Dans une petite salle d’entraînement de Los Angeles, un homme à la carrure épaisse sautille, esquive et martèle les pattes d’ours de son entraîneur. Le poids lourd se tourne vers la caméra et dévoile un t-shirt des Los Angeles Clippers. « Je suis de retour », annonce-t-il la mâchoire et les poings serrés. Ce lundi 11 mai 2020, Mike Tyson publie une vidéo d’entraînement pour montrer au monde qu’à 53 ans, dont 15 sans combat officiel, il est prêt à remonter sur un ring. Une affiche diffusée sur les réseaux promet même un duel avec Evander Holyfield à Diriyah, en Arabie saoudite, le 11 juillet prochain.

« Je me remets en forme pour des exhibitions de trois ou quatre rounds », a expliqué Tyson au rappeur T.I. sur Instagram. « Je veux gagner de l’argent pour aider les sans-abri et des toxicomanes comme moi. Depuis plusieurs semaines, je fais deux heures de cardio chaque jour, une heure de vélo et de tapis roulant. Ensuite, je lève des poids, 250 ou 300 fois. Mais c’est difficile et mon corps me fait mal. » En 2008, devant la caméra de James Toback, le champion semblait au sol, terrassé par des années d’addictions.

Deux ans plus tard, le journaliste américain Brin-Jonathan Butler parvenait à le rencontrer. En lui rendant visite à Henderson, au Nevada, il pouvait constater que Tyson était surtout accro à la boxe.

140 coups de téléphone

« En naissant dans ce monde, tu gagnes un ticket pour le théâtre des horreurs. En naissant en Amérique, tu gagnes une place aux premières loges. » – Georges Carlin

Quand au printemps 2010, Freddie Roach, entraîneur de boxe légendaire, m’a donné le numéro de téléphone de Mike Tyson dans sa salle du Wild Card Gym de Los Angeles, il s’est mis à glousser : « Tu n’arriveras jamais à entrer là-bas, gamin. » Mais quelques jours plus tard, un dimanche de Pâques, j’entrais chez Tyson, dans sa propriété de Henderson, au Nevada, à travers un épais nuage de fumée de marijuana. Je le rencontrais pour la première fois.

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Une salle de boxe mythique de Los Angeles
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Je n’avais encore rien publié de ma vie et aucun motif officiel ou commercial ne justifiait ma présence ici – c’était strictement personnel. Avant de pouvoir franchir la porte de Tyson, j’avais dû passer 140 coups de téléphone à Darryl, son assistant – 99 % de ces échanges avaient duré moins de 5 secondes et s’étaient achevés sur la promesse d’un rappel qui ne venait jamais. Et puis, un jour, une heureuse méprise sur mon identité m’a conduit jusque chez lui : Darryl et Tyson m’avaient confondu avec un écrivain qui travaillait alors sur une biographie de Freddie Roach – un projet qui a finalement tourné court.

Lorsque j’ai rencontré Tyson, sa vie, comme d’habitude, ressemblait à une virée à bord du Titanic. Après 139 appels, Darryl m’avait dit de les rejoindre le lendemain, lui et Tyson, à l’hôtel Luxor de Las Vegas, dans lequel ils avaient réservé une salle de conférence pour notre interview. J’ai vidé mon compte en banque, pris un vol pour Vegas et me suis pointé à l’heure prévue. Aucun signe de Tyson ou de Darryl nulle part. La réceptionniste du Luxor m’a informé avec courtoisie qu’elle n’avait jamais entendu parler de moi, ni été contactée par un quelconque représentant de Tyson pour arranger un rendez-vous. Elle se comportait comme si ce genre de choses arrivaient avec une amusante régularité. J’ai pris une grande inspiration et, les mains moites, me suis résigné à passer un dernier appel téléphonique à Darryl.

« — Bonjour, Darryl.
— Ah, salut, Peter ?
— Euh, oui, c’est Peter.
— Tu habites à Boston ?
— Eh bien, je suis au Luxor, là. Je ne vous ai pas vu dans la salle de conférence, alors j’ai pensé qu’il fallait que je vérifie. Et pour une raison que j’ignore, le personnel ne savait pas non plus si vous viendriez aujourd’hui.
— Oui, a soupiré Darryl. Je voulais t’appeler. Je suis désolé, Peter.
— Je dois prendre l’avion pour rentrer ce soir et Boston est loin d’ici –, alors s’il y avait un moyen de faire cela aujourd’hui, dès que possible…
— Ouais », a-t-il soupiré de nouveau.

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James Buster Douglas

Plus tard, j’ai appris que Darryl avait obtenu son job d’assistant de Tyson après avoir lavé sa voiture et avoir pratiquement mis le boxeur en état de siège jusqu’à ce qu’il lui donne un emploi permanent. « Eh bien, on n’a qu’à faire cette interview à la maison, à Henderson. Ça te convient ? »

J’ai de nouveau pris une grande inspiration – mes pulsations cardiaques s’emballaient. « Bien sûr. Je pense que ça ira. Merci Darryl. » « Je te donne l’adresse, tu as un GPS ? »

45 minutes plus tard, Darryl attendait dans une Range Rover blanche, derrière la barrière de la résidence où Tyson avait sa maison. J’ai donné mon nom – enfin, celui de Peter – à l’agent de sécurité. Une vitre teintée de la Range Rover s’est abaissée et un index inquiétant m’a fait signe de la suivre. La fenêtre s’est refermée et la Range Rover s’est éloignée lentement au moment où les grilles s’écartaient pour me laisser entrer.

« Prends un billet et mets-toi en selle », disait Hunter S. Thompson.

 Rosebud

« La boxe est au sport ce qu’un quartier chaud est à une ville. » – Jimmy Cannon

Pour ceux qui sont nés avec de mauvaises cartes en main, le rêve américain est enfoui en bas de la pile. Avec un père souteneur et une mère qui faisait des passes contre de la drogue ou de la nourriture pour sa famille, Tyson était depuis la naissance préparé au « quartier chaud » du sport, un endroit où sexe et violence ne sont jamais loin. Durant la plus grande partie des trois dernières décennies de gloire mondiale et de déshonneur que Mike Tyson a connues, sa vie est considérée dans l’imaginaire collectif comme une chute libre existentielle. A-t-il été poussé ou a-t-il sauté lui-même ? Quoi qu’il en soit, il a fait de son épopée tragique l’une des plus rentables du voyeurisme. Il est toujours plus facile de théoriser sur le comportement humain que d’oser le regarder en face.

Je réfléchissais à la question depuis un moment, bien avant que Tyson, assis dans son salon, ne me rappelle que « plus la lumière est éclatante, plus l’ombre qu’elle projette est sombre ». Depuis le début, l’incongruité de cette voix douce, comme une berceuse cachée, presque recroquevillée derrière cette armure d’ « homme le plus méchant de la planète » nous a tous fascinés. Je crois que la raison pour laquelle il en va ainsi et pour laquelle personne n’a écrit sur la question a été pieusement dissimulée. Comme Mohamed Ali, l’icône que rencontra Tyson adolescent, alors qu’il était enfermé dans le centre de détention juvénile de Spofford dans le Bronx et qui lui donna le premier l’idée qu’il pouvait se servir de ses poings pour se frayer un chemin hors de cet environnement désespéré, la plupart des propos et citations les plus célèbres de Tyson fut copiée d’autres sources. Il s’est créé un répertoire dans lequel il pouvait piocher pour les diffuser.

