Avant-propos

History Channel n’est pas exactement une référence en matière de rigueur historique. La chaîne est décriée à juste titre pour son sensationnalisme et ses émissions ésotériques délirantes. La plus célèbre, Ancient Aliens, prétend retrouver les traces d’anciennes civilisations extraterrestres dans des textes et des artefacts antiques.

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« S’est-il échappé ? »

La série documentaire Hunting Hitler se propose elle d’enquêter sur les circonstances imprécises de la mort d’Hitler et d’explorer l’hypothèse selon laquelle il aurait pu fuir en Argentine in extremis, comme ce fut le cas de nombreux nazis à l’époque. Le matériau de départ se limite à deux éléments : 1. La découverte en 2009 d’une preuve scientifique qui invalide la version officielle des événements relatée depuis 1946 : le crâne que les Russes disaient appartenir à Hitler est en réalité celui d’une femme. 2. La déclassification de plus de 700 documents par le FBI en 2014 faisant état de nombreux témoignages qui attestent de la présence d’Hitler d’abord en Espagne, puis en Argentine après sa mort présumée. Sur la base de ces trouvailles, History Channel a confié l’enquête à une équipe au CV impressionnant : John Cencich enquêtait sur les crimes de guerre pour les Nations Unies avant de devenir professeur de justice pénale à la California University of Pennsylvania ; Lenny DePaul est inspecteur en chef et commandant des US Marshalls ; Tim Kennedy est sergent première classe au sein de l’US Army et fait partie de l’élite des forces spéciales ; Steven Ramdam, CEO de l’agence d’investigation privée Pallorium, Inc., a aidé à localiser 170 collaborateurs du régime nazi et d’autres criminels de guerre aux États-Unis, en Europe et en Australie ; Gerrard Williams est journaliste et historien, et il a notamment travaillé pour Reuters, la BBC et Sky News. Robert Baer, à la tête de cette équipe, est un vétéran de la CIA, pour laquelle il a travaillé durant 21 ans, principalement au Moyen-Orient. Aujourd’hui consultant international et auteur de nombreux livres, il a publié dans les plus grands titres mondiaux, du Guardian à Vanity Fair, en passant par le TIME dont il est le spécialiste du renseignement. Ses mémoires, parues en 2003, ont en partie inspiré le film Syriana. Aujourd’hui, il participe régulièrement à l’émission de CNN Situation Room, pour laquelle il est amené à enquêter sur les crashs d’avions irrésolus, comme celui d’EgyptAir.

Robert Baer est entouré de professionnels de l'investigation pour cette enquêteCrédits : History Channel

Robert Baer, en chemise rose, entouré de son équipe
Crédits : History Channel

Dès le début de sa diffusion en novembre 2015, Hunting Hitler a rencontré un franc succès auprès des téléspectateurs américains. On ne peut pas en dire autant de la critique, qui ne s’est pas privée d’assassiner le show en lui reprochant, parfois à juste titre, son sensationnalisme. L’ancien agent de la CIA nous raconte la genèse de la série et livre son sentiment sur ce qu’il s’est vraiment passé le 30 avril 1945.

Hunting Hitler

Qui a eu l’idée de la série ?

L’idée vient d’History Channel. Quand le FBI révèle autant de documents, des théories du complot absconses ne tardent pas à faire surface. Mais dans ce cas précis, il s’avère après examen que le crâne retrouvé dans le bunker, qui était soi-disant celui d’Hitler, est en vérité celui d’une femme. Hunting Hitler est basé sur ce fait : il n’existe aucun élément médico-légal qui prouve qu’Hitler a bien mis fin à ses jours dans ce bunker. La seule « preuve » dont on disposait s’est révélée être un mensonge. La logique veut qu’il soit mort à cet endroit, mais rien ne permet de le prouver de manière certaine.

Comment avez-vous pris les nombreuses critiques à l’égard de l’émission ?

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Sur le terrain en Argentine
Crédits : History Channel

Très franchement, je m’en fiche. Nous nous appuyons sur des documents originaux et la chaîne a investi de gros moyens de production pour que nous puissions enquêter. Je ne m’intéresse pas trop à ce que les gens disent, je ne m’intéresse qu’à ce qui est prouvé.

