Il arrive qu’ils conservent les vêtements, les lambeaux de chemise ou de pantalons qui n’ont pas été découpés et jetés par les médecins et les infirmières. Ils racontent encore et encore leur histoire  lors des réunions de famille ou sur Internet, où ils partagent des photos et des articles parlant d’autres survivants ou de tragédies plus graves que la leur. La vidéo d’un touriste frappé sur une plage brésilienne. Celle du Texan fauché par la mort alors qu’il faisait son jogging. Ou ces 65 personnes tuées au cours d’une tempête de quatre jours au Bangladesh. Il n’y a qu’en mettant côte-à-côte les témoignages, les vêtements roussis et la peau brûlée que les survivants peuvent imaginer la trajectoire qu’a pu emprunter le courant électrique. Un courant qui peut approcher les 200 millions de volts et voyager à un tiers de la vitesse de la lumière. C’est de cette façon que la famille de Jaime Santana a pu recoller les morceaux de ce qu’il s’est passé ce samedi après-midi d’avril 2016. À travers les blessures, les vêtements brûlés et son chapeau de paille à large bord, déchiqueté. « On dirait que quelqu’un a tiré dessus au boulet de canon », commente Sydney Vail, un chirurgien traumatologue de Phoenix, en Arizona, qui s’est occupé de Jaime à son arrivée en ambulance. Son cœur avait subi plusieurs chocs électriques par défibrillation tandis que les ambulanciers s’acharnaient à stabiliser son rythme. Jaime était sorti pour une balade à cheval avec son beau-frère et deux amis dans les montagnes qui se dressent derrière la maison de ce dernier, en périphérie de Phoenix. Une excursion comme ils en faisaient souvent le week-end. Des nuages noirs se sont formés, avançant dans leur direction, aussi ont-ils fait demi-tour. Ils étaient presque parvenus à la maison quand c’est arrivé, raconte Alejandro Torres, le beau-frère de Jaime. Il désigne la zone, un paysage aride hérissé de buissons qui s’étend au-delà de sa propriété.

Au loin, les montagnes surplombent le désert, leurs pics bruns comme des crocs découpant l’horizon. Les quatre cavaliers avaient aperçu des éclairs au loin, alors qu’ils approchaient de la maison d’Alejandro. Mais il était à peine tombé quelques gouttes de pluie tandis qu’ils atteignaient les corrals, à quelques centaines de mètres du refuge. Alejandro ne croit pas être resté KO très longtemps. Quand il est revenu à lui, il gisait face contre terre, complètement trempé. Son cheval avait disparu. Les deux autres cavaliers étaient choqués mais indemnes. Alejandro est parti à la recherche de Jaime, qu’il a trouvé près de son cheval effondré sur le flanc. En passant, Alejandro a touché ses pattes du pied. Elles étaient dures comme du métal, dit-il dans un anglais ponctué d’espagnol. Il est arrivé auprès de Jaime : « J’ai vu de la fumée s’élever. C’est là que j’ai eu peur. » Des flammes sortaient de la poitrine de Jaime. Alejandro les a éteintes trois fois à mains nues. Et trois fois, le feu a repris. Ce n’est que plus tard, après qu’un voisin a accouru depuis sa maison pour les aider et que les ambulanciers sont arrivés, qu’ils ont commencé à réaliser ce qu’il s’était passé : Jaime avait été frappé par la foudre.

Le maillot de corps porté par Jaime Santana ce jour-là
Crédits : William LeGoullon

