Le fonds vert

Réunies à Hambourg, en Allemagne, les 7 et 8 juillet derniers, les économies les plus puissantes du monde n’ont pas pu faire autrement que d’afficher les divergences qui les opposent à leur chef de file : l’Amérique de Donald Trump. Rebaptisé G19 par les observateurs, le sommet du G20 a en effet creusé le fossé qui sépare maintenant Washington du reste du monde, sur des sujets aussi différents que le commerce international et le changement climatique.

Le « G19 »

« Nous prenons note de la décision des États-Unis d’Amérique de se retirer de l’accord de Paris », affirme par exemple le communiqué final, tout en précisant que le pays va « immédiatement cesser » la mise en œuvre des engagements pris par Barack Obama en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre lors de la conférence de décembre 2015 sur le climat. Un paragraphe plus loin, il souligne que pour toutes les autres puissances, « l’accord de Paris est irréversible ». Mais peuvent-elles l’honorer sans la participation des États-Unis ?

La conférence de Paris de 2015 sur le climat était censée être un premier pas dans le long processus engagé par les nations du monde pour ralentir le changement climatique. Celles-ci présentaient alors un plan pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et acceptaient de se retrouver régulièrement afin de soupeser leurs promesses. Mais, de l’avis de nombreuses organisations non-gouvernementales, ces promesses étaient trop modestes. Additionnées les unes aux autres, elles mettraient la planète Terre sur le chemin d’un réchauffement de 3°C par rapport aux niveaux préindustriels, alors que seul un réchauffement de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels peut limiter la fonte des glaces et la montée des eaux, et prévenir le déclenchement de catastrophes naturelles et la disparition de certains écosystèmes, tels que la barrière de corail. Et voilà que, le 1er juin dernier, le deuxième plus gros pollueur de cette planète, après la Chine, reprend sa parole.

Les États-Unis, qui sont à eux seuls responsables de 18 % des émissions mondiales de gaz à effets de serre, défendent notamment leur « droit » à l’utilisation des énergies fossiles. Le communiqué final du dernier G20 indique même qu’ils vont aider d’autres pays dans le monde à « avoir accès et à utiliser des énergies fossiles ». De manière « plus propre », certes, mais en totale contradiction avec un objectif affiché par l’accord de Paris : une économie mondiale moins dépendante au carbone. L’hôte du dernier G20, la chancelière allemande Angela Merkel, n’a d’ailleurs pas caché que ce point avait suscité de vifs débats parmi les participants. Elle a reconnu que les discussions avaient été « difficiles » et qualifié la position américaine de « regrettable ».

D’autant plus regrettable que le deuxième plus gros pollueur du monde est aussi sa première puissance économique. L’accord de Paris prévoyait une enveloppe de 100 milliards de dollars par an alimentée par les plus riches pour aider les plus pauvres à développer des énergies propres et à s’adapter au changement climatique, et les États-Unis devaient participer à hauteur de trois milliards de dollars. Barack Obama n’a eu le temps de verser qu’un milliard de dollars avant l’élection de son successeur Donald Trump. Le retrait des États-Unis de l’accord de Paris devrait donc alourdir la facture pour les États membres de l’Union européenne et les autres pays développés qui se sont engagés à soutenir financièrement les pays en voie de développement dans leur lutte contre le réchauffement climatique. À moins qu’il ne réduise le montant de l’enveloppe, déjà souvent jugée insuffisante par les organisations non-gouvernementales.

« Cette enveloppe de 100 milliards de dollars par an, c’est une vieille histoire qui date en fait de la conférence de Copenhague de 2009 », rappelle Hervé Kempf, auteur de Tout est prêt pour que tout empire« Et pour l’instant, le “fonds vert” qui a été créé ne recueille que quelques milliards de dollars. Le retrait des États-Unis va certainement compliquer sa gestion. Ça va être un test. Soit les autres États vont enfin mettre la main au pot, soit ils vont revoir l’objectif. Mais de manière générale et certaine, on peut dire que le retrait des État-Unis affaiblit l’accord de Paris qui, faute d’être très contraignant, témoignait d’un consensus. »

De son côté, la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte estime que « si le gouvernement américain relâche les efforts engagés précédemment, il est probable que les émissions américaines continuent de baisser jusqu’en 2020, grâce à la transition charbon-gaz soutenue par l’administration Obama ». « Mais ensuite, elles stagneraient au lieu de diminuer », ajoute-t-elle, « à cause de la dérégulation mise en place par Trump. C’est ce qu’a montré une étude du groupe Rhodium. Ce scénario pourrait être enrayé si des États, des villes et des acteurs économiques américains s’engagent, comme ils l’ont annoncé. »

Crédits : Aurich/Thinkstock/Whitehouse

Toujours dedans

Comme le souligne Hervé Kempf, de très nombreux « maires, gouverneurs, universitaires entrepreneurs et investisseurs » américains se sont dits déterminés à poursuivre leurs efforts dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ils sont plus de 1 000 à avoir signé une lettre intitulée « Nous sommes toujours dedans » et adressée aux Nations Unies quatre jours seulement après l’annonce du retrait des États-Unis de l’accord de Paris. Parmi eux figurent les puissants États de New York et de Californie, plus de 200 villes, des entreprises comme Apple, Google, Amazon, Nike ou Adidas, mais aussi des PME, et des universités aussi prestigieuses que Columbia. À leur tête se trouve l’ancien maire de New York Michael Bloomberg, également 10e fortune mondiale.

