Supermax

Ça a dû lui faire tout drôle. Le 19 janvier dernier, à quelques heures de l’investiture de Donald Trump à la présidence des États-Unis, Joaquín Guzmán Loera, mieux connu sous le nom d’El Chapo, a été extradé vers les États-Unis. Le trafiquant de drogue mexicain à la tête du cartel de Sinaloa est monté jeudi dans un avion à Ciudad Juárez, à la frontière avec le Texas, avant d’atterrir à New York durant la dernière nuit de Barack Obama à la Maison-Blanche. La soudaineté avec laquelle a eu lieu l’extradition a pris de cours les avocats d’El Chapo, qui retardent le processus depuis la fin du mois de juin 2016 en faisant appel de la décision. L’avocat principal du narcotrafiquant, José Refugio Rodríguez, maintient depuis des mois que le traité d’extradition est contraire à la Constitution mexicaine. « Je devais lui rendre visite aujourd’hui », a-t-il confié aux micros des journalistes le 19 janvier. « Je ne sais rien de tout cela. » L’extradition a eu lieu le lendemain du rejet par la Cour suprême mexicaine d’une nouvelle demande de révision du traité par Me Refugio Rodríguez.

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El Chapo aux mains des autorités américaines
Crédits : Ministère de l’Intérieur du Mexique/AFP

Elle intervient quelques jours après le premier anniversaire de la capture d’El Chapo, le 8 janvier 2016 à Los Mochis, une petite ville de l’État de Sinaloa. Joaquín Guzmán n’en était pas à sa première arrestation par les autorités mexicaines. En 1993, il a été capturé au Guatemala : il était alors déjà considéré comme le trafiquant de drogue le plus puissant du Mexique. Il s’est évadé de prison près d’une décennie plus tard, en 2001 – en se cachant dans un panier à linge, à ce qu’on raconte. En son absence, le cartel a continué à prospérer. El Chapo n’a été capturé à nouveau qu’en 2014, après une chasse à l’homme effrénée. Il était alors d’après la DEA le narcotrafiquant le plus puissant du monde, dépassant l’influence et la prospérité de Pablo Escobar au sommet de sa gloire. Ce nouveau séjour derrière les barreaux a pris fin le 11 juillet 2015, lorsque El Chapo a réussi à s’évader au moyen d’un tunnel creusé sous la douche de sa cellule de la prison d’Altiplano.

Le cartel de Sinaloa est depuis longtemps réputé pour son savoir-faire en matière de galeries souterraines : ils en ont creusé plus d’une centaine sous la frontière américano-mexicaine. El Chapo a envoyé ses ingénieurs étudier en Allemagne pour y apprendre les techniques les plus avancées en la matière. Il aura fallu entre 12 et 16 mois à ces derniers pour creuser le tunnel de près d’un kilomètre et demi sous la prison. Ils y ont installé un système de ventilation et de lampes électriques, ainsi qu’une Honda 125 cm3 montée sur un rail pour permettre à leur chef de s’échapper. Des jerrycans de carburant étaient disposés à intervalles réguliers pour s’assurer qu’il ne tombe pas en panne. Spectaculaire, il faut bien le dire. El Chapo a alors repris sa vie de fugitif, jouant au chat et à la souris avec les autorités mexicaines en passant d’une planque à l’autre dans les collines sauvages de Sinaloa. Jusqu’à un nouveau coup de théâtre, après sa rencontre clandestine avec l’acteur américain Sean Penn en octobre 2015. L’interview n’a été publiée que le 9 janvier 2016 par le magazine américain Rolling Stone, au lendemain de la capture du criminel. Il a depuis été révélé que Sean Penn et l’actrice mexicaine Kate del Castillo, qui a aidé à organiser la rencontre, étaient tous deux surveillés par les renseignements mexicains. L’acteur s’en défend, mais les autorités mexicaines affirment que leur entrevue a joué un rôle crucial dans la capture du fugitif, près de trois mois plus tard.

