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L’expérience ODG

Je grimpe les escaliers plongés dans l’ombre à la suite de l’employé mutique d’ODG. Nous débouchons sur un couloir à l’air libre dont le côté gauche, bordé par une simple rampe, donne sur les allées encombrées du CES. À droite, il est longé par une paroi noire qu’un autre employé nettoie méticuleusement à l’aide d’un chiffon, pour débarrasser la surface lisse des traces laissées par les visiteurs. L’aspect monolithique et vaguement kubrickien du « cube » d’ODG n’est pas un hasard – l’effet est réussi. Nous avançons jusqu’au bout du couloir, où je suis prié d’attendre le temps que des clients venus de Chine finissent la démonstration. (ODG a récemment annoncé la signature d’un contrat de distribution avec China Mobile, grâce auquel ils vont investir le marché asiatique.) Le mur noir de la petite pièce close porte le logo blanc du 20th Century Fox Innovation Lab, la branche expérimentale du studio qui a produit The Martian VR Experience, et produit aujourd’hui Alien: Covenant VR Experience. Après une dizaine de minutes, la porte s’ouvre enfin et je suis admis dans l’antichambre de l’expérience – de son teaser, plus exactement. « L’Innovation Lab est la branche de 20th Century Fox qui explore la VR, l’AR, le 4K et biens d’autres technologies pour repousser les limites de la technique cinématographique », explique Dave, qui travaille pour la Fox.

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Crédits : Nicolas Prouillac

L’expérience de réalité augmentée d’Alien: Covenant a été spécialement conçue pour les lunettes R-9 d’ODG, à l’en croire. Premier appareil à fonctionner grâce au microprocesseur ultra-puissant de Qualcomm, le Snapdragon 835, les R-9 offrent un champ de vision de plus de 50°. À première vue, le chiffre paraît peu élevé, compte tenu des 180° auxquels notre vision naturelle nous habitue. C’est autrement plus impressionnant quand on sait que le champ de vision offert au spectateur assis pile au centre de la salle d’une projection IMAX est de 48°. « Je n’ai pas choisi ce nombre par hasard », assure Ralph Osterhout avec son ton sévère habituel. Les lunettes R-9 bénéficient également d’une résolution de 1080p.

Des caractéristiques revues à la baisse sur le modèle R-8, mais qui restent honorables (40°, 720p). « L’idée est de créer une expérience fun au-delà du film, en projetant le spectateur au cœur d’une franchise qu’il aime », ajoute Dave. La séquence en question est réalisée par David Karlak, comme le sera celle qui accompagnera la sortie de La Planète des singes : Suprématie, plus tard cette année. Nous pénétrons dans la pièce adjacente, où doit se dérouler l’expérience. Les parois ne sont plus noires : elles représentent un décor d’intérieur de vaisseau spatial, générique mais convainquant. On me tend une paire de lunettes ODG R-9, que j’enfile sans attendre. Je suis étonné par leur légèreté – elles pèsent 180 grammes, contre 580 pour HoloLens. Le dispositif placé devant mes yeux encombre en partie ma vue (plus que des lunettes de soleil), mais je perçois sans assombrissement excessif l’environnement qui m’entoure (mieux que des lunettes de soleil). Après avoir enfilé un casque audio, on me demande de calibrer l’appareil en fixant la tâche de sang qui macule le bas de la paroi à ma gauche. Commence alors une séquence d’investigation – j’imagine du moins ce que cela pourrait donner – qui déclenche une bande vidéo des événements atroces qui se sont déroulés dans cette pièce avant ma venue. Une femme se contorsionne sur un lit médical tandis qu’un alien jaillit de son ventre, mettant fin à ses jours et à ceux du docteur au visage duquel s’agrippe la créature. La scène – familière pour tout amateur de la saga – est superposée au décor réel. En m’approchant du mur, je m’approche également de la malheureuse qui se tord sous mes yeux.

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Il s’est passé des choses atroces ici
Crédits : Nicolas Prouillac

Au demeurant, cela pourrait être convainquant, mais la vidéo n’est pas adaptée aux dimensions de la pièce et à l’espace dans lequel j’évolue. À la fin de la séquence d’1’15, la vidéo disparaît pour laisser place à un alien qui rugit avant de sauter vers moi. « Voilà, vous venez de vous faire tuer par un alien », me dit Dave en souriant. Je fais de mon mieux pour avoir l’air enthousiaste mais là encore, l’alien n’est pas du tout à l’échelle de la pièce et semble jaillir de nulle part, à l’endroit où je vois un mur. Je ressors un brin perplexe, mais une autre expérience m’attend qui va se charger de balayer mes doutes.