Comment l’équipe a-t-elle été formée ?

C’est la société de production qui nous a rassemblés. Ce sont des gens compétents, les producteurs ne sont pas fous – et croyez-moi, je connais des producteurs givrés. Ceux-là ont complètement les pieds sur Terre. Pour eux, le défi était de réaliser un documentaire de huit heures se basant sur aussi peu d’informations. Ça aurait pu porter sur l’assassinat de Kennedy. Il faut bien comprendre qu’aux États-Unis, l’idée de complot est presque une religion. Si vous dites aux gens qu’il n’existe pas de conspiration, 90 % d’entre eux seront persuadés que vous en faites partie. Les producteurs d’History Channel m’ont associé à John Cencich, nous avons longuement échangé sur le sujet. Il fallait de solides raisons au FBI pour ouvrir une enquête, ce sont des gens sérieux. En même temps, c’est toujours comme ça avec le FBI : quand on les appelle pour parler d’un complot, ils dressent les oreilles. Ils sont intéressés.

Si c’est si sérieux, pourquoi n’y a-t-il pas plus de recherches sur la question ?

Tout simplement parce que la mort d’Hitler – enfin sa mort présumée – ne s’est jamais appuyée sur des documents. Il ne s’agissait que d’infos de seconde main, il n’y a personne pour en témoigner directement. Le crâne présenté comme étant celui d’Hitler n’était pas le sien et sa mort dans le bunker est une histoire bricolée à la hâte qui ne nous dit que ce qu’on a envie d’entendre. Pendant ce temps-là, le FBI – J. Edgar Hoover en avait fait sa priorité – et l’ancien département de la Guerre des États-Unis le recherchaient activement. Staline aussi était convaincu qu’il n’était pas mort, ce qui laisse songeur. Et il y a une raison simple qui explique pourquoi personne n’était au courant de ces recherches jusqu’ici : les documents du FBI étaient confidentiels jusqu’en 2014, tout comme ceux du département de la Défense.

Pourquoi les doutes de ces hauts responsables n’ont-ils pas été rendus publics ?

Je crois qu’à la fin de la guerre, il était plus simple de dire à la presse qu’il était mort. C’est toujours comme ça avec les mensonges politiques. Je n’aime pas reparler de l’Irak, mais en 2002, il faut se rappeler que l’administration Bush a menti sur toute la ligne concernant les responsables du 11 septembre : ils accusaient Saddam Hussein. C’était un mensonge éhonté. Tout ce que disent les politiciens doit être pris avec précaution, car tout ce qu’ils disent et font est motivé par des intérêts politiques. En 1945, les Américains voulaient avant tout que la guerre se termine, c’est pourquoi, quand Staline a émis l’hypothèse qu’Hitler avait pu s’échapper, ça a été immédiatement taxé de propagande.

L'équipe continue son enquête en ArgentineCrédits : History Channel

L’équipe interroge les habitants de la région
Crédits : History Channel

Et pourtant, même en vous écoutant, l’idée qu’Hitler se soit échappé sonne toujours comme quelque chose d’absurde, une théorie fumeuse.

C’est parce qu’il s’agit d’une conspiration impensable. Si je vous avais dit, avant la série, qu’il n’y avait aucune preuve médico-légale de la mort d’Hitler (ce sont les Russes qui ont mené l’enquête), vous vous seriez dit que c’était impossible, qu’on aurait forcément conservé les restes de quelqu’un comme Hitler. Mais ils ne l’ont pas fait : c’est quelque chose qu’ils ont étouffé, comme bon nombre d’autres choses. Il s’agit d’un des plus grands criminels du XXe siècle et nous n’avons aucune preuve formelle de sa mort.

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QUEL EST LE SCÉNARIO LE PLUS PROBABLE ?

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Traduit de l’anglais par Adélie Floch et Tancrede Chambraud d’après l’entretien réalisé par Arthur Scheuer. Couverture : San Carlos de Bariloche, en Argentine (Création graphique par Ulyces).