Mac-10

Adler Berriman, dit « Barry » Seal était un trafiquant de drogue qui, au début des années 1980, a orchestré l’importation de tonnes de cocaïne et de marijuana aux États-Unis. Il utilisait pour cela une piste d’atterrissage située au fin fond de la campagne de l’ouest de l’Arkansas. Mais alors qu’il travaillait avec les frères Ochoa pour le compte du cartel de Medellín et de Pablo Escobar, Seal s’est fait prendre en Floride. C’était en 1983. Il n’a pas fallu longtemps pour que le natif de Louisiane se mette à table, et il a commencé à travailler pour la DEA. Le Philadelphia Inquirer a plus tard décrit Seal comme étant « le témoin le plus important dans l’histoire de l’Agence de lutte contre la drogue américaine (DEA) ». Peu après le début de sa carrière d’informateur, un article en première page du Washington Times écrit par Edmond Jacoby a révélé à demi-mot que Seal était un agent du gouvernement. (L’article en question a peut-être aussi contribué à faire éclater le scandale Iran-Contra.) N’étant plus d’aucune utilité en tant qu’informateur, la DEA a lâché Seal. Peu de temps après, il a été arrêté par le FBI en Louisiane, où le bureau du procureur général des États-Unis à Baton Rouge avait préparé son accusation contre le baron de la drogue. Seal a finalement écopé de cinq ans de liberté conditionnelle, assortis de six mois à passer dans une maison de transition locale.

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Barry Seal

C’est là que, le 19 février 1986, Barry Seal a été abattu. Il se trouvait sur le parking, au volant de sa Cadillac, lorsqu’un assassin colombien armé d’un pistolet mitrailleur Mac-10 lui a tiré dessus. On peut voir un portrait romantique du trafiquant dans un téléfilm de 1991 avec Dennis Hopper, La Stratégie de l’infiltration. Il y est décrit comme un soldat de fortune condamné à une mort certaine par les agents fédéraux. Mais la vérité sur la vie de Seal est dépeinte dans Smuggler’s End: The Life and Death of Barry Seal, un livre écrit par l’ancien marine et agent du FBI Del Hahn, qui paraît aujourd’hui aux États-Unis. Originaire de Cleveland, Hahn a passé 22 ans au sein du FBI à travailler sur des affaires liées à des violences à caractère ethnique, des fonctionnaires corrompus et de la criminalité en col blanc. Il confie avoir vu pour la première fois de la cocaïne en 1967. Mais avant que les services de lutte antidrogue ne commencent à pulluler au sein de l’administration Reagan, il n’avait jamais travaillé sur une affaire de drogue. L’ancien agent, qui a joué un rôle clé dans l’opération du FBI à Baton Rouge, travaille à présent comme détective privé. Il raconte qu’il a vu plusieurs rumeurs abracadabrantes circuler sur Internet au sujet de son implication dans l’affaire , et qu’il tenait à remettre les pendules à l’heure. Voilà ce qu’il avait à me dire. ulyces-barryseal-02

L’informateur

Pouvez-vous me raconter comment vous avez rencontré Seal et comment il a été arrêté – puis retourné – par le FBI ?

En 1983, Seal dealait principalement de la coke et de la marijuana, tandis que la DEA menait de front l’opération Screamer, une opération d’infiltration en Floride. L’agent infiltré était Randy Beasley, un gars de la DEA. L’un des acolytes de Seal s’est pris dans la toile de l’opération Screamer, et il a fini par conclure un marché avec la DEA dans lequel il acceptait de leur livrer Seal. Peu de temps après son inculpation, Seal a été mis en relation avec Beasley et l’adjoint du procureur en charge de l’affaire, Bruce Zimet. Il leur a proposé sa coopération et voulait leur donner les frères Ochoa, des membres éminents du cartel de Medellín. Mais il ne voulait à aucun prix aller en taule. Il voulait aussi qu’on laisse tranquille ses co-accusés, et que ce marché ne remonte pas aux oreilles de son avocat. Il se montrait si arrogant et exigeant que ça a dû énerver Beasley et Zimet, qui ont refusé ses conditions. Seal est donc retourné à Baton Rouge, où il a tenté de parler au procureur général Stan Bardwell. Mais Bardwell n’avait pas confiance en l’avocat qui servait d’intermédiaire, aussi a-t-il refusé de rencontrer Barry. Ce dernier s’est alors envolé pour Washington, DC, et il a fait irruption dans le bureau du vice-président du service de lutte antidrogue, à qui il a proposé ses services en tant qu’informateur. Ils l’ont envoyé auprès de la DEA à Miami, où les agents Joura et Jacobsen l’ont reçu. La lettre scellant leur accord a été signée le 28 mars 1984 en présence du procureur général de Miami.