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20th Century Fox n’est pas l’unique partenaire d’ODG. Outre Qualcomm et China Mobile, l’entreprise travaille étroitement avec la start-up californienne Otoy. Otoy se spécialise notamment dans le rendu photoréaliste d’images en réalité virtuelle. Pour ce faire, leur technologie capte le champ lumineux des scènes, c’est-à-dire l’ensemble des rayons lumineux qui la traversent et pas uniquement ceux qui frappent l’objectif. « Nous sommes capables de prévoir toutes les variations de la lumière d’une scène et de modifier le rendu en temps réel, qu’importe où se situe le regard », explique Jules Urbach, qui a fondé l’entreprise en 2008. C’est le secret de la « vidéo holographique », dont le réalisme leurre sans peine le cerveau humain. Grâce à cette technologie, ils peuvent théoriquement supplanter n’importe quel écran, de télévision ou de cinéma, en l’affichant à travers un dispositif de réalité virtuelle (ils travaillent également avec Oculus).

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Crédits : Nicolas Prouillac

« Contrairement à l’Oculus Rift, avec les lunettes ODG, vous pouvez encore voir votre environnement », ajoute Jules Urbach. « Mais nous pouvons les transformer en un instant en casque de réalité virtuelle en passant tous les pixels au noir. » Visions d’un futur fait de projections IMAX dans des chambres d’étudiants, sans masque de plongée encombrant. Dans une autre pièce aux murs nus, une employée d’Otoy me tend une paire de lunettes R-9 avec un sourire qui en dit long. « Vous me direz ce que vous en pensez », dit-elle d’une voix confiante. Je suis dans un parking souterrain. À quelques mètres de moi, un soldat issu d’un univers futuriste est étendu au sol. À l’endroit où ses jambes ont été arrachées, des lambeaux de chair sanguinolente trempent dans une flaque sombre que le béton a déjà absorbé en partie. Autour de lui sont éparpillés des corps et des gravats. Il ne veut pas en rester là et continue à tirer des rafales avec son imposant fusil mitrailleur. Je tourne ma tête sur la gauche, pour voir sur qui (ou quoi) il tire. Apparaît un robot humanoïde gigantesque – il doit bien faire trois mètres de haut et pratiquement deux de large. Il se tient au milieu du trou béant qu’il a percé dans le mur. Droit, vraisemblablement invincible, ses bras rutilants se terminent par des mitraillettes avec lesquelles il arrose ses adversaires. Je ne donne pas cher de leur peau.

ODG veut bâtir un écosystème intelligent autour des lunettes connectées.

La scène ne progresse pas, elle a lieu en boucle et laisse tout le temps de l’admirer. C’est époustouflant. L’image est d’un réalisme inédit. Pas un pixel, pas une invraisemblance lumineuse en vue. Où que mon regard se porte, le niveau de détails est bluffant. Si l’expérience se prolonge au-delà de ces quelques secondes, elle promet des instants mémorables. Il est en tout cas certain que les lunettes ODG peuvent donner l’impression de regarder un grand écran, comme un casque de VR. Je m’en sépare à contrecœur et prend le chemin du retour. Ralph Osterhout est formel, les lunettes connectées sont le cœur de la technologie du futur. Ce pionnier des technologies portables militaires a mis à profit ses inventions destinées à épauler l’élite des soldats américains pour élaborer un produit conçu pour les consommateurs. ODG envisage ses lunettes comme l’ordinateur ou le smartphone de demain. Ils ont en projet de bâtir un écosystème intelligent autour des lunettes connectées – écouteurs magnétiques, clavier portatif, souris sans fil… Autant de gadgets qui, lorsqu’ils verront le jour, pourraient faire de chacun d’entre nous des avatars technologiques d’un certain agent secret britannique. Ralph Osterhout, en tout cas, n’oubliera pas que tout est parti de ses rêves d’enfant.