Ce gamin fragile, obèse et zézayant, que l’on surnommait ironiquement « la petite fée », qui ne put jamais supporter la violence présente au cours de son enfance, se sentit finalement en sécurité en adoptant les traits de caractère découverts chez d’autres, dans les films de combats de boxe : couper ses cheveux à la Jack Dempsey ; prendre la posture de Jack Johnson après la victoire ; se tripoter les couilles comme Roberto Duran. Au début, quand il était boxeur amateur, il emprunta l’air menaçant de Sonny Liston et se fit même passer pour son neveu. Plus tard, souffrant toujours d’une terrible crise d’identité, Mao, le Che et Arthur Ashe furent tatoués sur sa peau.

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Mais en 2002, au cours de la conférence de presse se tenant à Memphis et précédant son combat contre Lennox Lewis, quand Tyson cria : « Je t’enculerai jusqu’à ce que tu m’aimes ! », il faisait peut-être allusion à ce qui pourrait avoir forgé son génie sur le ring. Peut-être n’était-ce encore que des mots empruntés à quelqu’un d’autre, peut-être cela révélait-il quelque chose de plus profond, que nous ressentons à propos de lui – peut-être était-ce le « Rosebud » de Tyson.

« Ce n’est jamais moi qui parle », rappelle Tyson à ses lecteurs dans ses mémoires publiés en 2013, La Vérité et rien d’autre, dont le titre est tiré de son one-man show du même nom. « Je cite toujours mes héros. » Lors de cette conférence de presse, reprenait-il des mots que quelqu’un avait utilisé contre lui ? L’un de ses proches ? N’importe quel flic, travailleur social ou avocat spécialisé dans le droit de la famille vous dira que ce qui nous arrive de pire est bien plus fréquemment le fait de gens en qui nous avons confiance que celui d’inconnus. Et puis, il y a cette citation glaçante que Désirée Washington a rapporté lorsqu’elle a témoigné contre Tyson, affirmant que, pendant qu’il la séquestrait dans sa chambre d’hôtel avant de la violer, il implorait : « Ne te bats pas contre moi, maman. »

Avec Tyson, il y a toujours eu le sentiment que, quel que soit le mal qu’il a pu faire – à Désirée Washington, à Evander Holyfield en lui arrachant l’oreille avec les dents, et toutes les « choses terribles » qu’il m’a dit ne pas avoir mentionnées dans son autobiographie, celles « dont les gens ne savent rien mais se font une idée » parce qu’il aurait des problèmes – quel que soit ce mal, il lui est arrivé quelque chose de pire, qui a fait de lui ce qu’il est devenu. Nous sommes révulsés par tout ce qu’il représente et, dans le même temps, nous avons envie de le prendre dans nos bras. Plus nous voulons feindre de n’être que des voyeurs, plus, en vérité, nous devenons ses intimes.

« J’aime la boxe autant que je la hais. Et dès que je la hais, je l’aime. » — Budd Schulberg

Tous les boxeurs sont des menteurs, des escrocs. Plus le menteur est doué, plus le boxeur est fort. Vous mesurez cette nécessité dès que vous posez un pied sur le ring pour la première fois. Car si vous saviez ce qu’un combattant a dans le cœur, si vous saviez vraiment ce qu’il pense, il serait plus facile à cerner. Et si vous pouviez le cerner, il serait plus facile à frapper. Et si vous pouviez le frapper, vous pourriez le percer à jour – ce qui risquerait de dévoiler également tous ceux qui ne lui ont pas résisté, tous ceux qu’il n’a pas défendus. Un simple souffle qui peut lever le voile sur votre âme comme rien d’autre n’avait pu le faire auparavant. Bien sûr, si tous les boxeurs sont des menteurs, cela n’a rien à voir avec le fait d’être malhonnête. C’est juste que tous les combattants sont accros à la vérité.

Les gens honnêtes n’ont pas besoin de comprendre les ressorts de la vérité, mais pour un menteur, rien n’est plus vital. J’ai un rapport délicat à la fois avec Tyson et avec la boxe. C’est Budd Schulberg qui écrivait : « J’aime la boxe autant que je la hais. Et dès que je la hais, je l’aime. » Eh bien, je hais à peu près tout de ce sport et de la manière dont il est géré, mais j’aime à peu près tout des boxeurs. Enfant, le premier champion que j’ai découvert fut Tyson : mon frère avait le jeu Mike Tyson’s Punch Out!! sur Nintendo. Quelques années plus tard, à l’âge de 11 ans, un incident contre un voyou et sa bande m’a valu de vivre pratiquement reclus pendant trois ans.

Puis, en 1994, à l’âge de 15 ans, j’ai vu Tyson interviewé en prison. Il parlait de sa propre histoire, de sa lâcheté, des tourments et de l’humiliation nés des brimades. « Ces persécutions me donnent encore l’impression d’être un lâche », rappellera plus tard Tyson, dans ses mémoires. « C’est un sentiment terrible que de se sentir aussi impuissant – et impossible à oublier. » C’était la première fois que j’entendais quelqu’un décrire ce que je ressentais et, miraculeusement, ce quelqu’un avait remporté le championnat du monde des poids lourds. Si la couardise pouvait nourrir ce genre de transformation, cela signifiait que je pouvais espérer : il ne fallait pas que j’abandonne. « Je pensais que tout le monde était une proie facile car j’en étais une moi-même aux yeux des autres », écrit Tyson dans ses mémoires. Je pense que c’est ce qui explique qu’il n’a jamais eu besoin de ses adversaires pour faire vendre les places de ses combats : nous sommes tous des proies pour lui et, en regardant Tyson, nous ressentons cette menace.

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« J’ai peur »
Tyson envoyé en prison

Le lendemain, je me rendis dans deux endroits où je ne serais jamais allé de mon propre chef : la bibliothèque et une salle de boxe. Une semaine plus tard, je m’assis pour écrire une lettre au prisonnier n°922335 du Centre pour jeunes de Plainfield, Indiana. La seule chose que j’essayais d’expliquer à Tyson dans cette lettre était que, en dehors de toute autre considération, il était responsable du fait que son histoire m’avait sauvé la vie. Je n’ai jamais su s’il a reçu cette lettre.

Une fois le seuil de la porte franchi, essayant d’être discret et de ne pas tousser en traversant la fumée d’herbe flottant dans l’air, je vis un écran plat de télévision où passait une comédie romantique avec Sandra Bullock, avec les jouets des enfants de Tyson pour seul public. Dans une pièce au fond d’un couloir, j’aperçus un autel dédié à son propre culte : une statue de lui, des portraits, des trophées et autres bibelots. Puis Darryl me tendit une bouteille d’eau et m’indiqua un canapé de cuir dans le salon. Je m’assis et remarquai la belle-mère de Tyson, au-dessus de moi, à l’étage.

