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Rien ne prouve que Freudenthal a jamais commencé à travailler sur ce second volume, mais bien que Lincos reste techniquement inachevé, il a malgré tout marqué les esprits des chercheurs. En 1999, son langage mathématique a connu une nouvelle vie quand deux astrophysiciens – Dutil et son collègue Stéphane Dumas – ont utilisé Lincos comme point de départ pour une série de messages qu’ils ont expédiés dans le cosmos à partir d’un radiotélescope ukrainien. Connus sous le nom de « messages Evpatoria », ces transmissions étaient les troisièmes à avoir été envoyées par l’humanité vers de potentielles civilisations extraterrestres, et les premières à suivre le protocole Lincos de Freudenthal. « Lincos a été le point de départ de notre langage et à ma connaissance, peu de messages ont été envoyés avec cette approche », dit Dumas. « La plupart des messages envoyés vers les étoiles sont des séries d’images décrivant des idées simples, comme le message d’Arecibo en 1974. »

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Le message d’Arecibo, coloré pour faciliter la distinction des éléments

 Message à Hip4872

Contrairement au message d’Arecibo, qui fut le premier message délibérément envoyé dans le cosmos pour entrer en communication avec une forme d’intelligence extraterrestre, l’objectif de Dutil et Dumas était d’envoyer un message encyclopédique contenant le plus d’informations possibles à propos de la vie sur Terre. Le duo a mis au point un alphabet simple permettant de transmettre un maximum d’infos durant leur accès limité à l’émetteur radar ukrainien. En se conformant à la recommandation de Freudenthal selon laquelle les messages interstellaires doivent commencer par des sujets théoriquement connus de toute forme de vie intelligente dans l’univers, le message de 1999 commençait par enseigner au destinataire comment compter, avant de passer à des sujets plus complexes comme la physique et la biologie. Le dernier message comprenait 23 pages (une page mesurant 127 × 127 pixels) et a été envoyé trois fois à ses cibles, pour assurer une redondance suffisante. Le message contenait également une demande formelle de réponse. Les cibles de ces messages ont été sélectionnées parmi la longue liste dressée par le SETI, qui regroupe les systèmes solaires susceptibles d’abriter une forme de vie intelligente. Les candidats, tous situés entre 50 et 70 années-lumière de la Terre, ont été choisis en fonction d’un certain nombre de critères, comme l’âge de l’étoile et sa position dans la galaxie. Le premier message devrait atteindre son adresse cosmique (Hip 4872, dans Cassiopée) autour de 2035. 000

Plus récemment, la communauté des chercheurs d’une intelligence extraterrestre a affiné Lincos afin de développer des options de communication interstellaire plus avancées. Par exemple, le langage CosmicOS a été créé par Paul Fitz, du MIT, sous la forme d’un programme informatique pouvant être exécuté par les extraterrestres une fois le message reçu. Il existe également une lingua cosmica de seconde génération créée par le mathématicien néerlandais Alexander Ollongren (décrit par Dutil comme « le seul être humain capable de comprendre Freudenthal ») qui repose en grande partie sur la logique intuitionniste pour composer le message. Bien qu’il n’existe encore aucun langage standard pour les communications interstellaires au sein de la communauté scientifique, CosmicOS et la seconde génération de Lincos englobent très nettement les deux extrémités du spectre : d’un côté CosmicOS, capable de transmettre plus d’informations mais qui comporte davantage de problèmes logistiques ; de l’autre la nouvelle version de Lincos, qui constitue un plus petit ensemble de données mais un nombre plus limité d’informations pouvant être envoyées.

Pourtant, selon Duntil et Dumas, ces deux approches opposées des communications cosmiques ne s’excluent pas obligatoirement. Ils les voient plutôt comme deux étapes possibles d’un programme plus vaste, dans lequel les communications interstellaires commencent avec un simple message de salutations dans une langue puis se poursuivent par l’envoi de messages de plus en plus complexes dans une autre. Et quel qu’en soit le contenu, le duo s’accorde à dire que les messages envoyés ou reçus par une civilisation extraterrestre seront fortement ancrés dans les mathématiques. « La création de n’importe quel langage élaboré dans le but de communiquer avec une civilisation extraterrestre est une tâche délicate, car cela nécessite ce qu’on appelle un métalangage pour faire le pont entre le langage artificiel et la langue des extraterrestres », dit Dumas. « Le métalangage est mathématique par essence car c’est la base de la science, et nous partons du principe que n’importe quelle civilisation ayant construit un dispositif pour écouter les ondes radio connaît la science. »

