Del Río

Les rues étendent leurs lacis sur les hauteurs de Santa Monica, bien au-dessus du bassin d’Encino. Des conifères protègent les gazons soignés des regards indiscrets. En cet après-midi tranquille de février 2006, un pick-up blanc s’arrête non loin d’une maison couleur pêche, où réside un importateur prospère de matériel électronique avec sa femme et son fils. L’homme qui sort du véhicule et se dirige vers la demeure n’a rien d’inhabituel : rasé de frais, beauté sombre, regard déterminé et physique de poids moyen. Il porte des chaussures de sport, un bermuda de surf et des lunettes de soleil. Il pourrait être démarcheur, jardinier ou bien simplement un invité de la famille. On lui donnerait 20 ou 30 ans. Ce pourrait être n’importe qui, et c’est précisément l’impression qu’il souhaite produire. D’autres cambrioleurs opèrent dans le coin, mais aucun ne lui arrive à la cheville.

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Le terrain de jeu de Del Río

Un mois plus tôt, les « cambrioleurs de Hillside » ont commencé une tournée de trois ans qui s’achèvera sur un total de plus de 150 cambriolages répertoriés dans la région de Bel Air et de Beverly Hill. Les adolescents du Bling Ring accéderont à la célébrité trois ans plus tard, après avoir volé des biens pour un montant d’environ 3 millions de dollars dans les propriétés de célébrités comme Paris Hilton et Lindsay Lohan. Tous ces voleurs sont des amateurs par rapport à notre homme. En l’espace de 16 mois, il s’est introduit dans plus d’un millier de maisons sur toute la longueur de la vallée de San Fernando. D’après la police, le montant de son butin est estimé entre 16 et 40 millions de dollars. Et comme notre homme opère sous quantité de pseudonymes, ils ne parviennent pas à découvrir sa véritable identité – Ignacio Pena Del Río – et le parcours improbable qu’elle cache. Del Río peut escalader sans effort deux étages pour atteindre un balcon. Quand la hauteur est plus importante, il utilise un grappin fait maison. C’est un crocheteur virtuose et un expert dans la neutralisation des systèmes d’alarme. Il sait comment couper une ligne téléphonique et tromper les détecteurs de mouvement. Ses outils sont stockés dans le coffre de sa Dodge : des perceuses, des coupe-boulons, des ponceuses, une masse, un chalumeau, des coupe-verres, une barre à mine, un enrouleur de câble transportable capable de soulever quatre tonnes, et un vérin hydraulique capable d’en soulever six. ulyces-delrio-02-1Pour les travaux qui requièrent une période de surveillance, il se sert d’un enregistreur vidéo numérique muni de caméras miniatures et d’un moniteur avec liaison sans fil.

Au cours de ses pérégrinations, il a arraché des coffres-forts des murs, dérobé des œuvres d’art, des héritages, des pièces d’or, des lingots d’argent, des alliances, des colliers incrustés de pierreries, une broche panthère de chez Cartier, et même une médaille de bronze des JO de 1984 : en bref, tout ce dont il peut s’emparer en quelques minutes. Son butin, il le stocke dans un box sur Ventura Boulevard. Il mène à la fois l’existence d’un ermite et celle d’un jet setter : il réside dans un bungalow miteux dont il est propriétaire, utilise les douches d’un club de sport ouvert 24 h/24 mais s’habille en Calvin Klein et Burberry. Del Río ne se cache pas : les plus grands voleurs ne le font jamais. Les voleurs ordinaires ne volent que pour l’argent. Les meilleurs d’entre eux le font pour des raisons sublimes : pour le plaisir d’exercer un art interdit, pour saper la société, ou bien juste pour se sentir vivant. Certains d’entre eux, comme Del Río, adoptent une philosophie à la Robin des Bois (même s’ils donnent rarement aux pauvres). Nous dénonçons leurs crimes tandis que nous louons leur génie. Voyez Cary Grant dans La Main au collet. Sherlock Holmes disait de Charles Peace, le légendaire cambrioleur de l’Angleterre victorienne, dans la nouvelle « L’illustre client » : « C’est un esprit complexe. Tous les grands criminels le sont. » En effet, lorsque des enquêteurs mettent la main sur des cambrioleurs de haut vol, notre premier sentiment n’est généralement pas les reproches, mais une admiration coupable. Ils accomplissent ce que nous n’osons qu’imaginer. Del Río est un artiste qui travaille sous adrénaline. À l’instar de tous les cambrioleurs de haut vol, Del Río ne touche ni aux drogues ni à l’alcool : il veille à se maintenir dans une une forme athlétique. Il s’exerce plusieurs heures pas jour. Il correspond au profil type : une personnalité obsessionnelle et douée, présentant une addiction, un besoin primaire pour l’action. Tandis qu’il s’approche de la maison couleur pêche à Encino, il sait que l’inspecteur Bill Longacre du LAPD le traque et qu’il le talonne. Mais cela ne le dissuade pas. C’est un vendredi comme un autre, et le plus grand voleur de la ville pénètre d’un même élan par la fenêtre et dans les annales du crime. ulyces-delrio-03-1