Les survivants

Justin Gauger aimerait que le souvenir du jour où il a été frappé par la foudre – alors qu’il pêchait la truite sur un lac près de Flagstaff, en Arizona – ne soit pas aussi vif. Si ce n’était pas le cas, il se dit que peut-être l’anxiété et le stress post-traumatique ne le poursuivraient pas depuis si longtemps. Même aujourd’hui, trois ans plus tard, quand un orage se déclare et que les éclairs se rapprochent, il ne se sent en sécurité qu’assis dans l’armoire de sa salle de bain, en suivant la progression de l’orage sur une application mobile. Pêcheur passionné, l’arrivée de la pluie avait d’abord transporté Justin de joie en cet après-midi du mois d’août. La tempête s’était déclenchée brusquement, comme c’est souvent le cas en période estivale. Les poissons sont plus enclins à mordre quand il pleut, disait-il à sa femme, Rachel. Mais alors que la pluie s’intensifiait, bientôt remplacée par de la grêle, son épouse et sa fille sont retournées à la camionnette, suivies de près par son fils. Les grêlons ont grossi rapidement, gros comme des balles de golf, et ils commençaient à faire vraiment mal en frappant le corps et la tête de Justin. N’y tenant plus, il a attrapé sa chaise pliante – sur laquelle on peut encore voir aujourd’hui des traces de carbonisation – et tourné les talons en direction de la camionnette. Rachel filmait la tempête depuis le siège avant. Elle voulait conserver les images de son mari battant en retraite alors que la grêle s’intensifiait. Elle me montre la vidéo sur son téléphone. Au début, tout ce qu’on peut voir sur l’écran est un voile de grêle qui s’abat sur le pare-brise, brouillant tout. Puis un éclair aveuglant traverse l’écran. C’est le seul éclair que Rachel a vu ce jour-là, celui qui d’après elle a frappé son mari.

Le slip de Jaime et les chaussettes de Justin
Crédits : William LeGoullon

Un fracas assourdissant. Une douleur atroce. « Tout mon corps s’est arrêté, je ne pouvais plus bouger », se rappelle Justin. « La douleur était… Je ne saurais pas vous l’expliquer. Si vous avez déjà mis vos doigts dans une prise en étant petite, multipliez ce que vous avez ressenti par mille milliards dans tout votre corps. Et j’ai vu une lumière blanche entourer mon corps, comme si j’étais dans une bulle. Tout s’est passé au ralenti. J’ai eu l’impression d’être dans cette bulle pour toujours. » Un couple blottis sous un arbre tout près de là s’est précipité pour porter secours à Justin. Ils lui ont dit plus tard qu’il était toujours agrippé à la chaise. De la fumée s’élevait de son corps. Quand Justin a repris conscience, il a vu des gens penchés sur lui, ses oreilles sifflaient. Puis il a réalisé qu’il était paralysé de la taille jusqu’aux pieds. « Quand j’ai compris que je ne pouvais pas bouger mes jambes, j’ai commencé à avoir peur. » Tandis qu’il décrit ce qu’il s’est passé ce jour-là, assis chez lui dans son canapé, il montre sur son épaule la trace de ses brûlures, qui recouvraient à un moment près d’un tiers de son corps. Elles commençaient près de son épaule droite et traversaient son torse en diagonale, avant de continuer le long de l’extérieur de ses deux jambes. Il quitte la pièce et revient avec une paire de chaussures de randonnée à la main, les inclinant pour me montrer les dégâts à l’intérieur. Les traces rondes et roussies sont parfaitement alignées avec celles des chaussettes qu’il portait ce jour-là, ainsi qu’avec les brûlures de la taille d’une pièce de monnaie qu’il avait sur chaque pied. Des blessures assez profondes pour qu’il puisse enfouir le bout de son doigt à l’intérieur.

Les jeans que portait Jaime Santana
Crédits : William LeGoullon

Les traces brûlées sont également alignées avec des trous de la taille d’une aiguille, situés juste au-dessus de l’épaisse semelle de ses chaussures. Justin émet l’hypothèse – en se basant sur ce qu’a raconté le couple qui lui a porté secours et sur la blessure qu’il a sur l’épaule droite – que la foudre a frappé le haut de son corps avant de sortir par ses pieds. Bien que les survivants font fréquemment état de blessures « d’entrée et de sortie », il est difficile de savoir précisément en rétrospective quel chemin a emprunté la foudre, explique Mary Ann Cooper. Médecin urgentiste à la retraite de Chicago, elle fait depuis longtemps des recherches sur la foudre. D’après elle, la trace visible du coup de foudre reflète davantage le type de vêtements que portaient les survivants, les pièces qu’ils avaient dans leurs poches ou les bijoux qu’ils portaient quand la foudre les a frappés.

