Les Gardiens de la galaxie sont aujourd’hui à des années-lumière de leurs précurseurs. Aucun des personnages du film ne combattait les forces d’outre-cosmos dans le comics Marvel de 1969. Pour ce deuxième opus comme pour celui de 2014, le réalisateur américain James Gunn s’est inspiré de la cohorte extraterrestre issue du reboot de la saga signé Dan Abnett et Andy Lanning, publié à partir de 2008. Mais leur transposition à l’écran n’aurait jamais été possible sans l’existence d’un univers aussi fantastique que mystérieux : celui de la prévisualisation.

À chaque nouveau blockbuster en salles, les spectateurs que nous sommes ressortons ébahis par des effets spéciaux toujours plus impressionnants. Au XXIe siècle, les grands spectacles cinématographiques reposent grandement sur leurs effets numériques. En témoignent les plateaux de tournage décharnés, tapissés d’écrans bleus ou verts, que laissent entrevoir les making of. Mais comment les effets spéciaux jaillissent-ils du néant ? Et par quel miracle acteurs et techniciens se repèrent-ils dans cet espace purement abstrait ? On pourrait imaginer que les grands studios d’effets spéciaux – comme les Néo-Zélandais de Weta Workshop, cofondé par Peter Jackson, et les Américains d’ILM, créé par George Lucas – sont à la barre de toute l’embarcation. Mais en vérité, réalisateurs, producteurs, scénaristes, techniciens, acteurs, directeurs artistiques et studios d’effets spéciaux gravitent tous autour d’un cœur numérique au nom peu évocateur : la « previz ».

C’est grâce à la prévisualisation que George Lucas, Steven Spielberg, Ridley Scott, James Cameron ou encore Alfonso Cuarón ont pu donner vie pour la première fois sur un écran aux rêves enfouis dans leur imaginaire. C’est grâce à elle que les chefs opérateurs savent où placer leur caméra et comment la bouger. Si les acteurs sont conscients du monde magique qui les entoure et qu’ils savent où regarder et toucher des environnements qui n’existent pas, c’est aussi grâce à elle. Enfin, c’est la prévisualisation qui sert d’ossature et de guide aux créateurs d’effets spéciaux, à la manière d’un storyboard vivant et en trois dimensions. Au royaume de la previz, un seul et même studio focalise l’attention de tous les plus grands noms de l’industrie. Avatar ? C’est lui. Rogue One ? C’est encore lui. Les Gardiens de la galaxie ? Évidemment, comme tous les films Marvel. Game of ThronesHunger GamesLe Hobbit, Gravity, Mad Max: Fury Road, Seul sur Mars… Lui, lui, lui. Depuis plus d’une décennie, le secret le mieux gardé du cinéma hollywoodien à grand spectacle s’appelle The Third Floor. Pour comprendre les rouages de cette pierre angulaire de l’industrie cinématographique, nous sommes allés rencontrer ses fondateurs dans leurs bureaux de Los Angeles.

Le Skywalker Ranch

À l’approche de midi, les nuages menaçants qui jetaient une ombre sur Los Angeles s’écartent pour laisser la place à un soleil radieux. Au loin, la brume se dissipe sur les collines d’Hollywood, dont les lettres blanches retrouvent leur éclat après des ondées inhabituelles pour la saison. Nous sommes à cinq minutes de Beverly Hills, dans le Miracle Mile, un des quartiers les plus congestionnés de trafic de la ville. Les bureaux de The Third Floor sont installés dans les hauteurs d’un bâtiment patibulaire que toise une rangée de palmiers rachitiques. Sa façade en gradins alterne vitres fumées et panneaux lie de vin. À l’intérieur, les pas résonnent sur le marbre du grand hall et font relever la tête de l’agent de sécurité en costume qui garde l’accès à l’ascenseur. Six étages plus haut, une plaque et un digicode indiquent que nous sommes à bon port.

