Le charme de la lanterne

Alpe d’Huez, 23 juillet 2008. Trois quarts d’heure après la victoire de Carlos Sastre, Jimmy Casper franchit la ligne d’arrivée. Un soulagement ? Pas vraiment. Après 210 kilomètres de galère, le sprinter termine hors-délai. Un souvenir « affreux », le pire de sa carrière dans le Tour. « Dès le premier col, alors qu’Evans discutait pépère, je me mettais déjà minable. Nerveusement je craquais, je me suis mis à pleurer alors qu’il restait 150 bornes. Mon directeur sportif Manu Hubert cherchait les mots pour m’encourager, j’ai monté l’Alpe à l’agonie comme il est pas permis et j’ai fini à 2 minutes 30 des délais [4 minutes 37 en fait, NDA]. À l’époque on savait qu’il y avait encore du dopage, je me dis “putain je finis hors-délai à cause des chaudières”. Au moins ils vont comprendre que je roule à l’eau. » Mais à peine descendu de selle, Casper est contrôlé positif aux glucocorticoïdes, un médicament qu’il prend depuis 12 ans pour soigner son asthme. Même s’il est rapidement blanchi dans cette affaire, on comprend mieux pourquoi, quand on l’interroge sur ses Tours de France, le sprinter affirme : « Mes lanternes rouges ce sont presque mes meilleurs souvenirs. » Malgré une belle victoire d’étape (à Strasbourg en 2006, devant Zabel, Mc Ewen et Benatti), le bilan du coureur à la boucle d’oreille est sans équivoque : quatre abandons, deux lanternes rouges et une avant-dernière place en sept participations. Jimmy Casper a découvert un charme à la lanterne rouge au cours de sa carrière. Par la force des choses. « Le grand public se souvient de moi pour ma victoire d’étape, mais je suis fier d’avoir aussi laissé cette image de battant. Les gens se disent “le mec finit avant-dernier et deux fois dernier”. Quelque part, cela force le respect, je pense que cette force de caractère, c’est un des traits de ma personnalité qui restera dans le vélo. »

Aujourd’hui, même si la solidarité demeure, ce sont plus des groupes de trois ou quatre coureurs qui s’agglutinent au fil de la course.

À l’instar de Jimmy Casper, en montagne les mauvais grimpeurs souffrent souvent plus que leurs compères aériens qui brillent quelques lacets plus haut. Une faiblesse qui soude équipiers, sprinters et baroudeurs en un clan, le gruppetto. Sous son bandana et sa combi Casino, Jacky Durand, lanterne rouge 1999, est vite devenu l’un des tauliers de ce second peloton dont il se remémore l’ambiance avec nostalgie. « Au début de ma carrière, faire un gruppetto, cela avait une véritable signification. Il y avait un ou deux patrons comme Cipollini. Quand il levait la main au pied d’un col et qu’il gueulait “gruppetto”, personne mouftait, on se relevait et on s’organisait pour s’entraider. C’est tout de suite plus facile à cinquante qu’à trois. Mario Cipollini et son copain de la Saeco Eros Poli, c’était des mecs que je voyais finalement plus que mes coéquipiers pendant le mois de juillet. Je fais partie des derniers à avoir connu cette époque. Aujourd’hui, même si la solidarité demeure, ce sont plus des groupes de trois ou quatre coureurs qui s’agglutinent au fil de la course. » Comme son aîné, Jimmy Casper partage cette tendresse pour ces réunions à l’arrière, aux origines de quelques belles amitiés. « Les quelques étrangers que je connais dans le peloton, j’ai appris à les connaître dans les ascensions en gruppetto, c’est là où on voit la valeur humaine des gens. » L’autre Jimmy, Engoulvent celui-là, court toujours. Un peu plus jeune que ses deux compagnons, la lanterne rouge 2012 a vu lui aussi la mentalité changer dans le peloton ces dernières années. « On est plutôt solidaires dans le gruppetto, mais depuis que le règlement a changé et que les ratios établis pour calculer les délais ont diminué on roule quand même assez vite. On est obligés de rester concentrés sur ce qu’on a à faire, il y a de l’enjeu, du coup on discute assez peu et le train n’est pas si tranquille que cela. Le vélo va de plus en plus dans le sens de la compétition à outrance, mais c’est normal, il y a tellement de médiatisation que tout le monde veut être échappé. L’ambiance reste plutôt bonne même si sur le circuit World Tour on ressent une tension particulière. En plus il faut bien se dire que les équipes et les coureurs viennent de plus en plus d’horizons et de pays différents, on ne se comprend pas forcément tous, c’est plus difficile de communiquer. »