En lisant votre livre, Seal apparaît parfois comme un type marrant. Que saviez-vous de lui à l’époque ?

Nous savions que nous avions affaire à un passeur qui utilisait la voie des airs. Nous savions où il planquait ses avions. Et nous savions également par le biais de Randy Beasley et de l’opération Screamer que Seal utilisait principalement des cabines téléphoniques pour gérer ses affaires.

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Barry Seal dans son uniforme de la TWA

Nous n’avons pas appris où et quand arriveraient les cargaisons de cocaïne, mais nous avons rassemblé des informations fiables et trois infractions criminelles solides, divulguées lors de ses conversations téléphoniques. J’ai rencontré William Earle, Jr, le type à l’autre bout du fil lors de ces trois conversations. Il était d’accord pour témoigner. Il était détenu à la Nouvelle-Orléans suite à la saisie par nos services d’une cargaison de marijuana livrée par avion. Et il mourait d’envie de sauver sa peau. Les trois conversations téléphoniques impliquaient toutes le fait que Earle devrait voler en Piper Navajo jusqu’à Mena, un aéroport de montagne dans l’Arkansas, où on lui installerait un système de carburant illégal. Le Navajo était le dernier ajout à la collection d’avions de Seal. J’ai rencontré deux fois Seal personnellement après mon départ en retraite.

Chaque fois, il s’est montré très sympathique, il avait beaucoup d’humour. Mais il n’était pas aussi intelligent et malin qu’il le pensait. Quelques exemples de ce que j’avance : l’un de ses assistants s’est probablement noyé, à ce qu’on sait, en allant récupérer une livraison de drogue ; et un autre de ses sbires donnait des infos à la police d’État de Louisiane et à la DEA. À la suite de quoi Seal s’est fait arrêter au Honduras, où il a passé près d’un an en prison. Enfin, il utilisait régulièrement des cabines téléphoniques car il pensait qu’elles étaient fiables. Mais grâce à notre travail de surveillance, nous sommes parvenus à identifier quelles étaient ses cabines préférées, et nous avons mis dix d’entre elles sur écoute. Il pensait que ses amis de la DEA à Miami pourraient l’aider, mais ils n’ont pas bougé le petit doigt.

Seal était au cœur du trafic quand la cocaïne a commencé à arriver de Colombie. Comment avez-vous appréhendé l’affaire, n’ayant jamais travaillé personnellement sur une affaire de drogue auparavant ?

J’en savais assez sur le marché du trafic de drogue pour comprendre la façon dont il fonctionnait en règle générale. Je savais que Seal recevait beaucoup d’aide, et nous savions qui étaient ceux qui l’aidaient, pour la plupart. Dans une affaire de drogue, les bons coups de filet ont lieu grâce à la conjugaison d’opérations d’infiltration, de bons informateurs et de mises sur écoute. Ce à quoi il faut ajouter que la brigade des stups de la police d’État de Louisiane et la DEA avaient d’excellents informateurs qui avaient déjà traité avec Seal. On cherchait à le faire accuser d’entreprise criminelle continue (CCE) et condamner à vie. La condamnation pour CCE requiert trois condamnations antérieures en lien avec la drogue. Dès le début, nous en avions deux sur trois : une première condamnation issue de l’opération Screamer, qui avait donné lieu à un procès, et son plaidoyer de culpabilité pour la seconde accusation de l’opération Screamer, fait au moment où il était devenu informateur pour la DEA. Nous savions en outre qu’il blanchissait de l’argent à Mena, dans l’Arkansas, et qu’il faisait la même chose à Baton Rouge.

