La révolution Blair Witch

Quand avez-vous rencontré Billy Corben, le co-fondateur de Rakontur ?

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Billy Corben et Alfred Spellman
Co-fondateurs de Rakontur
Crédits

C’était au collège, en classe de cinquième, dans un cours de production audiovisuelle. Nous avions 15 ans quand nous avons commencé à réaliser des courts-métrages ensemble, puis nous avons tous les deux étudié à l’université de Miami. C’est justement quand nous étions à l’université que Le Projet Blair Witch (film d’horreur américain tourné à la manière d’un documentaire, nde) est sorti. Cela a tout changé dans la manière de tourner un film, et en termes de possibilités, car tout d’un coup, les vidéos numériques pouvaient être projetées dans les salles de cinéma. C’était à l’été 1999, et c’était une révolution. Nous avons commencé à nous intéresser à la technologie numérique, et en tant qu’étudiants en cinéma, nous avons décidé de faire des documentaires parce que la vidéo numérique était particulièrement adaptée à ce type de productions. Produire un film coûte très cher et prend un temps fou. Alors que nous avions décidé de réaliser un documentaire, nous avons entendu parler d’une affaire à Gainesville, à l’université de Floride, à propos d’une strip-teaseuse qui avait donné un show pour une association étudiante et avait porté plainte pour viol ; il y avait une vidéo de son agression. Nous avons décidé de réaliser un documentaire là-dessus : nous avons quitté l’école en janvier 2000, et tourné le documentaire sans la moindre expérience, il fallait donc être créatif. Nous voulions apprendre. Le documentaire a été tourné du printemps à l’été, nous l’avons monté à l’automne, puis soumis au festival du film de Sundance en octobre. Un mois après, nous étions invités. Il s’est donc écoulé exactement un an entre le moment où nous avons décidé de faire le documentaire et celui où nous sommes allés à Sundance, en 2001.

Comment êtes-vous passés de l’idée de ce documentaire à celle de créer un studio ?

C’était grâce à l’explosion de la technologie numérique… et à une combinaison de facteurs. Je me rappelle que plusieurs choses se sont produites en même temps : la sortie du Projet Blair Witch, l’apparition de Napster, notre première ligne ADSL. Tout est arrivé en même temps, entre la fin de l’année 1999 et le début de l’année 2000. Nous avons suivi les dernières innovations technologiques, et particulièrement celles qui ouvraient de nouvelles possibilités de tournage et de montage. Nous avons monté Raw Deal, notre premier documentaire, sur Final Cut Pro 1.0, la première version du logiciel. Et toutes ces choses nous ont fait prendre conscience que nous avions la capacité de produire des films, notamment parce que les coûts de production avaient drastiquement baissé grâce à ces nouveaux outils. Nous l’avions vu dans l’industrie musicale avec Napster, mais c’était maintenant les coûts de distribution des films qui baissaient. La révolution numérique s’était produite en même temps dans les domaines de la production et de la distribution, et s’était étendue de la musique à l’industrie cinématographique. Nous étions donc en position de créer un studio. Raw Deal a été tourné à quatre. Nous sommes aujourd’hui six pour produire. Voilà ce que permet le numérique.

Raw Deal a été tourné à quatre. Nous sommes aujourd’hui six pour produire. Voilà ce que permet le numérique.

Vous avez commencé à travailler avec une petite équipe. Combien êtes-vous actuellement ?

Cinq à travailler à plein temps. La mini-série The Tanning of America: One Nation under Hip Hop a été achevée l’an dernier ; elle dure quatre heures. Et nous l’avons réalisée à cinq. Les outils numériques disponibles aujourd’hui nous permettent de travailler bien plus efficacement qu’auparavant.

À quoi ressemble une journée type à Rakontur, s’il y en a une ?

