Lorsque la nuit tombe sur Underwood Hills, elle apporte habituellement le silence avec elle. Ce quartier résidentiel du nord-ouest d’Atlanta, dans le sud des États-Unis, est le refuge de familles aisées venues trouver un peu de calme à l’écart du centre-ville de la capitale de l’État de Géorgie. Leurs maisons s’alignent le long des routes peu fréquentées de la zone, entourées d’arbres, de parcs et de jardins où gambadent les enfants quand ils ne sont pas à l’école. Une communauté tranquille où les lumières s’éteignent à l’approche de minuit. Mais le soir du vendredi 4 mars 2016, la nuit est venue seule. Des éclats de voix se font entendre à deux pas des résidences endormies, sur Defoor Plaza. Devant l’entrée de Street Execs Studios, des hommes sont attroupés à quelques mètres d’une voiture stationnée au bord de la route, phares allumés. Le ton monte entre les passagers du véhicule et le groupe qui tourne le dos aux portes du studio d’enregistrement. De l’intérieur s’échappent des lumières colorées et des basses saturées. Un chœur d’aboiements se joint aux cris des hommes, venus de Dog Days Westside, la pension pour chiens voisine.

La scène du crime
Crédits : WSB-TV2/Twitter

Des voisins bruyants, Underwood Hills en accueille depuis le début des années 2000 : c’est dans une rue tranquille du quartier qu’a été enregistré « Hey Ya », le tube planétaire d’Outkast. Usher, Gnarls Barkley et Akon y ont aussi produit des hits. Tous ces artistes ont contribué au rayonnement culturel de la ville dans le monde entier. Street Execs Studios est pour sa part la maison-mère des rappeurs 2 Chainz, Young Dolph et Bankroll Fresh. Cette nuit-là, ce dernier a réservé l’endroit pour enregistrer les morceaux d’une nouvelle mixtape. Révélé par son single « Hot Boy » en 2014 et conforté dans sa hype l’année suivante avec la sortie de Life of a Hot Boy 2: Real Trapper, Bankroll Fresh s’apprête à frapper de nouveau. Mais pour l’heure, il est au centre du chaos qui règne dehors, comme le noyau d’un atome autour duquel s’agitent de furieux électrons. La tension atteint son point de rupture. Des coups de feu sont tirés, un corps s’effondre, des pneus crissent. Bankroll Fresh est mort. Mais qui l’a tué ?

#LongLiveBankroll

La mort de Bankroll Fresh a plongé la scène hip-hop d’Atlanta dans l’affliction. Quelques heures après l’annonce de son décès, 2 Chainz est parmi les premiers à exprimer sa peine sur Twitter. « Je suis fan de lui et je le serai toujours, je suis sous le choc pour l’instant ! » écrit-il. Jeezy, Zaytoven, Meek Mill et beaucoup d’autres se joignent à lui, adoptant le hashtag #LongLiveBankroll – « longue vie à Bankroll ». « Ils ont pris mon frère et j’ai mal à l’heure qu’il est. Tellement mal », poste de son côté le beatmaker Metro Boomin sur Instagram, bouleversé. « Je regrette l’époque où on enregistrait des morceaux toute la nuit et où tu restais dormir sur le canapé, parce que tu voulais réussir autant que moi. (…) Putain de merde, je t’aime mon frère et je me souviendrai toujours de ton amour et de ton soutien. » Des centaines de messages de condoléances répondent à ces hommages. Ses fans ne veulent pas croire à sa disparition. Quelques semaines plus tard, son nom s’étale en grand sur un panneau d’affichage, aux portes d’Atlanta. « Longue vie à Bankroll Fresh », de la part du photographe Cam Kirk et des producteurs Metro Boomin, Southside et Sonny Digital.

Cam Kirk pose sous l’affiche en hommage au rappeur
Crédits : Cam Kirk/Facebook

Cette marque de respect a une raison d’être. Le grand public ne le savait pas encore mais personne dans le milieu musical d’Atlanta n’ignorait que Bankroll Fresh était the next big thing. « Il était sur le point d’exploser », affirme son oncle et manager Marvin Shadi Powers. « Bankroll était l’héritier en devenir de T.I. et Jeezy. » Powers fait partie de Street Money Worldwide, le label qui a vu naître et grandir Bankroll Fresh. Car plus qu’un label, c’est une affaire de famille.