Elle était sortie par une porte avec un bébé dans les bras et galopait vers une autre porte qu’elle claqua, comme si elle répétait pour le rôle du Lapin blanc d’Alice au pays des merveilles. A côté de la porte qui s’était refermée sur elle, je remarquai le dossier d’un énorme canapé en cuir. Il y avait une espèce de bosse bizarre au milieu. La bosse bougea, puis s’inclina et tourna dans ma direction. Je remarquai le masque mortuaire peint sur le visage de Tyson, juste au moment où il posa sur moi son regard-qui-tue. Il se leva. En chair et en os, ses yeux étaient aussi différents qu’une toile de Van Gogh peut l’être par rapport à une reproduction. Tous les boxeurs portent leur cœur en bandoulière, mais le cœur de Tyson est un mont-de-piété de rêves brisés. Il ne me quitta pas des yeux, descendant l’escalier d’un pas lourd vers cet inconnu qui se trouvait dans son salon. « Alors, comment ce connard de blanc-bec a-t-il pu entrer dans ma maison ? »

Pendant l’instant cauchemardesque durant lequel cet animal de combat me regardait fixement, je me souviens avoir pensé : « Si quelqu’un n’a jamais amené un couteau à beurre dans une fusillade… » Mais alors, j’ai compris que j’avais tort. La gratitude peut être l’arme la plus redoutable de la Terre pour un être humain qui ne l’a jamais beaucoup connue. Chacun sait qu’il faut être plus cinglé que Tyson pour réellement éprouver de la gratitude à son égard. Je souriais parce que je connaissais la seule raison pour laquelle ce « connard de blanc-bec » était entré dans sa maison, ou était aujourd’hui capable de quitter la sienne, longtemps après avoir tout espoir de le faire : c’était lui. Vous pensez qu’il est dangereux de rencontrer ses héros ? Attendez votre tour.

Tentez d’expliquer à Tyson qu’il était votre putain de héros pendant votre enfance. Les filles adorent ça. Peut-être que nous ressentons une telle compassion pour Tyson à cause des abus dont nous savons qu’il a été victime et que nous imaginons. Le premier embryon de preuve étayant ce soupçon apparaît en page 16 de ses mémoires. Quand sa mère a perdu son emploi, la famille de Tyson a été expulsée de Bedford Stuyvesant à Brooklyn – il avait sept ans. Les meubles avaient été jetés sur le trottoir et Tyson, avec son frère et sa sœur, devaient défendre leurs biens pendant que leur mère cherchait un ultime recours pour mettre un toit sur leur tête, à Brownsville.

Il a décrit son nouvel environnement comme une zone de guerre, « horrible » et « terrifiante » – partout des dangers mortels, les sirènes de police hurlant dans tous les coins, la vue constante des ambulances venant chercher les corps agressés ou drogués, les revolvers défouraillant à toute heure, les coups de couteau, les fenêtres brisées, les voitures braquées. En l’espace de quelques semaines, écrit Tyson, il fut le témoin de plusieurs fusillades. Quand son frère et lui furent dépouillés, juste en face de leur nouvel appartement, au 178 Amboy Street, le petit garçon qu’il est toujours se souvient avoir pensé : « Ouah, ça arrive dans la vraie vie. »

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Le 178 Amboy Street

Lorsque, dans son livre, il évoque les premières impressions du cul-de-basse-fosse dans lequel il vivait, il avoue – comme un aparté laissé en suspension pour voir si quelqu’un le remarquera : « Un jour, un type m’a fait quitter la rue et conduit dans un bâtiment abandonné, où il a essayé de me molester. » « Essayé » ? Où finit « essayer » et où commence « molester » ? Malgré les interminables récits détaillant les expériences douloureuses et autres abus que Mike Tyson s’est vu infliger ou qu’il a pu infliger à d’autres – la plupart étant décrits minutieusement tout au long des 564 pages restantes du livre –, il ne revient pas une seule fois sur cet incident en particulier.

Or, chacun sait qu’on en apprend davantage sur les gens par ce qu’ils essaient de dissimuler que par ce qu’ils révèlent. Et dans le même temps, nous sommes tous désespérément désireux qu’on s’intéresse à nous. « Je ne fais rien, sauf si je risque de me ridiculiser et d’être vraiment embarrassé », me dit Tyson. « Quand cette menace pèse au-dessus de ma tête, cela me donne la force d’être à la hauteur. » Il était accro au risque d’être exposé – tout mensonge renferme une vérité. « J’ai été exploité toute ma vie », confesse Tyson. « J’ai été abusé, déshumanisé, humilié, trahi. » Alors, pour la première fois, et bien que de manière indirecte, Tyson soulevait la question de l’abus sexuel parmi toutes les autres formes d’abus dont il dit avoir souffert.

Et aussitôt, il l’a abandonné, nous laissant nous demander si elle offrait ou non un aperçu révélateur sur lui – pas seulement sur son ascension et sa chute –, mais aussi sur la fascination que nous éprouvons à son égard. Peut-être que la réponse devrait être creusée. Peut-être qu’elle pourrait apparaître comme une meilleure pierre de Rosette pour déchiffrer son personnage et l’attrait qu’il suscite. F. Scott Fitzgerald n’a-t-il pas dit qu’ « il n’y a pas de deuxième acte dans une vie américaine » ? Pourtant, qui, au cours de sa vie d’Américain, aura connu plus d’actes que Mike Tyson ? L’auteur de sa biographie sur Amazon le décrit comme « un philosophe, une star de Broadway, un combattant, un criminel ». Et au vu du talent avec lequel il nous a vendu chacun de ces épisodes – avec la récente série télévisée « Mike Tyson Mysteries », nous allons jusqu’à lui laisser la bride au cou et le déchaîner, lui le criminel, dans un dessin animé adressé aux enfants –, je ne suis pas sûr que l’Amérique ait jamais surpris Mike Tyson.

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Mais depuis 30 ans maintenant, Mike Tyson n’a jamais cessé de nous surprendre. Vous pourriez penser que l’animal impitoyable ou le cas désespéré qu’il a toujours été perdrait rapidement de son pouvoir sur nous – mais il n’en est rien. 25 ans après qu’il a abandonné son titre poids lourd, Tyson – et non Floyd Mayweather, pas même Ali, ni personne d’autre – est toujours le boxeur américain qui attire le plus d’attention. Depuis le début, nous n’avons pas pu détourner notre regard. Sauf que désormais, ce n’est pas ce qu’il a fait sur le ring que nous scrutons, mais tout ce qui lui est arrivé avant et après qu’il l’a quitté, le 11 février 1990, après avoir perdu pour la première fois.

En 1998, au cours de son interview pour Playboy avec Tyson, Mark Kram – auteur de Ghosts of Manila (« Les fantômes de Manille ») sur la rivalité Ali-Frazier, et mort en 2002 peu après avoir signé un contrat pour écrire une biographie de Tyson – observait que « Mike Tyson est la personnalité sportive la plus sombre que j’ai jamais rencontrée. Je continue à penser que jamais auparavant je n’avais rencontré d’homme de 32 ans à ce point dévoré par la rage, aussi hostile, déprimé et absolument convaincu de ne pas pouvoir se racheter. »

La vérité et rien d’autre

Les raisons ne manquent pas et nous en connaissons beaucoup. À 13 ans, Tyson avait déjà été arrêté 38 fois. Son père, un maquereau, ne connaissait que la violence et abandonna la plupart de ses 17 enfants. À peine adolescent, Tyson fut traîné en haut d’un immeuble abandonné par des gamins du quartier de Brownsville qui le frappaient et hurlaient en représailles d’un vol de pigeons qu’il avait commis. Ils passèrent une corde autour de son cou et menacèrent de le jeter du toit. C’est au moment où il allait être poussé qu’il se mit à la boxe. Et tout changea quand le destin mit Ali sur son chemin. « Je n’ai jamais oublié cela », dit-il.

