Au fond de son atelier, derrière le bric-à-brac, une machine cubique, transparente, ronronne, émettant un vrombissement continu. C’est une imprimante 3D. Assis à côté de son établi, Gaël Langevin a les yeux rivés sur sa toute nouvelle main robotique. Nous sommes dans le 11e arrondissement de Paris, dans la Cité Griset. Un lieu symbolique : dans cette ancienne impasse ouvrière se trouvaient autrefois toute une série d’usines et de logements ouvriers. Aujourd’hui, il en reste quelques unes, mais la rue compte surtout des lofts, des locaux d’entreprises… et cet atelier, caché dans un vieux bâtiment en brique rouge. « Autrefois, c’était une usine où l’on fabriquait des pièces de canon en métal. Il y avait une fonderie », explique Gaël. Quand il s’est installé ici, les lieux étaient en ruine : « Des fenêtres manquaient, des pigeons volaient d’un coin à un autre… J’ai passé deux ans, avec mon frère, à enduire les murs, à poser un nouveau parquet. »

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InMoov au repos
L’atelier de Gaël Langevin
Crédits : Fabien Soyez

C’est ici, dans ce lieu où règne une atmosphère singulière – entre l’atelier de Pablo Picasso et le garage de Doc Emmett Brown – que Gaël, la cinquantaine, les cheveux grisonnants, fabrique depuis bientôt trois ans, un robot. Noir et blanc, d’aspect humanoïde. Pour l’instant, il a conçu sa partie supérieure : visage, mains, bras, épaules, torse. Et bientôt, un bassin et des jambes. Gaël fait les présentations. Je m’avance. Le robot tourne la tête, lève les bras, et lance (en anglais), de sa voix synthétique : « Bonjour, je suis InMoov. »

DIY

Comment en vient-on à construire, un jour, un robot chez soi ? Par hasard, et surtout par passion du bricolage. « Depuis que je suis gamin, je manipule des marteaux et des clous. J’ai toujours eu des outils dans les mains ! », lance Gaël en souriant. Son père était illustrateur, pour la publicité, pour des livres d’enfants. « Avec ma mère, une sacrée bricoleuse qui adorait planter des clous et couper des planches, il a imaginé tout ce qui était dans notre maison, le mobilier, la déco… Il dessinait, et ma mère fabriquait. » Dans la demeure familiale, à Paris, il y avait, forcément, un atelier. « Tout petit, je devais avoir 4 ans, j’avais une petite boite, avec une tenaille, des clous, une mini-scie et un marteau… que j’ai toujours, d’ailleurs », raconte Gaël en désignant le mur du fond, où trône l’outil en question. Muni de son attirail, le petit garçon plantait des clous, les tordait, traçait des cercles et concevait ainsi des horloges, ses tout premiers projets.

« Je mène une double vie : le jour, je travaille pour Factices, la nuit, je planche sur InMoov. »

