RoboCop

Comment avez-vous rencontré Paul Verhoeven ?

J’ai rencontré Paul pour la première fois lorsque la société de production Orion Pictures lui a proposé de réaliser RoboCop, à partir d’un scénario que j’avais écrit avec Michael Miner. En fait, c’était l’un des derniers réalisateurs que nous avions sollicités. C’était une idée de Barbara Boyle, qui était vice-présidente de la production internationale à l’époque, car elle avait été impressionnée par son film La Chair et le sang. Et bien sûr, c’était l’idée du siècle ! On s’est réuni pour faire une lecture et il a adoré le projet – notamment grâce à la scène où Alex Murphy se fait assassiner par Clarence Boddicker, je crois. La conversation a commencé comme ça. Je connais Paul depuis de nombreuses années maintenant et je pense souvent à la chance que j’ai eu de le rencontrer et à quel point ce fut une aubaine pour mon projet. C’est peut-être vrai également de son côté, mais je n’oserais pas l’affirmer ! C’était l’homme idéal en tout cas, et nous nous sommes très bien entendus sur la façon dont le film devait être fait. C’était une satire, donc il était extrêmement amusant de créer cet univers.

J’imagine que vous êtes amis désormais.

Oh oui, naturellement ! On se connaît depuis 35 ans maintenant. Il faut d’ailleurs que je fasse attention à ce que je raconte car je ne voudrais pas le blesser. Ce que je sais, c’est que j’ai eu beaucoup de chance de partager 5 000 petits déjeuners avec Paul Verhoeven, à parler de cinéma, de politique et de tout un tas d’autres choses. C’est un esthète extraordinairement talentueux, et nous n’aurions jamais pu réaliser le film tel que nous l’avons fait ensemble avec quelqu’un d’autre. Même pas un peu. J’en reste convaincu. C’est mon Paul Verhoeven à moi.

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Paul Verhoeven sur le tournage de RoboCop
Crédits : Orion Pictures

Y a-t-il un lien entre RoboCop et Starship Troopers ?

À part Paul et moi, oui je pense. Je pense que l’un s’est nourri de l’autre. L’idée de Starship Troopers est apparue au cours de la dernière semaine de tournage de RoboCop, à Pittsburgh, alors que Paul et moi discutions en nous promenant le dimanche, un soulagement après l’apocalypse de la semaine. C’est à ce moment-là que l’idée a émergé, mais j’avais lu le livre des années auparavant. Le film porte probablement la marque de notre collaboration post-RoboCop. Parce que je le connaissais intimement, je connaissais son histoire, son enfance, et raconter ce que c’était que de grandir sous domination de l’Allemagne nazie a toujours été plus ou moins présent à son esprit. Je savais dès le départ que ce serait une satire. Je pense que Starship Troopers et RoboCop sont des films très similaires. Bien que le personnage de RoboCop porte en lui une idée dramatique plus forte. Starship Troopers est un peu plus… il y a quelques jours, on m’a présenté sur un tournage au réalisateur Walter Hill, qui m’a dit : « Ah oui ! Starship Troopers ! C’est ce que j’appelle un film à idée ! » Ce à quoi j’ai répondu que c’était très gentil de sa part de me dire ça (c’est tout de même Walter Hill !), mais pas vraiment exact. En quelque sorte, Starship Troopers est une suite de RoboCop. Beaucoup de temps s’est écoulé entre les deux mais ils fonctionnent de cette manière, d’après moi.

Comment avez-vous eu l’idée de créer RoboCop ? Était-ce un produit de l’Amérique de cette période ?