Je ne sais pas s’il y en a une. Aujourd’hui par exemple, Billy filme, il est en tournage. Dave est au bureau en train de monter notre prochaine production avec notre assistant monteur. Nous avons eu quelques projets de la rentrée 2014 à fin décembre : The U Part 2, The Tanning of America et Cocaine Cowboys: Reloaded sont déjà sortis, Dawg Fight sortira cette année, en mars. Cela nous fait donc trois sorties en 2014, ce qui est énorme. Une journée type commence vers 10 heures au bureau, et s’achève vers 19 ou 20 heures.

Miami Vice

Quel rôle joue Miami dans le processus de création et d’écriture ?

Cette ville joue un rôle très important. Lorsque nous avons été invités au festival du film de Sundance pour Raw Deal, nous étions à l’époque les plus jeunes réalisateurs jamais invités, et les seuls venant de Miami. Les agences appelaient, nous demandant si nous avions pour projet de nous installer à New York ou Los Angeles. Mais nous préférions rentrer à Miami, et être le gros poisson de la petite mare. Il n’y avait aucun réalisateur à Miami qui racontait les histoires de la ville de la même façon que Woody Allen ou Spike Lee racontent celles de New York. Nous avons réalisé Cocaine Cowboys parce que nous avions envie de montrer ce que c’était que de grandir à Miami dans les années 1980. Certains de nos projets ne traitent pas de la Floride – The Tanning of America, Limelight (à propos de Peter Gatien, du succès et de la décadence du New York Club Empire dans les années 1990) –, mais nous sommes de Miami. Nous sommes les seuls réalisateurs à travailler ici et à raconter des histoires du cru, et nous ne serons jamais à court car la Floride regorge de ce genre de récits. Nous avons pris la bonne décision en choisissant de rester ici.

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Miami, downtown
Crédits

Comment vous dites-vous : « Je vais réaliser un documentaire à ce sujet » ?

Si vous suivez Billy sur Twitter, ou que vous me suivez moi, vous verrez constamment apparaître de nouvelles histoires, de nouveaux endroits qui nous intéressent et dont nous avons envie de parler. Nous passons beaucoup de temps à lire pour trouver nos histoires, et nous produisons des documentaires historiques. Nous essayons de raconter quelque chose de manière totalement inédite. Nous ne sommes pas des journalistes d’investigation, nous ne menons pas d’enquêtes. Nous faisons du journalisme de synthèse : il s’agit de rassembler des récits individuels pour en écrire un beaucoup plus complet.

Cocaine Cowboys est un patchwork d’histoires individuelles qui expliquent la transformation de Miami.

Si vous connaissez un peu Miami, vous savez sans doute qu’il y avait là-bas un trafic de cocaïne important dans les années 1980. Dans Cocaine Cowboys, Jon Roberts, Mickey Munday et le tueur à gages Rivi (Jorge Rivera Ayala, nde) racontent chacun leur histoire personnelle, mais en même temps, ils nous racontent quelque chose de bien plus vaste : ce à quoi ressemblait Miami dans les années 1980, à l’époque du trafic de cocaïne. Quand nous nous penchons sur une histoire, nous nous demandons toujours s’il vaut mieux la raconter sous forme de reportage court, de quinze minutes ou un reportage long. Quel est l’intérêt de passer une heure et demie ou deux heures avec un personnage ? Quelle grande histoire se cache derrière son expérience personnelle ? Cocaine Cowboys est un patchwork d’histoires individuelles qui expliquent la transformation de Miami, et le champ cinématographique est bien plus vaste que s’il s’agissait de se focaliser sur une seule de ces histoires.

Quels outils et caméras utilisez-vous pour réaliser vos documentaires ? Avez-vous des outils de prédilection ?

Nous changeons. L’an dernier, nous tournions avec la Sony EX3 – aujourd’hui, la plupart des documentaires sont réalisés avec cette caméra. Mais il y a un passage progressif au 4K, le stade actuel de la révolution numérique. Il semblerait que ce soit la technologie vers laquelle nous nous dirigeons tous. Quand nous avons tourné Raw Deal, la définition de l’image était standard. Depuis, nous faisons aussi de la haute définition. Nous avons utilisé tous les formats.