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Le Café Au réveil matin
Jour du départ de la première étape du premier Tour de France en 1903
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Quelques coureurs se sont donc risqués à briser cette solidarité. Parmi eux Robbie Mc Ewen laisse un souvenir encore amer à Jimmy Casper. « C’était quelques jours avant l’arrivée à Paris, et Robbie était à l’aise dans le gruppetto. Il voyait bien que moi et quelques autres sprinters, on était en difficulté, et au lieu de rouler au train il a accéléré. Il voulait nous éliminer, nous mettre hors-délai pour s’ouvrir un boulevard sur les Champs. J’ai toujours eu du mal avec Robbie, je me suis toujours dit “c’est une saleté ce mec”, et ce jour-là, j’en ai eu la confirmation. Après je lui parle, on est restés amis, mais j’ai pas apprécié son attitude. Sur ce coup-là, je me suis dit, “le jour où je suis très bien et Robbie très mal, je ne lui ferai pas de cadeau”. Malheureusement ce n’est jamais arrivé. » La lanterne rouge a le mal des montagnes. Un mal physique bien sûr, mais surtout psychologique. Jacky Durand ne se l’explique pas, mais pour lui, « que ce soit pour un sprinter comme Jimmy ou pour un baroudeur comme moi, on arrive plus à se faire mal sur le plat qu’en montagne, on monte plus facilement à 185 pulsations, donc il y a une cause physiologique à nos mauvaises performances dans les cols. Mais c’est aussi mental, forcément on appréhende les grosses étapes, on sait qu’on va avoir mal ». Jimmy Casper ne peut que confirmer les propos de son ami. « S’il y a deux étapes de montagne qui se suivent, le soir, tu cogites beaucoup. Le vrai danger, c’est quand le premier col arrive en début de course, là si tu te fais lâcher rapidement par le gruppetto c’est vraiment la merde. Quand tu galères et que ça part plein pot au bout de 10 bornes, forcément tu te dis que c’est mal embarqué. »

Les galères du grupetto

La montagne, bête noire des lanternes rouges ? Jacky Durand parle plutôt d’amour vache : « J’aime la montagne, mais à l’entraînement. Et je ne peux pas dire que j’ai vraiment de col maudit. Ils le sont tous. » Jimmy Casper, lui, reconnaît un traumatisme particulier pour le col de la Madeleine. « Les deux seules fois où je l’ai passé j’ai abandonné, je le trouve vraiment assassin. » Jimmy Engoulvent, qui se définit sans honte comme « l’un des plus mauvais grimpeurs du peloton », a une relation tout aussi ambiguë à la montagne. « S’il n’y avait que la montagne au Tour de France, je ne viendrais pas. Quand je suis en pleine montée, cela m’arrive de me dire que c’est la dernière fois que je viens, que jamais je me retaperai une telle galère. Mais six mois après, on a envie d’y retourner. Le seul plaisir que je trouve dans ces étapes-reines, c’est quand tu sens la fin arriver et que tu rentres dans les délais. Mais après, de là à dire que tu prends du plaisir quand tu es 30 minutes derrière, moi j’en ressens aucun, je ne suis pas maso. »