En 1972, à 8 ans, son rêve est de fabriquer un sous-marin dans l’étang situé près de la maison de campagne de ses parents, dans l’Oise. « Il y avait aussi un atelier là-bas, et le week-end, quand je m’y rendais, je rêvais de faire plonger un jour mon submersible ! J’ai commencé à assembler des planches, mais je ne l’ai jamais fini… c’est devenu une sorte de mini-bar, à roulettes, que je mettais sur la route, afin de vendre des carambars, se souvient-il. Le sous marin n’a pas été réalisé, et heureusement, car sinon, je pense que j’y serais resté ! » ajoute-t-il en riant. À 12 ans, la passion du bricolage, du Do It Yourself, ou DIY, est toujours là. « Je récupérais des pièces de vélos (cadres, roues, pneus) dans une décharge à ciel ouvert, et avec un poste à souder, j’en créais de nouveaux », explique Gaël. Plus tard, à 18 ans, il fabriquera aussi un kart à pédales. En classe, à l’école, Gaël n’écoute pas les cours, il rêve à ce qu’il va concevoir pendant le week-end. « Ce que j’adorais, c’était trouver un objet qui ne fonctionnait plus (un réveil, un ordinateur, n’importe quoi), et essayer de le faire fonctionner à nouveau. Je me disais, si la machine est cassée, je ne perds rien à la démonter, à essayer de comprendre comment elle marche… C’est une passion qui est restée. » Fâché avec les études, le jeune bricoleur se dirige vers des études de dessin et de sculpture. En 1984, à 20 ans, il seconde Guillaume Fouan, un sculpteur. « Avec lui, je travaillais la pierre, le plâtre, le bois… Et en même temps, des objets plus “commerciaux”, par exemple une tentacule de pieuvre pour un film publicitaire », raconte Gaël. Trois ans plus tard, marqué par cette première expérience, il rejoint l’atelier Tomawak, une petite société de model making – c’est-à-dire la fabrication d’objets factices, de décors, de maquettes, d’accessoires. Pendant quatre ou cinq ans, avec deux autres sculpteurs, il conçoit des objets pour des films publicitaires et pour des clips, réalisés le plus souvent par Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro, pour les chansons de Julien Clerc, Jean-Michel Jarre, ou Indochine. « On fabriquait les objets dont ils avaient besoin : des objets rouillés avec des clous, des pièces qui dégoulinent, des tours Eiffel en métal qui explosent », se souvient Gaël. 1991. Le sculpteur et ses acolytes s’apprêtent à fabriquer des objets pour le film Delicatessen, premier long métrage de Jean-Pierre Jeunet, mais après s’être « chamaillés », ils se séparent. Gaël fonde sa propre société, baptisée Factices.

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Captain Assur
Une création de Gaël Langevin
Crédits : Fabien soyez

Dans son atelier, depuis lors, il fabrique toute une variété d’objets pour des grandes marques, telles que Channel, Dior, Heineken, Givenchy, Orange ou Guerlain. Dans un coin, j’aperçois un super-héros, en costume vert et gris. « Non, non, je ne suis pas fan de Superman. C’est un personnage que j’ai sculpté pour une campagne publicitaire de la BNP, en 2007 : super-assureur, alias Captain Assur ! » Dans l’atelier, on trouve, pêle-mêle : un mannequin de crash-test utilisé par les laboratoires Pfizer pour une campagne pour les médicaments ; un martien argenté qui a servi dans une publicité d’Usines Center ; de grands chiffres ; un monstre ressemblant au facehugger du film Alien ; ou encore un ticket de métro géant, utilisé autrefois par la RATP dans l’une de ses réclames. Dans une vitrine trônent une grenouille du Crédit Agricole, des masques, le visage d’Elvis, et… un flamby. « C’est ce flamby, que j’ai sculpté il y a bien longtemps, que tu peux retrouver en photo sur le paquet que tu achètes en supermarché ! » s’amuse Gaël. « Mon job de model maker est simple : on me demande si je peux fabriquer un objet, n’importe quoi, même quelque chose qui n’a jamais existé. Je réponds oui. Ensuite, je dois trouver une solution pour relever le défi, quitte à y passer des heures et des heures pour tenir les délais », poursuit-il. En parallèle de son activité, Gaël fabrique son robot. « Je mène une double vie : le jour, je travaille pour Factices, la nuit, je planche sur InMoov. »

New York, New York

Près d’une table, de grosses valises. Hier soir, Gaël est rentré de New York, où il présentait son robot lors de la Maker Faire, un événement qui réunit les makers du monde entier, ces bricoleurs qui ne jurent que par l’impression 3D et le libre partage. Ce retour de voyage ne l’a pas empêché de modéliser une nouvelle pièce de son robot jusqu’à 2 heures du matin. Mais comment est née cette passion dévorante ? « En 2011, dans le cadre de mon travail, j’ai acheté une imprimante 3D. C’était révolutionnaire, magique, car cela permettait de modéliser un objet sur son ordinateur, puis de le fabriquer ensuite, de le rendre réel », note Gaël. Mais pour convaincre sa femme que « les 2700 euros mis dans cette machine le valaient, j’ai répondu au devis d’une grande marque française de voiture. Elle me proposait de créer une prothèse de main futuriste, pour une publicité destinée à vanter les mérites d’une voiture adaptée au handicap »,  explique-t-il.