C’est là-haut que naissent les rêves d’Hollywood
Crédits : Nicolas Prouillac

Les bureaux de The Third Floor sont un modèle de design d’entreprise californienne : parquet, béton, brique rouge, ventilation apparente au plafond, open spaces, salles de réunion vitrées et espaces de détente garnis de bornes d’arcade et de tables de ping-pong. Il pourrait s’agir d’une antenne de Google ou d’un studio de jeux vidéo, si l’on omettait les nombreuses affiches de films affichés au mur – beaucoup d’entre elles sont en chinois. Ce midi, les postes de travail sont quasiment déserts : c’est BBQ Friday. Les 200 employés du bureau de Los Angeles s’attellent aux préparatifs de leur rituel gastronomique mensuel, un grand buffet convivial sur le mode du barbecue texan. Ils célèbrent tous ensemble la fin de plusieurs semaines de travail intensif sur une nouvelle production dont le nom ne sera pas révélé. Peut-être a-t-elle à voir avec la zone interdite au public qui se cache derrière une double-porte opaque à l’une des extrémités du studio : derrière se cachent tous les travaux que la compagnie réalise pour Marvel Studios, avec qui The Third Floor a un contrat d’exclusivité.

Chris Edwards, lui, n’a pas quitté son bureau. Le fondateur et PDG de The Third Floor nous reçoit pour un entretien inhabituellement long : la presse n’a pas coutume de visiter les locaux du studio de visualisation. « Je vais vous faire la même présentation qu’à mes investisseurs, ça vous va ? » demande-t-il avec un sourire qui rend immédiatement sympathique son visage long et anguleux, surmonté de cheveux gris coiffés au gel. Durant les 45 minutes qui suivent, Chris Edwards présente tous les aspects de l’activité de The Third Floor en s’appuyant sur un PowerPoint agrémenté de vidéos. Le côté formel amusant de la présentation n’enlève rien à son contenu. C’est stupéfiant. « Oh merci », dit-il en venant s’asseoir sur le canapé face à nous. « Nous sommes fiers de ce que nous faisons, mais nous le faisons en toute humilité. Au fond, nous sommes juste une bande de copains et de copines qui aident les artistes à concrétiser leurs visions. » À présent qu’il a fait le tour des aspects techniques de The Third Floor, Chris Edwards est prêt à raconter l’histoire incroyable de la fondation du studio. Et comme il est de mise pour une grande saga hollywoodienne, elle commence avec George Lucas.

L’entrée des bureaux de The Third Floor

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Le visage de Janet Leigh sort du champ au profit d’une ombre. Depuis l’intérieur de sa douche, la caméra d’Alfred Hitchcock cadre l’inquiétante silhouette qui s’avance derrière elle. Bercée par le bruit de l’eau ruisselant sur son corps, dégoulinante d’innocence, l’héroïne de Psychose (1960) ne voit rien venir. En s’ouvrant sur un son strident, le rideau brise le suspense et arrache un cri à la jeune femme. Tout s’enchaîne. Les plans alternent à la vitesse des coups de couteau, comme sortis d’un polar en bande-dessinée. Rien d’étonnant : pour réaliser l’une des scènes les plus célèbres du cinéma, le réalisateur britannique s’est appuyé sur un storyboard décrivant le meurtre image par image. Deux décennies plus tard, l’esquisse gagne en épaisseur. Le passage à la 3D s’opère d’abord au moyen de figurines et de maquettes. Pour Le Retour du Jedi (1983), George Lucas filme un Han Solo miniature avant de confier le rôle à Harrison Ford. À mesure que les technologies progressent, le créateur de la saga Star Wars laisse de plus en plus de place à cette étape préalable. Comme un cinéaste classique s’aiderait d’un storyboard de papier pour composer son film plan par plan, George Lucas veut le voir s’animer en trois dimensions. Le cinéaste visionnaire est déjà tout entier tourné vers l’ère numérique alors qu’il s’apprête à doter son univers mythique d’une nouvelle trilogie.