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Maurice Garin
Vainqueur du Tour de France 1903
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C’est une question de survie, il faut savoir exciter le spectateur. Dans ce domaine, Jacky Durand est passé maître, ce qui lui vaut l’admiration de son pygmalion Jimmy Casper. « Souvent il me disait : “grimace, même si tu te sens bien, et arrête de me coller, écarte-toi, comme ça les gens pourront te pousser.” Ces petits trucs m’ont parfois bien aidé. » Mais Durand la joue modeste, il n’a fait que transmettre un héritage, « des ficelles » qui se transmettent de bouche à oreille de lanterne rouge. « Ce sont les anciens qui m’ont tout appris. Parfois, quand ça ne suffit pas de grimacer, il faut aussi savoir parler aux spectateurs. Certains refusent de te pousser parce qu’ils savent que tu risques une amende. Moi je leur disais “t’inquiètes pas pour ça et pousse !” J’allais pas revenir leur présenter la facture. C’est pour cela qu’il est très important de parler plusieurs langues. Sur la première Vuelta où on grimpait l’Angliru (où certaines pentes atteignent 23 %), cela m’a aidé à ne pas mettre le pied à terre. À un moment, j’étais en carafe complet, j’ai failli descendre du vélo et chercher une location de VTT pour finir. Mais grâce au public c’est passé au courage. » Jimmy Engoulvent, habitué de ces galères et compagnon privilégié de Jimmy Casper, s’en est souvent sorti grâce aux encouragements des supporters. Comme lors de cette étape du Tour 2005 qui arrivait au Grand Bornand. « Cela a du être l’étape la plus difficile que j’ai connue. Je me retrouve seul très rapidement, je roule 50 kilomètres avant de rejoindre Jimmy. On roule 150 bornes et on finit juste dans les délais, à deux minutes près je crois. Ce genre d’expérience, c’est affreux. Heureusement, dans les grandes compétitions et surtout sur le Tour, l’environnement nous pousse à nous dépasser. Sans le public je pense que j’aurais abandonné plusieurs fois, tu lâches l’affaire beaucoup plus facilement quand tu sais que t’es tout seul dans la pampa. Mais grâce à eux on tient, j’essaye aussi de penser aux jours meilleurs qui m’attendent, aux Champs-Élysées. En montagne, on se raccroche à ces petites choses, à l’espoir de prendre une belle place dans la dernière étape. »

Quand l’espoir et les encouragements ne suffisent plus, les plus roublards ont leurs petits secrets.

Quand l’espoir et les encouragements ne suffisent plus, les plus roublards ont leurs petits secrets. Casper se souvient d’une étape où Jacky Durand avait réussi « à s’accrocher pendant de longs kilomètres à la voiture médicale, l’ambulancier était son pote ». De l’aveu même de Jacky Durand, « avec Jimmy, on était particulièrement surveillés par les commissaires de course, on était connus pour ça. On était pistés, certains directeurs sportifs demandaient même aux commissaires de nous suivre à la trace, et pendant ce temps, leurs coureurs pouvaient se reposer ! » Ces petits coups de vice lui vaudront une mise hors-course lors du Tour de France 2002. Son dernier. « C’était une fin triste, d’autant plus que je ne me doutais pas que ce serait mon dernier Tour à ce moment-là. Sortir de cette façon c’est un peu dur, en plus j’avais pas tant abusé que ça, il m’est arrivé de faire bien pire… » Jimmy Casper aussi a essuyé des critiques. « Il y avait eu une polémique autour de moi sur le Dauphiné, j’étais encore avec Jacky Durand, il me prévient qu’il va attaquer sur la ligne de départ, du coup pour le chambrer j’attaque 200 mètres avant. Connaissant mes qualités de grimpeur, tous les coureurs étaient morts de rire de me voir partir à l’abordage sur l’étape du Ventoux. J’arrive quand même en tête au pied, mais avec 8 ou 10 minutes d’avance seulement, c’est rien du tout. En début d’ascension j’ai vu les cadors arriver sur moi à une allure folle, c’est la seule fois de ma carrière que j’ai eu cette chance. Dans le Ventoux, j’ai eu une grosse fringale. Il restait 12 kilomètres, j’ai eu un mal de fou à attraper le gruppetto. J’étais en carafe totale, je me suis accroché au balai avec l’autorisation du commissaire. Cela c’était su et avait fait un pataquès, c’est pour cela que j’ai toujours refusé de m’accrocher par la suite. Mais cela prouve que les règlements sont toujours interprétés, qu’il y a de l’humain là-dedans. C’est difficile de faire descendre un mec de sa selle quand tu vois qu’il se bat pour rester en course. »