D’Amato gagna sa confiance et devint vite son mentor, la personne la plus influente de sa vie et de sa carrière.

Comment aurait-il pu ? Soudain, Tyson trouvait une vocation pour laquelle son casier judiciaire était le meilleur des CV. Puis, en mars 1980, sur le point de quitter le centre de détention de Tryon, Mike Tyson rencontra le vieux Cus D’Amato, 72 ans, dans un gymnase de Catskill, à New York. Une rencontre du même type s’était déjà produite en 1950, quand D’Amato avait découvert et dirigé la carrière de Floyd Patterson, le plus jeune des champions poids lourds et le premier millionnaire en dollars de la boxe.

Après six minutes à observer les entraînements de Tyson, D’Amato lui dit : « Si tu m’écoutes, je peux faire de toi le plus jeune champion poids lourds de tous les temps… Tout ce que tu as à faire est de m’écouter. » D’Amato supplia : « Des descendants de rois connaîtront ton nom… Le monde entier saura qui tu es. Les gens respecteront ta mère, ta famille, tes enfants. » La première impression que Tyson eut de D’Amato ? La réaction du garçon qui avait été abusé toute sa vie fut immédiate : comme Tyson le rappelle dans sa biographie, il pensa qu’il s’agissait d’un « pervers ».

Pourtant, D’Amato gagna sa confiance et devint vite son mentor, son tuteur, la personne la plus influente de sa vie et de sa carrière. « J’étais tellement peu sûr de moi, tellement effrayé », avoue-t-il dans ses mémoires, lorsqu’il se mit à comprendre les projets de D’Amato le concernant. « J’étais tellement traumatisé par ceux qui m’avaient harcelé quand j’étais plus jeune, je haïssais l’humiliation d’être bafoué. Ce sentiment vous colle à la peau pour le restant de votre vie… C’est pour cela que j’ai toujours clamé au monde que j’étais un méchant, un connard féroce. » « Brise la volonté de ton adversaire », enseigna D’Amato au jeune Tyson. « Attaque sans cesse, ne relâche jamais la pression. Détruis sa volonté, fais que tout son engagement soit un mensonge. » Ainsi, Tyson, à bien des égards, entreprit de faire de la cause la plus passionnée de sa vie un mensonge.

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Cus D’Amato et son poulain

« Tu dois regarder tes démons en face, Mike », conseilla D’Amato à son futur prodige, « sinon, ils te poursuivront pour l’éternité. Rappelle-toi de toujours faire attention à la manière dont tu mènes tes combats, car c’est ainsi que tu mèneras ta vie. » En 1985, sur le lit de mort de D’Amato, Tyson, qui n’était pas encore champion, retint ses larmes et confia : « Je ne veux pas faire cette merde sans toi. Je ne le ferai pas. » « Bien », répliqua d’Amato. « Si tu ne combats pas, tu découvriras que des gens peuvent sortir de leur tombe, parce que je te hanterai pour le reste de ta vie. » Vu la manière dont Tyson s’effondre à la moindre mention du nom de D’Amato, peut-être a-t-il tenu parole.

La légende du vieux marginal qu’était Cus D’Amato, un homme ayant passé sa vie à résister à la mafia et à la corruption grâce à la boxe – qui passa moins de 10 minutes avec un Tyson âgé de 12 ans avant d’être sûr d’avoir rencontré le plus jeune champion poids lourds de l’histoire et qui, dès lors, fit en sorte qu’il le devienne –, compose l’un des derniers contes modernes sur la rédemption par le sport. L’un des éléments moteurs dans les biographies de Tyson et de D’Amato fut cette capacité à élaborer leur « mythe de la création » personnel. D’Amato rendait grâce à Tyson pour avoir prolongé sa vie, et pour lui avoir offert la justification même de sa survie. Pour Tyson, cette première rencontre – même après l’avoir racontée à de nombreuses reprises –, demeure suffisamment forte pour qu’il pleure à chaque fois, toujours au même moment. Peu de gens ont essayé de chercher plus loin. Pourquoi ruiner une belle histoire ? Mais rappelez-vous, les contes de fée sont écrits pour qu’on n’ait pas à se confronter à nos plus grandes peurs.

En 1979, Tyson, âgé de 13 ans, emménagea dans la maison de Catskill que D’Amato partageait avec sa compagne de longue date, Camille Ewald (la sœur de sa belle-sœur), un manoir victorien de 14 pièces surplombant l’Hudson River. Beaucoup d’autres gamins perdus – plusieurs dizaines au fil des ans, selon certaines estimations qu’on m’a rapportées au cours d’entretiens –, avec un passé agité d’abus physiques et sexuels, y trouvaient un abri, un sanctuaire. D’Amato entraînait beaucoup d’entre eux dans la salle qu’il dirigeait au-dessus du commissariat de police de Catskill – peu devinrent professionnels. Tyson était là pour combattre : il ne finit pas le lycée. Il fut encadré par D’Amato tout au long de son adolescence.

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Le maître et son disciple

Constantine D’Amato était né le 17 janvier 1908 dans le Bronx et, durant toute son enfance, subit les brutalités de son père (le fouet était une arme de choix) et celles de la rue. Comme Tyson, il avait perdu sa mère très tôt et, peu après, son frère bien aimé, Gerry, se faisait assassiner par un agent de police new-yorkais. D’Amato se tourna alors vers l’église, avec l’intention de devenir prêtre.

Après avoir brusquement abandonné cette voie, il s’engagea dans l’armée mais fut incapable d’exercer ses fonctions à cause d’un mauvais œil et de pieds plats. Il voulait boxer, mais une blessure à l’œil reçue au cours d’une bataille de rue avait mit un terme à sa carrière. Il s’essaya au communisme (Hoover et le FBI ouvrirent un dossier sur lui), dormit avec un flingue sous son oreiller pour le restant de sa vie, et ouvrit la salle Gramercy Gym à Manhattan. Pendant des années, il y vécut. Il découvrit Rocky Graziano avant de se le voir soufflé par des gens plus établis dans l’univers de la boxe.

En 1949, un jeune homme nommé Floyd Patterson entra dans la salle d’entraînement après avoir passé deux ans dans une maison de correction – ça vous rappelle quelqu’un ? D’Amato commença à travailler avec celui qui allait bientôt devenir son premier champion poids lourds et noua clandestinement quelques relations déterminantes au sein de la mafia qui contrôlait la boxe. Trois ans plus tard, il mena Patterson vers une médaille d’or aux Jeux Olympiques d’Helsinki et avait assez d’influence dans le sport pour conduire Patterson à la couronne des poids lourds, à 21 ans – ce qui en faisait le plus jeune champion poids lourds de l’histoire. Il prit à peine un centime – selon Patterson, l’argent n’avais jamais été la motivation de D’Amato. D’Amato put jouer sur les deux tableaux, arrivant à se faire un nom mais aussi beaucoup d’ennemis.