En 1999, quand sort La Menace fantôme, il est parvenu à faire jouer tout le film à des personnages d’animation, grâce aux ordinateurs de sa société d’effets spéciaux, Industrial Light and Magic (ILM). Mais le processus est encore imparfait à son goût. « George voulait laisser le temps à ses idées de gagner en maturation avant de les envoyer à ILM », se souvient Chris Edwards. À cette époque, Edwards avait encore les cheveux noirs et planchait depuis deux ans sur des visuels en 3D pour Disney. En 2000, les studios Walt Disney étaient encore loin de faire main basse sur l’empire de Lucas et Pixar. Ils travaillaient alors sur Dinosaure, le film d’animation le plus ambitieux depuis Toy Story et l’un des premiers long-métrages à mélanger images de synthèse et prises de vue réelles. « Personne ne savait vraiment ce qu’on faisait, pas même le studio, mais nous avons créé un procédé qui ressemblait à la prévisualisation », raconte Chris Edwards. Ce qui n’est pas passé inaperçu aux yeux de George Lucas. Edwards et quelques autres ont été débauchés pour donner sans le savoir un coup de vernis à THX 1138, le premier film de Lucas datant de 1971.

Le Skywalker Ranch, où tout a commencé
Crédits : Chris Edwards

Après avoir collectionné les stages non rémunérés et exécuté ses premiers travaux pour Disney, ce fils d’un scientifique et d’une costumière du Maryland avait l’opportunité de travailler pour une légende du cinéma américain. « Pendant l’entretien d’embauche, j’ai expliqué combien j’aimais ce film sans savoir que Lucas voulait justement lui donner une seconde jeunesse », dit Chris Edwards. Lui et ses collègues ont été installés dans ce but au troisième étage du Skywalker Ranch, la demeure imposante qui sert de bureaux à George Lucas. Bientôt, le cinéaste a eu d’autres ambitions pour eux. Chris Edwards a littéralement assisté à la naissance de l’épisode III de Star Wars, La Revanche des Sith, et Lucas lui a demandé d’appeler des renforts pour l’aider à travailler sur la toute première prévisualisation d’un film de cinéma. Edwards a notamment appelé son ami Barry Howell, un animateur 3D dont il avait fait la connaissance chez Disney. Cofondateur de The Third Floor, il a récemment supervisé la prévisualisation de Rogue One. « Arriver au ranch était très intimidant », se souvient Howell. « C’est une grande demeure, très belle, située dans un joli coin de campagne à 30 minutes au nord de San Francisco. À l’intérieur, c’est bourré d’accessoires qui ont servi sur des films. Le décor est déjà inspirant, mais pas autant que de rencontrer George Lucas. » Fous de joie de travailler au dernière étage du Skywalker Ranch, Edwards et Howell le hantent jour et nuit. Sous son bureau, Chris Edwards range un sac de couchage qui lui permet de travailler sans relâche. La maison accueille aussi la société d’effets spéciaux de Lucasfilm, ILM, dirigée par John Dykstra. Une équipe pour laquelle il avait à peine rêvé de pouvoir faire un stage un jour.

Barry Howell, Chris Edwards et George Lucas
Crédits : Chris Edwards

« J’étais au paradis. C’est un livre d’ILM sur les effets spéciaux qui m’a donné envie de travailler dans le cinéma », raconte-t-il. Ce n’est pourtant pas avec eux qu’ils travaillent mais en tête-à-tête avec Lucas, qui passe régulièrement les voir pour leur soumettre de nouvelles idées et voir l’ébauche de film prendre peu à peu forme sous es yeux. « Nous lui avons servi à faire le lien avec tous les départements, des effets spéciaux aux costumes, car notre travail sert à déterminer comment faire fonctionner une séquence, comment la filmer, comment la monter », vante Barry Howell. L’efficacité du procédé imaginé par Lucas et exécuté par Edwards, Howell et leurs collègues fait rapidement des émules à Hollywood. Steven Spielberg passe une tête lors du tournage des plus grandes séquences de La Revanche des Sith et applaudit le groupe. La ligne exceptionnelle qui s’ajoute alors à leur carnet d’adresse leur serait d’autant plus utile qu’ils allaient bientôt voler de leurs propres ailes.

