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L’affaire Carrie Peel

Le jugement a été un frein pour Credit Acceptance, mais l’industrie a joyeusement poursuivi son chemin. Quand l’Office de protection financière du consommateur (CFPB) a été créé suite à la crise de 2008, l’Association nationale des vendeurs d’automobiles américains a dépensé plusieurs millions de dollars pour faire pression sur le Congrès, afin d’obtenir une dérogation leur permettant d’échapper au contrôle de l’Office. Entre 2009 et 2010, les vendeurs et leurs comités d’action politique ont dépensé huit millions de dollars de plus en contributions politiques directes, la plupart du temps au bénéfice des Républicains. Pour les créanciers automobiles, régulés par le CFPB, la dérogation obtenue par les vendeurs constituait un précieux bouclier. « La situation permettait aux prêteurs de dire : “Ne nous tenez pas pour responsables, ce sont les vendeurs qui prennent toutes les décisions” », explique Chris Kukla, vice-président du Centre pour le prêt responsable (CRL). « Mais en réalité, ce sont les créanciers qui fixent les conditions. »

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Chris Kukla

Acheter et financer une voiture constitue une seule et même transaction chez un concessionnaire, ajoute Kukla, et répartir la surveillance entre plusieurs agences rend le travail des régulateurs encore plus difficile. L’année dernière, les parlementaires Frank Guinta (Républicain du New Hampshire) et Ed Perlmutter (Démocrate du Colorado) ont présenté une proposition de loi limitant les capacités du CFPB à poursuivre les vendeurs accordant des taux d’intérêts discriminatoires aux acheteurs afro et latino-américains – 88 Démocrates ont soutenu la proposition de loi, et elle a été acceptée par la Chambre des représentants à 332 voies contre 96. Mais ceux qui plaident en faveur d’un amoindrissement de la surveillance des vendeurs de voitures devraient prendre en compte ce qu’a vécu Carrie Peel, une femme au centre de la deuxième grosse affaire qu’ont eu à traiter Brown et Irwin. Peel travaillait à temps plein comme responsable de la tarification chez Cargo Largo, un magasin discount d’Independence, dans le Missouri. Elle gagnait moins de 20 000 dollars par an. Philip, son mari, gagnait encore moins d’argent qu’elle en tant qu’ouvrier sur les docks. Ils avaient quatre enfants, et une cote de crédit tournant autour des 500 – autrement dit très risqué. Mais avec le prix de l’essence, la famille Peel ne pouvait plus se permettre de faire le plein de leur Chevrolet Suburban.

Par un samedi étouffant de 2008, ils sont partis à la recherche d’une voiture de rechange chez le concessionnaire d’occasion Car Time, situé sur la Highway 24 – une morne plaine où s’agglutinent des prêteurs sur salaire, un prêteur sur gages et un concessionnaire de voitures d’occasion. « Je n’avais pas d’autre solution », se souvient Peel. D’après les documents judiciaires, le couple a payé 12 450 dollars pour une Ford Taurus vieille de quatre ans, environ 5 000 dollars de plus que ce qu’estimait l’argus américain – sans oublier des frais supplémentaires, comme 209 dollars de « redevance aux autorités publiques » alors que remplir la paperasse pour l’État a coûté en réalité 10 dollars au vendeur. Ce dernier a également insisté pour que les Peel souscrivent à une garantie étendue d’une valeur de 1 380 dollars. Si l’on soustrait au total les 1 000 dollars d’acompte et les 2 500 dollars que Car Time leur a offert pour la reprise de la Suburban, il leur restait à payer la somme de 10 960 dollars via Credit Acceptance. Le taux d’intérêt, de 24 %, était trois fois plus élevé que s’ils avaient contracté un crédit normal, et il faut ajouter à cela 6 620 dollars de plus à régler durant la durée du prêt. Ils étaient sommés de payer au total 17 580 dollars, mais « c’était une opportunité de pouvoir remonter la cote de mon crédit : nous n’aurions plus jamais à payer un tel taux », explique Peel.