Pendant qu’il faisait secrètement affaire avec certains personnages clés de la mafia, il s’opposait publiquement au crime organisé en prenant la défense de Patterson, tout en soignant le caractère de son poulain et dirigeant sa course triomphante de champion, entre 1956 et 1959. Puis, Patterson estima que D’Amato n’était pas à la hauteur – le protégeant avec des combats faciles et des contrats bidons qui lui coûtaient de l’argent. Il s’en sépara et connut bientôt une série de défaites contre des adversaires plus redoutables. En 1965, D’Amato fit un retour en force et obtint son deuxième champion du monde quand Jose Torres mit KO Willie Pastrano au neuvième round pour remporter le championnat des lourds-légers. À ce moment-là, D’Amato était à la fois considéré comme un excentrique et comme un expert, admiré pour son sens de la boxe et ostracisé pour sa violente paranoïa. Même si Mohamed Ali l’appelait régulièrement pour lui donner des conseils avant ses combats importants, D’Amato finit par être marginalisé dans un sport auquel il avait dévoué sa vie. Il fit son retour et prit sa revanche lorsqu’il découvrit Tyson. ulyces-tysonfall-09 Il ne resta pas longtemps aux côtés de son dernier protégé et mourut à l’âge de 77 ans, le 4 novembre 1985, peu après que Tyson devienne boxeur professionnel et un an avant qu’il gagne une part du titre en battant Trevor Berbick. À ce moment-là, la déification de D’Amato avait déjà commencé. Mais quelque chose d’autre advint au même moment, un mur de silence fut édifié autour de certains aspects de sa biographie, un héritage qu’il avait passé des années à opacifier et que les années suivantes n’ont pas clarifié. Les principaux architectes du mythe Tyson, D’Amato, Jimmy Jacobs et Bill Cayton, les managers de Tyson, sont tous morts depuis longtemps. « Ils venaient de mondes différents du nôtre », m’expliqua Tyson. « Des mondes secrets. Je ne sais pas grand chose sur Cus. »

En ce qui concerne Jacobs, Tyson était cité dans Scream, rappelant de manière énigmatique : « Il y a beaucoup de choses étranges à propos de Jim Jacobs qui ne seront peut-être jamais connues. » D’Amato comme Jacobs ont entouré de mystère leur vie privée, à coups d’obscurcissements et de contradictions. Et, pour l’un et l’autre, les dossiers médicaux, les rapports de l’armée, du FBI ou de la justice sont hermétiquement clos. Gay Talese, qui fut un proche de D’Amato durant des années, le décrit comme un « excentrique amusant, mais à mon avis à la limite d’être psychotique ou paranoïaque ». Une indication qui n’importe que par le degré d’introspection qu’elle permet dans la personnalité de Tyson et les secrets qu’il garde. Cela nous permet aussi peut-être de comprendre pourquoi, 25 ans après avoir perdu le titre poids lourds, 22 ans après être allé en prison pour viol, nous éprouvons toujours une forme de sympathie pour lui.

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Le 28 octobre 2014, je fumais nerveusement une cigarette devant le Ritz Carlton du Lower Manhattan, attendant d’interviewer Mike Tyson, désormais âgé de 48 ans. J’étais bien décidé à être la première personne à lui demander non seulement si l’étranger qu’il mentionne dans ses mémoires est bien parvenu à le « molester », mais aussi si cela avait été la seule fois. Car plus j’enquêtais sur ce dernier point auprès de tous ceux que j’avais pu rencontrer – qui l’avaient connu enfant, ou bien des membres de son cercle restreint –, plus je me heurtais à un étrange mur de silence ou à une absurde hagiographie, totalement contradictoire avec de nombreux récits fiables.

Je rencontrais aussi une curieuse réticence à dire la raison de ce silence, ainsi qu’une étrange propension à parler par allusion : « Il y a beaucoup d’intérêts en jeu. » Clic. « Je ne suis pas là pour parler du passé. » Clic. Ça ou bien : « Avant que nous n’abordions ce point-là, nous sommes “off the record” maintenant, OK ? » Après des mois, des centaines de coups de fil et de rencontres, tout ce que j’avais été capable de révéler était que beaucoup de pistes avaient été dissimulées. Il faut rappeler que, après que Tyson eût été condamné – même s’il a toujours clamé son innocence –, il écrivit une lettre au commentateur sportif Jim Gray dans laquelle il confessait sa culpabilité pour « cinq à sept » crimes encore plus terribles. Pire qu’un viol ? Or, rien d’approchant n’était inventorié dans ses mémoires ou dans le récent one-man show de Tyson à Broadway, ou bien encore dans la série de télé-réalité Taking on Tyson, pas plus que dans le célèbre documentaire de James Toback, Tyson. Mais il faut se souvenir que certains crimes ne bénéficient pas de prescription.

« Je ferais salle comble au Madison Square Garden rien qu’en me masturbant. » — Mike Tyson

Finalement, près de quatre ans après avoir fraudé pour entrer dans sa maison, j’eus la chance d’interroger directement Tyson à propos de certains éléments qui m’étaient venus à l’esprit en lisant ses mémoires. Tous les journalistes qui l’avaient connu avant qu’il ne commence sa carrière professionnelle, près de 30 ans auparavant, en 1985, alors qu’il n’avait que 18 ans, me donnèrent le même conseil avisé : « Garde ces questions pour la fin. Tu sais, au cas où il décide de faire ce que Mike Tyson fait le mieux : te casser la gueule. » Non que ces auteurs pensaient que j’avais tort – presque tous exprimaient le même genre de doutes –, mais juste au cas où j’aurais raison. Son attachée de presse m’appela.

« — Nous arrivons à l’hôtel. Désolés d’être en retard mais c’est la circulation à New York. Donc, soyons clairs, après l’embrouille du mois dernier à Toronto avec le journaliste télé », dit-elle en référence à l’explosion verbale de Tyson au cours d’une interview en septembre 2014, « nous ne souhaitons pas parler de Désirée Washington ou de Robin Givens. Ne soyez pas ce genre de type. Tenez-vous en strictement au contenu de La Vérité et rien d’autre. — Pas de problème. — On se voit dans une minute. » Un concierge à l’intérieur du Ritz me vit arpenter le trottoir et m’apporta une bouteille d’eau maison. « Vous semblez en avoir besoin. »

Les mains sales

« La boxe est, en vérité, le sport favori de tout le monde », a avancé le spécialiste de la discipline de HBO, Max Kellerman, en étayant son assertion d’un malicieux exercice mental : « Tu arrives à un carrefour – dans un coin, deux enfants jouent au baseball. À l’autre coin de rue, quelques gars tirent des paniers au basket. Au troisième coin de rue, il y a un gars qui fait rouler une balle de golf. Et au quatrième coin, il y a une bagarre. Une centaine de personnes sont rassemblées à ce carrefour. Combien de gens regardent autre chose que la baston ? »

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Imaginons mieux. Que se passerait-t-il si, à un coin il y avait Babe Ruth, une batte à la main, à un autre Michael Jordan préparant un smash, et dans le troisième Pelé dribblant balle au pied ? Et si, au quatrième coin de rue, Tyson apparaissait ? Où iraient les regards de la foule ? Et iraient-ils malgré tout si cela leur coûtait le prix d’un repas ? Babe, Jordan et Pelé, rappelons-le, n’ont jamais brassé autant d’argent que Tyson et ses combats. Je pense que vous avez une idée assez claire de l’endroit où se dirigerait cette foule. Vous avez même une assez bonne idée d’où iraient Babe, Jordan et Pelé. Ils n’iraient pas seulement où il y a de l’action, mais là où ils trouveraient la meilleure histoire à raconter après coup.