Chaque année, la foudre est responsable de plus de 4 000 morts dans le monde, d’après les rapports consignés de 26 pays. Le nombre véritable de victimes de la foudre dans les zones les plus pauvres et les plus touchées, comme l’Afrique centrale, est encore en train d’être calculé. Cooper fait partie d’une petite équipe de médecins, de météorologues, d’ingénieurs en électricité et d’autres chercheurs qui s’échinent à mieux comprendre la façon dont les gens sont frappés par la foudre et comment il est possible de l’éviter. Sur dix personnes frappées par la foudre, neuf survivent pour raconter leur histoire. Mais elles peuvent souffrir de nombreux effets à court et à long-terme. La liste est longue et effrayante : arrêt cardiaque, confusion, convulsions, étourdissement, douleurs musculaires, surdité, migraines, pertes de mémoire, pertes d’attention, troubles de la personnalité et douleurs chroniques – entre autres.

Les survivants sont nombreux à raconter leur histoire. Dans des posts en ligne ou lors des rassemblements annuels de Lightning Strike & Electric Shock Survivors International, ils sont prompts à faire part de leurs témoignages. Le groupe se rassemble dans les montagnes du sud-est des États-Unis chaque printemps depuis sa première édition, au début des années 1990, qui rassemblait 13 survivants. À cette époque où Internet n’existait pas, il était plus difficile de rencontrer d’autres survivants faisant face aux migraines, aux troubles de la mémoire, à des insomnies et d’autres effets causés par la foudre, explique Steve Marshburn, le fondateur du groupe, qui vit avec ces symptômes depuis qu’il a été frappé aux abords d’une banque en 1969. Depuis près de 30 ans, lui et sa femme dirigent l’organisation, qui compte aujourd’hui près de 2 000 membres. Ils ont failli annuler la conférence de cette année, car Marshburn, 72 ans, a des problèmes de santé. Mais ses membres ne lui pardonneraient pas, dit-il avec fierté. Les troubles de la personnalité et de l’humeur dont les survivants font l’expérience, s’accompagnant chez certains d’épisodes dépressifs, peuvent mettre à rude épreuve familles et mariages, parfois jusqu’à les briser. Cooper aime dire que la foudre recâble le cerveau de la même façon qu’un choc électrique peut embrouiller un ordinateur. L’extérieur semble intact, mais le logiciel qui contrôle ses fonctions est endommagé.

Justin a retrouvé l’usage de ses jambes dans les cinq heures après l’accident.

Marshburn et Cooper affirment tous deux que l’existence de l’organisation a sauvé des vies. D’après Marshburn, elle aurait évité 22 suicides. Il n’est pas inhabituel pour lui de recevoir un coup de fil en pleine nuit et de parler plusieurs heures avec une personne désespérée. Cela le vide de son énergie, à tel point qu’il est incapable de faire quoi que ce soit les jours suivants. Cooper, qui a assisté à certains de ces rassemblements, a appris à s’accrocher tandis que les survivants et leurs proches décrivent leurs symptômes. « Il y en a beaucoup que je ne comprends pas », dit-elle. « Souvent, je ne comprends rien de ce qui leur arrive. Alors j’écoute, j’écoute et j’écoute encore. » Malgré l’empathie profonde qu’elle ressent pour les survivants, certains symptômes restent difficiles à croire pour elle. Certaines personnes affirment qu’elles peuvent détecter la formation d’une tempête bien avant qu’elle apparaisse à l’horizon. D’après Cooper, c’est possible du fait de leur extrême sensibilité aux signes avant-coureurs d’un orage, depuis leur traumatisme. Elle est moins encline à croire d’autres témoignages – ceux qui disent que leur ordinateur freeze lorsqu’ils entrent dans la pièce, ou que les batteries des portes de leur garage ou d’autres accessoires se vident plus rapidement en leur présence. Mais après des décennies de recherche, Cooper et les autres experts de la foudre admettent volontiers qu’il reste de nombreux mystères à éclaircir. Sans compter qu’il s’agit d’un domaine où les ressources se font rares, voire inexistantes.