Photo souvenir

Au cours de ses nombreuses échappées, et malgré un ratio de réussite qu’il qualifie de son propre aveu de « faible », Jacky Durand a eu lui aussi l’occasion de voir une explication finale entre grands leaders. « C’était sur le Tour 1996, dans les Pyrénées (l’étape entre Argelès-Gazost et Pampelune). Comme d’hab’ j’étais parti dès les premiers kilomètres et j’étais encore en tête au pied de l’avant-dernier col. Dans l’ascension, les cinq meilleurs du général me reprennent, je vois arriver les Zülle, Rominger, Riis. Il y a une photo de ce moment, où eux ils grimacent vu qu’ils sont en pleine bagarre et moi je suis tranquille. Je dois aller 10 km/heure moins vite, mais sur la photo ça se voit pas. Heureusement que j’ai cette photo souvenir parce que sur le coup j’ai rapidement eu une coupure son et image. » Ces échappées au long cours sans espoir de victoires peuvent surprendre, voire faire sourire les spectateurs. Elles ont pourtant leur utilité. Expert en la matière, Jacky Durand le reconnaît : « Cela fait toujours rire dans le peloton quand un non-grimpeur s’échappe dans une étape de montagne, mais quelquefois, ces minutes d’avance prises en début de course me permettaient de rentrer dans les délais. Donc oui on fait cela pour la rigolade, mais aussi dans notre propre intérêt, même si ça a l’air suicidaire. »

La lanterne rouge c’est quelque chose de très factice créé par la presse, qui n’a jamais été codifié ni officialisé. — Jean-Paul Ollivier

Ces morceaux de bravoure sont donc l’occasion pour certains coureurs de boucler le Tour et de décrocher la lanterne rouge. L’occasion pour certains cyclistes au palmarès moins étoffé que celui des Durand, Casper ou Engoulvent, de sortir de l’anonymat, d’attirer radios et télés. Jean-Paul Ollivier, journaliste à France 2, affiche 40 Tours au compteur, pendant lesquels il a vu évoluer le statut de la lanterne rouge. « La lanterne rouge c’est quelque chose de très factice créé par la presse, qui n’a jamais été codifié ni officialisé. Jusque dans les années 1960 à peu près on donnait une vraie lanterne rouge au dernier en référence à cette lumière qui éclairait l’arrière des trains. Le coureur posait avec pour la photo, mais maintenant, ce n’est plus le cas. À l’époque, être dernier de la Grande Boucle, c’était l’assurance d’avoir des cachets en août. » L’histoire de la lanterne rouge est en partie liée à celle des critériums, ces courses d’après-Tour qui fleurissaient jusque dans les années 1960, 1970. « Quand on n’arrivait pas à attirer le vainqueur du Tour parce qu’il demandait un trop gros cachet, on prenait le deuxième, le troisième, mais aussi la lanterne rouge. Si le speaker était assez habile, il parvenait à vanter les mérites de ce coureur certes besogneux mais courageux et tenace. Le folklore autour de la lanterne rouge a réellement existé jusqu’à la disparition progressive des critériums en fait. »