Avez-vous des références esthétiques, passées ou présentes, ou des modèles dans le genre documentaire ?

Nous aimons penser que nous avons notre propre style. Nous faisons du pop art : nos documentaires relèvent de la culture populaire. Ils sont plus accessibles au grand public que les documentaires traditionnels. Le documentaire classique nous ennuie. Nous cherchons toujours, et en premier lieu, à raconter l’histoire de quelqu’un. Nous réalisons des films très différents des chaînes documentaires : si elles s’intéressent au trafic de cocaïne des années 1980, ces chaînes vont s’adresser aux procureurs, aux agents de la brigade des stupéfiants, etc. Nous aimons les histoires de première main, celles où les protagonistes racontent ce qu’ils ont fait. Cela prend plus de temps. Nous sommes également fiers de ne jamais utiliser de narrateur. Nous demandons aux sujets de raconter leur propre histoire.

C’est principalement le montage qui raconte l’histoire.

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Don Johnson dans Miami Vice
Crédits : Michael Mann Productions

En termes de réalisation documentaire, le montage est un personnage à part entière. Vous ne pouvez pas prédire ce que les protagonistes diront, vous ne savez pas de quelles accréditations vous pourrez bénéficier, vous n’avez aucune idée des archives dont vous disposerez. La forme n’apparaît que lorsque vous avez suffisamment de fond.

Vous avez grandi à Miami au milieu d’un important trafic de drogue, et vos documentaires en parlent énormément. Est-ce quelque chose de toujours aussi manifeste aujourd’hui dans votre quotidien ?

Miami a changé. C’est une ville très jeune, qui ne s’est dotée d’une municipalité qu’en 1896 : elle a à peine plus de 100 ans. Et ce n’est qu’à partir du milieu du XXe siècle que les gens ont commencé à s’y installer durablement. Quand je dois expliquer aux gens qui n’y sont jamais venus pourquoi Miami est tellement étrange, je commence par leur dire qu’il s’agit d’une ville côtière, d’une frontière que les gens traversent. C’est une ville de passage, et il n’y a pas d’importante communauté de natifs, nés et élevés à Miami – même si c’est en train de changer quelque peu. C’est ce qui lui a permis de devenir la capitale de la fraude et du crime : les gens ne font qu’y passer. Nous disons souvent que c’est une ville ensoleillée peuplée de gens de l’ombre. C’est l’histoire de Miami et cela le restera. C’est un peu différent maintenant que la ville s’étend. À une certaine époque, c’était un peu le wild wild west, on pouvait voir des gens se faire tirer dessus dans la rue. Cela n’arrive plus tellement aujourd’hui, fort heureusement. Pendant de longues périodes, les policiers étaient tout simplement trop peu pour affronter les criminels.

Il s’est écoulé cinq ans entre votre premier documentaire et Cocaine Cowboys. Est-ce le reportage et l’enquête qui ont duré si longtemps ?

Ce qui comptait dans Cocaine Cowboys, c’était de trouver ceux qui allaient raconter l’histoire. L’une des questions récurrentes qui nous a été posée était de savoir si nous nous étions mis en danger. Ce n’était pas vraiment le cas, c’était trente ans après. Nous racontions l’histoire d’une époque révolue. Notre recherche des protagonistes nous a conduits à rencontrer d’abord Jon Roberts, qui nous a présentés à Mickey Munday, et ainsi de suite. Nous avions donc un Italien mafieux de New York et un péquenaud de Floride, mais nous avions besoin d’un Colombien, de quelqu’un qui avait été intimement lié au trafic. C’est le détective Al Singleton qui nous a suggéré de contacter Jorge Ayala, le tueur à gages de Griselda Blanco. Je lui ai demandé s’il savait où je pouvais le trouver, il m’a répondu que le type était en prison pour le restant de ses jours. Nous avons donc appelé, puis écrit en disant que nous voulions rencontrer Jorge. Il a accepté d’être interviewé, et nous avons réalisé en le filmant que son histoire était essentielle pour le documentaire : elle en était le troisième acte. Si vous étudiez la structure de Cocaine Cowboys, vous constaterez qu’elle est très simple : le business qui mène à l’argent, l’argent qui mène à la violence. La structure en trois actes est simpliste. L’histoire de Griselda est une contribution de Jorge. C’est arrivé quand il y avait de l’argent à se faire, et que la cocaïne était un commerce de marchandises. Vous ne payiez pas immédiatement ; vous preniez cinq kilos et si, la semaine d’après, vous ne reveniez pas avec mes 250 000 $, je ne pouvais ni vous attaquer en justice ni vous dénoncer à la police. La seule manière de m’assurer que personne ne viendrait m’arnaquer une nouvelle fois, c’était de vous tuer. Expliqué ainsi, vous comprenez pourquoi ce trafic était si violent. Le produit valait bien plus que son poids en or : il y en avait énormément et le marché était immense. La violence a explosé.