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La main
Première étape dans la construction d’InMoov
Crédits : Fabien Soyez

L’idée est finalement abandonnée par la marque. Mais l’idée de réaliser cette main « pour le plaisir », et de mettre son imprimante 3D à l’épreuve subsiste dans l’esprit de ce model maker qui « adore les mains ». Sur une table, il saisit une main en métal, qu’il a réalisée en 1981, à 16 ans. « Les doigts sont articulés, il y a un mécanisme qui permet de plier les phalanges. J’ai repris cette idée, et j’ai commencé à modéliser ma main robotique. » 2012. Gaël a terminé la première version de sa main futuriste – conçue pendant son temps libre. Sur Thingeverse, un site web qui propose en téléchargement plus de 100 000 objets, le model maker a mis en ligne les données permettant de reproduire l’objet de son invention – chez soi, via une imprimante 3D. La licence de la main est open source, avec droits non-commerciaux : chacun peut donc reprendre sa création, la modifier, mais interdiction de la commercialiser. Très vite, des internautes lui écrivent. « Il y avait un système de câbles, mais tout était fictif : j’avais fabriqué cette main pour le look. Une petite communauté de fans s’est formée autour de mon projet. Ces gens voulaient plus : ils me demandaient de la mécaniser, de la rendre fonctionnelle », raconte-t-il en souriant. À l’époque, Gaël ne connaît rien des cartes Arduino (des circuits imprimés en matériel libre), et encore moins des servomoteurs (des moteurs de modélismes permettant d’actionner mécaniquement des objets). Au départ, face au défi que lui posent ses fans, Gaël se fixe pour objectif « de faire bouger un doigt, juste un doigt ». Il modélise alors une nouvelle main – motorisée, cette fois. « Et contre toute attente, j’ai réussi à faire bouger un doigt, puis j’ai continué, et j’ai réussi à faire bouger toute la main ! » En tout, il « scripte » une dizaine de mouvements, permettant aux doigts de se replier et de se déplier, à la main de se fermer et de s’ouvrir. Au fur et à mesure de ses recherches, le sculpteur modifie la main, les phalanges. Il essaie aussi de rendre le système de câblage plus esthétique. « J’ai finalement réussi à faire bouger la main à distance, depuis mon ordinateur, grâce aux touches de mon clavier. Et puis, j’ai voulu aller plus loin », ajoute-t-il. Il conçoit un biceps, le modélise, l’imprime, le teste. Puis il fabrique des épaules et un visage. Une esquisse de robot se dessine, mais le bricoleur fait face à un obstacle majeur : « J’avais deux bras, deux épaules, avec des mains qui fonctionnaient, mais qui n’étaient pas synchronisées. C’était une question de programmation. » Sur Internet, Gaël découvre un logiciel open source de robotique, MyRobotLab – créé par celui qui deviendrait bientôt l’un de ses principaux soutiens, un développeur rencontré à New York : Greg Perry.

« InMoov est devenu un nom de famille : aujourd’hui, il doit exister au moins 200 “clones”. »

« Avec l’aide de Greg, j’ai réussi à synchroniser les différents membres, puis à les piloter. Ensuite, je me suis demandé si je pouvais continuer, et lui parler, par exemple », se souvient Gaël. Il donne des « yeux » et des « oreilles » au robot : grâce à des caméras, des micros et à un système de détection d’objets en 3D (Kinect), il peut désormais lui donner des instructions. En retour, le robot s’active, lève les bras, tourne la tête, saisit un gobelet ou une pomme. Quand quelqu’un passe dans son « champ de vision », il s’active automatiquement et le suit des yeux. Pour lui donner un côté futuriste, Gaël lui a implanté une sorte de cœur, grâce à un système de LED : lorsque le robot est en veille, son cœur est rouge, mais lorsqu’il se réveille ou qu’il bouge, la lumière devient verte, violette, bleue. Une façon de traduire, un jour peut-être, de possibles émotions… Car l’illusion est bluffante: son robot ne réfléchit pas encore par lui-même, mais il peut déjà bouger et parler. Grâce à un astucieux système de text speech (synthèse vocale à partir d’un texte), Gaël peut lui souffler une phrase, que le robot répétera de sa voix grave. À New York, un autre système a permis à sa création humanoïde de se dandiner et de chanter (sans fausses notes), sur l’air de « New York, New York », laissant les spectateurs américains sans voix.