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Sean Penn, El Chapo et Kate del Castillo

Il y avait tout lieu de penser que l’arrestation se solderait par un nouveau coup d’éclat. Mais quand le prisonnier a été transféré en mai 2016 de la prison d’Altiplano (d’où il s’était précédemment échappé) vers celle de Ciudad Juárez, près de la frontière avec les États-Unis, il est apparu évident que cette fois-ci, on ne le laisserait pas filer aussi facilement. L’extradition était déjà sur toutes les lèvres et, du côté américain, plusieurs prisons se sont proposées pour accueillir Guzmán. Il a finalement été décidé qu’il serait incarcéré à Brooklyn, où il se trouve depuis vendredi dernier. Le cartel a tenté d’éviter l’inéluctable par tous les moyens : outre les manœuvres juridiques de Me Refugio Rodríguez, le juge Vicente Bermúdez Zacarias, en charge de l’affaire, a été abattu en octobre 2016 par un sicario d’une balle derrière la tête pendant qu’il faisait son jogging, dans la ville de Metepec. Mais rien n’y a fait. Le timing de l’extradition est sujet à débat. Quel message le président Enrique Peña Nieto et son administration ont-ils voulu envoyer aux États-Unis en extradant le narcotrafiquant le plus célèbre de la planète la veille de l’investiture de Donald Trump ? Pour le journaliste Ioan Grillo, spécialiste des cartels de la drogue latino-américains, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’exprimer l’entière coopération du gouvernement mexicain en matière de sécurité avec l’administration Trump. https://twitter.com/ioangrillo/status/822220274141495296?ref_src=twsrc%5Etfw Son avis n’est cependant pas partagé par tous, et d’autres observateurs interprètent ce geste différemment. « Ils ont décidé de ne pas donner à Trump une victoire précoce avec l’extradition d’El Chapo. J’applaudis », a tweeté l’expert en sécurité mexicain Alejandro Hope. Les deux points de vue se tiennent et il faudra pour trancher garder un œil attentif sur les relations entre les deux pays dans les prochains mois.

On se rappelle que Trump avait rencontré Peña Nieto en août 2016 à Mexico. C’est à la suite de cette entrevue que le candidat républicain avait déclaré qu’il ferait ériger un mur entre les États-Unis et le Mexique, payé par le Mexique. Le président mexicain avait répondu sur Twitter que jamais son pays ne payerait la moindre brique pour la construction d’un tel mur. Ces premiers échanges houleux laissent penser que l’analyse d’Alejandro Hope est la plus plausible, mais il est trop tôt pour en être certains. Donald Trump compte visiblement intensifier la lutte contre la drogue et il va devoir compter sur ses partenaires étrangers pour y parvenir. https://twitter.com/ahope71/status/822213633358774272?ref_src=twsrc%5Etfw Vendredi 20 janvier, El Chapo a finalement comparu devant un tribunal de Brooklyn, où il a plaidé non coupable aux accusations qui pèsent contre lui. Les procureurs américains ont assuré les autorités mexicaines qu’ils ne requerraient pas la peine de mort contre lui. S’il est reconnu coupable pour les 17 chefs d’accusation liés à son rôle de chef du cartel de la drogue le plus puissant de la planète, Guzmán, aujourd’hui âgé de 62 ans, écopera probablement d’une peine de prison à vie, d’après le procureur Robert Capers. Aucune remise de peine n’est envisageable dans une prison fédérale. Dans ce cas, il sera probablement transféré à Supermax, la prison la plus sécurisée des États-Unis située à Florence, dans le Colorado. Toute évasion semble hautement improbable.

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Quoi qu’il en soit, l’extradition d’El Chapo n’aura probablement pas d’impact majeur sur les affaires du cartel de Sinaloa et sur la dynamique du crime organisé mexicain. Ses successeurs ont fait en sorte d’isoler l’organisation des menaces pesant sur son chef, et la majeure partie de ses activités sont sous le contrôle de son complice de longue date Ismael « El Mayo » Zambada. Ses fils ont également pris la tête de groupes criminels affiliés, et ses alliés agissent comme autant de satellites qui préservent pour le moment la suprématie du cartel de Sinaloa au Mexique. Nous avons suivi le sujet de près sur Ulyces et les 15 articles ci-dessous vous renseigneront sur les arcanes de l’une des organisations criminelles les plus puissantes et effroyables du monde. Mais d’abord, un peu de musique avec ce corrido dédié au narcotrafiquant – car en dépit de leurs activités illégales et souvent sanglantes, les musiciens mexicains sont nombreux à conter les épopées criminelles de leurs bandits nationaux. https://www.youtube.com/watch?v=j-91fdQkDSk

Les secrets du cartel

Comment s’est organisée cette extradition à haut risque

Depuis l’annonce de son extradition vers les États-Unis le 20 mai 2016, le transfert du patron du cartel de Sinaloa a été minutieusement organisé. Il s’agissait d’un processus extrêmement délicat.