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Griselda Blanco
La Reine de la cocaïne
Crédits : Miami-Dade Police Department

Les gens que vous avez rencontrés se livrent-ils facilement, ou avez-vous un secret pour les amener à parler ?

Cela dépend. Je pense que nous essayons d’abord de dire à chacun qu’il bénéficiera d’un traitement équitable. Nous cherchons à raconter des histoires. L’une des critiques qui nous a été adressée, à propos de Cocaine Cowboys par exemple, était que nous ne parlions pas des dégâts de la drogue, des vies qu’elle ruinait. J’expliquais alors que ce n’était pas le sujet du documentaire. Il y a des tas de documentaires à ce propos, et ils sont véridiques. La drogue entraîne beaucoup de suicides. Mais ce n’était pas l’histoire que nous avions l’intention de raconter. Quand nous sommes allés parler à des gens comme Jon Roberts et Mickey Munday, nous leur avons dit qu’ils n’étaient pas les méchants de l’histoire. Nous voulions raconter leur histoire, ils faisaient partie de ce trafic, et nous voulions les laisser le raconter. Si vous vous penchez sur notre travail, je pense que vous constaterez que tout le monde est traité équitablement. Aucune des personnes que nous avons interrogées n’est repartie avec le sentiment de ne pas avoir été entendue ou l’impression d’avoir renvoyé une image négative. Je pense qu’il faut établir un lien de confiance avec ceux qui vous racontent leur vie. Vous devez les amener à vous faire confiance. Nous avons réalisé un documentaire appelé Broke, avec ESPN, à propos de ces professionnels du sport qui se retrouvent ruinés. N’importe qui dans cette situation aurait refusé d’en parler. Lequel d’entre nous a envie de révéler ses secrets les plus sombres ? Il a fallu du temps pour que les gens acceptent de se confier. L’un des plus beaux compliments que nous ayons reçus, c’est quand les gens sentent que leur témoignage a été traité avec justesse. Et c’est le plus important.

Fiction et réalité

Cocaine Cowboys est l’une des œuvres les plus documentées sur le sujet. Avez-vous été inquiétés par des officiers de police ou des agents de la brigade des stupéfiants pendant que vous enquêtiez ?

Non… Nous avons beaucoup de fans dans la police, et je pense que les agents de la brigade des stupéfiants de Miami veulent aujourd’hui comprendre le passé, comprendre les faits. Beaucoup d’agents plus âgés connaissent les pires histoires, et ce sont les leurs, elles sont intimes. Nous entendons parler d’application des lois, cela donne une idée de ce qu’était le trafic de cocaïne des deux côtés.

Pour créer vos documentaires, avez-vous travaillé avec des journalistes pour comprendre les rouages du trafic de cocaïne ?