Carrie Peel a la trentaine. C’est une femme joyeuse aux cheveux blond platine, qui travaille à présent comme barmaid. Elle n’a aucun souci avec la Taurus, qu’elle décrit comme la meilleure voiture que sa famille ait jamais possédée. Mais des années plus tard, tandis qu’elle prend son mal en patience dans le cabinet de Brown et revit tous les détails du contrat qu’elle a passé avec Car Time, Peel sent monter en elle une vive colère contre le système. Un système qui, à ses yeux, prend au piège les personnes ayant le malheur de se trouver du mauvais côté du fossé économique. Le vendeur l’a bien trop fait payer pour une voiture qui lui avait coûté moins de 7 000 dollars à l’achat. Sans compter qu’elle s’est sentie obligée de payer les 420 dollars de garantie d’actif (la GAP), une assurance optionnelle qu’il avait présenté à Peel comme une condition pour le prêt – la pratique est courante.

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Un concessionnaire de voitures d’occasion
Crédits : Thomas Hawk

« Si le vendeur avait été honnête en lui présentant l’assurance », explique Irwin, « il lui aurait dit : “Madame Peel, nous vous avons indéniablement escroqué avec cette option. Nous vous avons fait payer le double du prix de cette voiture, puis nous avons gonflé ce que vous nous deviez avec des taux d’intérêts exorbitants, des taxes inventées et une garantie étendue qui ne couvrira jamais ce que vous pensez qu’elle doit couvrir. Et puisque vous payez bien trop pour cette voiture par rapport à ce qu’elle vaut réellement, afin de nous protéger du fait que nous vous avons roulée, nous allons vous faire payer une assurance GAP en plus pour protéger notre investissement, au cas où quelque chose arriverait à la voiture.” » Quelques semaines après avoir acheté la Taurus, les Peel se sont rendu compte que le vendeur ne leur avait jamais envoyé de copie du titre dont ils avaient besoin pour faire enregistrer le véhicule. Ils sont retournés à l’endroit où ils l’avaient achetée, mais le parking était désert : Car Time avait coulé. Irwin et Brown ont vite compris ce qui s’était passé : pour acheter ses véhicules, un vendeur de voitures d’occasion contracte généralement un emprunt auprès d’une banque qui conserve les titres de propriété en cas de souci. Lorsqu’un véhicule est vendu, le vendeur est censé rembourser la banque, qui rend alors le titre. Mais quand les affaires vont mal, un vendeur peu scrupuleux peut être tenté de garder cet argent dans l’espoir insensé de rester à flot. « Ils volent Pierre pour payer Paul, en espérant retomber sur leurs pattes », résume Brown. « Après la crise financière », ajoute Irwin, « il y a eu un pic du nombre de vendeurs pratiquant ce genre de magouilles. » Credit Acceptance avait embobiné les Peel – et probablement d’autres familles parmi les 31 clients que comptait Car Time à cette époque-là –, mais plutôt que de poursuivre les vrais coupables, l’entreprise de Foss a pris à la gorge ses propres clients. Ils affirmaient que Peel devait toujours rembourser le montant total indiqué dans le contrat, sans compter le surplus d’intérêts.

Durant deux ans, la famille a donc dû réunir tant bien que mal 345 dollars par mois pour rembourser une voiture qu’ils ne pouvaient pas conduire légalement. Peel a tenté de poursuivre le propriétaire de Car Time. Elle s’est déplacée plusieurs fois au Département des véhicules motorisés (DMV) et elle est même parvenue à localiser le précédent propriétaire du titre (une autre entreprise financière). Elle s’est plainte auprès de plusieurs agences de défense des consommateurs, et même auprès du bureau du procureur général de l’État du Missouri. Elle a également contacté Credit Acceptance à de nombreuses reprises, car leur nom et leur logo étaient apposés sur chacun de ses documents.

