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Les deux dossards

« Good boy Gus, good boy! » Sous la bruine de New York, Thomas Panek slalome avec aisance entre les coureurs du Poland Spring Marathon Kickoff. Au bout d’une laisse qu’il agrippe fermement, son labrador jaune trottine à un rythme soutenu. Le duo parcourt les allées de Central Park et Thomas lance quelques encouragements au chien, qui file sereinement vers son objectif. Avec son harnais conçu pour la course, orné du même numéro de dossard que celui de son maître, Gus fonce vers l’arrivée. Grâce à lui, l’athlète américain dépasse la ligne et, sous les applaudissements de ses supporters, ne peut retenir quelques larmes d’émotion.

À 48 ans, Thomas Panek a participé à de nombreuses compétitions dans sa vie, mais le Poland Spring Marathon Kickoff du 29 octobre 2017 est celle qui lui a procuré le plus d’émotion. Depuis qu’il a perdu la vue il y a plus de 25 ans, ce sportif aguerri n’avait jamais pu officiellement courir sans l’aide d’un guide humain. Une semaine avant de s’élancer sur le mythique marathon de NewYork, pour la première fois de sa vie, il a reçu l’autorisation d’être accompagné par Gus. « C’est une expérience extrêmement libératrice. On l’a fait ensemble mon pote », raconte-t-il en caressant le pelage mouillé de son compagnon.

Gus n’est pas un guide comme les autres. Elevé par l’association Guiding Eyes for the Blind, ce labrador retriever né au centre de développement canin de Patterson, dans l’État de New York, sait exactement ce qu’il doit faire quand il court avec Thomas Panek. Il louvoie entre les obstacles, se déplace au son de la voix de son maître, et ralentit le pas quand la foule est trop dense. Grâce à un apprentissage d’excellence et à ses entraînements avec Thomas, il a développé son endurance, son agilité, mais aussi sa maîtrise des imprévus. Comme dans les rues paisibles de Yorktown Heights, où il s’entraîne avec son maître, Gus navigue le regard alerte sur les sentiers bondés de Central Park.

Crédits : Guiding Eyes for the Blind

Courir aux côtés de ce labrador retriever énergique et attentif a libéré Thomas Panek de ses craintes. « Pendant les trois années où j’ai couru avec Gus, je n’ai jamais rien percuté », explique-t- il. « J’ai une confiance absolue dans sa capacité à me guider. » Il forme avec lui une véritable équipe ; et s’il ressent beaucoup de gratitude envers ses guides humains, il reconnaît que tout est plus naturel avec Gus. « Je suis tellement familier de la façon dont il me guide tous les jours, que courir avec lui est aussi facile que de marcher dans la rue. » Parce qu’il connaît mieux que personne le rythme et les besoins de Thomas, Gus lui a permis de retrouver ce qu’il cherchait depuis de longues années : son indépendance.

En février 2014, Thomas Panek devient le président de l’association Guiding Eyes for the Blind, cette même organisation qui lui a confié son cher Gus. À Yorktown Heights, une petite ville du Comté de Westchester située à 40 kilomètres de New York, cette ONG élève chaque année des dizaines des chiens guides. Avant d’en prendre la tête, cet Américain était déjà engagé en faveur de l’autonomie des personnes aveugles et malvoyantes. Vice-président de National industries for the Blind, il a travaillé pendant plusieurs années afin de leur ouvrir plus largement les portes du marché de l’emploi américain.

Avec la création du programme Running Guides, quelques mois seulement après son entrée dans l’organisation, il a réussi à poursuivre sa mission. Depuis lors, il s’attèle à transformer la vie de dizaines de coureurs aveugles à la recherche, comme lui, d’indépendance et de liberté.

La ligne de départ

Aux côtés de son guide sur deux jambes Scott Jurek, Thomas Panek s’apprête à courir le 118e marathon de Boston. Le 21 avril 2014, près d’un an après l’attentat qui a endeuillé la course, l’atmosphère est électrique sur la ligne de départ. Avant le coup de feu, un homme vient à la rencontre de Thomas : il s’appelle Richard Hunter et porte lui aussi un dossard « aveugle » sur le torse. Grand amateur de triathlon, cet ancien marine a frôlé la mort quelques mois plus tôt dans une chute à vélo, alors qu’il s’entraînait avec son guide à Sacramento. À son retour sur la piste, cette angoisse de courir attaché au bras d’un autre marathonien ne l’a pas quitté. Quand Panek lui explique qu’il vient de prendre la tête d’une école pour chiens guides d’aveugle, Hunter saute sur l’occasion : « Je suis vraiment curieux ! As-tu déjà entraîné un chien guide à courir ? ». Cette idée, que Panek n’avait jamais envisagée, le laisse sans voix.