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L’hôtel Mutiny
Crédits : Anca Nechita

L’un des plus beaux compliments que nous ayons pu recevoir de la part des protagonistes, à la fin de l’interview, c’était : « Vous en savez plus sur ma vie que moi-même, vous avez fait des recherches sur des choses que j’ai moi-même oubliées. » C’est arrivé souvent dans Cocaine Cowboys. Quand nous avons amené l’histoire à Jorge, il ne se souvenait pas de tout. Mais nous faisons beaucoup de recherches. Pour Cocaine Cowboys, l’une des sources principales, et nous avions deux sources d’inspiration, c’était un article de l’hebdomadaire Miami News Times paru en 1996. Il concernait l’hôtel Mutiny, dans les années 1970, un endroit où tous les trafiquants, mules et autres dealers se retrouvaient. Nous étions fascinés : quel endroit cela avait dû être, cet hôtel bizarre en plein centre de Miami ! C’est la première chose qui nous a intéressés. Nous avons ensuite lu quelques livres sur le sujet : Les Rois de la cocaïne, puis The Cocaine Wars, et le roman autobiographique de Max Mermelstein. L’article et ces trois ouvrages ont été nos pistes, avec des tas de coupures du Miami Herald. Il y avait énormément de sources premières. Nous n’étions pas en train d’enquêter, mais nous collections des faits pour raconter une histoire plus vaste.

À votre avis, pourquoi Cocaine Cowboys a-t-il rencontré un tel succès ? Ce n’est tout de même pas courant, pour les documentaires, de toucher un si grand public.

C’est vrai. C’est devenu un genre de classique. Ce que notre distributeur Magnolia a fait de plus intelligent a été de ne pas cataloguer Cocaine Cowboys comme un documentaire. C’est un film de gangsters. Quand le DVD est sorti chez Best Buy aux États-Unis, Magnolia a insisté pour que Cocaine Cowboys ne soit pas rangé au rayon des documentaires, entre les vidéos de Pilates et celles des entraînements sportifs, mais plutôt au rayon des films d’action. Quand vous allez chez Best Buy, Cocaine Cowboys est entre Casino Royale et Les Ailes de l’enfer : c’est un documentaire transcendé. Je le vois parfois sur Twitter, les gens citent leurs films préférés : Scarface, Le Parrain, Les Affranchis et Cocaine Cowboys. Cherchez l’erreur : Cocaine Cowboys avec tous ces films incroyables – pour certains, les meilleurs films de gangsters de l’histoire du cinéma. Cocaine Cowboys est juste à côté. Je pense que le genre documentaire est glorifié. Et vous avez raison, cela n’arrive que très rarement, nous sommes particulièrement chanceux.

Vous pensez que c’est uniquement la distribution qui en a fait un film si important ?

Non, mais ça aide. Magnolia a fait un travail incroyable en produisant ce film. Il y a trois raisons pour lesquelles nous avons commencé à réaliser Cocaine Cowboys : Grand Theft Auto: Vice City était devenu, entre 2003 et 2004, le jeu vidéo le plus vendu de tous les temps, et ça avait évidemment un lien avec la drogue à Miami ; Michael Mann avait annoncé qu’il allait réaliser Miami Vice : Deux flics à Miami, une arlésienne, et puis… vous savez, il suffit d’un seul épisode de Cribs sur MTV pour comprendre que Tony Montana est le personnage de film préféré de tous les artistes de hip hop.

Nous nous sommes dits : « Faisons le vrai Scarface tout en réutilisant ce qui a rendu Grand Theft Auto: Vice City si passionnant. »

Scarface, complètement décrié par la critique à sa sortie, en 1983, qui n’avait produit aucune recette, est devenu un grand classique. Les aînés le montrent aux plus jeunes, de père en fils. C’était ce que nous avions en tête. Scarface avait traversé les générations. Nous nous sommes donc dits : « Faisons le vrai Scarface tout en réutilisant ce qui a rendu Grand Theft Auto: Vice City si passionnant. » C’est de cette façon que nous y songions au départ : nous voulions réaliser un film de gangsters.

Dans la suite de Cocaine Cowboys, vous vous concentrez sur la relation entre Griselda Blanco et Charles Cosby. Est-elle un personnage célèbre aux États-Unis ?