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Pablo Escobar, à gauche, et Jorga Luis Ochoa, à droite avec un béret
Ils assistent à une corrida à Medellín, en 1964
Crédits : AP

L’assassinat

La CIA et d’autres agences fédérales ont-elles été complices du trafic de drogue ? À quel point ?

La seule agence fédérale avec laquelle Seal a jamais travaillé était la DEA. Le témoignage sous serment de Seal indique qu’il n’avait jamais travaillé pour la CIA à sa connaissance. Lors des débriefings, après son plaidoyer de marchandage, il ne m’a jamais confié, ni à personne d’autre, qu’il bossait pour la CIA ou qu’il travaillait pour une autre agence que la DEA. Et notre équipe n’a jamais trouvé la moindre preuve du fait que la CIA était impliquée avec Seal dans le trafic de drogue. Il n’y a pas le moindre début de preuve crédible laissant penser que Seal aurait pu travailler pour la CIA, ou qu’il leur avait prêté main forte lors de quelque opération que ce soit. Et la CIA a nié tout lien avec Seal. Mon livre n’aborde pas les accusations qui lient la CIA au trafic de drogue, sinon lorsque je parle de ce que le comité de John Kerry avait découvert : quatre pilotes qui travaillaient pour la CIA et transportaient des armes et des denrées humanitaires étaient aussi connus pour leur implication dans le trafic de drogue. Ce que je reproche à la CIA dans cette affaire, c’est de ne pas avoir suffisamment contrôlé ces pilotes. S’ils l’avaient fait, ils auraient facilement découvert qu’ils étaient impliqués dans le trafic de drogue. Ils auraient alors pu cesser de travailler avec eux et éviter ainsi de nombreuses accusations et théories du complot. Je crois que la CIA avait désespérément besoin de pilotes et qu’ils ne se souciaient pas de ce qu’ils pouvaient faire à côté.

Que savez-vous des circonstances qui ont mené à l’assassinat de Seal ?

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Seal a été retrouvé mort au volant de sa Cadillac

Nous avons fini par signer ensemble une entente de plaidoyer, devant une cour de Louisiane. Il avait déjà écopé d’une peine de dix ans de réclusion criminelle en Floride. L’entente que nous avons signée spécifiait que sa condamnation en Louisiane, pour possession de plus de 200 kilos de cocaïne avec intention de la revendre, n’excéderait pas la peine de dix ans à laquelle il avait déjà été condamné en Floride. Quant au second chef d’accusation de notre réquisitoire, pour blanchiment d’argent, nous nous sommes entendus sur le fait qu’il bénéficierait d’une liberté conditionnelle. Lorsqu’un tel verdict est rendu, la loi autorise le juge à ordonner à l’accusé de passer du temps dans une maison de transition. Le juge Polozola a accueilli l’entente de plaidoyer avec la plus grande réticence, mais il a accepté la peine de dix ans ainsi que la libération conditionnelle. Il a exigé que Seal passe ses nuits, de six heures du soir à six heures du matin, dans une maison de transition géré par l’Armée du Salut. Seal, comme toutes les personnes impliquées dans l’affaire, savait que les frères Ochoa avaient placé un contrat sur sa tête. Et ils ont fini par envoyer une équipe de tueurs à Baton Rouge pour l’abattre tandis qu’il était assis dans sa voiture, sur le parking du complexe de l’Armée du Salut.

Étant donné son importance dans le trafic, comment se fait-il que ce type n’ait pas bénéficié d’une protection après avoir été lâché par le FBI et jugé ?