Crédits : Guiding Eyes for the Blind

Thomas Panek a toujours été un grand sportif. Pendant son enfance et son adolescence, l’Américain passe le plus clair de son temps à jouer au basket, au football ou encore au base-ball. Panek intègre ensuite l’équipe de cross-country de son lycée, dans laquelle il brille par ses performances. Source inépuisable d’exaltation, la course fait partie intégrante de sa vie et de son quotidien. À l’âge de 20 ans, toutefois, Thomas commence à perdre la vue. La rétinite pigmentaire, une maladie génétique dégénérative, attaque progressivement son champ de vision. Au bout de quelques années, elle finit par priver totalement le jeune homme de sa vue.

À la suite de ce choc, Thomas Panek décide d’arrêter la course pour un temps. Diminué par sa cécité, il est trop effrayé à l’idée de courir sans voir. « Je ne pensais vraiment pas qu’il serait possible un jour de refaire du sport en étant aveugle », se remémore-t-il. Ce sont ses quatre enfants et sa femme, Melissa, qui réussissent à lui redonner l’envie de se dépasser. En 2011, Panek se remet donc à la course, aidé pour la première fois par des guides humains. Il leur prouve à tous qu’il n’a rien perdu de ses talents, passant en quelques années seulement des circuits de 8 kilomètres aux emblématiques marathons. Aidé par des proches et des guides de renom — comme l’ultra-marathonien Scott Jurek — il en courra 12 sur le sol américain.

Toutefois, il manque encore quelque chose à Thomas Panek. Attaché à son guide par une cordelette, il ne retrouve pas les sensations d’autonomie et de liberté qu’il avait connues par le passé. Dépendant de l’emploi du temps de ses guides, il ne peut pas sortir quand il le souhaite pour s’entraîner autour de chez lui. La remarque d’Hunter, sur la ligne de départ à Boston, lui fait l’effet d’un puissant déclencheur.

À cette époque, Thomas possède son propre chien guide, un labrador retriever jaune âgé de deux ans : Gus. Il questionne les experts autour de lui, afin de savoir s’il serait possible de l’entraîner à courir. Nombreux sont ceux qui tentent de le décourager : d’après eux, les chiens guides ne sont pas faits pour aiguiller leur maître à travers une foule de coureurs, et encore moins pour parcourir de longues distances. Mais il en faut plus pour décourager Thomas. En outre, les instructeurs de Guiding Eyes for the Blind, dont il vient de prendre la tête, le soutiennent. « Les chiens sont des animaux qui aiment courir, cela nous a donc semblé être une évolution naturelle », raconte le guide de l’école Ben Cawley.

Avec l’aide de ce dernier et d’autres instructeurs, comme Jolene Hollister, le programme pilote Running Guides est lancé en 2015. À ce stade, Thomas n’envisage d’entraîner que Gus. « Nous avons une relation de confiance extrêmement forte », raconte-t-il. Il met aussi un point d’honneur à en faire lui-même l’expérience. « Si d’autres aveugles doivent faire ça, je dois d’abord prouver que cela sera sans danger pour eux », explique-t-il. En même temps, Cawley et Hollister débutent la formation d’un chiot berger allemand du centre, appelé Klinger.

Crédits : Guiding Eyes for the Blind

Pendant trois ans, le duo parcourt Yorktown Heights en long et en large, allant chaque jour un peu plus vite et un peu plus loin. Malgré l’absolue confiance de Thomas en son partenaire Gus, cet apprentissage mutuel n’est pas facile. Il lui faudra plusieurs mois de travail pour repérer les limites et les besoins de son chien. « Il faut trouver le bon équilibre entre la personnalité et le rythme des deux coureurs », explique Ben Cawley, « et il faut de la patience pour construire un lien fort. »

Le dressage de Klinger se poursuit en parallèle et ce dernier remplit rapidement toutes les attentes du programme. Si Gus a été le premier chien guide pour un coureur, ce chiot berger allemand fut le premier diplômé du programme Running Guide, le 22 août 2015, après six mois intensifs. À la fin de l’apprentissage de Klinger, Panek l’offre à son ami Richard Hunter, celui qui lui avait donné cette folle idée de courir avec un chien. Depuis les débuts du projet, ce sont au total 20 chiots coureurs qui ont été diplômés — environ quatre par année.