Six garçons plein d’avenir

Déterminés à travailler ensemble, six membres de l’équipe décollent du troisième étage sans tout à fait s’en affranchir. En mal de nom, ils s’approprient la mystique qui entoure leur espace de travail au ranch. « Tout le monde connaissait le premier étage car c’est là que se trouve George Lucas », explique Chris. « Vous pouviez facilement monter au deuxième, mais il était beaucoup plus rare de se rendre au troisième. C’était un endroit secret. La maison sur notre logo est un mélange entre le ranch de Lucas et celle de Psychose, parce qu’on voulait lui donner une touche mystérieuse et effrayante », raconte Chris Edwards. Baptisé The Third Floor, le sextuor migre vers le sud, à Los Angeles, attiré par les lumières de Hollywood.

Six garçons plein d’avenir
Crédits : Chris Edwards (en haut à gauche)

En quelques années, la prévisualisation d’un film passe d’un niveau rudimentaire, un impensé, à une étape incontournable dans la préparation d’un film à lourds effets spéciaux. Elle s’immisce aussi dans le jeu vidéo par l’intermédiaire des cinématiques, la publicité, les parcs d’attraction et bien d’autres domaines. « En architecture », remarque Chris Edwards, « la personne qui conçoit un immeuble veut voir à quoi il ressemblera de l’extérieur comme de l’intérieur. Une fois satisfait par la maquette, le commanditaire dispose de nombreuses informations sur les éléments nécessaires comme le nombre de poutres ou la quantité d’acier. » C’est le service que rend la previz aux réalisateurs et à leurs producteurs. Sans compter son attrait économique. Car en plus de faire gagner un temps précieux aux studios en traçant la route à suivre pour tous les départements créatifs, c’est un procédé peu coûteux. Pour les différentes parties prenantes d’un film, se représenter la scénographie avant sa mise en place permet de surmonter une large palette d’écueils. « Parfois, des cinéastes viennent nous voir avec des rêves plein la tête », explique Chris Edwards. « Nous leur montrons ce sur quoi ils doivent tirer une croix et ce qu’il est possible de faire. » Même des séries comme Game of Thrones font appel à The Third Floor, qui travaille pour le show d’HBO depuis la troisième saison. La société californienne embauche, ouvre des bureaux à Londres et des antennes au Canada ainsi qu’en Australie. À ce jour, elle compte environ 300 employés. L’animation en trois dimensions induit pour partie les techniques à utiliser lors du tournage. La citadelle qu’on peut voir dans la première scène de Mad Max: Fury Road (2015) tire ainsi son esthétique des recommandations de The Third Floor. Une continuité se forme ainsi entre les différents aspects et phases d’une œuvre. Les équipes de Chris Edwards et Barry Howell n’ont donc pas fini leur travail dès lors que la prévisualisation est prête. Sur Avatar (2009), « nous avons commencé à dessiner le monde de Pandora en amont de la division artistique pour donner de la matière à James Cameron, avant que cela ne devienne le magnifique univers qu’on connaît. Par la suite, certains d’entre nous ont été envoyés en soutien de ceux qui créaient les visuels. » La réalité et la fiction sont tellement entremêlées que James Cameron se servait d’une caméra virtuelle comme s’il filmait un jeu vidéo afin que le rendu soit plus spontané. Cela permettait aussi d’anticiper sur les effets spéciaux et de rendre le mouvements des acteurs plus spontanés. Dans cette optique, le réalisateur de Gravity (2013), Alfonso Cuarón, voulait que les conditions réunies autour de George Clooney et Sandra Bullock soient proches de celles que connaissent les véritables cosmonautes. La prévisualisation commandait ainsi les mouvements de la caméra et l’actrice était entourée d’écrans qui montraient les planètes s’éloigner à mesure que son vaisseau chutait.