Seal se croyait plus malin que les frères Ochoa. Il a sous-estimé leur volonté de le tuer et surestimé sa capacité à déjouer leurs plans. Et on ne peut pas forcer un prévenu à entrer dans un programme de protection des témoins – un juge ne peut pas l’exiger. C’est un dispositif strictement volontaire, à la charge du service des US Marshals. On s’était arrangés pour que sa période probatoire soit transférée à New York ou en Floride. Mais il a refusé d’aller à New York, malgré le fait que le juge Palozola l’avait mis en garde contre le fait d’aller en Floride. Nous avons appris plus tard de la bouche du pilote de Seal qu’il avait prévu de ne pas se présenter à la maison de transition le lendemain et de s’enfuir au Costa Rica, où il aurait repris son trafic de cocaïne. ulyces-barryseal-04


Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « The Story Behind an Infamous Escobar Cartel Assassination », paru dans VICE. Couverture : Pablo Escobar.


MAKING OF DE COCAINE COWBOYS le documentaire mythique sur l’histoire du trafic de cocaïne à Miami

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Avec Rakontur, Billy Corben et Alfred Spellman racontent l’histoire récente d’une Floride où les tueurs à gages locaux croisent la route des narcotrafiquants colombiens.

Quand avez-vous rencontré Billy Corben, le co-fondateur de Rakontur ?

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Billy Corben et Alfred Spellman
Co-fondateurs de Rakontur

C’était au collège, en classe de cinquième, dans un cours de production audiovisuelle. Nous avions 15 ans quand nous avons commencé à réaliser des courts-métrages ensemble, puis nous avons tous les deux étudié à l’université de Miami. C’est justement quand nous étions à l’université que Le Projet Blair Witch (film d’horreur américain tourné à la manière d’un documentaire, nde) est sorti. Cela a tout changé dans la manière de tourner un film, et en termes de possibilités, car tout d’un coup, les vidéos numériques pouvaient être projetées dans les salles de cinéma. C’était à l’été 1999, et c’était une révolution. Nous avons commencé à nous intéresser à la technologie numérique, et en tant qu’étudiants en cinéma, nous avons décidé de faire des documentaires parce que la vidéo numérique était particulièrement adaptée à ce type de productions. Produire un film coûte très cher et prend un temps fou. Alors que nous avions décidé de réaliser un documentaire, nous avons entendu parler d’une affaire à Gainesville, à l’université de Floride, à propos d’une strip-teaseuse qui avait donné un show pour une association étudiante et avait porté plainte pour viol ; il y avait une vidéo de son agression. Nous avons décidé de réaliser un documentaire là-dessus : nous avons quitté l’école en janvier 2000, et tourné le documentaire sans la moindre expérience, il fallait donc être créatif. Nous voulions apprendre. Le documentaire a été tourné du printemps à l’été, nous l’avons monté à l’automne, puis soumis au festival du film de Sundance en octobre. Un mois après, nous étions invités. Il s’est donc écoulé exactement un an entre le moment où nous avons décidé de faire le documentaire et celui où nous sommes allés à Sundance, en 2001.

Comment êtes-vous passés de l’idée de ce documentaire à celle de créer un studio ?

C’était grâce à l’explosion de la technologie numérique… et à une combinaison de facteurs. Je me rappelle que plusieurs choses se sont produites en même temps : la sortie du Projet Blair Witch, l’apparition de Napster, notre première ligne ADSL. Tout est arrivé en même temps, entre la fin de l’année 1999 et le début de l’année 2000. Nous avons suivi les dernières innovations technologiques, et particulièrement celles qui ouvraient de nouvelles possibilités de tournage et de montage. Nous avons monté Raw Deal, notre premier documentaire, sur Final Cut Pro 1.0, la première version du logiciel. Et toutes ces choses nous ont fait prendre conscience que nous avions la capacité de produire des films, notamment parce que les coûts de production avaient drastiquement baissé grâce à ces nouveaux outils. Nous l’avions vu dans l’industrie musicale avec Napster, mais c’était maintenant les coûts de distribution des films qui baissaient. La révolution numérique s’était produite en même temps dans les domaines de la production et de la distribution, et s’était étendue de la musique à l’industrie cinématographique. Nous étions donc en position de créer un studio. Raw Deal a été tourné à quatre. Nous sommes aujourd’hui six pour produire. Voilà ce que permet le numérique.

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