Aucun héros de la littérature n’a égalé Tyson. Hemingway aurait tué père et mère pour donner aux combattants de ses histoires les répliques de Tyson. Il est peu probable que le rôle de Tyson en ait fait l’athlète le plus fascinant de l’histoire du sport. Il n’a même jamais été important de savoir qui il combattait. Ce fut le cas avec Mohamed Ali, Joe Louis et Marciano. Ray Robinson, Mohamed Ali et aujourd’hui Floyd Mayweather offrent tous une danse violente. Avec Tyson, il importait peu de savoir s’il combattait – ce qui comptait, c’était toujours son interprétation. Sa vie même était une symphonie de rage et de fureur. Hors du ring, il était souvent un criminel en puissance, mais au lieu de l’arrêter, la police l’escortait vers le ring où il laisserait cours à la même malveillance pour des millions de dollars et pour le plaisir de millions de personnes.

Prenez le 22 Novembre 1986 à Las Vegas, quand Tyson prit le titre de la WBC à Trevor Berbick au deuxième round en le mettant K.O. – obtenant alors le titre de plus jeune champion poids lourds à 20 ans. Prenez le 27 juin 1988 à Atlantic City, quand il remporta 21 millions de dollars et devint le champion incontesté après avoir battu Michael Spinks en 91 secondes. Ou même, trois ans après, prenez le 11 février 1990 à Tokyo quand il perdit ce qui fut peut-être le plus grand renversement de situation de l’histoire du sport, contre Buster Douglas. Tous ces combats n’avaient en réalité d’autre objet que Tyson lui-même.

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James Buster Douglas aujourd’hui.

Douglas gloussait au téléphone quand il me dit qu’après ce combat, quand son avion atterrit aux États-Unis et qu’il vit la horde de reporters rassemblée en bout de piste, il avait demandé à un ami assis près de lui : « Pour qui ils sont là ? » et que son ami avait répondu : « Pour toi. » Mais ce n’était pas tout à fait exact. Ils étaient là pour voir quelqu’un d’autre porter la ceinture de Tyson. C’est une histoire de boxe. En voici une autre.

Le tout premier combat que vit Jim Lampley, le principal commentateur de boxe pour la chaîne HBO, était celui qui, à Miami, opposa Sonny Liston à Cassius Clay, le 25 février 1964, quand il avait 14 ans. Au téléphone, il me raconta qu’il avait économisé chaque sou gagné à tondre les pelouses pour payer la place, et Clay prit la couronne quand Liston fut incapable de reprendre le combat au septième round.

« Au début du combat, Liston était favori à 8 contre 1. J’ai couvert les combats de Tyson depuis qu’il a commencé. Et Mike Tyson contre Buster Douglas était le combat le plus important que j’ai jamais commenté, le plus mémorable auquel j’ai assisté. Douglas était un fantassin qui, cette nuit-là, a fait le combat de ses rêves. »

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« C’est ce que je hais chez moi, ce que j’ai appris de ma mère – il n’y a rien que tu ne ferais pour survivre. » – Mike Tyson À environ 9 heures du matin heure locale, le 11 février 1990 à Tokyo, Donald Trump prit place au au premier rang, à côté de Don King, pour le combat de Mike Tyson contre James « Buster » Douglas, et regarda le public : « C’était le public le plus inintéressant que j’ai jamais vu. Je n’avais jamais connu ça », dit-il. Alors qu’Aaron Snowell, l’entraîneur de Tyson, marchait vers le ring avec le champion poids lourds en agitant le drapeau américain, il se souvient que le stade était tellement silencieux qu’ « on pouvait entendre une mouche voler ».

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L’affiche du combat

Lampley, commentant le combat pour HBO, ajoute : « La chose dont je me souviens le plus est le calme… On pouvait entendre le frottement des semelles de Douglas et de Tyson sur le tapis. En 32 ans de commentaires sportifs en tout genre, je n’avais jamais travaillé sur une retransmission aussi étrange ou mémorable que celle-ci. » Tyson avait 23 ans quand il entama son 38e combat professionnel. Jusqu’alors, il n’avait jamais été touché lors des combats, et encore moins blessé, mis K.O. ou sur le point de perdre.

Comme Lampley le souligna dans sa préface à Tyson-Douglas : The Inside Story of the Upset of the Century : « Nous étions bien dans la phase suivante de la carrière de Tyson, celle qui a incubé lors de son voyage précédent à Tokyo (deux ans auparavant, quand Tyson mit Tony Tubbs K.O.). Il était marié avec beaucoup de difficultés à Robin Givens, dirigé par l’actrice et sa mère, sous l’emprise promotionnelle de Don King, développant une vie de cirque pour nourrir le monstre médiatique qui le cajolait et le malmenait à la fois. » Au troisième round, Douglas menait la danse avec Tyson et dominait la rencontre à un tel point que tout, dans l’identité de Tyson comme dans son invincibilité apparente, prit une tournure dramatique. Trump se pencha sur Don King et lui demanda : « Est-ce que c’est vraiment en train d’arriver ? »

Au huitième round, Tyson décocha un terrible uppercut qui fit tomber Douglas, mais échoua à interrompre le combat en dépit d’un décompte de 13 secondes contesté. L’arbitre n’avait compté que jusqu’à 9 et demi au moment où Douglas se releva et fut immédiatement sauvé par le gong. Deux rounds plus tard, un Tyson chancelant était cueilli d’un crochet du gauche, repoussé contre le coin du challenger, le regard vide, fixant les lumières pour la première fois. Au moment de la chute de Tyson, tous les reporters de la tribune des journalistes ont sauté sur leurs pieds. Tous les photographes ont brandi leur appareil photo sous les cordes, à chaque coin du ring. Sous le coup de l’émotion, l’un d’eux laissa même tomber son appareil et se rua sous le tapis pour le récupérer. Quand le corps de Tyson absorba le choc de sa chute, sa mâchoire ouverte laissa échapper son protège-dents qui heurta son œil gonflé avant de rebondir sur son sourcil et d’atterrir derrière son épaule.

Tyson frémit, inconscient, durant une fraction de seconde, jusqu’à ce que l’arbitre, qui hurlait le décompte dans son oreille, ne le ramène à la réalité. Il essaya de soulever son épaule du tapis en effectuant deux faibles mouvements, y parvint à la seconde tentative, essayant désespérément de se redresser sur les mains et les genoux pour se lever avant la fin du décompte. Soudain, il se souvint de son protège-dents perdu et tâtonna à l’aveuglette pour le trouver. Alors qu’il tentait de le replacer avec son gant, il mordit un coin et vacilla sur ses genoux. Il remarqua le coude de l’arbitre plié et tenta piteusement de l’agripper pour qu’il l’aide à se relever. Mais celui-ci se retira rapidement et tourna les talons. Alors que Tyson parvenait mollement à se relever, l’arbitre agita les mains pour clore le combat et l’entoura, le tenant dans ses bras pendant que l’onde de choc se propageait parmi la foule et que le rideau tombait sur le plus grand retournement de situation de l’histoire de la boxe, si ce n’est du sport.