Extrait de la prévisualisation de Doctor Strange
Crédits : The Third Floor/Marvel

Pour finir, les scènes retenues au montage ressemblent souvent à s’y méprendre à celles de la prévisualisation. « En général, nous imaginons ce qui va se passer à partir de storyboard ou des événements censés se dérouler », détaille Barry Howell. Mise en mouvement, l’histoire est plus convaincante pour tout le monde. The Third Floor a par exemple donné des arguments au britannique Gareth Edwards devant ses producteurs pour qu’ils acceptent de le laisser tourner certaines scènes. Dans sa version de Godzilla (2014), « nous sommes intervenus sur la plupart des séquences, y compris les plus importantes », détaille Barry. Si certains réalisateurs se servent de la previz uniquement pour placer leurs caméras et leurs acteurs, Gareth Edwards la reproduit d’ordinaire fidèlement en plateau, à la manière d’un storyboard. Ce qui ne l’a pas empêché de modifier le troisième acte de Godzilla de fond en comble. « Les choses changent continuellement dans chaque film », concède Barry. « Je ne pense pas qu’il y en ait un seul dans lequel tout reste identique de la première à la dernière étape. C’est une évolution naturelle, vous trouverez forcément un meilleur moyen de filmer, ou un élément à ajouter en cours de route. N’importe quelle personne impliquée peut émettre des propositions, improviser. Cela étant dit, c’est toujours génial pour nous de reconnaître notre travail dans une fiction. » Il a notamment pu admirer le sien dans les images de Rogue One (2016), lui aussi réalisé par Gareth Edwards.

Cinéma augmenté

Pour marquer le retour de Dark Vador à l’écran, le superviseur des effets spéciaux du film, John Knoll, voulait créer un ensemble d’écrans tout autour du plateau. L’objectif était de diffuser les images souhaitées sur ce dispositif panoptique de sorte que les acteurs puissent y réagir en temps réel. Favorable à l’idée, Gareth Edwards a décidé de se servir de la prévisualisation pour enrichir l’environnement du plateau. Depuis un cockpit, les hommes en costumes d’androïdes ou de soldats pouvaient voir l’Étoile de la mort ou s’imaginer passer en vitesse lumière. « Cela donne véritablement aux acteurs l’impression d’évoluer dans cet environnement virtuel », souligne Barry Howell. « Le système ressemble un peu à celui que nous avons créé pour Gravity, mais nous n’en avions jamais fait d’aussi grand. »

Des projections réalisées par The Third Floor pour le tournage de Rogue One
Crédits : Disney/Lucasfilm

Si l’histoire était retouchée au fil du tournage, l’équipe de The Third Floor effectuait des modifications du décor sur ordinateur en quelques heures et l’action pouvait reprendre. Par moment, la lumière et le son étaient ajustés à la vidéo, créant un effet plus immersif encore. Au cas où les acteurs trahiraient la mise en scène, The Third Floor a développé un outil capable de saisir différents points de vue en fonction de paramètres prédéfinis. Cette RandomCam fournit au réalisateur une centaine d’angles différents. En visionnant les enregistrements, « Gareth Edwards en a découvert quelque-uns qui l’ont inspiré », témoigne Barry Howell. « Ça l’a aidé à réintroduire l’aspect aléatoire qu’il aime tellement dans les tournages. C’est une excellente manière de lui donner de nombreuses possibilités. C’est presque comme avoir un œil neuf permettant de faire de la prospective. »