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Trentavious Zamon White Sr., alias Bankroll Fresh, naît le 2 août 1987 à Atlanta. C’est encore un nourrisson lorsque sa mère Teresa se sépare de son père biologique, Matthew White. Il est élevé par son beau-père, Ken Rich, et grandit à Mechanicsville dans le Southside. Les quartiers sud d’Atlanta sont connus sous le nom de « Zone 3 », car les habitants de la ville les désignent en fonction des zones de patrouille de la police. « Trent a grandi dans une famille de hustlers. Son père, Teresa et moi, on sortait notre argent de la rue », raconte Marvin. En 2001, Ken et lui mettent à profit l’argent de leurs petits trafics quotidiens pour fonder un label, Savoirfair Entertainment. Ils frayent aux côtés du tout jeune Gucci Mane. À l’époque, Trent a 13 ans. « Petit, il nous suivait partout avec son ours en peluche. Tous ses proches l’appelaient “Bear” », poursuit-il. Trent veut devenir rappeur, lui aussi. Avec son ami d’enfance David Smith, alias Montana Da Mac, ils s’entraînent sur un CD d’instrus que Ken leur a prêté. « Montana était naturellement doué pour ça. Bear n’avait aucun don, mais il travaillait dur pour s’améliorer », se rappelle Marvin. Les adultes encouragent les adolescents à s’entraîner, mais ils sont trop occupés à faire de l’argent pour prêter attention aux premiers raps des deux garçons.

Bankroll Fresh sur le tournage d’ « ESPN »
Crédits : Cam Kirk

Jusqu’en 2005, où le jeune duo les force à écouter une maquette de « Do the Bunny Hop », dont ils ont composé la musique eux-mêmes. Conquis, Marvin et Rich décident de les manager, eux et leur crew. Ils forment la Get Rich Clique et Trent prend le nom de Yung Fresh. Sans être un succès, le morceau leur assure une petite réputation dans le milieu encore confidentiel de la trap d’Atlanta. Pendant un temps, Trent est vu comme le sidekick de Montana, qui tourne dans la région avec son hit « Rock On (Do Da Rockman) ». Puis la rue les rattrape : un membre du groupe, Spider, est tué dans une rixe. La Get Rich Clique ne s’en remet pas et chacun poursuit son chemin de son côté. Autour de Trent, Ken et Marvin bâtissent Street Money Worldwide – une affaire de famille qui verra plus tard éclore de jeunes rappeurs comme Boochie et Bankroll PJ, respectivement son cousin et son neveu, qui ne dépassent pas la scène locale. Après une première mixtape sortie en 2012 sous le nom de Yung Fresh, Street Motivation, Trent se rebaptise Bankroll Fresh et enregistre Life of a Hot Boy, dont le single suscite tant d’engouement qu’il est remixé par trois rappeurs de la Nouvelle-Orléans : Turk, Juvenile et Lil Wayne. L’avenir s’annonce radieux pour le jeune MC. « Mais il faut comprendre une chose, c’est que l’industrie musicale d’Atlanta et la rue ne font qu’un », assène Marvin d’un ton solennel. « C’est un mariage contre nature. » Une médaille que les rappeurs d’ATL portent fièrement autour du cou, mais dont le revers éclipse parfois le bling. Ce piège, c’est la signification-même de la trap music. À jouer aux funambules entre artistes et bandits, les « trappeurs » se brûlent parfois les ailes et le payent au prix fort. Trentavious White ne s’en est pas relevé.

Ricochet

Il était 23 heures le 4 mars 2016 quand la fusillade a éclaté, laissant Trent se vider de son sang sur le parking de Street Execs Studios. Le jeune homme de 28 ans est décédé plus tard à l’hôpital, aux alentours de deux heures du matin. « Le corps est arrivé chez nous à 2 h 40 cette nuit-là », raconte le Dr. Jan Gorniak, médecin-légiste en chef de Fulton County. « Il ne présentait qu’une seule blessure : il a reçu une balle par ricochet dans l’abdomen, qui s’est logée dans son estomac. » Sur les lieux du crime pourtant, la police d’Atlanta rassemble les preuves que de très nombreux coups de feu ont été tirés. « Nous avons retrouvé environ 25 douilles sur les lieux », explique le Major Adam Lee, qui dirige la section des crimes graves de l’Atlanta Police Department (APD). « Mais en comptant les impacts de balles laissés sur les voitures et les environs du studio, on estime à plus de 50 le nombre de coups de feu tirés. » La différence s’explique du fait qu’une partie des coups de feu ont été tirés depuis l’intérieur des véhicules : les douilles sont probablement tombées dans l’habitacle, aux pieds des tireurs.