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Crédits : Thomas Hawk

« J’appelais encore et encore, et ils me répondaient invariablement : “Nous n’avons aucune idée de l’endroit où se trouve le titre” », raconte Peel. Elle a supplié ses interlocuteurs de l’aider à retrouver le propriétaire de Car Time, mais on lui faisait systématiquement la même réponse : « Ce n’est pas notre problème, c’est entre vous et le vendeur. Vous devez nous payer. » Quand elle a menacé de ne plus payer, la personne au bout du fil lui a rappelé la présence d’un coupe-circuit pouvant paralyser sa voiture si elle manquait un paiement. Elle n’en a jamais manqué un. Un tribunal a établi plus tard que Credit Acceptance était au courant du fait que la banque du vendeur détenait probablement son titre, mais que l’entreprise avait refusé de transmettre l’information à Peel. Qui a par ailleurs été arrêtée deux fois par la police pour conduite sans carte grise valide. Le premier agent l’a laissée partir avec un simple avertissement ; le second l’a gratifiée d’une amende de 140 dollars. Trouvant la situation injuste, elle a refusé de payer : un juge a signé un mandat d’arrêt à son nom. Les registres de Credit Acceptance indiquent que Peel s’est adressée à 111 personnes différentes au centre d’appel en deux ans. Il ne lui a jamais été possible de parler à un responsable, en dépit de ses supplications et de la promesse occasionnelle d’un rappel. Elle me dit s’être sentie démunie. Sans titre, elle ne pouvait pas conduire la voiture légalement, et elle ne pouvait pas la vendre. Et comme son crédit était lié à la Taurus, elle ne pouvait pas emprunter d’argent pour acheter une autre voiture. « Je suis très, très polie », dit-elle. « Je viens d’une bonne famille. Mais je me suis fâchée. J’ai un peu perdu les pédales une ou deux fois. » Et ça a fini par payer. « Je hurlais au téléphone : “J’exige qu’un responsable me rappelle tout de suite” », se souvient Peel. « À un moment donné, je suis presque devenue hystérique. Les gens me regardaient. Je pleurais. » Elle a dit au responsable de Credit Acceptance qu’elle en avait assez de payer, tout en sachant très bien que si elle arrêtait, elle finirait avec une saisie sur son dossier de crédit. « J’essayais d’améliorer mon dossier, et ces gens menaçaient de tout ruiner si je ne faisais pas ce qu’ils disaient », explique Peel. ulyces-donfoss-06Peu de temps après le scandale téléphonique, Peel a perdu son travail au magasin discount. Mais paradoxalement, c’est ce qui l’a sauvée, car Philip et elle étaient désormais éligibles pour recevoir une aide juridique gratuite. Un commis d’office l’a aiguillée vers Irwin, et Brown s’est joint au dossier. « Personne ne peut dire qu’elle a fait quoi que ce soit de mal », dit Brown. « Elle s’est faite sévèrement escroquer par le vendeur, et Credit Acceptance l’accable encore plus, dans le seul but d’en tirer davantage de bénéfices. »

Le pire est à venir

« Nous changeons des vies depuis 1972 », dit un des slogans de Credit Acceptance. « Tout le monde a le droit à une seconde chance », professe un autre. Pendant des années, j’ai laissé des messages à la société dans l’espoir de m’entretenir avec Foss. Depuis la crise de 2008, je suis fasciné par les entreprises soi-disant au service des populations marginalisées, ainsi que par cet homme terriblement visionnaire qui a su voir les milliards de dollars qu’il y avait à se faire en vendant des voitures à des gens que les organismes de prêts courants considèrent à risque. J’ai passé du temps avec les pionniers du prêt sur salaire, des prêts en prévision d’un remboursement d’impôts, et des franchises de location avec option d’achat, mais je n’ai jamais reçu ne serait-ce qu’un seul appel de la part de la société de Foss, que ce soit pour cet article ou pour d’autres. « Credit Acceptance croit que les gens à qui l’on donne la possibilité d’établir ou de retrouver un historique de crédit positif sauront la saisir », peut-on lire sur le site du groupe. C’est vrai ça, pourquoi les travailleurs à faibles revenus n’auraient-ils pas le droit au même accès au crédit que tout le monde ? Et qu’importe si cela doit leur coûter beaucoup plus cher.

