Mauvaise enzyme

Sous les fenêtres de l’université de York, dans le nord de l’Angleterre, l’herbe est toujours verte en cette fin du mois de juillet 2020. Alors que les températures parisiennes frôlent les 30°C, le ciel de cette ville de 200 000 habitants se cache derrière les nuages, et le mercure plafonne à 20°C. Gavin Thomas n’est pas près d’avoir trop chaud. Il n’empêche, ce biologiste a essuyé quelques gouttes de sueur quand, saisi par l’excitation, il a vu son article se diffuser dans la communauté scientifique et au-delà. Avec ses collègues de l’université, Thomas venait de publier une étude, lundi 27 juin, expliquant enfin d’où vient l’odeur de la sueur.

Au terme d’intenses recherches, ils sont remontés à sa source et se sont rendus compte qu’elle provenait d’une enzyme contenue dans un microbe vivant sous nos bras. Pour confondre cette enzyme, les chercheurs l’ont transférée à un microbe dit « innocent » des aisselles, c’est-à-dire à un microbe qui, sans cette enzyme, ne produirait pas d’odeur particulière. Avec elle, il s’est mis à émettre une mauvaise odeur, confirmant l’hypothèse de Gavin Thomas et ses collègues. 

Le Staphylococcus hominis

L’être humain ne produit pas directement cette enzyme responsable de la mauvaise odeur. Elle est engendrée par une réaction chimique, au moment où des microbes se déposent sur la peau. Les scientifiques ont même trouvé le responsable : une espèce de bactérie baptisée Staphylococcus hominis relâche des effluves nauséabondes en consommant un composant, le Cys-Gly-3M3SH, qui est généré par la sudation sous les aisselles. Ce mélange crée ce qu’on appelle des « thioalcools », ou « thiols ».

« La bactérie mange une partie de la molécule, mais rejette le reste, et ce résidu est l’une des molécules qui composent l’odeur corporelle », précise Thomas. Cette découverte peut avoir des applications très concrètes : le fait de connaître le rôle de la bactérie Staphylococcus hominis dans la transpiration pourrait permettre de créer de meilleurs déodorants.

Les glandes

Pour mener une telle étude, Gavin Thomas s’est appuyé sur l’expertise de neuf collègues, plus ou moins sensibles à la question. C’est un fait : en transpirant, certaines personnes émettent des odeurs plus fortes que d’autres. Les scientifiques ont remarqué que les effluves de transpiration étaient par exemple plus intenses chez les personnes obèses. Car souvent, le taux de sel dans leur sueur est trop élevé pour permettre l’inhibition de la bactérie qui produit du thioalcool. Mais cela dépend également de l’endroit d’où provient la sueur, et donc des glandes impliquées.

Il existe deux types de glandes sudoripares. Les glandes eccrines recouvrent le corps et sont surtout présentes au niveau des paumes des mains, sous les pieds et sur le front. Elles sont essentielles au refroidissement corporel, notamment pendant un effort physique. Les glandes apocrines se trouvent pour leur part sous les aisselles, autour des mamelons et au niveau des parties génitales. Elles sont plus grosses que les glandes eccrines et débouchent sur des touffes de poil comme le cuir chevelu ou les dessous de bras. Leur rôle n’est pas encore bien connu des scientifiques, mais leur odeur, si.

Gavin Thomas (en pull marron) et son équipe à l’université de York

« Notre nez est très doué pour détecter les thiols à un seuil très bas », constatent les chercheurs. « Ils ont une odeur âcre très caractéristique se rapprochant du fromage ou de l’oignon, que tout le monde connaît. » Chaque individu a une odeur corporelle unique, qui peut être modifiée par le régime alimentaire, le sexe, l’état de santé et les traitements médicaux. Les chercheurs ont également remarqué que les personnes qui présentent un déficit en magnésium produisent une odeur corporelle plus forte que les autres. 

Pour réduire son odeur corporelle, il peut donc être utile d’adopter une alimentation saine. Mais faire la guerre au Staphylococcus hominis n’est pas chose aisée. À en croire Gavin Thomas, cette enzyme a une longue histoire. « Ce n’est pas nouveau », affirme-t-il. « On peut imaginer qu’elle a joué un rôle important dans l’évolution humaine. Avant que nous commencions à utiliser des déodorants et des anti-transpirants, ces 50 ou 100 dernières années, tout le monde puait. » Grâce aux scientifiques de York, ce sera peut-être bientôt de l’histoire ancienne. En s’appuyant sur leur découverte, ils vont pouvoir chercher un moyen d’empêcher le Staphylococcus hominis d’émettre des thioalcools.


Couverture : Billie