Une image de la caméra de surveillance
Crédits : Atlanta Police Department

Pour comprendre ce qu’il s’est réellement passé ce soir-là, les enquêteurs de la police se sont notamment appuyés sur les images d’une caméra de surveillance placée sur le toit du studio. Depuis l’ouverture de l’enquête la nuit du meurtre, elles demeuraient confidentielles. Mais quelques heures après notre entretien le 22 février, le Major Lee a pris la décision de les rendre publiques. Sur les images en noir et blanc, on distingue plusieurs hommes armés à l’extérieur du studio, dont certains se mettent à couvert derrière les voitures garées sur le parking. Ils sont tournés en direction d’un véhicule à l’arrêt sur la route, les phares allumés. À droite de l’écran, on aperçoit Trent, armé d’un fusil d’assaut AK-47. Les images révélées par la police prennent fin avant le début de la fusillade, mais d’après le Major Lee, il s’écroule au sol quelques secondes plus tard. Les enquêteurs se sont mis à la recherche des tireurs dès la nuit du crime. Ils n’ont pas eu à chercher longtemps : une semaine après le drame, ils se sont présentés d’eux-mêmes au commissariat.

No Plug

VladTV est une institution pour les amateurs de culture urbaine américaine. Lancée par DJ Vlad, producteur d’origine ukrainienne installé aux États-Unis, la chaîne YouTube compte près d’1,6 million d’abonnés et s’est taillée une réputation de « TMZ du hip-hop », avec ses interviews et reportages sur les bruits de couloir de l’industrie. Le 7 juillet 2016, quatre mois après la mort de Trent, une interview diffusée sur sa chaîne a défrayé la chronique. Son titre est évocateur : « No Plug raconte comment il a tué Bankroll Fresh en légitime défense : “Il a tiré le premier” ». Sur les 1,8 million de vues que compte la vidéo, la majorité des spectateurs n’avaient probablement aucune idée de qui était No Plug. Et pour cause. De son vrai nom Mendez Owens, No Plug n’est pas un rappeur, bien qu’il ait profité de sa soudaine notoriété pour sortir une mixtape – il affirme dans l’interview que c’est Trent qui lui a conseillé de se lancer dans le rap.

Les proches de No Plug l’appellent « Skully »
Crédits : No Plug/Instagram

Assis dans le canapé en cuir noir sur lequel les invités de DJ Vlad prennent traditionnellement place, Mendez Owens affiche un grand sourire. Il porte une chemise en jean délavée, des chaînes en or « No Plug » autour du cou et de gros diamants aux oreilles. À ses côtés sont entassées d’épaisses liasses de billets : une habitude chez les trappeurs de cette génération, qui ne se déplacent jamais sans leur street money, prétendument « l’argent du crime ». Vladimir Lyubovny a convié Owens dans son émission pour qu’il explique ce qu’il s’est passé ce soir-là. Un coup de communication profitable aux deux parties. À la façon dont DJ Vlad relance son invité pour faire avancer l’interview, on comprend que le déroulé de la séquence a été répété. Durant les 25 minutes d’entretien, Owens choisit soigneusement les termes qu’il emploie. Son avocat n’y est pas étranger. « Mendez Owens a pris contact avec moi une semaine après la fusillade », raconte Me Ash Joshi, qui était l’avocat de Gucci Mane en 2005 lorsque le rappeur a abattu un des cinq hommes venus pour le braquer. Owens et lui se connaissaient déjà. « Je représentais certains de ses amis », dit-il. Owens ne tarit pas de compliments au sujet de Me Joshi, qu’il dit avoir payé 10 000 dollars pour ses services. Le récit qu’il fait des événements devant les caméras est le même qu’il a présenté à l’inspecteur Summer Benton, chargée de l’enquête à l’époque. Il serait sorti de la salle d’interrogatoire après une dizaine de minutes. Libre. Mendez Owens affirme que Trentavious et lui se connaissaient depuis qu’ils avaient dix ou 12 ans. « C’était mon pote, on était super proches », dit-il. Si Trent a grandi dans la Zone 3, Mendez venait du Westside – la Zone 1.