Par exemple, on ne sait pas pourquoi certaines personnes présentent les symptômes d’une épilepsie après avoir été frappées par la foudre. Les chercheurs se demandent aussi si les survivants sont plus vulnérables à d’autres problèmes de santé, comme les maladies cardiaques, plus tard dans leur existence. Certains survivants disent se sentir comme des « nomades médicaux », car ils ont beaucoup de mal à trouver un médecin qui soit familier de leurs symptômes. Justin, qui a retrouvé l’usage de ses jambes cinq heures après l’accident, a fini par trouver de l’aide à la Mayo Clinic, un centre de recherche mondialement réputé. En plus de subir un trouble de stress post-traumatique, Justin doit composer avec un cerveau qui ne fonctionne plus avec autant de fluidité qu’autrefois. « Dans ma tête, les mots sont désordonnés. Quand je pense à ce que j’essaie de dire, c’est tout mélangé. Alors quand je parle, ça peut sonner bizarre. »

L’embrasement

Quand quelqu’un est frappé par la foudre, cela arrive si vite que seule une toute petite partie de l’électricité ricoche à travers le corps. La majeure partie passe autour du corps dans un effet d’ « embrasement », explique Cooper. En comparaison, entrer en contact avec de l’électricité à haut voltage, comme en touchant des câbles tombés à terre, peut potentiellement causer beaucoup plus de blessures internes, car l’exposition est plus prolongée. Une « longue » exposition peut être relativement brève – à peine quelques secondes. Mais cela suffit pour que l’électricité pénètre la surface de la peau, causant des blessures internes au point de cuire les muscles et les tissus de telle façon qu’il sera parfois besoin d’amputer une main ou un membre. Alors qu’est-ce qui cause les brûlures externes ? Cooper explique que lorsque la foudre traverse le corps, elle entre en contact avec de la sueur ou des gouttes de pluie à la surface de la peau. L’eau liquide augmente de volume lorsqu’elle se transforme en vapeur, ainsi même une petite quantité d’eau peut créer une « explosion de vapeur ». « C’est ce qui fait littéralement exploser les vêtements », explique Cooper. Ou les chaussures. Mais les chaussures sont plus susceptibles d’être déchirées ou endommagées de l’intérieur, car c’est là que la chaleur se concentre et que l’explosion de vapeur a lieu. « Voilà c‘est ça », répond Cooper lorsque je lui fais part des traces de brûlures des chaussures de randonnée de Justin. Dans le cas des vêtements, la vapeur interagira avec eux différemment selon la matière dont ils sont faits. Une veste en cuir peut emprisonner la chaleur à l’intérieur, brûlant la peau du survivant. Le polyester peut fondre et ne laisser que quelques morceaux, la plupart du temps les coutures qui tenaient ensemble les différentes parties du vêtement disparu, énumère Cooper, qui a passé en revue une quantité non-négligeable de reliques post-foudroiement avec les années.

La chemise de Jaime Santana
Crédits : William LeGoullon

En plus des traces de brûlures visibles sur les affaires de Jaime Santana, le téléphone portable qu’il avait dans sa poche a fondu, collant à son pantalon. (Sa sœur, Sara, regrette de l’avoir jeté mais ils avaient peur qu’il ne contienne du courant résiduel – elle sait à présent que ce n’est pas possible.) Alors que la famille de Jaime pense que la foudre a déchiqueté son chapeau, Cooper est dubitative en voyant la photographie. On ne voit aucune trace de roussi, remarque-t-elle. Le fragment de paille a pu se perdre quand Jaime a chuté de son cheval. Cooper est l’auteure d’une des premières études consacrées aux blessures par la foudre, publiée il y a près de quatre décennies, dans laquelle est passe en revue 66 rapports de médecins à propos de patients sévèrement blessés, dont huit qu’elle a traités elle-même. La perte de conscience est commune. Près d’un tiers d’entre eux ont fait l’expérience d’une paralysie temporaire des bras ou des jambes. Ces chiffres sont peut-être plus élevés que la réalité – Cooper ajoute que tous les patients frappés par la foudre ne sont pas suffisamment blessés pour que les médecins écrivent à leur propos. Mais les survivants décrivent fréquemment des paralysies temporaires, comme celle dont a souffert Justin, ou une perte de conscience, même si la raison pour laquelle elles se produisent reste mystérieuse. On en sait davantage sur la capacité de la foudre à bouleverser les impulsions électriques du cœur, grâce à des expériences menées sur des moutons australiens. Le courant électrique massif de la foudre peut temporairement paralyser le cœur, explique Chris Andrews, médecin et chercheur spécialisé dans la foudre de l’université du Queensland, en Australie. Heureusement, le cœur possède un pacemaker naturel : la plupart du temps, il peut redémarrer tout seul. Le problème est que la foudre peut aussi mettre KO la région du cerveau qui contrôle la respiration. Et elle ne dispose pas pour sa part de fonction reset, signifiant que l’apport en oxygène de la victime peut se trouver dangereusement appauvri. Le risque est alors que le cœur succombe à un second arrêt, potentiellement mortel, explique Andrews. « Si une personne est en vie pour vous dire qu’elle a été frappée par la foudre, il est probable que sa respiration n’a pas été complètement arrêtée, et qu’elle a repris son cours à temps pour empêcher le cœur de s’arrêter. » Andrews est armé pour mener des recherches sur la foudre, avec son bagage d’ingénieur en électricité et de médecin. Ses recherches, qui portent sur l’impact du courant électrique sur les moutons, sont fréquemment citées pour démontrer comment l’embrasement de la foudre peut causer malgré tout des dégâts à l’intérieur du corps. L’une des raisons qui font qu’il a choisi les moutons est qu’ils sont d’une taille proche de celle des humains, explique-t-il. L’autre est que la race choisie, le Leicester, n’a pas beaucoup de laine autour de la tête, tout comme nous.