Oui, je pense. J’ai grandi aux États-Unis. Je suis un enfant des années 1950 dont les parents appartenaient à la classe moyenne la mieux lotie, si l’on peut dire. Ils étaient professeurs. J’ai voyagé un peu, ce qui m’a aidé. Dans ma jeunesse, j’ai beaucoup été en Europe. Ça a éveillé mon regard sur le monde, d’une certaine manière, bien avant que je n’aie l’idée de RoboCop. J’avais depuis longtemps à cœur de raconter l’histoire de la fin d’une industrie spécifique, à savoir l’industrie automobile américaine, et de l’avancée technologique qui la remplacerait, qui s’est incarnée dans RoboCop. C’est pourquoi j’ai situé l’histoire à Detroit [appelée Motor City ou Motown, en référence à sa célèbre industrie automobile, nda]. Je me suis battu pour ça, je maintenais que l’intrigue devait se passer à Detroit, ça ne pouvait être nulle part ailleurs, et ce peu importe la ville où ils tourneraient ! (Rires.) Il y avait quelque chose de dramatique là-bas… Mais j’ai oublié votre question.

Je vous interrogeais sur la création de RoboCop et ses aspects symboliques.

Ah oui ! Donc avant tout, c’est parti de mon intérêt pour le déclin de l’industrie automobile et de ce qui se tramait dans ce business. Je voulais vraiment écrire une aventure dans le monde américain des affaires des années 1980. Car c’est dans les années 1980 – et c’était toujours le cas dans les années 1990, de même qu’aujourd’hui – que j’ai vu pour la première fois des hommes d’affaires qui ressemblaient à des guerriers, ou à James Bond, quelque chose de ce genre. Nous étions dans un monde de corporations et l’idée était d’imaginer un futur où ces grandes entreprises auraient un plus grand pouvoir sur le monde. Maintenant, les gens appelleraient ça « privatisation ». Donc l’idée est venue à la fois de mon intérêt pour les récits de science-fiction et de ce que je pouvais observer partout autour de moi à l’époque : j’étais moi-même un jeune cadre chez Universal.

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Ed Neumeier devant l’affiche du film
Crédits : Ed Neumeier/Facebook

Je me voyais presque comme le personnage de Kinney, qui se fait tuer par le ED-209. Vous savez, ce jeune type brillant avec une cravate. (Rires.) Mais l’idée du personnage de RoboCop m’est venue sur le tournage de Blade Runner, car mon bureau n’était pas loin, et je traversais le plateau en rentrant à la maison le soir. Se retrouver dans des décors pareils, ça fait quelque chose. C’est bouleversant. Vous devenez super créatif, vous vous mettez à avoir des idées car tout ça vous stimule. Le décor est capital pour faire émerger des idées, des scènes. Enfin bref, j’avais cette idée en tête et j’avais entendu parler de Psychose, que je n’avais pas vu à l’époque. Mais j’étais très intrigué par le fait que Janet Leigh meure peu après le début du film. Je trouvais ça fantastique. Et je me suis dit : « Oh, ça devrait être l’histoire d’un type… qui meurt et devient une machine ! » Même tout ce temps après, même avec le film de Padilha, c’est encore une idée captivante : comment cohabitons-nous avec la technologie ? Nous avons commencé à nous interroger dans les années 1980, et aujourd’hui ce questionnement est plus pertinent que jamais. Le film commence véritablement avec un homme qui devient une image virtuelle. C’est la première chose qui se produit après sa mort ! Une image virtuelle apparaît. Lorsque j’observe notre monde, j’ai le sentiment qu’il se passe beaucoup de choses intéressantes, du point de vue artistique.

De la fiction à la réalité

Vous avez évoqué Blade Runner, quel était votre rôle sur le tournage ?