Les dessous de la rencontre entre Sean Penn et El Chapo

Cette entrevue clandestine aurait été cruciale pour la capture du narcotrafiquant. Jusqu’ici, les lecteurs francophones n’avaient eu droit qu’à de courts extraits de la rencontre entre l’acteur américain et l’homme le plus recherché du monde. Voici ce qu’il s’est vraiment passé.

Sean Penn s’est expliqué sur son interview

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Sean Penn interviewé par Charlie Rose
Crédits : CBS

Interviewé par le journaliste Charlie Rose pour l’émission 60 Minutes, Sean Penn a tenu à s’exprimer sur les conditions particulières de son entretien avec le trafiquant de drogue le plus recherché au monde.

Cet homme dirige le cartel de Sinaloa, avec ou sans El Chapo

Il s’appelle Ismael « El Mayo » Zambada García et la DEA affirme qu’il est celui qui tient les rênes du cartel de Sinaloa en l’absence d’El Chapo. Après l’arrestation de Guzmán en janvier 2016, l’homme de 68 ans aurait pris la tête de l’organisation pendant que les fils d’El Chapo incarnent son bras armé.

Le fils d’El Chapo affirme que l’arrestation de son père ne change rien aux affaires du cartel

Ivan Archivaldo Guzmán a juré de veiller au bon déroulement des opérations maintenant que son père est à l’ombre pour un bon moment. Il est nettement plus violent que son père.

Ivan Archivaldo Guzmán s’est offert un arsenal terrifiant pour veiller sur l’empire criminel de la famille

L’arsenal dont Ivan Archivaldo a fait l’acquisition comprend notamment un hélicoptère customisé et armé jusqu’aux dents qui aurait coûté à lui seul plus de 2,5 millions d’euros, d’après des sources proches de l’organisation.

Cela n’a pas empêché un cartel rival de prendre d’assaut la maison de la mère d’El Chapo

Alfredo Beltran Guzmán, dit « El Mochomito », fils aîné d’Alfredo Bertran Leyva, « El Mochomo », a déclaré la guerre à son grand oncle, El Chapo.

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Le compte Instagram d’Ivan Archivaldo en dit long

En août 2016, c’est son plus jeune fils qui a été enlevé par ses adversaires

Âgé de 29 ans et né du premier mariage d’El Chapo, Jesús Guzmán a été enlevé par des hommes armés du cartel rival de Jalisco Nouvelle Génération, dont la puissance s’est accrue au cours des dernières années.

Voici El Güero Salazar, l’associé méconnu d’El Chapo

Héctor Luis Palma Salazar est sorti de prison en juin dernier. Cofondateur du cartel de Sinaloa, son histoire effroyable est à l’origine de la violence des cartels mexicains.

La nouvelle génération de narcos est encore plus violente

On les appelle les narcojuniors. Ils font partie de la jeune génération de narcotrafiquants mexicains, qui s’apprêtent à prendre la relève de celle d’El Chapo, dont les récits de représailles sanglantes sont déjà légion.

Ce jeune Américain de Portland est une légende du cartel de Sinaloa

On l’appelle « El Gringo Loco ». Ce jeune Américain de la classe moyenne fraîchement diplômé a tout abandonné pour devenir une légende du cartel d’El Chapo. gringo-ulyces-04

Le cartel de Sinaloa a presque 5 fois plus d’avions que la plus grande compagnie du pays

Entre 2006 et 2015, les autorités mexicaines ont ainsi saisi 599 appareils appartenant au cartel de Sinaloa. 586 avions et 13 hélicoptères. Des chiffres ahurissants quand on sait que la compagnie aérienne la plus importante du pays, Aeroméxico, ne compte que 127 machines.

La série #Cartel racontera la vie criminelle d’El Chapo

La chaîne américaine History a confié à Chris Brancato, le co-créateur de la série Narcos, diffusée sur Netflix, le soin de rédiger le scénario de la vie rocambolesque du baron de la drogue.

Dans les tunnels de Nogales, sur les traces du cartel de Sinaloa

À Nogales, en Arizona, la police tente d’arrêter le déferlement de drogue que les narcotrafiquants acheminent par des tunnels creusés sous la frontière.

Cette photo montre à quel point son évasion a été spectaculaire

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Couverture : El Chapo lors de son extradition. (Los Angeles Times)