article de journal de 1911, une année qui changea la vie du jeune Isaac Erzatty : « Salonique n’est pas une ville. C’est la juxtaposition de minuscules villages. Juifs, Turcs, Dönmes (Juifs devenus musulmans), Grecs, Bulgares, Occidentaux, Gitans, chacun de ces groupes qu’on appelle de nos jours des « Nations » se garde bien de se mêler aux autres. »

Une famille juive de Salonique en 1917Crédits : wikipédia

Une famille juive de Salonique en 1917
Crédits : wikipédia

Comme l’empire austro-hongrois plus au Nord, l’empire ottoman connaissait de vives poussées nationalistes parmi ces communautés, qui s’étaient contentées, pendant des siècles, d’un rôle d’humbles serviteurs. En octobre 1912 éclata la première guerre des Balkans. Elle fut suivie par une seconde, en juin 1913, qui se solda par la reconquête grecque de la ville. La communauté juive, touchée par la montée du nationalisme, ne chercha pas pour autant son salut dans le sionisme. Les effets du nationalisme balkanique poussèrent la majorité des Juifs vers un ottomanisme voué à l’échec, puis plus tard vers une alliance avec les Jeunes Turcs.

L’affaire Von Rolland est marquée par ces événements. Le jeune homme quitta sa ville natale en 1911 pour étudier en Allemagne. Dans une déclaration bien plus tardive il se souvient : « je suis parti avec un passeport turc, mais lorsque je suis rentré, Salonique était occupée par la Grèce. »

Ses nouveaux maîtres lui donnèrent le choix entre les nationalités grecque ou turque. Le choix de cette dernière n’était pas sans conséquences. En effet les Grecs lui signifièrent qu’il avait huit jours pour quitter la ville. Fin 1913, il était de retour en Allemagne. Au mois d’août 1914, la guerre éclata en Europe. Les optimistes claironnaient que le conflit prendrait fin avant Noël, alors que le carnage ne faisait que commencer.

Sur les traces du faux Baron

Au cours de l’année 1915, le natif de Salonique dénommé Isaac Ezratty s’établit en Espagne, à Barcelone, sous le nom de Baron Ino von Rolland. Il était envoyé par l’Abteilung IIIb, le renseignement militaire allemand. Les circonstances de son recrutement et la nature de sa mission demeurent enveloppées dans les brumes de la guerre, tout comme la plupart de ses années au service du Kaiser. Il finit par s’installer au 29 Ronda San Pedro à Barcelone.

Le faux baron n’était pas imposant : il ne mesurait guère plus d’un mètre soixante-trois ou soixante-cinq. Les rapports lui donnent environ 30 ans, alors qu’il avait à peine dépassé la vingtaine. Il était très sombre, pâle et rasé de près, avec de petits yeux gris-brun et une grande bouche. Il portait aussi des bagues et des épingles à cravate. Bien que cette description date de 1918, il semble que son apparence n’ait guère changé pendant ses premières années en Espagne.

Isaac Ezratty s'installe au 29 Ronda San Pedro à Barcelone, en 1915Crédits

Isaac Ezratty s’installe au 29 Ronda San Pedro à Barcelone, en 1915

On ne sait pas grand chose de cette période, si ce n’est sa rencontre de fortune avec un jeune officier de marine qui allait devenir son ami et s’assurer ses services au cours d’une autre guerre, et sous un régime tout différent. Ce jeune officier avait pour nom Wilhelm Canaris, et prit en 1935 les rennes du renseignement militaire allemand – l’Abwehr. Canaris avait été envoyé en Espagne, restée neutre, à la fin de l’année 1915, pour s’occuper du ravitaillement des U-boats allemands, qui mouillaient en Espagne lors de leurs missions en Méditerranée occidentale.

La rencontre de ces deux hommes indique que le baron était, lui aussi, impliqué dans cette affaire. Certains éléments de son dossier laissent à penser qu’il trempa également dans la diffusion de propagande pro-allemande. Toujours d’après ce dossier, les Britanniques ne commencèrent à s’intéresser au Baron von Rolland que dans les derniers mois de la guerre. La première miette d’information provient ici de renseignements partagés par les Italiens début juillet 1918. Ils seront ensuite recoupés par des sources françaises, et la plus grande part concerne d’autres agents aux ordres de von Rolland.