InMoov et Cie

Finalement, ce qui n’était au départ qu’un challenge personnel est devenu un vrai projet : la conception d’un robot humanoïde, ressemblant légèrement au héros du film I, Robot. « Je ne me suis pas inspiré de ce long-métrage, mais forcément, quand ton robot est noir et blanc et qu’il a un visage humain, il finit par se rapprocher de celui, translucide, aux muscles noirs, de I, Robot », s’amuse-t-il. Et de remarquer : « Le cinéma amène des informations, il apporte des idées au monde réel, qui en apporte ensuite à la fiction. Je me suis peut-être inspiré inconsciemment de certains films, mais si j’ai été influencé, ce serait plutôt par des histoires comme Blade Runner et Star Wars. » Le film de Georges Lucas n’est pas pour rien dans son envie de poursuivre son projet, en dépit des difficultés techniques, et d’aller plus loin qu’une simple main factice, conçue au moyen d’une imprimante 3D : « Je me souviendrai toujours du jour où, à 12 ans, dans le métro, j’ai aperçu l’affiche du film… et aussi du jour où j’ai découvert C-3PO, un robot qui ressemblait enfin à quelque chose et qui était plus qu’une simple pile de boites de conserves ! »

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Les pièces sont modélisées sur ordinateur
Crédits : Fabien Soyez

Son C-3PO à lui, Gaël l’a appelé InMoov. « C’est devenu un nom de famille : aujourd’hui, il doit exister au moins 200 “clones”, qui s’appellent Marc InMoov, Azul InMoov, Sunny InMoov », dit Gaël. Sur Internet, Gaël a créé un site, où il partage, depuis le début, les résultats de ses travaux. « Très vite, mes fans américains, français, italiens, anglais, portugais, russes ont voulu créer, eux aussi, leur propre robot InMoov, imprimant, programmant, lui cherchant des fonctions nouvelles », raconte-t-il. Des Fab Lab (ateliers de fabrication ouverts) et des universités comme l’Université de Canterbury, en Nouvelle Zélande, ont répliqué son robot. « Ils l’ont reproduit pour permettre à leurs élèves d’apprendre différentes disciplines : programmation, impression 3D, design, robotique… » explique le maker. Les étudiants de l’Université de Lincoln, en Angleterre, effectuent grâce à InMoov des recherches sur le comportement des humains face à un robot. D’autres l’utilisent pour essayer de piloter ses membres par l’esprit, au moyen de capteurs et de casques EEG (électro-encéphalographes). En Corée, un groupe d’ingénieurs travaillant dans un laboratoire d’aviation ont intégré le robot de Gaël à un simulateur d’avion. « Il est assis et tient le manche ! » s’émerveille l’inventeur, stupéfait. De nombreux pères de famille ont aussi conçu un robot InMoov. « C’est ça, le plus génial. Ils impriment le robot, le fabriquent avec leurs gamins », explique-t-il. Bien sûr, pour concevoir InMoov, il faut une imprimante 3D, ou se rendre dans un Fab Lab. « Mais comme il ne vaut que 1 000 euros, plastique et moteurs compris, il peut être fabriqué à la maison », ajoute Gaël.