J’étais tout jeune à l’époque, j’avais 24 ans. Vous savez, c’était un si grand plateau que personne ne savait qui y travaillait et qui n’y travaillait pas. Donc je me suis juste pointé un jour et j’ai dit : « Salut les gars, qu’est-ce que je dois faire ? » Et quelqu’un a répondu : « Va là-bas, prends cette pile de journaux, mouille-les et jette-les partout dans le décor ! » Et me voilà sur ce plateau gigantesque, avec l’envie désespérée de faire un film à mon tour, puisque je travaillais sur des scénarios dans un bureau un peu plus loin. Peut-on imaginer un plateau de cinéma plus incroyable sur lequel tomber en se rendant au parking ? Donc j’ai travaillé toute une journée et toute une nuit, vu que les scènes se tournaient de nuit. RoboCop m’est probablement venu d’un seul coup. C’est un titre tellement bizarre quand on y pense ! Lorsque nous avons fait le film, au début, tout le monde avait honte de dire sur quel film ils travaillaient. Imaginez : « Hé mec, tu travailles sur quoi en ce moment ? » Et l’autre de répondre : « Euh… ahem… RoboCop. » Ça sonnait tellement stupide ! Et puis le film est sorti et ça ne l’a plus été du tout.

ulyces-edneumeierv2-03D’autres œuvres de science-fiction vous ont-elles inspiré ?

Je ne suis pas si calé en matière de science-fiction, contrairement à ce qu’on pourrait croire. Si ce n’est Robert Heinlein. J’ai lu ses œuvres de jeunesse, Starship Troopers et d’autres. Il a eu une grande influence sur moi. J’ai ensuite préféré d’autres genres de romans d’aventure. J’ai lu beaucoup de livres d’Alistair MacLean, comme Les Circuits de la mort. J’étais fasciné par les hommes qui se comportaient comme de « vrais mecs » et réglaient leurs problèmes avec des flingues. J’étais américain, quoi ! RoboCop est autant inspiré par Orange mécanique que par L’Inspecteur Harry. Et par Peckinpah, et Coppola bien sûr, mais par-dessus tout, par les films de George Lucas. Ils représentaient beaucoup pour moi car j’avais l’âge idéal pour me dire : « Wow, les robots pourraient vraiment exister ! »

Lorsque vous avez écrit RoboCop, pensiez-vous créer une œuvre d’anticipation ?

Eh bien, c’est une satire. Donc l’idée était d’essayer de le faire d’une façon amusante pour que, lorsque vous le regardez, vous vous dites en rigolant : « Les choses ne pourraient jamais ressembler à ça ! » J’ai inventé une petite formule pour expliquer ce principe : « Les choses vont mal en ce moment, mais je vais les rendre aussi mauvaises que possible. Ça va mal, donc je pousse à fond la dégradation de la situation. » C’est comme ça que je prédis le futur. Et vous savez quoi ? J’ai tapé plutôt juste. Mais je pense que nous cherchions à être faussement prescients, pas un seul instant nous n’étions sérieux… Hélas, il s’est avéré que nous avions raison sur beaucoup de points. Vous savez, quand vous travaillez avec des gens intelligents comme le producteur Jon Davison ou Paul, et qu’ils vous disent tous qu’ils aiment vos idées, vous les incorporez au film et vous tournez tout de suite après. Beaucoup de choses se sont effectivement réalisées par la suite, mais c’est aussi le cas avec Starship Troopers. Le scénario a été écrit entre deux guerres, en réaction à l’une et en prévision de celle qui l’a suivie, en quelque sorte.

Les drones, la privatisation de la sécurité, les caméras de surveillance, le fichage des citoyens… avez-vous pris tout cela en compte pour actualiser l’écriture du film de Padhila ?

Il faut que je sois clair à ce propos : je n’ai pas écrit son film ! Je suis crédité au générique parce que le scénario qu’ils ont décidé de produire était très proche de celui que j’avais écrit avec mon collaborateur pour le film de 1987. Je ne me suis jamais retrouvé dans une pièce avec quelqu’un qui m’aurait dit : « On devrait faire ci ou ça. » Et résultat, je suis plutôt content de ce qu’ils ont fait, j’imaginais que ce serait bien pire.