La géographie revêt une importance particulière dans cette affaire, qui est en partie une question de territoire. L’embrouille aurait commencé en novembre 2015, durant Thanksgiving. À ce moment-là, Mendez et Trent s’étaient quelque peu éloignés, la carrière de Bankroll Fresh prenant de la vitesse. Comme c’est la tradition à Thanksgiving, celui-ci a fait le tour des quartiers qu’il fréquentait pour distribuer des cadeaux et de la nourriture aux enfants. D’après Mendez, Trent s’est déplacé jusqu’à son fief, le 9th Ward. Le 9th Ward n’est pas à proprement parler un quartier d’Atlanta. « C’est juste le surnom qu’ils donnent à quelques bâtiments », explique Me Joshi. Il fait référence au 9th Ward de la Nouvelle-Orléans, un quartier de l’est de la ville particulièrement touché par l’ouragan Katrina. À Atlanta, la zone recouvre un simple complexe d’appartements sur Delmar Lane, dans l’ouest de la ville. Trent n’y était pas le bienvenu. D’après Mendez, il faisait le beau devant les caméras en prétendant qu’il était du quartier, ce qui n’a pas plu à ses amis. « Il a été escorté hors du 9th, c’est tout », dit-il. « Il ne s’est pas fait braquer ou quoi que ce soit, j’aurais pas laissé faire ça. » Mais ce n’est pas tout. Si la situation s’est réglée tranquillement ce jour-là, Mendez donne néanmoins l’impression qu’il existait une rancœur larvée entre eux deux. Trent aurait dragué des filles avec qui Mendez était sorti, et il affirme dans la foulée que Trent était jaloux de lui.

Cela ne signifie pas pour autant que Mendez Owens est tiré d’affaire.

Ce qui nous amène directement au soir du 4 mars 2016. Mendez raconte qu’il a fait halte au studio d’enregistrement alors qu’il était en chemin pour la Caroline du Sud, où l’un de ses amis était en concert. Ce dernier lui aurait demandé de faire un crochet par Street Execs Studios pour passer le prendre. Lorsqu’il est arrivé là-bas, il n’avait aucune intention d’affronter Trent. « J’étais avec une de mes meufs sur FaceTime, j’étais là pour chiller », raconte-t-il. Cinq minutes après son arrivée, Trent, alerté de sa présence par une amie, est descendu pour lui demander des explications sur ce qu’il s’était passé quatre mois plus tôt. Mendez a répliqué qu’il ne voulait pas parler d’une vieille embrouille et Trent, hors de lui, a tenté de lui mettre une claque. Les deux hommes se sont alors sautés dessus, tombant à la renverse dans les escaliers. Séparés par un ami commun, Mendez a quitté le bâtiment pour retourner à sa voiture. Il a alors réalisé qu’il avait perdu ses deux portables dans la bagarre et fait demi-tour pour les récupérer. Trent était là pour l’accueillir, Kalachnikov au poing, secondé par une dizaine d’hommes armés de pistolets. Escorté vers la sortie, Mendez est retourné à sa voiture, dans laquelle un passager –Me Joshi le désigne sous le nom d’ « A.J. » – a sorti son arme. La situation s’est rapidement envenimée : Trent a tiré un ou deux coups de feu en direction de la voiture, deux coups de feu ont été tirés en retour, une balle a touché Trent en ricochant, il s’est effondré, et la voiture a redémarré en trombe, sous les tirs des hommes de main de Bankroll Fresh. Cette version des événements, vivement controversée par l’entourage et les fans de Trentavious White, est plausible aux yeux de la police. Interrogé par DJ Vlad, le rappeur 21 Savage, proche de No Plug, est lui aussi d’avis que les choses se sont passées ainsi : un cas de légitime défense malheureux mais sans haine. D’autant qu’en Géorgie, il n’est pas nécessaire d’avoir un permis pour porter une arme, ce qui explique pourquoi les deux hommes n’ont pas été inquiétés par la police. Cela ne signifie pas pour autant que Mendez Owens est tiré d’affaire. Car l’enquête est toujours en cours et qu’il subsiste un mystère : celui de la deuxième voiture.

La deuxième voiture

Quelques minutes après le départ précipité de No Plug et A.J., une autre voiture fait halte devant le studio, où les proches de Bankroll Fresh sont rassemblés autour du corps. À bord du véhicule, plusieurs individus ouvrent le feu en direction du groupe avant de quitter les lieux à leur tour. Personne n’est blessé dans le drive-by, mais cet autre déchaînement de violence explique le nombre de coups de feu qui ont été tirés. À l’heure qu’il est, l’identité des tireurs est toujours un mystère et seule la police a pu voir la séquence captée par la caméra de surveillance. « À ma connaissance, ils n’ont aucun rapport avec mon client », affirme Me Joshi. « Ni les relevés téléphoniques, ni le reste de l’enquête n’ont révélé de connexion entre eux et Mendez Owens. » Le Major Adam Lee semble confirmer ces propos, quoi qu’avec un choix de vocabulaire différent. « Ils ne semblaient pas être avec M. Owens, et ils sont arrivés après que les premiers coups de feu ont été tirés », dit-il. « Nous ne savons toujours pas qui sont ces personnes. » Il ajoute que si la thèse avancée par Mendez Owens et son avocat est vraisemblable au vu des éléments dont disposent actuellement les enquêteurs, il est impossible d’affirmer que Trent a bien tiré le premier coup de feu. Quant à ce qu’il s’est passé à l’intérieur du studio, les récits des différents témoins ne s’accordent pas sur une seule version des faits.