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Chris Edwards et Barry Howell n’ont pas fini d’expérimenter, car la rapidité des progrès technologiques leur ouvre un vaste champ des possibles. « Quand les premiers appareils de réalité virtuelle sont sortis, nous étions très excités », raconte Edwards. « On s’est dit que nous allions pouvoir donner à nos clients la possibilité de pénétrer dans les univers virtuels que nous créons. » Le résultat a finalement dépassé leurs espérances et atteint directement le public. The Third Floor a récemment collaboré avec l’entreprise de design immersif BRC Imagination Arts et le laboratoire d’innovation de 20th Century Fox pour donner la possibilité de s’immerger dans l’univers de Seul sur Mars (2015). L’expérience est disponible sur trois plate-formes : Oculus, Vive et Playstation VR. Il s’agissait pour la société californienne de traduire une histoire brute en univers interactif, en imaginant tant sa mécanique de jeu que son univers graphique. Nous quittons le bureau de Chris Edwards pour traverser les couloirs de The Third Floor et nous rendre jusqu’au département en charge de la réalité virtuelle. Là, un stand est aménagé pour The Martian VR Experience, une « simulation » de survie martienne inspirée du film de Ridley Scott. La version proposée au studio est de premier choix : BRC a créé un siège vibrant et mobile pour amplifier la sensation d’immersion créée par l’expérience d’une quinzaine de minutes. Entrecoupées d’extraits de monologues face caméra de Matt Damon tirés du long-métrage, les séquences de jeu sont à la fois spectaculaires et inintéressantes au possible – les limites de la VR balbutiante. Ainsi, l’environnement qui entoure le joueur à 360°, en intérieur comme en extérieur, est beau et convaincant. Mais l’expérience interactive est pataude et franchement catastrophique. Par-dessus le volume du jeu, j’entends les ingénieurs rire aux éclats lorsque j’envoie voler les patates que je suis censé déposer soigneusement dans un seau pour ne pas mourir de faim sur la planète rouge…

The Martian VR Experience
Crédits : 20th Century Fox

Mais trêve de plaisanterie. Chris Edwards voit déjà plus loin que la VR. « La réalité virtuelle est excitante, mais la réalité augmentée l’est encore plus », s’enthousiasme-t-il. Au-delà des informations qu’elles peuvent donner sur l’environnement de son utilisateur, ces deux technologies possèdent des vertus divertissantes. Concurrencés par la qualité accrue des appareils de maison, les cinémas vont devoir offrir de nouvelles expériences. « Vous pourriez aller voir Star Wars et, après avoir quitté la salle, profiter de la réalité virtuelle en prenant les commandes de vaisseaux spatiaux ou en endossant le rôle de tel ou tel personnage », imagine-t-il. À Los Angeles, l’entreprise IMAX VR et le studio Starbreeze viennent d’ouvrir un centre de réalité virtuelle destiné au grand public. On peut y défricher l’univers de John Wick ou de Star Wars: Trials on Tatooine pour moins de 25 euros, armé d’une arme factice. À l’occasion de la sortie prochaine d’Alien Covenant, Ridley Scott propose une nouvelle expérience en réalité virtuelle baptisée In Utero aux possesseurs de casque Oculus – à laquelle The Third Floor n’a pas participé. « Le futur sera surprenant », affirme Chris. « Ce qui m’intéresse le plus, ce sont les technologies qui nous permettront de faire en réalité virtuelle ce que nous faisons actuellement en direct sur un plateau. La VR se marie parfaitement avec les univers fantastiques, mais il est encore très difficile d’y intégrer un être humain et de le rendre réaliste. À l’avenir, nous pourrons filmer un acteur et intégrer son jeu à un univers créé par ordinateur grâce aux futures caméras “à champ de lumière”. Elles produisent la vidéo d’un hologramme. Ce n’est pas encore au point, mais des entreprises y travaillent. » En attendant, The Third Floor a de quoi s’occuper en travaillant sur les suites d’Avatar.

Prévisualisation d’Avatar premier du nom
Crédits : The Third Floor

Au détour de notre conversation avec Barry Howell, nous lui demandons s’il songe à un réalisateur particulièrement épris de prévisualisation, suggérant que James Cameron doit être l’un d’eux. « C’est marrant que vous parliez de ça, on vient de recevoir un coup de fil de l’équipe d’Avatar », dit Howell en riant. « Ils veulent des prévisualisations pour la suite. J’ai rendez-vous avec James demain. » Car James Cameron fait partie de ces gens pour qui The Third Floor n’est plus un secret depuis longtemps. Résultat, il ne peut plus s’en passer.


Couverture : Sur le tournage des Gardiens de la galaxie, vol.2 (Marvel Studios)