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Arsène Millocheau
Première lanterne rouge du Tour de France, en 1903
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Paulo la science s’émeut à l’évocation d’un des derniers légendaires du Tour, Abdel-Kader Zaaf. Ce coureur algérien, lanterne rouge 1951, s’était présenté sur la Grande Boucle avec l’équipe d’Afrique du Nord. « L’année précédente, la formation, bien que composée de coureurs de valeurs, n’est pas assez aguerrie. Les abandons se succèdent, et au sortir des Pyrénées, ils ne sont plus que quatre. Molinès, un des survivants, dit alors à Zaaf, “on va rentrer bredouilles si on n’attaque pas sur l’étape de demain, après c’est les Alpes, c’est mort, on peut en profiter que maintenant”. C’était l’étape Perpignan-Nîmes. Zaaf, qui avait des copains un peu partout dans le peloton puisqu’il avait couru pour diverses équipes, s’était fixé la victoire d’étape pour objectif. Il voyait les Belges prendre “des pilules”, il savait qu’il marcherait bien s’il en prenait. Il va voir Hilaire Couvreur qui lui file une pleine boîte d’amphétamines. Zaaf part du principe que plus il en prendra, plus vite il roulera, et en gobe une bonne poignée. Lui et Molinès s’échappent d’entrée mais Zaaf chute à 30 kilomètres de l’arrivée, clairement défoncé, les muscles contractés par l’acide lactique. Les spectateurs l’aspergent de vin pour le réveiller. Quand les officiels et les journalistes arrivent, Zaaf, empeste la vinasse. Il aura droit à un lavage d’estomac à l’hôpital de Nîmes. Le lendemain le bougre va voir Jacques Goddet et lui propose de refaire la fin de l’étape pour repartir ensuite avec le peloton. Peine perdue, il est éliminé du Tour. Mais le pire pour lui, c’est que des journalistes venus d’Oran et d’Alger écrivent qu’il a bu de l’alcool, et à partir de là Zaaf n’ose plus rentrer dans son village de Chebli. Zaaf part alors “en exil” à Saint-Paul-de-Léon à quelques kilomètres de Roscoff, et devient rapidement très populaire dans une région où il y a une course cycliste derrière chaque tas de fumier. Les gens lui disent, “toi t’es un mec bien, t’as bu du vin !” Il a même imprimé sa marque dans l’argot local, quand ils prenaient un verre de vin les gens du coin disaient “sers moi un petit zaaf”. »

À la rigolade

L’exposition médiatique procurée par le statut de lanterne rouge a poussé certains coureurs à une course à la lenteur, où chacun cherche à se faire distancer tout en restant dans les délais. Bernard Thévenet se rappelait sur France Télévisions du Tour 1973 où « Jacques-André Hochart et Jean-Claude Blocher, tous deux dans l’équipe de Kova-Lejeune, s’étaient disputés la place de lanterne rouge. Cette place avait un certain prestige car elle symbolisait les malheurs et la souffrance de tous les coureurs ». Plus récemment en 2008, Jimmy Casper et le Belge Wim Vansevenant, tous deux double lanterne rouge, s’étaient retrouvés au coude-à-coude dans la lutte pour la dernière place. « Il y avait encore un petit jeu sympathique entre les derniers », se rappelle le sprinter FDJ. « On faisait attention l’un l’autre à ne pas gagner de temps sur l’autre, j’ai même fini une étape à peine une minute trente avant les délais. Mais il savait qu’il avait un avantage de taille. Sur les Champs, j’étais obligé de courir le sprint, alors que lui il s’est relevé au kilomètre. Mais pour ma part, c’était pas une guéguerre économique, les critériums s’en foutent de la lanterne rouge maintenant, c’est pour la notoriété. »

« La lanterne rouge, ce n’est pas un truc qu’on peut rechercher, c’est elle qui vient à toi. » — Wim Vansevenant