La ceinture de Jaime
Crédits : William LeGoullon

Pour ses recherches, Andrews a soumis des moutons anesthésiés à des chocs électriques de voltage similaire à ceux d’un petit éclair, et il a photographié le chemin emprunté par l’électricité. Il a montré qu’alors que l’éclair flamboie autour du sujet, le courant électrique pénètre par des voies importantes dans le corps : les yeux, les oreilles, la bouche. Cela aide à comprendre pourquoi les survivants font souvent état de douleurs aux yeux et dans les oreilles. Ils peuvent développer des cataractes ; ou bien leur ouïe peut être endommagée de façon permanente, même après que l’acouphène post-déflagration s’est dissipé. Il est particulièrement inquiétant de constater qu’en pénétrant les oreilles, l’éclair peut atteindre la région du cerveau qui contrôle la respiration, dit Andrews. Au moment de pénétrer le corps, l’électricité peut emprunter un autre canal, qu’il s’agisse du sang ou du fluide qui entoure le cerveau et la moelle épinière. Une fois qu’elle atteint la circulation, le voyage jusqu’au cœur est très rapide. Jaime Santana a survécu au coup de foudre, mais pas Pelucha – « peluche » –, le cheval qui faisait l’admiration de la famille. Le chirurgien traumatologue Sydney Vail et d’autres avancent que c’est parce que la monture de 700 kilos a absorbé une bonne partie de l’éclair qui a presque tué son cavalier de 31 ans.

Avant Jaime, personne n’avait survécu à cela.

L’autre raison pour laquelle Jaime a survécu est que le voisin qui a accouru pour lui porter secours – une personne que la famille n’avait jamais rencontré auparavant – a immédiatement entrepris une réanimation cardio-pulmonaire (RCP), et a continué jusqu’à l’arrivée des ambulanciers. Alejandro raconte que l’un des ambulanciers a demandé à ses collègues s’il fallait qu’ils arrêtent, car Jaime ne revenait pas. Mais le voisin a insisté pour qu’ils continuent. Cette RCP pratiquée immédiatement est « la seule raison pour laquelle il est en vie », dit Vail. Le voisin a plus tard expliqué à la famille qu’il avait pratiqué des RCP « des centaines et des centaines de fois » en près de deux décennies, en tant qu’ambulancier volontaire, raconte la sœur de Jaime, Sara, la voix nouée. Avant Jaime, personne n’avait survécu à cela.