Objectif marathon

Sur le campus de Yorktown Heights, par un samedi après-midi ensoleillé, les nouveaux propriétaires de chiens guides d’aveugles posent pour la photo avec fierté. À leurs pieds, les labradors retrievers et bergers allemands fraîchement diplômés sont sagement assis. Un samedi par mois, ces cérémonies célèbrent la fin de l’entraînement des chiots de Guiding Eyes for the Blind, et le début de leur vie auprès d’une personne aveugle ou malvoyante. Les éducateurs, qui se sont occupés des chiots pendant de longs mois, observent avec émotions les nouveaux propriétaires de leurs pensionnaires. Parmi les chiens présents, une poignée offrira une nouvelle opportunité à ses maîtres : celle de pouvoir refaire du sport en toute autonomie.

Créé au départ comme une expérimentation, le programme de Running guides est aujourd’hui l’un des piliers de l’activité de l’association. L’équipe de formation de ces guides canins, dirigée par Ben Cawley, est débordée par le succès de ce projet unique. Ses réalisations n’ont pas tardé à se diffuser dans tous les États-Unis et 25 autres chiots sont aujourd’hui sur liste d’attente pour être formés à leur tour.

Crédits : Guiding Eyes for the Blind

Le programme Running Guides reçoit un soutien débordant de la part des sportifs aveugles et malvoyants, mais également de leurs proches. Comme l’explique Thomas, cette activité présente également de grandes vertus physiques et psychologiques. Courir avec un chien permet de soutenir des personnes qui perdent souvent toute confiance dans leurs capacités, mais aussi de lutter contre la sédentarité, une conséquence extrêmement fréquente de la cécité. « Le plus grand bénéfice de la course avec un chien guide est le sentiment de liberté qui accompagne l’expérience », s’enthousiasme Cawley. Et comme l’ajoute Panek, « cela n’a pas de prix ».

Sous les arbres du centre de Yorktown Heights, de plus en plus de chiots sont élevés aujourd’hui dans l’espoir de devenir de grands coureurs. Après trois ans d’existence, les choses évoluent pas à pas pour ce programme pionnier. Comme l’explique Thomas Panek, l’organisation a dû fixer des règles pour limiter la fréquence et la durée des entraînements des chiens. Leurs maîtres ne doivent pas les obliger à courir plus de neuf kilomètres par séance, et ces derniers doivent être régulièrement examinés par des vétérinaires. « Nous voulons être sûrs qu’ils sont heureux et en bonne santé pendant leurs courses » raconte-t-il.

Le projet de Thomas a pris une tout autre dimension avec sa participation au Poland Spring Marathon Kickoff de New York. S’il n’a pas été facile de convaincre les organisateurs de New York Road Runner, ces derniers ont finalement accepté de le laisser concourir avec Gus pour la première compétition officielle du duo. Un vétérinaire a même été engagé afin d’inspecter régulièrement les pattes et le rythme cardiaque du chien. En foulant ensemble les allées de Central Park, sous les applaudissements de leurs proches et des coureurs, Thomas et son compagnon ont réussi une nouvelle fois à dépasser leurs limites – et quelques idées reçues. « C’était merveilleux et extrêmement émouvant de faire tomber cette barrière ensemble », se remémore-t-il.

Thomas Panek et Gus – Crédits : Guiding Eyes for the Blind

Ce programme unique de chiens de course se heurte aussi à des défis. D’abord, les compétences des chiots. Parmi les 500 qui naissent chaque année à Guiding Eyes, confiés à des familles d’accueil pendant plusieurs mois au début de leur vie, tous ne deviendront pas chien guides. Après un entraînement de six mois à un an, ils sont généralement 160 à être sélectionnés pour veiller à la sécurité de leur maître au quotidien. Une formation supplémentaire achève ensuite de sélectionner la poignée de coureurs. L’autre obstacle est financier : Il faut en moyenne 41 000 euros pour élever et entraîner un chien guide, une somme rassemblée grâce à des dons d’associations ou de particuliers.

Depuis leur succès à la Poland Spring en octobre 2017, Thomas et Gus ont réalisé une deuxième course officielle, la B.A.A 5K de la Boston Athletic Association. Le 14 avril 2018 ils ont renouvelé l’exploit, là où Richard Hunter avait soufflé à Thomas l’idée de courir avec un chien quatre ans auparavant. À la fin des 5 kilomètres, Thomas Panek s’est abaissé à la hauteur de son guide, et lui a passé sa médaille autour du cou. « Cette fois, c’était la course de Gus ». Alors que les coureurs du B.A.A le prennent en photo avec son fidèle guide, Thomas ne peut masquer sa fierté. « J’espère que de voir des athlètes avec leurs chiens guides prouvera que la cécité ne devrait jamais freiner personne. Nous pouvons tous atteindre les mêmes objectifs », déclare-t-il. Il sourit à la foule, et glisse que son objectif sera désormais de courir un marathon uniquement accompagné par des guides canins. Selon ses prévisions, cinq chiens seront nécessaires pour réaliser cet exploit. Gus, bien évidemment, fera partie de l’équipe.


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