Avant d’être imprimées en 3D
Crédits : Fabien Soyez

Les robots des autres sont tantôt rouges, tantôt bleus, avec des cheveux ou avec une fausse peau. Certains makers ont ajouté de nouvelles fonctionnalités à leurs clones. Gaël cite ainsi un robot InMoov translucide, créé par l’américain Kevin Watters. Avec un casque de réalité virtuelle Oculus Rift, ce dernier a créé un système permettant de « voir à travers les yeux » du robot, et de le piloter à distance. « C’est une idée très prometteuse pour la télé-présence », affirme Gaël. Ce système, l’inventeur parisien l’utilise lui aussi, de concert avec Greg Perry, de MyRobotLab, pour permettre à terme à son acolyte de modifier à distance, depuis New York, son robot (situé à Paris) et de l’améliorer. Une forme inédite de travail collaboratif, proche de la téléportation… Avec Greg Perry, le model maker travaille en duo : « Je filme mes pièces, je lui envoie des vidéos. La nuit, il réfléchit, programme des scripts, et trouve une solution à mon problème en un clin d’oeil. Pour moi, c’est un soutien technique, car je ne suis pas un expert en programmation robotique. » D’autres makers, à travers le monde, ont apporté leur grain de sel en partageant des informations, conseillant Gaël, l’aidant à améliorer son robot, devenu une véritable « plateforme robotique de développement » modelée par la communauté – Gaël faisant parfois office d’exécutant. « À la base, je n’avais pas prévu de créer des jambes à InMoov, mais on me l’a fortement conseillé ! » s’amuse-t-il. Plutôt que de faire reposer sa moitié de robot sur un Segway imprimé en 3D, comme il l’avait imaginé en 2011, il conçoit donc de vraies jambes robotiques. « La communauté a décidé pour moi, explique-t-il en riant. Qui sait, peut-être que d’autres réussiront à le faire marcher mieux que moi, avant moi ! »

Open Source

Le projet de Gaël, c’est aussi, et surtout, de permettre, grâce à la mise à disposition de chacun de ses travaux, le développement de projets utiles à la société. Ainsi est né, par exemple, le projet Bionico Hand. Un projet qui devrait permettre à n’importe qui, pourvu qu’il trouve une imprimante 3D, de profiter d’une prothèse de bras low cost. En 2012, une centaine d’internautes contactent Gaël sur Thingeverse. « Ils voulaient savoir si on pouvait transformer le bras et la main de mon robot, et en faire une prothèse », se souvient-il. Il soutient le projet d’un Brésilien, Gustavo Brancante, et plus près de lui, d’un Rennais, Nicolas Huchet.

« Contribuer à des projets comme Bionico Hand, c’est quand même autre chose que d’imaginer des robots qui servent à tuer des gens. »

Amputé il y a dix ans suite à un accident du travail, cet ingénieur du son d’une trentaine d’années porte, dans la vie de tous les jours, une prothèse myoélectrique, commandée par l’énergie électrique produite par les muscles – mais une basique, qui sert à saisir des objets, comme une pince. Plutôt que de s’en acheter une de la dernière génération – commercialisée par trois sociétés high tech, Otto Bock, Touch Bionics et RSLSteeper, pour 40 000 euros en moyenne –, il a préféré chercher un moyen plus accessible (l’impression 3D et le DIY), et s’est rapproché du Fab Lab de Rennes, le Lab Fab. « Le hasard a voulu que je rencontre ces makers lors d’un événement organisé en Bretagne, et qu’ils me demandent si techniquement, il serait possible d’utiliser mon robot pour créer une prothèse myoélectrique low cost », explique Gaël. Ni une, ni deux, l’inventeur rejoint le projet, baptisé Bionico Hand. Il passe ses nuits à transformer une partie de son robot en prothèse. Il utilise des servomoteurs, une carte Arduino et relie le tout à des capteurs EEG. Placés sur la peau de Nicolas, ceux-ci lui permettent de contrôler la prothèse par la pensée. « Comme pour mon robot, cette prothèse est accessible à tous, open source et low cost. Chacun peut la fabriquer dans son coin », indique Gaël. En assemblant les différentes pièces, elle ne coûte ainsi que 500 euros. « C’est un moyen de lutter contre les inégalités, de permettre à tous d’avoir accès à une prothèse de qualité, sans forcément être super-riche », ajoute-t-il.