Pourtant, Credit Acceptance établit ses prêts en sachant pertinemment qu’une grande partie de ses clients ne connaîtront pas la fin heureuse vantée par ses documents promotionnels. La société opère en partant du principe qu’elle récupérera 70 % de l’argent prêté. Ce qui signifie qu’elle saisira beaucoup de véhicules et poursuivra en justice de nombreux clients pour compenser les défauts de paiement. Quand les banques de Wall Street ont réclamé plus de valeurs basées sur les crédits automobiles subprimes, Credit Acceptance a redoublé d’activité, boostant le nombre de ses crédits de 23 % en 2010 et de 30 % en 2011 (une augmentation qui a ralenti les années suivantes du fait de l’accroissement de la concurrence, comme l’a notée la société dans son rapport annuel de 2014). Pendant ce temps, les organismes de prêts à risque ont augmenté leurs taux d’intérêts moyens annuels sur les véhicules d’occasion de 16 à près de 20 %, s’assurant ainsi plus de défauts de paiements, de poursuites judiciaires et de saisies sur salaires. Gary J. Pieples croise un grand nombre de ces gens au centre public des consommateurs qu’il dirige, au sein de la fac de droit de Syracuse, dans l’État de New York. Il me raconte que la moitié de ses affaires en cours tombent dans l’escarcelle des prêts auto frauduleux. Et la plupart impliquent Credit Acceptance. Il est facile d’accuser les « concessionnaires crapuleux qui vendent des voitures pourries trop cher à des gens qui n’ont pas d’autre recours », explique-t-il, « mais ils ne pourraient pas le faire sans le financement d’organismes comme Credit Acceptance. » ulyces-donfoss-07 Après deux ans de versements sans défaut à Credit Acceptance, la cote de crédit de Carrie Peel s’est effectivement améliorée. En 2010, sa famille est parvenue a décrocher un prêt à taux beaucoup plus bas afin d’acheter un minivan. À la même époque, sur le conseil de ses avocats, elle a cessé de payer le crédit de la Taurus et porté plainte contre Credit Acceptance pour pratique commerciale frauduleuse. Irwin a informé la société que sa cliente n’avait pas de revendication concernant la voiture, mais que si le prêteur le désirait, il pouvait récupérer le véhicule à telle adresse. Credit Acceptance a contre-attaqué, déclarant que Peel devait payer des compensations pour avoir ajouté 25 000 km au compteur de la voiture. La société a également déclaré un défaut de paiement de plus de 90 jours, ce qui a fait baisser la cote de Peel à 482. « Ils envoyaient un message : si vous nous attaquez, il y aura un prix à payer », commente Brown. Les avocats de Peel ont alors fait une offre : si Credit Acceptance était prêt à lui verser 30 000  dollars et s’engageait à verser la même compensation aux emprunteurs se trouvant dans une situation similaire à la sienne, Peel accepterait le compromis. L’entreprise a refusé.

Au jugement qui s’en est suivi en 2011, les jurés ont déclaré Credit Acceptance coupable d’avoir violé la loi fédérale. Peel a reçu 1,1 million de dollars de dommages et intérêts, qu’elle devrait partager avec ses avocats. La cour d’appel de l’État de Missouri a confirmé le verdict. L’entreprise avait « fait usage de sa position de supériorité pour faire croire à Peel qu’elle était tenue de rembourser le crédit d’un contrat de vente nul et non avenu », a estimé le juge Gary D. Witt, en ajoutant que la conduite de Credit Acceptance était « suffisamment répréhensible » pour justifier une telle compensation.

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L’année dernière, Credit Acceptance a révélé dans un rapport à ses actionnaires qu’elle était sous le coup d’une enquête du département de la Justice et de la Federal Trade Commission pour pratiques commerciales douteuses, dans le cadre de crédits subprimes. GM Financial, Santander Consumer USA et les autres acteurs majeurs de l’économie des subprimes sont désormais dans le collimateur du gouvernement américain. Mais les régulateurs s’attaquent à un marché qui fait preuve d’une incroyable résilience.