À l’époque, les gens savaient qui elle était. Il y avait eu des articles à son sujet. Mais si vous ne regardiez pas le journal télévisé le jour de son arrestation en Californie, ou si vous ne l’avez pas regardé le jour de son inculpation, vous ne saviez probablement pas qui elle était. Encore une fois, nous n’avons pas découvert Griselda Blanco, nous avons rendu son histoire populaire. En revanche, si vous mentionniez son nom à n’importe quel policier qui travaillait à Miami dans les années 1980, il s’en serait souvenu, ils la connaissaient tous. L’histoire de Griselda n’est évidemment qu’une infime partie de l’histoire originale de Cocaine Cowboys, c’en est le troisième acte : nous ne parlons d’elle qu’en abordant la violence, mais tout le monde voulait en savoir plus. C’était l’une des questions récurrentes à propos du film, nous avions piqué au vif la curiosité du public, qui voulait connaître la suite. Après avoir réalisé Cocaine Cowboys, nous avons réfléchi à la manière de raconter son histoire sans qu’il ne s’agisse d’une répétition. Nous voulions apporter un regard neuf. L’histoire de Charles était tellement incroyable, au point que nous n’y avons nous-mêmes pas cru au départ. Il nous a fallu lire les rapports de police et regarder les photos de lui avec Griselda ensemble. C’était vraiment arrivé… Personne ne le croirait… personne ne nous croirait. Qui aurait voulu produire un film fondé sur un pitch pareil ? Le dealer de crack d’Oakland qui avait écrit une lettre de fan à la marraine de la cocaïne emprisonnée, et avait ensuite entamé une relation avec elle… vous auriez ri. C’est l’une des histoires vraies les plus étranges que je connaisse, et quand nous l’avons découverte, nous avons cherché quelle histoire plus grande pouvait être contée en arrière-plan. Nous avons ensuite trouvé un angle d’approche. Tout le monde voulait en savoir plus à son sujet, et nous avons clos le chapitre de Cocaine Cowboys en terminant l’histoire. Si nous devons en faire plus sur ce sujet, nous raconterons d’autres histoires de Miami dans les années 1980, car le livre s’est refermé sur Jon Roberts, Mickey Munday, Griselda Blanco et Charles Cosby. Il y a tellement d’autres histoires formidables à raconter…

Il n’y aura donc aucun lien entre le prochain Cocaine Cowboys et… ?

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Jon Roberts
L’enfant qui deviendra le plus célèbre
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Crédits : Edie Roberts

Cocaine Cowboys: Reloaded (la version longue du premier opus, nde) est sorti récemment. Je vais vous raconter comment. Nous faisions le premier, Billy et Dave travaillaient sur le montage depuis 8 ou 9 mois. Billy m’a appelé et m’a dit qu’il avait une bonne nouvelle. Quand j’ai demandé laquelle, il a répondu que la première version du film monté était terminée. « Combien de temps dure-t-elle ? » ai-je demandé. Il m’a répondu : « Quatre heures. » Je lui ai répondu : « Tu fais chier, retourne travailler dessus et refais le montage. » Billy et Dave ont ensuite eu une idée : il faudrait faire deux films, l’un sur Jon et Mickey, leur trafic, l’argent et leur relation ; l’autre sur Griselda. Ce serait comme une mini-série. Nous nous sommes interrogés pendant une semaine : pouvions-nous diviser le film en deux parties qui s’assembleraient ? Nous étions en 2004-2005, il était suffisamment difficile de produire un documentaire, et maintenant nous songions à en sortir deux… Eh bien nous l’avons fait, nous avons divisé le film, et si les gens étaient suffisamment emballés, nous trouverions une solution pour sortir le reste de l’histoire. Par chance, c’est exactement ce qui s’est passé. Les scènes coupées ne l’ont pas été parce qu’elles étaient mauvaises, ou simplement moins bonnes que celles qui ont finalement été retenues pour le premier film : c’est simplement qu’il y a tant d’histoires formidables à Miami que nous n’avions pas le temps de toutes les raconter. Nous avons opté pour un montage avec en tête l’idée de faire un DVD en mode Director’s cut, avec des scènes coupées, etc. David a monté le film une nouvelle fois, en repartant à zéro : nous avons regroupé tout ce que nous avions, les différentes archives, etc. Les technologies à notre disposition avaient aussi évolué, nous pouvions faire de la 3D en plus des incrustations 2D. Et ce que nous avons monté, c’est une sorte de version ultime de Cocaine Cowboys pour les fans : Cocaine Cowboys: Reloaded. Le film dure deux heures et demie et reprend la même structure : le trafic, qui génère de l’argent, l’argent, qui génère de la violence…. car ce sont toujours les même ficelles qui maintiennent le tout. Mais l’histoire est totalement différente. Cocaine Cowboys: Reloaded offre une vision plus précise de ce qu’était Miami dans les années 1980. Il est amusant d’observer la réaction des gens sur les réseaux sociaux, sur Twitter et Facebook, quand ils disent qu’ils ont préféré la seconde version à la première. C’est formidable, parce qu’il était complètement impossible pour nous de sortir la deuxième version au moment où on a fait la première.