Depuis 2008, le roi des lanternes rouges est donc belge. Wim Vansevenant, triple lauréat, assurait pourtant à Sam Abt, le Jean-Paul Ollivier made in USA, n’avoir pas choisi de porter la couronne : « La lanterne rouge, ce n’est pas un truc qu’on peut rechercher, c’est elle qui vient à toi. » Pourtant, en 1999, Jacky Durand a bataillé pour remporter ce classement inversé. « J’étais à la lutte avec Pascal Déramé, le coéquipier d’Armstrong. On prenait cela tous les deux à la rigolade. Je l’avais finalement piégé à l’avant-dernière étape. C’était en plaine et il devait protéger son leader. Bon, j’avais d’abord essayé d’attaquer, on ne sait jamais, mais après je m’étais relevé. » Si pour Casper (vainqueur d’étape sur le Tour), Durand, (vainqueur du Tour des Flandres et de Paris-Tours) et Engoulvent, (lauréat des Quatre jours de Dunkerque), la place de lanterne rouge se résume à un drôle de jeu, pour des coureurs au palmarès plus réduit, elle a son importance. Jimmy Casper prend l’exemple de son adversaire, Wim Vansevenant. « Il restera dans l’histoire du tour de France grâce à sa triple lanterne rouge alors que c’est un coéquipier. Je ne pense pas qu’il ait gagné beaucoup de courses. Donc pour lui c’est sûr, il vaut mieux être dernier. » Les organisateurs du Tour ont donc modifié plusieurs fois le règlement au cours de l’Histoire. Jean-Paul Ollivier rappelle qu’en 1948, puis à nouveau dans les années 70, « dans la dernière semaine la lanterne rouge était éliminée du classement toutes les deux étapes. Cette règle amenait des cas de conscience terribles, souvent les organisateurs sauvaient la tête du dernier en invoquant son courage ou sa ténacité. Bernard Quilfen par exemple, avec qui j’étais allé chez le coiffeur la veille d’une étape, me disait “demain je crois que j’y ai droit”. Effectivement le lendemain il arrivait dernier et était éliminé. »

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La fin du premier Tour
Maurice Garin le premier vainqueur (à droite) pose en compagnie de Léon Georget (à gauche)
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Être lanterne rouge, c’est tout un art. La preuve par Durand. « C’est beaucoup plus facile de gagner plusieurs fois le Tour que d’arriver dernier à plusieurs reprises. Ils sont peu à avoir fait cela. » D’où la fierté pleine d’auto-dérision de Jimmy Casper qui se targue d’avoir fait « 10 % des lanternes rouges françaises sur les 20 dernières années ». Une performance qui requiert de savoir rouler moins vite que les autres mais autant que l’exigent les délais. Ces délais qui trottent dans la tête de tout le gruppetto. À son époque, Jacky Durand était un vrai coucou suisse : « Pendant la course, suivant la vitesse à laquelle cela roulait devant, j’estimais les délais. Les directeurs sportifs venaient même me voir, parce qu’ils savaient qu’à 30 ou 40 secondes près, j’étais bon. » Mais cette science de la course reste vaine quand on évoque la voiture-balai avec Jacky Durand. « Je me suis toujours dit que jamais je ne monterai dans la voiture-balai. C’est un peu le camion maudit. Je le voyais tous les matins sur le parking en me disant “il va encore me pousser aux fesses aujourd’hui”. Je disais au conducteur Alain Daniel dit Le Gaulois, un ancien champion de France de cyclo-cross, un mec vraiment adorable, “jamais je monterai dans ta carriole”. C’est un truc d’ancien aussi, maintenant les jeunes, je crois qu’ils s’en foutent. » Malheureusement pour lui, Jimmy Engoulvent a fait un bout de chemin avec Le Gaulois en 2006. « Je suis monté une fois dedans. J’étais le seul à abandonner ce jour-là je crois, je me suis retrouvé dans le silence, dépité, j’avais aucune envie de parler de moi, tout ce que je voulais c’était rentrer me mettre au calme. Un choc assez brutal, surtout au moment où tu te dis que ta famille te regarde. C’est un moment fort à vivre. »


Couverture : Cyclisme.