L’étoile de Sissi
L’avion ralentit et descendit progressivement jusqu’à 1 600 mètres d’altitude. Droit devant, le château viennois brillait comme un palais de conte de fée. Quand le pilote lui donna le feu vert, Gérald Blanchard regarda en bas, vérifia les sangles de son parachute et sauta dans les ténèbres. Il se laissa tomber en chute libre pendant une seconde, avant de tirer sur le cordon pour s’assurer une descente en douceur jusque sur le toit en tuiles. C’était le début du mois de juin 1998, et le vent du soir était chaud. Si tout allait bien, Blanchard se poserait juste au-dessus de la pièce renfermant l’étoile de diamant avec une perle au milieu de Köchert. Il orienta son parachute vers sa cible.
Deux jours plus tôt, Blanchard semblait n’être qu’un jeune homme parmi d’autres, en vacances avec sa petite amie et son riche paternel. Ils s’étaient embarqués tous les trois pour un grand tour d’Europe de six mois : Londres, Rome, Barcelone, la Côte d’Azur et Vienne. Lorsqu’ils firent halte au château de Schönbrunn, l’équivalent autrichien de Versailles, le statut de VIP de son beau-père leur permit de voir en avant-première une pièce extrêmement précieuse, issue d’une collection privée. Elle était juste là, dans cette salle caverneuse, conservée dans un coffret relié à une alarme. Elle était protégée par une paroi de verre pare-balles et posée sur un piédestal sensible au poids : une étoile de diamants à dix branches, délicate et scintillante, surmontée par une perle énorme. Quelques secondes après qu’il eut posé ses yeux sur elle, Blanchard sut qu’il tenterait de s’en emparer. 
Le toit, lui, n’était pas gardé, et il se trouvait qu’une des compétences que Blanchard avait apprises durant sa déjà longue carrière criminelle était le saut en parachute. Il s’était aussi récemment lié d’amitié à un pilote allemand qui était partant pour une virée en mercenaire et qui aiderait Blanchard à se procurer un parachute. La nuit d’après son premier tête-à-tête avec l’étoile, Blanchard entamait sa descente sur le toit. Mais les approches aériennes sont une affaire délicate, et Blanchard faillit dépasser le château, ralentissant juste assez pour déraper le long d’un versant du toit. Dévalant les tuiles, ses bras et ses jambes battant l’air pour trouver une prise, Blanchard échappa de peu à une chute de quatre étages en s’accrochant à la balustrade du bord du toit.
Pendant un moment, il resta allongé sans bouger. Puis il prit une profonde inspiration, détacha le parachute, sortit la corde de son sac-à-dos, l’enroula autour d’une colonne de marbre, et se laissa descendre le long d’un des flancs du bâtiment. Avec précaution, Blanchard entra par la fenêtre qu’il avait débloquée la veille. Il savait qu’il avait une chance de tomber sur des gardes. Mais le Schloss Schönbrunn était un endroit immense, comptant plus de 1 000 pièces. Il aimait les paris. Et puis il s’était dit que si jamais il entendait les gardes approcher, il n’aurait qu’à disparaître derrière les épais rideaux. Les pièces adjacentes étaient silencieuses tandis que Blanchard s’approchait du présentoir pour retirer les vis qu’il avait déjà desserrées la veille. Il utilisa soigneusement un couteau à beurre pour faire en sorte que les tiges qui déclencheraient l’alarme restent bien en place. Mais le vrai tour de force était de s’assurer que le mécanisme à ressort sur lequel reposait l’étoile n’enregistre pas que le poids qu’il soutenait avait changé. Évidemment, il avait fait ce qu’il fallait pour ça aussi : il fourra une main dans sa poche et remplaça habilement l’épingle à cheveux endiamantée d’Elisabeth par la réplique en toc de la boutique de souvenirs.
En quelques minutes, l’étoile de Sissi était dans la poche de Blanchard et il descendait en rappel le long du mur du fond jusque dans le jardin, prenant la corde avec lui avant de quitter les lieux à pas de loup. Quand l’étoile fut présentée au public le lendemain, Blanchard était parmi eux pour observer les visiteurs haleter devant la beauté absolue du bijou sans valeur. Et lorsque son parachute fut retrouvé dans une poubelle, personne ne fit le lien avec l’étoile, car personne ne savait encore qu’elle n’était plus là. Il s’écoula deux semaines avant que quelqu’un ne réalisât que le joyau avait disparu.