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Un extrait des messages Evpatoria

Selon Dutil et Dumas, des langages plus récents, imaginés pour la communication interstellaire, intègrent des éléments plus artistiques, comme de la musique, dans leur message. Mais la plupart utilisent encore Lincos comme fondement, au moins en partie. Que Lincos soit abandonné dans le futur ou qu’il continue à être une source d’inspiration pour nos messages cosmiques, le livre de Freudenthal restera à jamais un manuel de référence dans le champ de la recherche d’une intelligence extraterrestre. Un mode d’emploi pour unir des espèces séparées l’une de l’autre par des dizaines d’années-lumière, qui auront probablement peu de choses en commun si ce n’est les mathématiques. Lincos fut la tentative d’un mathématicien néerlandais de rendre familier ce qui nous est le plus étranger, en traduisant les émotions humaines les plus complexes en équations mathématiques. Dumas fait d’ailleurs remarquer que par bien des aspects, Lincos a davantage été écrit pour les Terriens que pour les extraterrestres. « La création d’un langage interstellaire pour communiquer avec une civilisation extraterrestre est intéressante, mais assez peu pratique étant donné que ces échanges se dérouleraient sur plusieurs décennies », dit Dumas. « Créer de tels messages profite plus à nous qu’aux extraterrestres, car cela nous permet de prendre conscience de l’image que nous voulons donner de nous-mêmes. Que veut-on leur transmettre : la vérité ou une image avantageuse ? Le message doit-il contenir la longue histoire de nos guerres, des famines et des désastres écologiques, ou seulement les belles choses ? Car en définitive, un message interstellaire est le reflet de l’humanité en elle-même. »

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Les radiotélescopes guettent la venue d’un message cosmique
Crédits : Seth Shostak/SETI Institute


Traduit de l’anglais par Myriam Vlot, d’après l’article « Building a Language to Communicate With Extraterrestrials », paru dans The Atlantic. Couverture : Création graphique par Ulyces.


ENTRETIEN AVEC MICHAEL MADSEN, RÉALISATEUR DE THE VISIT

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Acclamé en 2010 pour son documentaire Into Eternity, le cinéaste danois Michael Madsen revient cette année avec The Visit, présenté au dernier festival de Sundance.

I. Narration

Comment êtes-vous devenu réalisateur ?

À l’origine, j’ai étudié le théâtre dans une école au Danemark où les cours ne se résumaient pas qu’à l’étude théorique, nous devions mettre en scène, jouer, etc. Il m’est vite apparu que je voulais aussi faire des choses par moi-même. Je me suis intéressé à la sculpture, ainsi qu’à la sculpture au moyen du son, quelque chose d’immatériel.

Michael MadsenCrédits : Magic Hour Films

Michael Madsen
Crédits : Magic Hour Films

Tout cela m’a mené à la réalisation, où j’ai pu d’une certaine manière combiner mon attrait pour la visualité – qui d’après moi est un phénomène majeur dans l’histoire de l’humanité, il n’y a jamais eu autant d’images qu’aujourd’hui –, et mon attrait pour le son, l’art conceptuel du son. Le film permet de mélanger ces deux aspects. J’ai également travaillé au théâtre et dans l’art, en réalisant différentes œuvres conceptuelles, mais les films documentaires semblent être le meilleur moyen pour moi de combiner ces divers éléments. Pour autant, je n’ai pas reçu de formation de cinéaste.

Pourquoi avoir choisi de réaliser des films documentaires plutôt que des fictions ?

Les premiers projets artistiques que j’ai réalisés prenaient place dans l’espace public et créaient eux-mêmes leur propre espace, au moyen du son notamment. J’ai par exemple installé un système sonore sur le Rådhuspladsen, la place de la mairie de Copenhague, qui créait une zone sonore de 900 m² autour de lui. Une autre fois, j’ai investi 44 conteneurs échoués sur le rivage pour y installer une exposition artistique. La réalité m’intéresse, ainsi que tout ce qui la façonne, et je suis assez peu enclin à inventer des choses fictives. Je m’attache aux liens qu’entretiennent les choses avec la réalité, et j’aime quand la réalité devient autre chose, ou peut être interprétée d’une façon nouvelle. Les films documentaires sont ainsi pour moi l’opportunité d’explorer la réalité et d’essayer de comprendre ce qu’elle est. Pour faire court.

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