KABOOM

L’éclair se forme haut dans les nuages, parfois entre 4,5 et 7,6 kilomètres au-dessus de la surface de la Terre. Alors qu’il descend vers le sol, l’électricité cherche avidement une chose à laquelle se connecter. L’éclair avance à une vitesse délirante, par paliers de 50 mètres. Une fois qu’il est à 50 mètres du sol environ, il cherche à nouveau à tâtons dans un proche rayon « la chose la plus pratique à frapper le plus vite », explique Ron Holle, météorologue américain et spécialiste des éclairs depuis de longues années. Les premiers candidats incluent les objets isolés et pointant vers le ciel : les arbres, les poteaux, les bâtiments, et parfois les gens. La séquence toute entière se déroule à une vitesse incroyable. On dit souvent que nous avons une chance sur un million d’être frappé par la foudre. Si l’on se réfère aux données américaines, il y a du vrai là-dedans, mais seulement si on regarde les morts et les blessures sur une seule année. Mais Holle, pour qui cette statistique est faussée, met d’autres chiffres dans la balance. Si une personne vit jusqu’à 80 ans, ses chances d’être frappée par la foudre au cours de sa vie sont d’une sur 13 000. Si l’on considère ensuite que chaque victime connaît au moins intimement dix personnes, comme les amis et la famille de Jaime et Justin, alors la probabilité d’être personnellement affecté par un coup de foudre au cours de son existence grimpe à une chance sur 1 300. Holle n’aime pas non plus le mot « frappé », car cela implique que la foudre frapperait le corps directement. Or, c’est très rare. Holle, Cooper et d’autres chercheurs de premier plan ont récemment réuni leur travaux pour déterminer que cela n’arrive que dans 3 à 5 % des cas. (Vail assure pour sa part que Jaime a été frappé directement, étant donné qu’il chevauchait dans le désert sans arbre ni autres grands objets à proximité.) Justin pense pour sa part avoir fait l’expérience de ce qu’on appelle un side flash, au cours duquel la foudre « éclabousse » ce qui l’entoure – comme un arbre ou un téléphone. Considéré comme le deuxième danger lié à la foudre, les side flashs sont responsables de 20 à 30 % des blessures et des décès. Mais la cause de blessures de loin la plus répandue est le courant au sol, lorsque l’électricité rampe à la surface de la Terre, prenant au piège dans son circuit un troupeau de vaches ou un groupe de gens dormant dans une tente. Que faire si l’on se trouve loin d’un bâtiment ou d’une voiture où s’abriter quand la tempête arrive ?

Ces quelques conseils sont précieux : il faut éviter les pics montagneux, les grands arbres ou n’importe quelle étendue d’eau. Mieux vaut chercher un ravin ou une dépression topographique pour s’abriter. Il faut distendre son groupe, en observant au moins six mètres de distance entre chaque personne, afin de réduire les risques de blessures multiples. Il ne faut pas s’étendre au sol, car cela augmente les chances d’être victime du courant. Il existe même une posture anti-foudre recommandée : accroupi, les pieds joints. Mais ne vous aventurez pas à parler à Holle de ces suggestions. Rien ne peut vous protéger de la foudre, dit-il à répétition. « Il y a des cas où chacune de ces stratégies a conduit à la mort », dit-il. Aux commandes de l’US National Lightning Detection Network (NLDN) de Tucson, Holle a accumulé des tonnes de dossiers remplis d’articles détaillant une variété inimaginable de scénarios impliquant des gens ou des animaux. Les morts et les blessures ont eu lieu dans des tentes, durant des compétitions de sport, ou lorsque des individus trouvent refuge sous des abris de golfs, d’aires de pique-nique, et bien d’autres. Le mot « abri » déforme la réalité, dit Holle, car ils deviennent des pièges mortels durant un orage. Ils vous empêchent d’être mouillés, c’est tout.

Les jeans de Jaime
Crédits : William LeGoullon

Sur une série d’écrans géants alignés sur deux murs dans une salle des bureaux du NLDN, à Tucson, Holle peut observer où tombe la foudre tomber en temps réel. Ceci grâce à des capteurs stratégiquement positionnés aux États-Unis et ailleurs. Les données satellites montrent que certaines régions du monde, généralement celles situées près de l’équateur, sont davantage frappées par la foudre. Le Venezuela, la Colombie, la République démocratique du Congo et le Pakistan font tous partie du Top 10 des endroits du monde les plus touchés par la foudre. Initialement, les campagnes de sécurité se basaient sur la règle des 30/30, qui s’appuyait sur le nombre de secondes écoulées après l’apparition d’un éclair. Si le tonnerre grondait avant qu’on ait atteint 30, cela signifiait que la foudre était assez proche pour être dangereuse. Mais Holle explique que la science a pris ses distances avec ce conseil pour des raisons diverses. L’une d’elles étant d’aspect pratique : il n’est pas toujours facile de savoir quel coup de tonnerre correspond à quel éclair. Pour plus de simplicité, on dit aujourd’hui la même chose aux enfants comme aux grands-parents : « Quand le tonnerre gronde, rentrez à l’intérieur. »


Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « This is what it’s like to be struck by lightning », paru dans Mosaic. Couverture : Les effets d’un survivant. (William LeGoullon)