Les avocats de défense des consommateurs se font des millions quand leurs clients grappillent quelques milliers de dollars chacun.

La société bâtie par Foss peut se vanter de réaliser des marges bénéficiaires presque deux fois supérieures à celles de Google, et ses courbes de croissance – un investissement de 10 000 dollars fin 2008 équivaut aujourd’hui à plus de 150 000 dollars – font baver Wall Street. En 2010, l’année où Peel a engagé une procédure contre Credit Acceptance, General Motors a payé 3,5 milliards de dollars pour acquérir le rival de Foss AmeriCredit Corp., devenu depuis GM Financial. La même année, une société financière privée du nom de Fortress Investment Group a payé 124 millions de dollars pour devenir l’investisseur majoritaire du prêteur à haut risque Springleaf Holdings (un investissement désormais valorisé à 3,5 milliards de dollars). L’année suivante, le géant du capital-investissement Blackstone a fait l’acquisition d’un autre organisme de crédit auto subprime, et trois autres mastodontes du capital-investissement – Kohlberg Kravis Roberts, Centerbridge Partners et Warburg Pincus – ont acheté 25 % des parts de Santander Consumer USA, créé après que les Espagnols de Banco Santander ont fait l’acquisition d’un autre rival de Foss. La mise des investisseurs a doublé (et plus encore) quand la nouvelle société a été valorisée début 2014. « Santander et Credit Acceptance sont les deux leaders du secteur en terme de ce qu’il font subir aux gens », affirme Christopher Kukla. Même l’économie collaborative a pris le train en marche.

Fin 2013, Uber, dont la flotte représente désormais plus de 400 000 chauffeurs, s’était associé avec Santander et d’autres prêteurs à risque avec la volonté d’étendre davantage son parc de chauffeurs indépendants. Mais la société a mis fin soudainement à son association avec Santander en juillet dernier, tandis qu’elle continue de travailler avec d’autres créanciers qui proposent à tour de bras aux chauffeurs potentiels dotés « d’une faible capacité d’emprunt, ou qui n’en ont même jamais eu », de leur louer des véhicules. Tout ce tumulte inquiète Bernard Brown. Il est convaincu qu’avocats et régulateurs ne font pas assez pour contenir les concessionnaires et les organismes de prêts. Il s’inquiète également du fait que les gens comme Irwin et lui sont une espèce en voie de disparition. Ces dernières années, les géants de l’automobile – comme la majeure partie de la culture d’entreprise américaine – ont ajouté des clauses à leurs contrats, renvoyant les clients mécontents vers des sociétés d’arbitrage sélectionnées par les créanciers qui les empêchent de se lancer dans des recours collectifs.

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Crédits : Thomas Hawk

Qui pourrait plaindre les avocats qui défendent les consommateurs, alors qu’ils se font des millions quand leurs clients grappillent à peine quelques milliers de dollars chacun ? Et cependant, combien de clients escroqués ont la capacité d’agir en leur nom propre devant un tribunal ou en arbitrage, face à des sociétés si puissantes ? Dans un monde où les agences de régulations sont lentes à réagir, le recours collectif fonctionne aussi bien comme le dernier recours des emprunteurs à haut risque que comme un frein aux débordements de ces sociétés. Mais maintenant que les recours collectifs sont devenus impossibles, les avocats quittent le navire. La conférence sur la fraude automobile de l’Association nationale des avocats défenseurs des consommateurs, un temps annuelle, se tient désormais un an sur deux. Il y a moitié moins d’avocats à combattre la fraude qu’il y a dix ans en Amérique. Malgré toutes les pratiques discriminatoires, les combines malhonnêtes des concessionnaires et l’explosion de la vente de prêts à taux élevé à des millions d’Américains qui ont à peine de quoi vivre, « il s’agit d’un domaine légal sur le déclin », explique Ira Rheingold, le directeur de l’association. Mais peut-être que le plus grand de tous les scandales reste qu’on en vienne à trouver normal les taux d’usuriers que les créanciers automobiles peuvent imposer aux gens en toute légalité.