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Perché sur sa chaise, devant son ordinateur où défile la modélisation 3D d’une main robotique, Gaël rêvasse :

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InMoov
En 2014, Pinocchio a une Xbox One embarquée
Crédits : Fabien Soyez

« Les médias ont souvent fait le parallèle entre mon robot et Pinocchio, me comparant à Geppetto. Forcément : dans ce conte, la marionnette se retrouve dans la nature, et son créateur le laisse voler de ses propres ailes. C’est ce que j’ai fait avec InMoov, en le rendant open source. Libre, il a quitté ma maison. » Son projet, qui pourrait sembler un brin utopique, est basé sur le partage. « Certaines personnes me prennent pour un dingue ! Mais pas pour mon projet en lui-même. Elles me disent que si je vendais chaque pièce, ne serait-ce qu’un euro l’unité, je gagnerais beaucoup d’argent… Mais je ne cherche pas le profit », explique-t-il. Cherchant malgré tout à rendre son projet viable, il envisage de vendre quelques outils, comme le finger starter, un doigt muni d’un servomoteur et d’une carte Arduino, sorte de kit de démarrage. « Mais je ne cherche pas à m’enrichir. En mettant tout en open source, je suis allé plus loin, bien plus loin que si j’avais simplement fabriqué une main pour la vendre ensuite, explique Gaël. Partager l’information, pour moi, c’est une façon de porter un message : nous ne sommes pas obligés de tout vendre et de faire du fric sur tout et n’importe quoi », ajoute ce chantre de l’open source. En partageant les informations plutôt qu’en les vendant, Gaël se prend à espérer : « Cela générera plus de positif que de négatif… contribuer à des projets comme Bionico Hand, c’est quand même autre chose que d’imaginer des robots qui servent à tuer des gens. L’objectif final, c’est changer le monde. »

Père de famille

Au fil du temps, Gaël est devenu un maker pur et dur. « Pour moi, un maker, c’est une sorte de McGyver. Quelqu’un qui est capable, en toute condition, avec le moins d’outils possibles, de fabriquer quelque chose. Il n’est pas dans un laboratoire, avec des machines tout autour de lui. C’est un bricoleur. Il peut fabriquer une antenne TV avec des bouts de fils de fer trouvés dans son garage », décrit-il. Les idoles de Gaël ? « Géo Trouvetou, l’ami inventeur de Picsou & Cie, et surtout, Rahan… C’est un maker de dingue, il est capable, dans la nature, de trouver des solutions, à chaque fois. Il réussit à déboucher une grotte bloquée par une pierre, il invente des systèmes de leviers… C’est lui le premier McGyver, et c’est sur ses pas que j’ai marché, en créant mes tout premiers objets dans mon atelier. »

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Tourné vers les autres
Les câbles qui animent InMoov
Crédits : Fabien Soyez

Gaël voit dans l’univers du DIY et de l’open source « la solution à bien des problèmes, car cela permet au citoyen de s’approprier les outils de production, pour atteindre l’empowerment ». Mais attention à ce que les informations librement partagées ne soient pas « volées » par d’autres : « Certaines personnes ont utilisé mon robot sans le dire, cherchant à se l’approprier. » Et de citer une américaine, qui a présenté la main d’InMoov à Barack Obama sans jamais citer son créateur. « Je l’ai contactée et je lui ai rappelé que la licence de mon robot est non-commerciale, mais avec attribution, ce qui oblige les gens à toujours citer la source, raconte Gaël. À chaque fois qu’on a essayé de tirer profit de mon robot, j’ai traversé des passages à vide et j’ai failli tout plaquer. Mais la communauté a toujours été là, et en voyant tous ces gens derrière moi, je me dis que je dois continuer, jusqu’au bout », ajoute-t-il en tendant le doigt vers sa création. À ceux qui pourraient être tentés de récupérer son invention, il délivre un message : « Respecter le côté open source du projet c’est, entre autres, travailler avec d’autres, et avoir devant soi un horizon bien plus large que celui qu’offre un projet mené seul dans son coin. » Actuellement attelé à concevoir des jambes à son robot, Gaël est à la recherche d’un système mécanique, sans servomoteurs, mais suffisamment rapide et à moindre coût, « pour que les gens puissent se procurer facilement les pièces nécessaires ». Un challenge qu’il est prêt à relever, afin de permettre « au père de famille qui a démarré ce projet de ne pas se retrouver soudain avec des jambes coûtant entre 6 000 et 10 000 euros de matériel ».