« Même aujourd’hui c’est encore une idée captivante : comment cohabitons-nous avec la technologie ? »

Un ami à moi est allé le voir en France, il m’a appelé et m’a dit : « Je l’ai vu ! je l’ai vu ! » C’était intéressant, parce qu’il ne pensait vraiment pas qu’il allait l’apprécier, et ça a été le cas. Il a trouvé que c’était un film très politique et qu’il conservait l’essence de l’original. Il était surpris, oui. Le truc, c’est que je pense que pour faire un bon RoboCop, il faut un bon réalisateur. José Padilha est un cinéaste très intéressant. Il est intelligent, il sait comment faire un film. Je ne veux pas vous le sur-vendre cependant, il y a des choses que mon ami n’a pas aimées, l’une d’entre elles étant la retenue imposée par l’interdiction aux moins de 12 ans seulement. Qu’est-ce que vous en pensez d’ailleurs ?

Je trouve ça dommage, a priori. J’aime les films d’action des années 1980.

Oui, voilà, il m’a dit que le film serait meilleur s’il était plus sec, plus violent.

Après tout, le premier était très violent et le marketing autour du film s’adressait pourtant aux enfants !

Oui, vous avez raison, je pense que le gros problème avec RoboCop, c’est la marque. Ça a toujours été mal vendu. En d’autres termes, le premier opus était un film d’action très dur avec un fort sous-texte politique, et puis ils en ont fait une série pour les enfants…

Et même des jouets.

Des jouets, oui, des produits dérivés. Mais soit dit en passant, j’adore les jouets, c’est ce que je préfère ! Je pourrais vous faire faire un tour de ma maison pour vous montrer tous les jouets que j’ai ! (Rires.) Parce que pour moi, c’est l’extension de l’idée du personnage. Mais ce qui me touche particulièrement, c’est que des gens viennent parfois me voir pour me dire avec des étoiles dans les yeux : « C’est le premier film que mon père m’a montré », ou : « C’est le premier film de genre que j’ai vu et j’ai dû le regarder en douce ! » Je ne sais pas si c’est le cas en France, mais aux États-Unis et en Angleterre, RoboCop compte beaucoup pour certaines personnes. C’est comme un rite de passage. C’est la première fois que vous voyez un film que vous n’êtes pas supposé voir ! Je suis vraiment flatté si des gens le ressentent de cette manière.

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Sur le tournage de RoboCop
Crédits : Orion Pictures

Y a-t-il des similitudes entre les policiers d’aujourd’hui et le personnage d’Alex Murphy ?

En un sens, oui. Si vous vous souvenez du film original, les policiers y portent déjà des armures – contrairement aux vrais policiers des années 1980. C’était dans le scénario, et l’étape suivante était ce RoboCop, ce flic en armure intégrale ! RoboCop doit être un fantasme pour beaucoup de policiers. Ils ont beaucoup apprécié le film et ils auraient tous aimé être RoboCop, à un certain degré. Quoi qu’en dise monsieur Padilha dans la presse – à savoir que personne ne voudrait être RoboCop –, les policiers aiment son invulnérabilité, le fait de faire un travail si important que personne ne semble comprendre, etc. Il serait intéressant de demander aux policiers français ce qu’ils en pensent. Je veux dire, imaginez-vous cette scène comme si vous étiez un policier : vous vous trouvez face à un malfrat, un tueur de flics, et vous lui lisez ses droits. Mais vous les lui lisez en le balançant à travers une fenêtre ! Et c’est votre droit. Ce serait assez drôle à voir ! J’avais peur que les policiers soient offensés par cette scène, et puis je me suis rendu à une projection que nous avons fait pour une association caritative de la police et ils ont ri aux éclats, ils ont adoré !

Starship Troopers

Vous avez mis en scène un homme-robot. Que pensez-vous du récent rachat par Google de nombreuses sociétés de robotique, dont Boston Dynamics – qui avait pour client l’US Army ?