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Crédits : ODG


Couverture : Un modèle porte une paire de lunettes connectées R-9. (ODG)


AU CŒUR DE MAGIC LEAP, LA START-UP ULTRA-SECRÈTE QUI VA CHANGER NOTRE MONDE

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Magic Leap compte plus d’un milliard d’investissement sans avoir sorti le moindre prototype. Son secret ? Une technologie de réalité virtuelle révolutionnaire.

I. Genèse de la VR

Il se passe quelque chose de spécial dans ce parc de bureaux banal d’une banlieue morne de Fort Lauderdale, en Floride. Derrière les façades grises, au milieu des bureaux et des chaises vides, un robot-drone de 20 cm, tout droit venu d’une planète extraterrestre, est suspendu dans les airs face à une rangée de plantes en pots. Pour une créature steampunk, il est très mignon et fourmille de détails. Je peux tourner autour de lui et l’examiner sous toutes les coutures. En m’accroupissant, je m’attarde sur son ventre orné de motifs complexes. Mon visage n’est plus qu’à quelques centimètres de lui alors que j’inspecte ses tuyaux minuscules et ses armatures saillantes. Je vois même des tourbillons polis aux endroits où la surface métallique a été découpée. Lorsque je lève la main, il s’approche et tend un appendice luisant pour toucher le bout de mon doigt. Je me redresse et prend du recul pour l’observer de loin. Pendant ce temps, il bourdonne et pivote lentement au-dessus d’un bureau. Il semble aussi vrai que les lampes et les écrans d’ordinateurs qui l’entourent, mais il ne l’est pas. Je l’observe à travers un casque de réalité augmentée.

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Le logo de Magic Leap

Je sais bien que ce drone est une simulation très élaborée, mais pour mes yeux il ne fait aucun doute qu’il est ici avec moi, dans ce bureau ordinaire. C’est un objet virtuel, mais aucun pixel ou artefact numérique ne parasite son intégrité tridimensionnelle. Si je me positionne de façon à ce qu’il se retrouve face à la lumière d’une lampe de bureau, je devine qu’il est vaguement transparent, mais cela n’amoindrit pas la sensation de présence qu’il dégage. C’est une des grandes promesses de la réalité artificielle : soit vous êtes téléporté dans des endroits magiques, soit des choses magiques sont téléportées auprès de vous. Grâce à ce prototype de lunettes créé par Magic Leap, une entreprise ultra-secrète qui fait couler beaucoup d’encre, ce drone extraterrestre a tout l’air d’avoir été téléporté dans ce bureau de Floride.

Il apparaît plus réel que je ne l’aurais jamais cru possible. J’ai vu d’autres choses avec ces lunettes magiques. Des robots à taille humaine traversant les murs de la pièce, sur lesquels je pouvais tirer des décharges d’énergie grâce à un pistolet que je tenais vraiment en main. Un combat de lutte entre des êtres humains miniatures sur une table, à la façon du jeu d’échecs holographique de Star Wars. Ces petits êtres n’étaient pas réels, malgré leur impressionnant photo-réalisme, mais ils étaient indéniablement présents. Je veux dire par là que cela dépassait la simple illusion d’optique, je pouvais presque sentir leur présence. On appelle cette réalité virtuelle superposée au monde réel la réalité mixte, ou MR. (Les lunettes sont semi-transparentes et vous permettent encore de voir votre environnement.) C’est une technologie plus complexe que celle de la réalité virtuelle pleinement immersive, ou VR, qui n’est faite que d’images synthétiques. La réalité mixte est sans aucun doute la plus puissante des deux. Magic Leap n’est pas la seule entreprise à développer une technologie de réalité mixte, mais pour l’heure la qualité de ses visions dépasse toutes les autres. Grâce à ce statut de leader, l’argent coule à flots dans ce parc de bureaux de Floride. Google était un des premiers à investir. Andreessen Horowitz, Kleiner Perkins et d’autres ont suivi. L’année dernière, les dirigeants des plus grandes entreprises tech et médiatiques américaines sont venus en pèlerinage dans les bureaux de Magic Leap pour tester par eux-mêmes sa réalité synthétique futuriste. Au début de l’année, l’entreprise a réalisé ce qui est peut-être le troisième tour de table le plus impressionnant de l’histoire : 793,5 millions de dollars. Jusqu’ici, les investisseurs ont injecté 1,4 milliards de dollars dans Magic Leap.

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La réalité mixte se superpose au réel
Crédits : Magic Leap

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