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Au-delà des jambes, les idées de Gaël foisonnent. Par exemple, il prévoit de créer un système permettant de synchroniser tous ses clones, dès qu’une amélioration est apportée à l’original. « Il faudrait que toutes les informations que je partage, quand je crée une nouvelle gestuelle, une nouvelle voix, une nouvelle fonctionnalité, soient dans une base de données partagée, et qu’automatiquement, le robot clone aille puiser dans cette base », explique-t-il. Gaël planche aussi sur un système permettant à son robot d’apprendre, afin de reconnaître automatiquement un objet et ses caractéristiques. « Par exemple, si je lui montre une balle et que je lui explique qu’il s’agit d’une balle verte, le but serait qu’il puisse saisir une balle verte quand je lui en donnerai l’ordre, de lui-même. » Un autre projet, de capture gestuelle, devrait aussi permettre à son robot de reproduire les mouvements de son interlocuteur.

« Si les gens savent développer eux-mêmes des robots, il y a une chance pour que le futur soit positif. »

Grâce à un programme créé par un fan australien, InMoov parle en bougeant la mâchoire. Il peut aussi basculer son bassin, ce qui lui permettra, une fois les jambes terminées, de s’asseoir… et pourquoi pas de danser ? Le but final de Gaël, « c’est en faire un robot intelligent ! À partir du moment où on peut le transformer et modifier, les possibilités sont illimitées. » Quand il sera terminé, InMoov mesurera 1 m 85 – la taille de son créateur, « mais avec une largeur d’épaules et des biceps bien plus importants », sourit-il. Comment l’inventeur-bricoleur voit-il le futur ? « Un jour, nous aurons tous un robot humanoïde à la maison, c’est inéluctable ! C’est exactement comme pour les ordinateurs, qui se sont démocratisés au fil du temps. Des sociétés comme Google travaillent sur les robots, l’armée aussi… » constate Gaël. De là à imaginer un scénario où une véritable intelligence artificielle verrait le jour… « Un jour, mon robot prendra peut-être conscience de ce qu’il fait, c’est tout à fait possible. Peut-il prendre conscience de son potentiel ? À partir du moment où il sera en réseau avec d’autres robots et des ordinateurs, les choses iront très vite, j’en suis persuadé », avance-t-il. Et pour éviter un scénario catastrophe façon Terminator, Gaël a la solution : « Pour moi, le fait de lâcher InMoov dans la nature, c’est aussi une façon de contrer ce genre de mauvais futur : si les gens savent développer eux-mêmes des robots plutôt que de ne miser que sur ceux de grosses sociétés, il y a une chance pour que le futur soit positif. »

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Le créateur et sa créature
Gaël Langevin et InMoov
Crédits : Fabien Soyez

Dans un coin de l’atelier, l’imprimante 3D vrombit avant de s’arrêter. Gaël se penche au dessus de la machine. Il sort une pièce du robot, qu’il a modélisée durant la nuit. « Cela lui permettra de tourner la tête du haut vers le bas. » Le maker fait un tour sur lui-même et rejoint sa table de travail. Puis il se remettra à modéliser d’autres pièces. Et ainsi de suite, jusqu’à ce que sa progéniture robotique soit achevée.


Couverture : Gaël Langevin et InMoov, par Fabien Soyez.