Une famille en or

Dans les couloirs du Palais de justice de Paris, sur l’île de la Cité, Patrick Balkany avance d’un pas lourd comme sa peine. Les mains dans les poches ou dans le dos, l’ancien maire de Levallois-Perret n’offre qu’un regard vide, derrière ses lunettes teintées de violet, aux micros des journalistes. Ce 27 mai 2020, cette figure de la droite française vient d’être condamnée à 5 ans de prison ferme, sans incarcération immédiate, pour blanchiment de fraude fiscale aggravée. Sa femme, Isabelle, a écopé de 4 ans. Une peine de 10 ans d’inéligibilité a été prononcée contre le couple, qui devra aussi payer deux amendes de 100 000 euros et faire une croix sur le moulin de Giverny « sous réserve des droits de Vanessa et Alexandre Balkany, nus-propriétaires de ce bien ».

En 1997, les époux Balkany ont transféré leur résidence principale à leurs enfants. Depuis, rien ne va plus au sein de la famille. Avant d’annoncer qu’il porterait l’affaire en cassation, mardi 2 juin 2020, Patrick Balkany s’en est pris ouvertement à son ancienne directrice de cabinet, Agnès Pottier-Dumas, alors qu’il la soutenait jusqu’ici dans sa course à la mairie. Sur Facebook, il a proposé de lui offrir un aller simple pour Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie. Une blague qui n’a pas fait rire ses enfants.

« Papa svp retire ce poste atroce !!! [sic] Ne sombre pas toi non plus dans cette pathologie des réseaux sociaux !!! », écrivait Vanessa Balkany. « Tu es odieux, pathétique et tu as encore raté une occasion de te taire », renchérissait Alexandre Balkany. « Ta parole ne vaut plus rien. Bon vent ! Ton fils. » Patrick Balkany aurait retiré son appui à Agnès Pottier-Dumas après qu’elle a refusé de promettre des postes au couple en cas d’élection. Mais Vanessa et Alexandre restent du côté de la candidate.

Sous un message de soutien publié par la première, Isabelle Balkany a contre-attaqué : « Ma chérie, comme je suis contente de voir que tu as attendu 43 ans pour te préoccuper de Levallois, toi qui as toujours détesté cette ville. » Ces derniers mois, l’ancienne première adjointe affirme même avoir reçu plus d’amour des Levalloisiens que de sa fille. À en croire Paris Match, Isabelle Balkany a commis une deuxième tentative de suicide en avril.

Et pour ne rien arranger à la situation catastrophique des Balkany, un reportage de 2002 a refait surface en février dernier. Une émission de Ça vous regarde consacrée au racisme contre les Asiatiques a exhumé une séquence où l’on voit Isabelle Balkany à la mairie de Levallois il y a 18 ans, en compagnie d’un homme qu’elle appelle « Grain de riz ». Un reportage qui, en plus de susciter l’indignation, témoigne de l’absence du couple. C’est comme ça qu’il a mené sa vie politique pendant près de 40 ans.

Les rois de l’évasion

Patrick et Isabelle Balkany se sont rencontrés par hasard, lors d’un anniversaire surprise. « Patrick vient d’arriver comme les carabiniers », raconte Isabelle Balkany au journaliste Julien Martin, dans le livre Les Balkany. « Je tombe follement amoureuse. On se marie au bout de trois mois, le 13 avril 1976. Je suis déjà enceinte. Je fais un break d’un an pour pondre ma fille, puis Patrick décide de ne faire plus que de la politique, et moi avec lui. » Vanessa naît en 1976, Alexandre en 1980.

Après avoir brigué un siège de député dans l’Yonne, Patrick Balkany ravit la mairie de Levallois en 1983. À peine installé, il manifeste peu d’égards pour les règles. De 1985 à 1995, il paye trois employés municipaux avec l’argent de la commune pour entretenir son appartement personnel de Levallois ainsi que le moulin de Giverny. Cette prise illégale d’intérêts entraîne sa destitution en 1995. Le tribunal de grande instance de Nanterre le condamne, le 7 mai 1996, à 15 mois de prison avec sursis, deux ans d’inéligibilité, 30 000 euros d’amende et 120 000 euros de dommages et intérêts. Le couple décide alors de se faire oublier en se réfugiant à Saint-Martin dans les Caraïbes.

Mais les ennuis ne s’éloignent pas. Alors qu’il s’est séparé d’Isabelle pendant une courte période, une jeune femme devenue la nouvelle compagne de Patrick Balkany l’accuse de « viol et menace avec arme ». Cette dernière assure qu’il l’a forcée à lui faire une fellation « sous la menace d’un 357 Magnum ». Il est défendu par son ex-femme, Isabelle Balkany, avec laquelle il entame une nouvelle relation amoureuse à partir de 1997. Tout semble être rentré dans l’ordre mais à leur retour en 1999, personne ne les a oubliés et encore moins la chambre des comptes d’Ile-de-France. Celle-ci condamne Patrick Balkany à rembourser les salaires des soi-disant employés municipaux, soit un total de 523 898 euros.

Plus déterminé que jamais, l’ancien maire récupère ses fonctions à la mairie de Levallois-Perret en 2001 et y instaure un train de vie qui inquiète la cour régionale des comptes. Et il y a de quoi s’inquiéter puisqu’en 2011, Levallois-Perret est considérée comme la commune la plus endettée de France avec 725 millions d’euros d’emprunts pour une ville de 65 000 habitants, soit plus de 11 000 euros par personne. C’est huit fois plus que la moyenne des communes de taille semblable où l’on compte environ 1 405 euros par habitant selon l’Observatoire des finances locales. En octobre 2013, le couple Balkany évite même l’Impôt sur la fortune grâce à des entourloupes financières et se détend dans ses palais situés à Marrakech, aux Caraïbes ou encore à Giverny.

Ces poursuites judiciaires finissent par rattraper Isabelle Balkany, placée en garde à vue en 2014. Pour la première fois, elle avoue être la propriétaire de la villa Pamplemousse à Saint-Martin, dans les Caraïbes, une demeure faisant partie des biens immobiliers non-déclarés aux impôts par le couple pendant des années. « Fatiguée » de toutes ces histoires, elle déclare au JDD qu’elle n’aurait « jamais dû faire de la politique ». Les dernières sanctions prononcées par le tribunal ce mercredi 27 mai viennent couronner le tout. Le couple est au plus bas, doit s’acquitter de plusieurs centaines de milliers d’euros d’amende et devra purger des peines de plusieurs années, à moins que son pourvoi en cassation ne vienne lui sauver la mise. Tout cela ressemble à la fin d’une ère.


Couverture : Isabelle Balkany/Facebook