Début octobre les Britanniques avaient toutes les raisons de penser qu’il avait environ 30 ans, utilisait le pseudonyme Boyal, mais que son vrai nom était Isaac Ezratty, ou Ezrati. Une semaine après l’Armistice, le 11 novembre 1918, les Britanniques y voyaient un peu plus clair. Un rapport du MI5 daté du 18 novembre 1918 dresse un portrait assez précis du baron et de sa famille d’origine, bien qu’indiquant qu’il est Syrien, avec de la famille en Égypte supérieure. A la fin de la guerre, les Britanniques pensaient qu’il avait été « à la tête de l’espionnage allemand à Barcelone. »

Wilhelm Canaris entre 1924 et 1931Crédits : wikipédia

Wilhelm Canaris entre 1924 et 1931

En ce qui concerne la Première Guerre mondiale, l’histoire de l’espion juif de Salonique relève de la simple anecdote historique, les Juifs ayant combattu sur bien des fronts, et pour bien des nations engagées dans la boucherie collective. L’histoire de ses déplacements durant l’Entre-deux-guerres mentionnée dans son dossier est néanmoins intéressante. On y trouve consignée une arrestation lors de son passage de l’Espagne vers la France.

Libéré de la prison française, il embarque bientôt sur le S.S. Dunabis et fait voile vers le port de sa naissance. Mal reçu par les Grecs, il repart peu après pour l’Allemagne. En avril 1920 il apparaît de nouveau en Espagne, où on suppose qu’il a repris ses activités d’espionnage à la solde des Allemands. A part un bref interlude en 1925, durant lequel on pense situer le baron en Grande-Bretagne sur la foi de fausses informations, le dossier est muet sur ses mouvements jusqu’en 1937, lorsque une Mademoiselle Cathryn Young appelle le bureau des affaires étrangères britanniques.

Cette femme se déclarait résolue à aller en Espagne, alors plongé dans le tourbillon d’une guerre civile sanglante, dans le but d’atteindre Madrid « aussitôt que Franco s’en sera emparé ». Elle justifiait l’urgence de regagner son appartement madrilène « par son anxiété concernant les chiens qu’elle y avait laissés ». Ce ne furent pas les canidés qui suscitèrent l’intérêt du MI5, mais plutôt l’affirmation que lors de son dernier voyage dans le pays elle avait été accompagnée par un « célèbre espion allemand », dont elle tairait le nom. Ce dernier s’avéra être von Rolland.

Peu après cet épisode parut le rapport consacré au réseau d’espions nazi au Maroc. Le question du degré d’implication de von Rolland dans ce réseau nord-africain reste ouverte. Il se peut que l’informateur parisien ait fourni aux britanniques un renseignement périmé, ou colporté une simple rumeur, si toutefois ses déplacements dans les années 1930 furent bien réels. Selon une déclaration d’après-guerre, il se trouvait en Espagne en 1931-33 et 1934-35, avant de se diriger vers le Nord, jusqu’au Danemark en 1936.  Il passa les deux années suivantes à voyager en Amérique du Sud et en Amérique centrale, avant de quitter définitivement l’Europe en 1939. Durant cette période les Britanniques ne voient pas clair dans ses pérégrinations et le dernier rapport d’avant-guerre qui lui est consacré contient des informations contradictoires évoquant soit son retour en Espagne, soit son départ pour l’Amérique du Sud. A l’exception d’une tentative pour retrouver sa trace en Espagne en 1941, le dossier demeure muet jusqu’au mois de septembre 1943.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le « baron » vivait dans une maison de la rue Diagonal, à Buenos Aires

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le « baron » vivait dans une maison de la rue Diagonal, à Buenos Aires

Un homme entouré de mystères

Bien que le MI5 l’ait gardé sur la liste des personnes à surveiller, ils ne parvinrent pas à trouver grand chose sur ses occupations pendant les années 1930. Il ne fait cependant aucun doute que von Rolland ait été à la solde de l’Abwehr, depuis le jour où Canaris a pris la tête de l’organisation. Canaris n’avait pas oublié le jeune homme qu’il avait rencontré à Barcelone 20 ans plus tôt. D’après le faux baron, Canaris était également « le seul homme en Allemagne à savoir que j’étais d’origine hébraïque ». L’espion juif de Canaris avait pour mission d’envoyer des rapports confidentiels, transmis directement à la direction de l’Abwehr, sur « la situation politique dans les pays où je séjournais ». Ses rapports s’intéressaient aussi aux partis politiques et aux équipements militaires que l’on pouvait y vendre. Sa tâche principale était d’établir des sociétés-écrans servant de couverture aux transactions financières de l’Abwehr. L’une de ces sociétés, Transmare, fut fondée fin 1935 ou début 1936 et avait de nombreuses filiales à la fois en Europe et dans les Amériques.