L’enterrement de Trentavious White
Crédits : Rollingout

D’après le Major Lee, l’enquête reste ouverte, et c’est au bureau du procureur de district de Fulton County et à ses enquêteurs que revient aujourd’hui la charge de l’affaire. Contactée pour commenter son avancement, l’enquêtrice en chef Cynthia Nwokocha m’a répondu qu’elle ne pouvait communiquer aucune information concernant le drame du 4 mars 2016. L’enquête est toujours en cours et n’a pas encore donné lieu à la moindre accusation. Après la diffusion d’une partie de la vidéo, les autorités espèrent que de nouveaux témoignages aideront à clore l’affaire.

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Pour Marvin Powers, « la rue sait très bien ce qu’il s’est passé ». « C’est la nature humaine », dit-il d’une voix désabusée. « La même histoire s’est répétée des millions de fois, encore et encore. Certains réussissent, d’autres pas. Certaines personnes envient le succès des autres. La plupart du temps, quand un jeune est fauché par la mort avant qu’il ne devienne célèbre, il meurt dans la rue. De la main de quelqu’un qu’il connaît bien. » Pour Boochie, le cousin de Trent, No Plug est venu ce soir-là au studio avec la volonté de provoquer Trent. À l’intérieur, ce dernier lui aurait mis une raclée, le laissant repartir humilié. Lorsqu’il est revenu dans le studio, la bande était armée pour une bonne raison. Dans ce genre de situation à Atlanta, quand un type repart la queue entre les jambes, il n’est pas rare qu’il revienne un canon dans les mains. Toute cette histoire, pour Boochie aussi, est une affaire de jalousie.

D’après Powers, No Plug n’a jamais été connu comme un rappeur à Atlanta. Il traîne une réputation de hustler à la petite semaine. « Tout ce dont il se vante face à la caméra est autoproclamé », affirme-t-il. « Atlanta est une grande ville, il n’est connu que dans son “9th Ward”. » 21 Savage, lui, n’est pas un inconnu. En trois ans et quatre sorties, dont un EP remarqué avec Metro Boomin, le rappeur de 24 ans est devenu le protégé de Drake. De son vrai nom Shayaa Bin Abraham-Joseph, il affirme qu’Owens est son « frangin » et qu’il dit la vérité. Mais il en faut plus pour déstabiliser Marvin Powers. « Ils se rendent service l’un à l’autre. D’un côté, No Plug s’achète une crédibilité dans le rap game en s’affichant avec lui ; de l’autre, 21 Savage consolide son image de bad guy en s’affichant avec le responsable présumé de la mort de Bankroll Fresh. » Pour lui, 21 Savage remplit le vide laissé par Bankroll Fresh dans le milieu et se positionne désormais comme le prince héritier des rois de la trap d’Atlanta.

No Plug et 21 Savage

« 21 Savage vient de la Zone 6 : des quartiers est d’Atlanta », poursuit Powers. « C’est à l’opposé du quartier de No Plug. La distance est énorme. Pour vous qui êtes en Europe, c’est comme s’il venait d’une autre ville. Croyez-moi, ils ne frayent ensemble que par opportunisme. » Difficile de vérifier ces affirmations. Pourtant, Marvin Powers n’affirme pas que Mendez Owens a tué son neveu. D’après lui, la confusion était telle lors de la fusillade qu’il est impossible de dire quel tireur l’a touché. D’autant plus que la balle n’a pas directement atteint sa cible. Sa vérité est toute autre : Owens a sciemment laissé entendre qu’il était responsable de la mort de Bankroll Fresh. Toute l’affaire, à ses yeux, était un coup monté. Après un instant de silence, je lui demande s’il pense vraiment que c’est ce qui est arrivé. Sa conviction ne faiblit pas. « Je ne le pense pas. Je le sais. Et vous devez bien comprendre une chose : il s’agit d’une enquête pour meurtre. Et en Amérique, une affaire n’est pas classée tant qu’elle n’est pas résolue. » Pour le moment, seule la rue sait ce qu’il s’est passé.


Couverture : Bankroll Fresh, par Cam Kirk. (Création graphique par Ulyces)