Je pense que c’est quelque chose d’inévitable. Ce que je pensais qu’il se passerait est en train de réellement se produire. Maintenant, aujourd’hui ! La robotique s’est immiscée jusque dans nos habitudes de vie. C’est le cas depuis des années mais aujourd’hui, il en est ainsi pour presque tout autour de nous. Vous pouvez désormais acheter une voiture qui freinera d’elle-même s’il se passe quelque chose devant vous. Nous sommes à l’orée d’un monde de capteurs. Les voitures auto-pilotées sont toutes proches. Des robots prendront soin de vous, cher monsieur ! Je crois que ce nous vivons relève de la science-fiction, et pas seulement la robotique. Avez-vous vu Her, de Spike Jonze ? C’est une comédie romantique, mais je pense que c’est l’un des films les plus intéressants traitant de l’intelligence artificielle. C’est amusant mais c’est quelque chose que je vois bien se réaliser, d’une certaine façon. À la moitié du film, je me suis fait la réflexion que je pourrais peut-être apprécier la compagnie d’un appareil qui puisse me comprendre et me dire les choses que je souhaite entendre. Quand le film m’a interpellé de cette manière, j’ai compris ce qui était sur le point de se passer entre les humains et les machines. Si les humains commencent à s’attacher émotionnellement aux machines, que va-t-il se passer ? C’est tout à fait fascinant.

Nous avons remarqué une symétrie : Reagan est élu Président en 1981 et Robocop sort en 1987 ; L’URSS chute en 1991 et Starship Troopers sort en 1997. Est-ce un hasard ?

Vous sous-entendez par là que j’ai une relation avec Ronald Reagan ? (Rires.) Je ne sais pas, je suis probablement comme beaucoup de gens de mon époque. J’ai vécu l’ère Reagan. En un sens, c’est une coïncidence car il nous a fallu sept ans pour faire le film, c’était si long ! Nous nous demandions avec Paul, pendant que nous tournions le film : « Est-ce qu’ils savent ce qu’on est en train de faire ? Ils n’ont pas l’air de comprendre. » Et nous avons réalisé le film que nous voulions. Personne ne nous a dit quoi faire ou ne pas faire, et je suis fier de l’avoir fait. Iriez-vous voir un remake de Starship Troopers ?

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Direction d’acteur
Crédits : Buena Vista International

J’imagine, oui, si le projet est entre les mains d’un bon réalisateur.

Je suis d’accord. Il ne faut pas que ce soit comme avec Total Recall, le remake est catastrophique.

Comment avez-vous eu l’idée de détourner le livre de Robert Heinlein ?

C’était un exercice, d’une certaine manière. Paul a conçu Starship Troopers comme un film de guerre anti-américain. Le film est arrivé juste après la première guerre du Golfe et de mon côté, ce qui m’intéressait le plus c’était le traitement médiatique de la guerre. La façon dont cela s’est passé m’a pratiquement rappelé des récits de science-fiction, particulièrement ces images la nuit avec les lumières vertes, etc. Pour en revenir au livre, je l’ai lu il y a très longtemps. C’est un livre très direct, sur ce que c’est que d’être un vétéran, d’être un militaire. Pendant que nous faisions le film, notre conseiller militaire nous a donné du fil à retordre, il était agacé car notre film n’était pas assez premier degré pour lui ! (Il mime le conseiller militaire.) « Okay les gars, je veux que ce soit le film d’entraînement pour les soldats du XXIIe siècle ! » Il m’en voulait pour ça, mais j’aurais trouvé parfaitement idiot de le faire de cette façon. Il fallait que ce soit amusant pour que la satire soit réussie. Ce film fait ce que beaucoup de films de guerre ne font pas : ils ne vous disent pas à la fin du troisième acte que vous n’êtes peut-être pas du côté des gentils. Et c’est précisément ce que Starship Troopers fait. Lorsque Neil Patrick Harris débarque en uniforme SS, Paul n’a pas eu besoin d’en rajouter, car j’ai toujours pensé qu’il se montrerait dans un tel uniforme et qu’il déclamerait son discours, qui revient vraiment à traiter les gens comme des numéros. Et je me souviens que lorsque Neil entre en scène dans cet ample costume noir, cet uniforme simili nazi, c’était un vrai choc. Et je n’étais pas sûr de mon coup. On a écrit la scène, nous l’avons tournée et lorsque le film est sorti, il y a eu des problèmes, les gens n’aimaient pas certaines choses et Paul doutait lui aussi… Mais finalement, j’ai pensé que c’était la meilleure chose à faire, même si les gens étaient réticents. Parfois ils crient : « Hé ! Ton pote ressemble à un nazi ! » Mais nous montrons que c’est la seule façon de jouer à ce jeu, qui devient la guerre. Nous avons tous grandi en voulant jouer à la guerre, et le film vous dit : « Allez, jouons le jeu, mais maintenant on va se parler en adultes et voir ce que cela implique. » Et pour moi, c’est une chose que les films devraient faire plus souvent. Mais c’est délicat parce qu’il faut avoir quelqu’un d’aussi intelligent que Paul Verhoeven derrière la caméra, il faut faire cela de façon très discrète.