Une deuxième, la Compagnie de Commerce Extérieur Scandinave, montée pendant son séjour au Danemark, lui appartenait en propre tout en étant liée à l’Abwehr, bien que le directeur local, un certain M.Whal, ignorait qu’il s’agissait d’une société-écran du renseignement allemand. Lorsque la Deuxième Guerre mondiale éclata en septembre 1939, von Rolland s’était déjà installé en Argentine. Il continua de travailler là-bas avec Transmare, même s’il devait plus tard prétendre n’avoir su que très peu de choses des rouages de l’entreprise en Europe. Von Rolland orienta les activités de Transmare vers l’import-export. Les exportations consistaient surtout en cargaisons de cuivre et de bronze en gros, expédiées vers l’Allemagne. Tous les contacts avec Canaris passaient par l’ambassade d’Allemagne à Buenos Aires. Il prétendrait après la guerre que ses liens avec l’entreprise s’étaient distendus après 1943, au moment même où les Britanniques obtinrent un autre indice sur les allées et venues du Baron.

« Son frère Salomon Ezratty, ancien vice-consul espagnol, s’était échappé de leur ville natale quand les Allemands commencèrent à y rafler les Juifs. »

En septembre 1943 les Britanniques établirent qu’il vivait dans une maison de la rue Diagonal, dans la capitale argentine. Leur intérêt pour leur vieille connaissance de la Première Guerre mondiale se trouva ravivé deux mois plus tard, en novembre, lorsque le triple agent yougoslave notoire Dušan Popov, nom de code Tricycle, les informa que von Rolland était un ami intime de Canaris. Un agent espagnol travaillant pour la Gestapo, Perez Garcia, après avoir été capturé à bord d’un bateau et amené au camp secret 020 du MI5, pour interrogatoire, confirma que von Rolland était bien un espion allemand.

A la fin de 1943 le MI6 parvint à retrouver la trace de von Rolland à Buenos Aires. Il vit maintenant à « Mersina del Plata et dépense au moins 10 000 pesos par mois à divertir la bonne société argentine…Il ne se mêle pas aux notables de la communauté allemande, » affirmait le rapport. Quelques mois plus tard, en mars 1944, le MI6 rapporte qu’il était « en lien étroit avec von Meynen, le chargé d’Affaires allemand. » Il demeure à la même adresse, mais selon le MI6 : « il consacre le plus clair de son temps à parier des sommes considérables ».

L’agent semble désormais malheureux. Son frère Salomon Ezratty, ancien vice-consul espagnol, s’était échappé de leur ville natale quand les Allemands commencèrent à y rafler les Juifs. Il était parvenu à sauver quelques-uns de ses amis et se rendit finalement en Espagne, avant de partir pour Tel Aviv fin 1944. Les Britanniques pensèrent un moment que son espion de frère était en route pour la Palestine, après avoir intercepté une de ses lettres adressée au Consul Général espagnol à Athènes. Il s’agissait toutefois d’une fausse piste, et von Rolland demeura en Argentine pendant toute la guerre et jusqu’à la défaite finale des Nazis.

Isaac Ezratty reste entouré de mystère

Isaac Ezratty reste entouré de mystère

Après la guerre les Alliés firent pression sur l’Argentine pour obtenir l’extradition de von Rolland et d’autres agents allemands. Vers la fin 1946 il embarqua avec 12 autres personnes sur le navire « Pampa » pour être déporté vers Hambourg. Von Rolland fut emmené au Camp 74 à Ludwigsburg, qui se trouvait en zone américaine. Il fut interrogé d’abord par l’armée américaine, à la mi-janvier 1947, mais celle-ci s’intéressait surtout à l’état du communisme en Argentine – un signe clair de la Guerre Froide à venir.

Lorsque les Britanniques commencèrent leur interrogatoire le 5 mai 1947, von Rolland donna un long témoignage par écrit de son travail pour les Allemands durant les deux guerres. Il révéla aussi aux Britanniques tout ce qu’ils voulaient savoir sur les agents allemands en Argentine et ses propres contacts dans le système Transmare. Ce témoignage est plutôt direct.