« En l’absence de leadership de la part de Washington, les États, les villes, les universités, les entreprises et les investisseurs, qui représentent un pourcentage appréciable de l’économie américaine, poursuivront d’ambitieux objectifs climatiques, en travaillant ensemble et en prenant des initiatives fortes pour que les États-Unis restent un leader mondial dans la réduction des émissions », affirme la lettre. « Il est impératif que le monde sache qu’aux États-Unis, les acteurs qui vont fournir le leadership nécessaire à la réalisation des engagements de Paris se trouvent dans les hôtels de ville, les capitales des États, les universités, les fonds d’investissement et les entreprises. Ensemble, nous resterons actifs aux côtés de la communauté internationale dans l’effort mondialement engagé pour contenir le réchauffement bien en-dessous des 2℃ et accélérer la transition vers une économie basée sur une énergie propre qui bénéficiera à notre sécurité, à notre prospérité et à notre santé. »

Le manifeste de Michael Bloomberg

Washington donne en outre une nouvelle occasion de briller à Pékin. « La Chine remplacera désormais les États-Unis », affirme le journal économique chinois Caixin. « Le premier pollueur du monde est maintenant la première puissance courtisée par tous pour lutter contre le réchauffement climatique ! » renchérit le South China Morning Post.

Tout en rappelant que le premier pollueur du monde est aussi son leader en matière d’énergies renouvelables : « En 2016, la Chine y a investi 77 milliards d’euros, aucun autre pays n’a fait mieux. » D’ici 2020, c’est 344 milliards d’euros que le pays devrait investir dans le secteur, à en croire son agence de l’Énergie. Et il s’est engagé à « atteindre le pic de ses émissions de CO2 autour de 2030 ». Les Européens ont visiblement pris bonne note de ces revirements.

Dès le mois de mars 2017, alors que le retrait des États-Unis de l’accord de Paris n’est pas encore officiel, le commissaire à l’Énergie Miguel Arias Cañete semble miser sur un rapprochement avec la Chine, et le ministre des Affaires étrangères français de l’époque, Jean-Marc Ayrault, tend la main aux citoyens américains. « Restons mobilisés avec toutes les bonnes volontés, y compris aux États-Unis, pour lutter contre le changement climatique », écrit-il sur Twitter.

Plus récemment, le nouveau président de la République Emmanuel Macron a appelé tous les « scientifiques, ingénieurs, entrepreneurs et citoyens responsables » à venir en France pour « make our planet great again » en détournant le slogan de campagne de Donald Trump, et lancé un site web pour les accompagner dans leurs démarches. « Nous pouvons offrir une sorte d’asile scientifique, du moins temporaire, à des chercheurs américains qui seraient dans l’impossibilité de poursuivre leurs recherches aux États-Unis », affirme Valérie Masson-Delmotte. « On en tirerait vraiment parti, en accueillant des talents de haut niveau. Cela permettrait de former les étudiants et de conserver des connaissances clés. »

Le grand jeu

Emmanuel Macron semble déterminé à faire revenir Donald Trump sur sa décision de retirer les États-Unis de l’accord de Paris sur le climat. Et de l’avis du Washington Post, il « pourrait bien être le mieux placé » pour l’en persuader. Fraîchement arrivé dans la capitale française pour célébrer le dernier 14-Juillet aux côtés de Macron, Trump a en tout cas laissé entendre qu’un rebondissement n’était pas exclu. « Quelque chose pourrait se passer concernant l’accord de Paris », a-t-il dit en conférence de presse. « Nous verrons ce qu’il se passe. Mais nous en reparlerons dans les temps à venir. Si cela arrive, ce sera merveilleux, et si cela n’arrive pas, ce sera très bien aussi. Mais nous verrons ce qu’il se passe. »

Crédits : Dominique Pineiro/US Department of Defense

Après son départ, Macron a assuré que Trump l’avait « écouté ». « Il a compris le sens de ma démarche, notamment le lien qui existe entre réchauffement climatique et terrorisme. Il m’a dit qu’il allait essayer de trouver une solution dans les prochains mois. On a parlé dans le détail de ce qui pourrait lui permettre de revenir dans l’accord de Paris. Je pense qu’il a vu aussi [chez lui] la mobilisation des villes, des États, du monde des affaires et de son propre entourage pour que les États-Unis restent engagés dans la lutte contre le réchauffement. C’est important de maintenir le dialogue pour que les États-Unis puissent à terme réintégrer le champ de l’action contre le réchauffement climatique et jouer le jeu du multilatéralisme. »

Hervé Kempf estime pour sa part que le changement d’avis de Donald Trump tant espéré n’aura pas lieu. « Il apprend à faire de la diplomatie, et il a compris qu’il avait intérêt à davantage ménager ses interlocuteurs, c’est tout. Il n’y a aucun infléchissement dans sa politique environnementale. Et aucune raison de croire qu’il y en aura durant son mandat. » L’ennui, c’est que, comme le montre une étude publiée le 26 juin dernier dans la revue Nature Climate Change, nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre novembre 2020, date de la prochaine élection présidentielle américaine, pour faire véritablement front commun sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. En effet, la hausse moyenne des océans s’accélère. Évaluée à 2,2 millimètres par an en 1993, elle est passée à 3,3 millimètres en 2014. Soit une augmentation de 50 %. Et cette tendance devrait se confirmer dans les années à venir selon les auteurs de l’étude.


Couverture : Avec ou sans les États-Unis. (Ulyces.co)