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Ed Neumeier aux prises avec un Arachnide
Crédits : DR

Le film le plus incompris

En parlant de la réception du film, avez-vous lu l’article de The Atlantic, dont le titre était quelque chose comme « Starship Troopers : le film le plus incompris de tous les temps » ?

Je pense que j’ai lu cet article trois fois depuis la sortie du film. Tous les cinq ans, quelqu’un écrit à ce propos. Et je pense que je comprends pourquoi : personne n’est près de réaliser à nouveau un tel film, aujourd’hui et dans les années qui viennent. Il est très violent et il a été fait lorsque les cinéastes étaient au sommet de leur pouvoir, avec beaucoup d’argent. Nous avons pu faire exactement ce que nous voulions. Nous n’avons fait aucun compromis. Du coup c’était un peu décevant d’être incompris à sa sortie. Cela a eu des conséquences. Mais maintenant, c’est ce qui fait que le film n’a pas perdu de son intérêt ! C’est une œuvre d’art, si l’on peut dire, car il parle de différentes choses, il est complexe et mal compris.

Comment avez-vous reçu les critiques absurdes faites au film à l’époque ? La plupart des critiques américains n’ont pas compris la blague.

Certains ont compris mieux que d’autres. Étrangement, je ne m’en rappelle plus. Je sais que les gens ont raconté des choses. Et pour être honnête, je savais qu’il y allait y avoir un problème avec le film environ deux mois avant sa sortie. J’ai commencé à me poser des questions et personne d’autre ne comprenait ça. Je disais : « Les gars, ça ne va pas marcher. » Et tout le monde me trouvait rabat-joie. Quand le film est sorti, j’étais préparé. Verhoeven m’a dit plus tard : « Tu le savais, n’est-ce pas ? » Donc oui, il y a eu des difficultés au départ. Mais le fait qu’il soit sorti et qu’on ait pu le faire de cette façon tient du miracle.

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Verhoeven se promène sur le plateau de Starship Troopers
Crédits : Buena Vista International

Connaissez-vous Guy Debord ?

Oui, bien sûr.

Il a écrit un mode d’emploi du détournement dans lequel il explique que pour lutter contre le système, il faut en détourner le langage et les symboles. Starship Troopers est une belle mise en pratique de ce procédé.