Il n’est jamais fait allusion à la Shoah, ni par Ezratty, ni par ses interrogateurs. Après avoir servi comme agent allemand pendant presque 30 ans, l’espion ne tente à aucun moment de justifier ses actions. La lecture du dossier procure d’ailleurs moins de réponses qu’elle n’ouvre de questions.

Quelles furent ses motivations ? L’argent ? L’avidité ? Le goût du risque ? Un sauf-conduit hors d’Europe ? Son amitié pour Canaris ? Toutes les réponses à ces questions demeureront englouties dans le brouillard de la guerre, à moins que n’émerge un jour le dossier de l’Abwehr. Ce qu’il advint ensuite d’Isaac Ezratty est également un mystère. Internet fournit néanmoins quelques pistes.

En 1948, alors qu’Israël conquérait son indépendance, il semble qu’Ezratty ait gagné l’Espagne de Franco, où l’on l’imagine arpenter les rues de Barcelone, la ville où débuta sa carrière d’espion allemand. Il espérait peut-être que son destin serait oubliée. Et ce fut d’ailleurs le cas, jusqu’à aujourd’hui. Si Isaac Ezratty a été ressuscité grâce à son dossier, il reste entouré de questions. Comment pu-t-il servir un pays qui assassina 98 pour cent des Juifs de sa ville natale ?


Traduit de l’anglais par Florian Hohenberg d’après l’article « Hitler’s Jewish Spy » paru dans Tabletmag.  Couverture : Isaac Ezratty, le Baron von Rolland.


CETTE FAMILLE RUSSE A VÉCU 40 ANS COUPÉE DU MONDE EN SIBÉRIE

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En taïga sibérienne, six membres de la famille Lykov ont vécu isolés pendant 40 ans à plus de 240 kilomètres de toute présence humaine.

L’été ne dure pas en Sibérie. La neige s’attarde jusqu’en mai et le froid revient dès septembre. La vie de la taïga gèle à nouveau et se fige pour former cette somptueuse désolation : des kilomètres de pins et de bouleaux végétant, parsemés d’ours endormis et de loups affamés, des montagnes escarpées, des rivières d’eau claire qui se déversent en torrent à travers la vallée et une centaine de milliers de marais glacés. Cette forêt est la dernière et la plus importante étendue sauvage sur Terre. Elle débute aux confins des zones arctiques russes aussi éloignées que la Mongolie, s’étend à l’est de l’Oural jusqu’à l’océan Pacifique : huit millions de kilomètres carrés de vide et une population qui ne rassemble que quelques milliers de personnes.

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La hutte où vivaient les Lykov
Crédits : Archives soviétiques

Cependant, lorsque la chaleur arrive, la taïga fleurit, et pour quelques petits mois, elle pourrait presque être accueillante. C’est à ce moment que l’homme peut voir au plus clair de ce monde caché. Non pas depuis le sol, la taïga étant capable d’engloutir des armées entières d’explorateurs, mais depuis le ciel. La plupart des ressources en pétrole et minerais de Russie se trouvent en Sibérie, et au fil du temps, même ses coins les plus reculés ont été envahis par des chercheurs de pétrole et des géomètres en route vers des campements perdus dans les bois, là où s’extrait la richesse.

Ainsi, durant l’été 1978, dans la partie isolée du sud de la forêt, un hélicoptère fut envoyé à la recherche d’un endroit sûr où déposer un groupe de géologues. Il parcourait l’orée du bois quand il tomba sur une vallée densément boisée d’un affluent de l’Akaban, ce ruban d’eau écumante qui traverse ce terrain dangereux. Les parois de la vallée étaient étroites et quasiment verticales en certains endroits. Les frêles pins et bouleaux qui oscillaient dans le tourbillon du courant étaient si étroitement emmêlés qu’il n’y avait aucune chance de trouver une zone d’atterrissage. Pourtant, à force de fixer attentivement son pare-brise, le pilote repéra quelque chose qui n’aurait pas dû être là : une clairière à plus de 1800 mètres d’altitude sur le flanc de la montagne, encastrée dans la forêt et marquée par de longs sillons noirs. L’équipage, abasourdi, effectua plusieurs passages avant de conclure malgré eux que ce jardin était la preuve d’une présence humaine. La taille et la forme de la clairière laissaient supposer qu’elle existait depuis un bon moment.

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