Plus tard, il dissimula l’étoile de Sissi dans le respirateur de son équipement de plongée et la ramena à sa base au Canada, où Blanchard rassemblerait ce que les procureurs appelleraient plus tard, faute d’un meilleur terme, l’ « Organisation criminelle de Blanchard ». En s’appuyant sur son savoir encyclopédique en matière de surveillance et d’électronique, Blanchard devint un génie criminel. L’étoile fut l’épreuve qui fit du voleur expérimenté et prospère qu’il était un véritable virtuose du crime. En se montrant « astucieux, habile, retors et créatif », comme le décrirait plus tard un procureur, Blanchard échappa à la police pendant des années. Mais il finit par commettre une erreur. Et cette erreur entraînerait deux humbles agents de la police de Winnipeg, au Canada, dans une escapade high tech pleine de rebondissements à travers l’Afrique, le Canada et l’Europe. Comme dit Mitch McCormick, l’un des deux enquêteurs de Winnipeg : « On n’avait jamais rien vu de pareil. »
Interdit de séjour
Blanchard réalisa son premier larcin quand il avait six ans et qu’il vivait seul avec sa mère, à Winnipeg. La petite famille ne pouvait pas s’acheter du lait, et un jour, après une longue période de céréales sèches, le petit garçon repéra des bouteilles fraîchement livrées sur le porche d’un voisin. « Je me suis faufilé jusqu’à elles entre les voitures, comme si j’étais en mission », se souvient-il. « Personne ne m’a vu les prendre. » Son cœur battait la chamade et le lait lui sembla meilleur que d’habitude. « Après ça », dit-il, « je suis devenu accro. »
Blanchard déménagea dans le Nebraska, où il se fit appeler par son deuxième prénom, Daniel, et devint un voleur accompli. Il n’avait pas l’étoffe du rôle – maigre, petit, les cheveux frisés, il ressemblait à un jeune Bill Gates – mais il le jouait quand même, s’attirant finalement assez d’ennuis pour atterrir en centre d’éducation surveillée. « J’ai fait la connaissance de Daniel car il avait volé le magnétoscope de ma salle de classe », se rappelle Randy Flanagan, l’un des professeurs de Blanchard. Flanagan se pensait capable de faire rentrer dans le droit chemin ce gamin poli à la voix douce, aussi prit-il Blanchard sous son aile dans son cours de mécanique. « Il était comme un poisson dans l’eau », dit Flanagan. La mère de Blanchard se souvient que même tout petit, il était capable de tout démonter. En dépit d’une dyslexie sévère et de troubles du langage, Blanchard « était un génie absolu avec ses mains », raconte le professeur. Dans le cours de Flanagan, Blanchard apprit la construction, la menuiserie, la fabrication de maquettes et la mécanique automobile. Ils s’entendirent à merveille tous les deux, et Flanagan devint une figure paternelle pour Blanchard – il le conduisait à l’école et veillait sur lui. « Il voyait que j’avais du talent », dit Blanchard. « Et il voulait que j’en fasse bon usage. » Flanagan avait vu beaucoup de mômes qu’on disait sans espoir rentrer dans le droit chemin – « On ne peut jamais savoir quand quelque chose va changer pour toujours chez quelqu’un », aime-t-il à dire – et il espérait encore que cela arriverait aussi à Blanchard. « Mais Daniel était le genre de gamin à passer plus de temps à essayer de tricher au contrôle qu’à apprendre ses leçons pour réussir », dit Flanagan en riant.
En réalité, au tout début de ses années de lycées, Blanchard avait déjà abandonné son petit boulot d’après l’école à faire du rayonnage pour se lancer dans des opportunités plus lucratives, comme revendre pour des dizaines de milliers de dollars de biens volés par les employés d’une grande surface avec qui il était devenu ami. « Je pouvais deviner qui serait susceptible de travailler avec moi », dit-il. « C’est un don, je suppose. »
Blanchard commença à maîtriser les rouages d’une myriade d’appareils électroniques et mécaniques. Il développa une obsession pour les caméras et la surveillance : il filmait ses cibles, ses propres exploits, et ses énormes piles de billets. À l’âge de 16 ans, il acheta une maison avec plus de 100 000 dollars en liquide. (Il engagea un avocat pour s’occuper de l’argent et signer le deal à sa place.) Lorsqu’il emménagea, Blanchard dit à sa mère qu’il s’agissait de la maison d’un ami. « Elle faisait semblant de ne pas voir », dit-il. « Et j’ai tenté de lui en cacher le maximum. » À cette époque, Blanchard fut arrêté pour vol. Il passa plusieurs mois derrière les barreaux et fut relâché et confié à la garde de Flanagan après que ce dernier se portât garant pour lui à une audience. « Il était fantastique avec nos enfants », dit Flanagan. « Et je pensais encore qu’il n’était pas trop tard. » Mais il était difficile d’ignorer la carrière de criminel déjà florissante de Blanchard, car il n’hésitait pas à faire étalage de sa fortune mal acquise. « Je n’ai pas été surpris le jour où le FBI est venu frapper à la porte », raconte Flanagan. « Il avait l’habitude de sortir de sa poche une liasse de billets de 100 et d’en tirer un pour payer le livreur de pizza. »
En avril 1993, Blanchard se fit pincer par les flics à Council Bluffs, dans l’Iowa, soupçonné d’avoir mis le feu à une voiture, et il fut emmené au commissariat. « Ils m’ont gardé dans la salle d’interrogatoire jusqu’après minuit », se souvient Blanchard. « À un moment donné, j’ai réussi à me faufiler dans la pièce attenante et à passer entre les dalles du plafond. » Il entendit les policiers, qui ne l’avaient pas détecté, courir dans le couloir en pensant qu’il avait filé par la sortie de secours. Après avoir attendu quelques heures, Blanchard redescendit dans le commissariat pratiquement désert à cette heure, où il vola un manteau de policier, une badge, une radio et un revolver. Il laissa une balle sur le bureau de son interrogateur, prit l’ascenseur jusqu’à l’étage principal et passa nonchalamment devant la réception en sortant du commissariat. Il fit du stop à l’aube vers Omaha à l’arrière d’une moto, tenant sa casquette de police volée à l’abri du vent. « Pourquoi tu portes un uniforme ? » lui demanda le conducteur. « C’est un costume, pour une fête », répondit Blanchard tandis que le soleil se levait. « On s’est bien marré. » 
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GÉRALD BLANCHARD A FAIT ENCORE PLUS FORT PAR LA SUITE !
Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « Art of the Steal: On the Trail of World’s Most Ingenious Thief », paru dans Wired. Couverture : Le château de Schönbrunn. (Création graphique par Ulyces)