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« Cela fait ressembler Cendrillon à une histoire un peu triste », déclara Larry Merchant aux spectateurs, juste au moment où les fans de Douglas sautaient par-dessus les cordes pour assaillir le nouveau champion. Le biographe de Don King, Jack Newfield, se souvient du moment qui avait rendu Tyson célèbre : « Je pensais à cette nuit où il avait anéanti Spinks, et ce regard de frustration dans ses yeux. C’était comme s’il avait gravi l’Everest, donné un coup dans une porte et qu’il découvrait que la salle était vide. Son regard semblait dire : “C’est tout ce qu’il y a ?” On aurait dit une tragédie grecque, avec Tyson qui cherchait la scène. » Il la trouva à Tokyo, et à partir de ce moment-là, le regard sur son visage disait autre chose.

Il n’avait plus nulle part où aller, mais il avait du chemin à parcourir. Si Tyson s’était retiré 20 mois plus tôt après avoir anéanti Spinks l’invaincu, comme il menaçait de le faire, à tort ou a raison, il aurait pu prendre sa retraite tout en restant dans l’esprit des gens comme le plus grand champion poids lourds de tous les temps. Spinks était invaincu et n’avait jamais été mis à terre – Tyson y parvint deux fois avant de le mettre K.O. en une minute et demie et chassa définitivement Spinks de ce sport. Mais nous n’avons plus jamais vu ce Tyson-là – il ne vieillit pas, mais il en eut assez. Mais après que Douglas l’eut exécuté au 10e round, ce que Tyson cherchait à tâtons sur le tapis était plus que son protège-dents : l’essence même de l’identité qu’il s’était construite avait volé en éclat.

Gagner le championnat contre Berbick, puis le perdre contre Douglas ne lui prit que trois ans, deux mois et vingt jours – 1 177 petits jours pour ce genre de carrière. Quand il tomba devant Douglas, il n’avait pas encore 24 ans. Au cours de 17 de ses 37 combats, il avait battu son opposant dès le premier round. Comme Orson Welles ou Bobby Fischer, Tyson quitta son zénith aussi vite qu’il l’avait atteint. Rappelez-vous, il était sur le point de devenir le premier sportif de l’histoire à un milliard de dollars, alors aussi intéressant commercialement hors du ring que sur le ring. Les entreprises américaines – Pepsi, Toyota, Nintendo, Kodak – avaient toutes des projets pour lui. Il faisait même de la pub pour la police new-yorkaise.

Si vous vous êtes déjà intéressé à Tyson, vous n’avez jamais eu les mains propres.

C’était avant que l’histoire de Tyson ne connaisse une nouvelle chute 523 jours plus tard, le 19 juillet 1991, et que Desiree Washington accepta de l’accompagner dans la chambre n° 606 de l’Hotel Canterbury à Indianapolis, à 2 heures du matin. 206 autres jours plus tard, le 10 février 1992, les jurés d’Indianapolis mirent 9 heures et 20 minutes pour rendre un verdict de viol et deux chefs d’accusation pour conduite criminelle et déviante. Six semaines plus tard, le juge Patricia Gifford condamna Tyson à dix ans de prison pour chacun des trois chefs d’accusation, mais avec quatre ans de sursis et des peines à purger – il passa six ans en prison. À 25 ans, Mohamed Ali, le saint laïc américain, devint un martyr, perdant trois ans et demi de sa carrière florissante pour avoir refusé d’intégrer l’armée. Tyson, le démon laïc de la boxe, avait le même âge qu’Ali quand il fut enfermé et perdit quatre ans et demi de sa carrière pour cet acte abominable.

Pourtant, même après la chute, nous l’avons laissé se relever et revenir dans nos vies. Nous l’avons même accueilli à bras ouverts et payé plus grassement que n’importe quel artiste de variété sur Terre. Un peu plus d’un siècle ans après que Van Gogh eut livré son oreille tranchée enveloppée dans un vêtement à une prostituée d’Arles horrifiée, le 28 juin 1997, Tyson mâcha un morceau sanguinolent de l’oreille d’Evander Holyfield et le recracha sur sa propre toile, un artefact du XXe siècle. Ce combat, interprété par le champion déchu et criminel, se déroula au MGM Grand de Las Vegas, et fut le plus grand succès commercial de l’histoire de la boxe.

Une représentation qui afficha complet avec 18 187 spectateurs payant une entrée à 17 277 000 dollars pour le voir en direct, 1,99 million d’Américains qui dépensèrent 99 822 000 dollars pour le pay-per-view, et le combat fut retransmis dans 97 pays. Peut-être que le petit secret qui nous lie à Tyson depuis le début réside dans le fait que nous n’accordions pas d’importance à sa méchanceté, nous soupçonnions que tout ce qui lui arrivait était pire que tout ce qu’il avait fait aux autres. Et le résultat était viscéral et imprévisible, quelque chose dont nous ne pouvions détourner le regard.

Ce fut peut-être là notre véritable fascination. Nous avons toujours craint Tyson et en le craignant, en le laissant se relever après sa chute, nous n’avons jamais dû faire face à ce qui est peut-être responsable du vide qui l’habite. Le vide que Tyson a toujours projeté, ce désarmant mélange de rage et de vulnérabilité désespérée, suggérait quelque horreur inimaginable, quelque justification pour les péchés de tous ceux qui l’avaient créé. Si vous vous êtes déjà intéressé à Tyson, sans même parler du désir de l’encourager, vous n’avez jamais eu les mains propres.

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La symphonie inachevée

« Le concept basique de son style est de n’avoir aucune notion du temps… Il combat son adversaire comme s’il lui avait volé quelque chose. » – Jimmy Jacobs, co-manager de Mike Tyson J’ai rencontré Tyson pour la deuxième fois au Ritz Carlton, à New York, le 28 octobre 2014. Il est arrivé juste après une interview pour The Today Show, première étape de sa tournée médiatique pour la sortie de ses mémoires en édition de poche. Après notre rencontre, il filait vers le Late Night with Jimmy Fallon. Une fois que son attachée de presse m’eut conduit dans la suite de Tyson, je disposais deux fauteuils près de la fenêtre surplombant l’eau derrière Battery Park. Tyson émergea de sa chambre, portant un T-shirt blanc et un short. Loin de la tenue qu’il arborait sur le ring, il portait des chaussettes qui baillaient sur ses chevilles. L’attachée de presse s’assit sur un canapé derrière moi pendant que nous parlions et, régulièrement, deux de ses enfants échappaient à l’attention de leur mère pour quitter la chambre, faire irruption dans le salon et l’embrasser sur la joue.