Y a-t-il encore des archives et des enregistrements que vous n’avez pas utilisés ?

Malheureusement, oui. Mais je pense qu’il n’y en a aucun dont nous n’ayons pas donné un aperçu au public. Je reçois parfois des mails de gens me disant qu’ils adoreraient regarder l’interview complète de Rivi, parce qu’il est fascinant. Il y a probablement vingt heures d’enregistrement. Il nous reste des choses pourtant, que nous mettons en place pour Cocaine Cowboys : Los Muchachos, l’histoire de deux des plus grands dealers de cocaïne de l’histoire de Miami, des dealers cubains attrapés en 1991, et leur procès a duré plus de 15 ans, avec témoins de meurtres, corruption de juges, d’avocats, etc. C’est un peu le procès de Cocaine Cowboys, sa prochaine incarnation, une farce jouée dans une cour de justice. Nous travaillons là-dessus actuellement.

Avez-vous déjà songé à travailler avec Hollywood pour créer des œuvres de fiction à partir de vos travaux ?

Oui. Après la sortie de Cocaine Cowboys, Michael Bay nous a appelés, disant qu’il avait adoré le film, et qu’il voulait en faire un buddy movie, avec Jon et Mickey. Je lui ai dit que ce serait formidable à la télévision, qu’il pouvait faire une série à ce sujet, comme The Wire de David Simon sur HBO. Il était d’accord, mais il n’avait jamais produit de série télévisée, et a donc appelé son ami Jerry. Jerry Bruckheimer. C’était entendu, nous travaillerions avec Bruckheimer, et nous avons proposé le projet à HBO. Nous avons essayé de produire une série avec eux pendant cinq ans. Nous avons contacté différents scénaristes, mais cela n’a pas fonctionné, aucun d’eux n’a vraiment réussi à en faire quelque chose. D’après Ernest Hemingway, la meilleure façon de travailler avec Hollywood, c’est d’aller en Californie, de leur jeter votre bouquin à la gueule, d’attendre qu’ils vous jettent un sac d’argent en retour, et de vous séparer d’eux. Il semble que ce soit un bon conseil, car le processus de développement est extrêmement long, et vous dépendez d’une foule de gens. Nous l’expliquons constamment : nous aimons réaliser des documentaires. Si un sujet nous intéresse, Billy et moi prenons les caméras, nous sortons, nous filmons des interviews et nous le faisons. Les films et les séries télévisées sont synonymes d’acteurs, de metteurs en scène, de scénaristes, de studios, d’argent… tout rassembler, c’est comme partir à la guerre. Vous devez faire avancer cette grosse machine tout en dépendant de tas de personnes et de tas d’éléments imprévus. Parfois, ça ne fonctionne pas. Nous continuerons à réaliser des documentaires car nous voulons raconter des histoires. Et nous n’attendrons personne pour le faire. rakontur-ulyces-5


Traduit de l’anglais par Marie-Éléonore Noiré. Couverture : Cocaine Cowboys.