Les organismes de crédit pressent les clients comme des citrons, autant que la législation de chaque État le permet. Même si la société fondée par Foss pouvait reprendre possession de la Taurus et la revendre, elle a imposé un taux d’intérêt de 24% à Carrie Peel, équivalent à ce qu’elle aurait dû payer pour une avance de fonds subprime sur sa carte de crédit. Si ce taux lui a été imposé, c’est tout simplement que c’était possible. Si le vendeur n’avait pas magouillé, les Peel n’auraient eu aucun recours légal. Ils auraient juste été une famille américaine de plus au volant d’un crédit qui les tire vers le fond.


Traduit de l’anglais par Mariam Lmaifi, Nicolas Prouillac, Arthur Scheuer, Nathalie Delhove et Gwendal Padovan d’après l’article « Car Trouble », paru dans Mother Jones. Couverture : Un concessionnaire de voitures d’occasion (Thomas Hawk).


ENQUÊTE SUR MOSSACK FONSECA, LE CABINET À L’ORIGINE DES PANAMA PAPERS

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Au cœur de cette incroyable révélation de documents se cache un cabinet conseil dont les agissements révèlent le pan le plus noir de l’économie mondiale.

Un matin d’avril 2014, Jurgen Mossack, le cofondateur du grand cabinet conseil de Panama Mossack Fonseca, a envoyé un email pressant à trois des membres les plus importants de son équipe. Il avait pour objet : « Affaire Importante URGENT ». Des ennuis se tramaient dans les Îles Vierges britanniques, une « juridiction opaque » dont les plages de sable blanc et les eaux bleues des Caraïbes abritent un paradis fiscal pour les gens qui souhaitent créer des sociétés écrans. Nombre d’entre eux emploient Mossack Fonseca précisément à cette fin.

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Jurgen Mossack
Crédits : ICIJ

« Les investisseurs floués n’arrêtent pas d’appeler au bureau. Nous devons mettre un terme à nos activités avec cette entreprise immédiatement », écrivait Mossack. « À tout moment, la police peut débarquer et on fera la une des journaux. » En tant qu’ « agent d’enregistrement », Mossack Fonseca fournit la paperasse, les signatures et les adresses postales qui donnent vie à des sociétés fictives installées dans des paradis fiscaux tout autour du monde. Bien souvent, ces holdings ne produisent rien et ne vendent rien, leur unique but est de mettre des avoirs à l’abri du fisc en toute discrétion. Jurgen voulait cesser de représenter une de ces sociétés qui avait déclenché des signaux d’alarme.

Depuis des semaines, les investisseurs d’une entité appelée Swiss Group Corporation contactaient le cabinet Mossack Fonseca en demandant pourquoi leurs versements de rente s’étaient soudainement arrêtés, pourquoi ils n’avaient reçu que des explications vagues à ce sujet, et s’ils avaient été victimes d’une escroquerie. « SWISS GROUP CORP n’a fait preuve d’aucune transparence dans ses procédés », écrivait une femme depuis la Colombie le 31 mars 2014, « et à présent je m’inquiète au sujet de l’investissement que j’ai fait il y a cinq ans, car c’est mon unique moyen de subsistance. » « Faites ce que vous avez à faire », a ordonné Mossack à ses vassaux. À quoi il s’est empressé d’ajouter : « Utilisez le téléphone ! » Mais les questions des investisseurs ont continué d’affluer, des semaines après que Jurgen ait donné ses consignes. Il y avait parmi eux une citoyenne américaine, et d’autres venant de Colombie et de Bolivie. Ils tâtonnaient dans l’obscurité, cherchant à mettre la main sur des lambeaux d’information dans le trou noir du financement offshore, qui met régulièrement à mal les administrations fiscales, les autorités et les traceurs d’actifs autour du globe.

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