Aujourd’hui, Tyson n’a plus que sa famille. Après 45 minutes d’une conversation détendue, je pris mon souffle et décidai de me jeter à l’eau :

« — Il y a une chose que je voulais vous demander, une question que je n’ai jamais entendu personne vous poser. Vous avez écrit que vous étiez harcelé à longueur de temps. Et vous avez ajouté que la plupart du temps on s’en prenait à vous avec des insultes homophobes du genre “Mike la tapette”, ce genre de choses. Vous avez toujours été raillé avec ce type d’insultes. Mais dans le livre, vous mentionnez que, récemment installé à Brownsville, alors que vous n’aviez que sept ans, un étranger vous a enlevé dans la rue et a essayé de vous molester.
— 
Ouais, acquiesça Tyson. Hum-hum.
— Est
-ce la seule fois où ce genre de choses vous est arrivé ?
— 
Cette fois-là, ça s’est passé dans l’immeuble abandonné, ouais. »

Il ne claqua pas la porte mais on pouvait l’entendre se fermer. L’attachée de presse ne fit pas d’objection et Tyson ne semblait pas se sentir menacé ou agacé par le sujet. Aussi, une minute plus tard, je fis le tour et essayai une autre porte :

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Tyson lors d’un de ses one man show

« — Vous citez souvent des phrases de vos héros ou d’autres gens pour le public. Et je me suis toujours demandé, à propos de la remarque que vous mentionnez dans le livre – je crois que c’est juste avant le combat contre Lennox Lewis –, quand vous écrivez : “Je t’enculerai jusqu’à ce que tu m’aimes, tapette !” Cette remarque d’où vient-elle ?
— 
Je ne sais pas. Beaucoup de filles me le demandent.
— 
Que disent-elles ?
— 
Elles aimaient ça.
— 
Elles aimaient ça ?
— 
Ouais », dit Tyson en riant.

Mais dans ses mémoires, Tyson avait indiqué l’origine de cette citation : « C’était l’audace que Cus avait instillé en moi. Mais c’était aussi moi qui parlais comme ma maman. » Le lendemain matin, pendant que je retranscrivais notre interview, Tyson avait toujours ce sujet en tête et l’aborda volontairement dans l’émission Opie Radio, sur SiriusXM. Cette fois, il alla un peu plus loin. Cette fois, il n’était plus question de « tentative ». Cela fit les gros titres dans le monde entier. « Ils ne savent pas que ce mec m’a brutalisé et a abusé sexuellement de moi et tout… Il m’a arraché de la rue… J’étais gamin… »

Puis, Tyson avait soulevé sa main et collé son index contre sa tempe, montrant l’intérieur de son crâne :

« — C’est un quartier dangereux pour se promener tout seul.
— 
Avez vous profondément changé après ce jour ? demanda l’un des invités un peu plus tard.
— Je ne sais pas.
— 
Est-ce une chose à laquelle vous pensez tout le temps ?
— 
Pas tout le temps. Peut-être que j’y pense sans y penser. J’y pense, sans y penser. »

Puis tout le monde parla vite d’autre chose. Les réponses qui concernent Tyson et les abus qu’il a subis semblent toujours tourner court. Ce qui est chuchoté en privé n’est jamais dit en public. Jonathan Rendall voulait étendre les longs entretiens qu’il avait obtenus des proches de Tyson durant les années Catskill, pour son article dans Playboy et en faire un livre sur Tyson intitulé Hurlement.

Après des années à vivre sur le fil du rasoir, entre l’alcoolisme et une sévère addiction au jeu, le corps de Rendall fut retrouvé le 23 janvier 2013 dans son appartement de St Georges Street à Londres, près de deux semaines après sa mort, laissant le livre inachevé (une version est parue depuis, en Angleterre). Avant que Rendall n’entreprenne sa biographie, Mark Kram Sr. était mort peu après avoir signé un contrat pour écrire une autre biographie de Tyson et assisté au match Lewis-Tyson à Memphis avec son fils, Mark Kram Jr. Toutes les tentatives d’écrire une biographie complète de D’Amato, qui pourrait livrer quelques éléments pour comprendre les tourments de Tyson, ont été contrecarrées, les enregistrements demeurent cachés, les voix muettes, l’ampleur des événements floue. Tyson, le dernier protégé de D’Amato, a appris avantage que la boxe grâce à son mentor. Comme lui, il a appris à semer la confusion, en nous intriguant avec ce que nous savons, en nous appâtant avec ce que nous ignorons, en nous laissant décider nous-mêmes ce qui a réellement pu se passer et ce que tout cela peut bien signifier. Par moments, cette manipulation de sa propre célébrité fait passer Andy Warhol pour un piètre amateur.

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« Et qu’est-ce donc qui dira que je joue le rôle d’un fourbe, quand l’avis que je donne est si loyal, si honnête ? » – William Shakespeare, Othello

« Qui suis-je ? » interroge Tyson à la fin de ses mémoires. Après toutes ces années passées sous les projecteurs et devant son public, nous ne sommes pas prêts à répondre à cette question. Ce sont des secrets enfouis sous d’autres secrets. Mais nous savons une chose : un abus – de quelque nature qu’il soit – a conduit Tyson au bord du gouffre et l’a poussé, contre toute attente. Il a survécu d’une manière ou d’une autre et – osons le dire – en a tiré profit. Il a vaincu quelque chose et, pour le moment, semble l’avoir enterré. Quand j’ai demandé à lui parler de nouveau, pour essayer d’approfondir la question, son attachée de presse m’a dit qu’il n’avait rien à dire de plus.

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Les anciens champions de boxe légendaires ressemblaient toujours à des combattants dont rêvent les enfants. Mais l’époque de Tyson demandait un cauchemar et c’est ainsi qu’il est apparu. Norman Mailer s’est un jour demandé à propos de George Foreman, un autre boxeur « cauchemardesque » dont l’Amérique s’était entichée, comment « quelqu’un est censé se préparer à se défendre contre les pensées de tout le monde ». Je pense que c’est la raison pour laquelle Tyson n’a jamais eu besoin d’un partenaire de jeu sur le ring pour attirer les foules. Il n’a même pas eu besoin de la boxe ou du sport. Il nous a toujours eu nous, partenaires consentants dans une éternelle relation de dépendance.

« Les gens sont plein de merde », a dit Teddy Atlas, un autre protégé de D’Amato et plus tard son entraîneur, à David Remnick. « Ils veulent voir quelque chose de sombre. Les gens veulent se sentir proches de ce qui se passe, être sur ce qui se passe mais, évidemment, bien à l’abri dans leur maison de banlieue. Ils veulent avoir le bénéfice du confort, de la sécurité, du respect et en même temps le privilège de regarder quelque chose qui est hors de contrôle – et même souhaiter que cette chose soit hors de contrôle – tant qu’ils peuvent être sûrs de ne pas être tenus pour responsables de ce qui arrive… Nous voulons croire que Mike Tyson est une histoire américaine : le gamin qui grandit dans un ghetto horrible et qui convertit ce sombre pouvoir en une juste cause. Mais l’histoire bifurque – le côté obscur le submerge. Il est cynique, hors de contrôle. Et l’histoire soudain plus passionnante encore. »

Tyson s’est toujours suffi à lui-même. Désormais, il monte sur scène pour un one-man show, à la fois chasseur et proie. Durant les dernières 25 années, après être tombé devant Douglas et avoir perdu le titre, nous avons continué à le regarder, lui le persécuteur et la victime de classe mondiale. Et nous avons lutté pour répondre à la question la plus sombre que soulève peut-être la vie de Tyson : qu’est-ce que cela fait de nous exactement ? Quel rôle jouons-nous et quels secrets cachons-nous ?


Traduit de l’anglais par Pierre Sorgue d’après l’article « After the Fall », paru dans SB Nation. Couverture : Tyson K.O. face à Buster Douglas. Création graphique par Ulyces.