Même si je ne connaissais pas ses travaux à l’époque, je crois que c’est précisément ce que j’ai essayé de faire. L’une des choses qui fait que Starship Troopers est différent de RoboCop et qu’il est plus osé, c’est que je l’ai écrit tout seul. Et je peins à gros traits. Il a la force d’une série B. On est dans l’exagération, toujours, c’est très vulgaire et ça vous explose au visage. Et c’est là-dessus que Paul et moi nous sommes entendus à merveille : dans la vraie vie, personne ne parle de ce dont parlent les personnages de Starship Troopers. C’est complètement stupide ! Ils parlent comme dans un mauvais film ! Nous en étions très conscients et nous en avons joué à fond en faisant croire aux gens que nous disions : « C’est débile, venez, on va se marrer ! » Parfois on en paye le prix et les gens disent que le film est stupide. Beaucoup ont dit à l’époque que c’était le film le plus con qu’ils avaient jamais vu ! Aujourd’hui ils diraient : « Ah, j’ai compris. » Et c’est pourquoi d’autres personnes l’ont tant aimé, parce qu’ils avaient compris la blague.

Est-ce un hasard si votre choix s’est porté sur Robert Heinlein, qui était un pilier du Citizen’s Advisory Council on National Space Policy, à l’origine du programme SDI (Strategic Defense Initiative), que les médias ont appelé « Star Wars » ?

Je n’étais pas au courant de cela, mais ça ne me surprend pas du tout, je sais qu’il frayait avec ce genre de choses. À propos du programme SDI, c’est la dernière chose que j’ai ajoutée à RoboCop. Nous avons tourné le film et je continuais de penser qu’il y manquait quelque chose, et puis il y a eu l’affaire Star Wars aux infos et je me suis dit que j’allais pouvoir l’utiliser ! Mais je ne savais pas que Heinlein avait quoi que ce soit à voir avec ça, je n’avais lu que Starship Troopers. Vous savez, ce livre a été très important durant le Vietnam, beaucoup de soldats l’avaient lu. C’était un livre cher aux yeux de beaucoup de monde. Et étonnamment, personne n’en avait jamais acheté les droits avant nous. Nous étions les premiers. Comment est-ce possible ! C’était comme courtiser la plus jolie fille du lycée, et découvrir que personne ne l’avait fait avant vous ! (Rires.) C’est peut-être très américain ce que je viens de dire, pas français du tout, si ?

Oh si, ça l’est !

Vous avez raison, c’est peut-être avant tout une idée française ! (Rires.)

Votre carrière de scénariste s’est structurée autour de ces deux univers, que représentent RoboCop et Starship Troopers. Comment l’expliquez-vous ?

« Je pense que le seul souci est que j’aime écrire des satires et que vous n’êtes pas supposé écrire des satires. »

Je pense que je suis feignant ! C’est un problème ! Non, je parlais de ça l’autre jour avec José Padilha, et j’ai finalement éclairci ce mystère car il rencontre un problème similaire. Je lui ai dit que nous vivions dans une culture guerrière. C’est ce qu’on dit quand on est universitaire : « Je m’intéresse à la culture guerrière. » C’est-à-dire : je m’intéresse aux flics, à la guerre. Cette question que vous venez de me poser m’a beaucoup aidé dernièrement car je pensais aux mondes sur lesquels j’aimerais travailler, et je retourne malgré moi au monde des affaires. J’ai beaucoup pensé au business international. Je pense que le seul souci est que j’aime écrire des satires et que vous n’êtes pas supposé écrire des satires. Ils ne veulent pas que vous en écriviez. Vous savez, si je me présente devant des producteurs et que je dis que je voudrais faire un film marrant sur le monde des affaires, ils vont me regarder bizarrement avant de me demander si je veux faire un Iron Man. Je pense que j’ai déjà eu beaucoup de chance que ces films se fassent, vu ce dont ils parlent et la manière dont ils touchent les gens. Je travaille à présent sur un projet qui n’est pas de la science-fiction, c’est un thriller romantique qui se déroule au Pentagone… Mais c’est tout à fait sérieux. Et ça me pose problème, comme si je voulais que ce soit à tout prix amusant. Je n’ai pas encore trouvé le bon équilibre. Souhaitez-moi bonne chance !


Couverture : Ed Neumeier (Ed Neumeier/Facebook).