Le fantôme

Del Río est né en 1974 au sein d’une famille aisée et aimante de la principauté des Asturies, en Espagne. Une de ses sœurs est avocate, l’autre est architecte, tout comme l’un de ses frères et son père. Durant son adolescence, Del Río a été scolarisé au Colegio de la Immaculada à Gijón, un prestigieux internat jésuite vieux de 120 ans comptant parmi ses élèves le banquier milliardaire Emilio Boti. En 1992, le jeune Espagnol quitta sa maison pour participer à un échange scolaire avec un lycée du Michigan. C’est là-bas qu’il s’est livré à son premier coup : il s’est fait pincer à Ypsilanti pour avoir volé des bougies d’allumage. Un an plus tard, il était arrêté à Gijon pour cambriolage. Il a évité la prison en s’acquittant de l’amende et, en 1998, il est retourné aux USA. Grâce aux bourses d’un collège communautaire de Madrid, il a pu s’inscrire à l’université de San Diego. Il y a rapidement complété son cursus. Un an plus tard, après avoir décroché son diplôme en business, il s’est installé à Los Angeles pour poursuivre son rêve : devenir combattant professionnel. Del Río faisait du kickboxing depuis l’enfance, et il pouvait décocher un coup de pied à hauteur de tête aussi facilement qu’un coup de poing. Pendant un moment, il a fait fureur sur la scène combattante locale en travaillant, dit-il, comme sparing du champion poids léger Juan Lazcano WBF au Wild Card Boxing Club de Freddie Roach. Il s’est entraîné au jujitsu brésilien et a fait ses débuts comme boxeur professionnel lors d’un combat qu’il a gagné par décision majoritaire, au Hollywood Park Casino. Mais il n’a pas tardé à consacrer ses indéniables talents à une toute autre fin. Tandis que Del Río sculptait son corps, il a entrepris de contrefaire sa vie.

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La ville de naissance de Del Río

Il avait toujours fait montre d’une intelligence aiguë. « Au cours de ses études, il n’avait presque pas besoin de travailler », confiait l’un de ses amis d’enfance à un journal de Gijón. Mais son penchant pour les gamberradas, les actes de vandalisme mineurs et le hooliganisme, s’est avéré  plus révélateur. Au lieu de dépasser son penchant pour les comportements criminels, Del Río y a plongé tête baissée, entre deux sessions d’entraînement de boxe. En utilisant Photoshop et des bases de données de décès et de naissances, il est parvenu à contrefaire des permis de conduire avec de vrais noms. Il a ensuite appliqué son art aux cartes de crédit pour s’acheter du matériel électronique, qu’il recèlerait plus tard. Mais la démarche devenait fastidieuse. Selon ses propres mots, cela revenait à accumuler un « sacré merdier » qu’il devait revendre moitié prix. Ça n’en valait pas la peine. Mais les cambriolages ? C’était bien différent. « Plus de satisfaction, plus d’adrénaline, plus de tout », se délecte-t-il. En 2004, Del Río s’est lancé dans l’entreprise à corps perdu. Migrant d’une trentaine d’années à la peau mate, il s’est trouvé une nouvelle famille au sein d’une bande d’escrocs du west-side issus de la communauté rom de Los Angeles. Il a fait son apprentissage sous la supervision de deux femmes qui lui ont enseigné l’art de la distraction au cours des cambriolages : le « guetteur » fait le guet, le « portier » attire le propriétaire hors de sa maison et le « fantôme » agit. La moitié du temps, Del Río tenait le rôle du portier, autrement il agissait comme fantôme. Mais, me confie-t-il, les méthodes de ses professeures commençaient à l’agacer. Les Roms prenaient surtout pour cibles des personnes du troisième âge ayant probablement des économies planquées chez elles. Del Río savait qu’il serait plus efficace en faisant cavalier seul. Mais plus important, il voulait s’en prendre à des personnes aisées. « La société m’écœurait », dit-il. « Je la trouvais égoïste, totalement gouvernée par l’argent. J’ai coupé les ponts avec ma famille et j’ai décidé que je volerais aux riches pour donner aux pauvres. »

Le premier sac qu’il a ouvert contenait des armes et des munitions.

Mais il n’a rien donné aux pauvres. Il s’est tout redistribué à lui-même. Ce fils d’architecte, élevé dans une famille où la norme était la réussite, venait de découvrir sa vocation. Loin des Roms, il a œuvré en solitaire, s’introduisant avec une énergie inépuisable dans les foyers des familles aisées, à l’image de celle qu’il avait laissée derrière lui en Espagne. La plupart du temps, il accomplissait ses méfaits avec une aisance quasi-naturelle. Il commençait par toquer à la porte. En l’absence de réponse, il vérifiait les fenêtres, après quoi il passait par l’arrière. Après avoir enfilé des gants et s’être équipé d’une lampe-torche, il faisait sauter une serrure ou le verrou d’une fenêtre avec un tournevis plat. Il entrait, pillait tout et mettait les voiles. Vêtu d’un bleu de travail, il partait à la pêche aux informations auprès des voisins de ses victimes, en quête d’informations utiles. « La meilleure aide qui soit », affirme Del Río, « c’est le cerveau humain. Être capable de déchiffrer les pensées des gens et de les manipuler : grâce à cela, j’ai pu pénétrer dans beaucoup de maisons sans le moindre outil, récolter des informations, finir le travail et me barrer sans me faire prendre – et sans jamais employer la violence. J’étais tellement doué pour embobiner les gens que même en me faisant arrêter par des patrouilles de police des dizaines de fois, je ne me suis jamais fait attraper. » Sa chance et le moment où elle tournerait était la seule variable sur laquelle Del Río n’avait aucune prise.

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Le 20 décembre 2005, un employé de l’entreprise de garde-meubles Public Storage a ouvert par mégarde le casier d’un bon payeur au lieu de celui d’un bon à rien. Des attachés-cases, des sacs et des peintures y étaient soigneusement empilés. Le premier sac qu’il a ouvert contenait des armes et des munitions. Comme la police le découvrirait sous peu, les armes avaient été volées par Del Río, qui aimait s’en emparer pour les étudier. Il s’entraînait au tir effrontément au Los Angeles Gun Club, tout près du quartier général de la police de Los Angeles. ulyces-delrio-05L’ATF (ou Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives) s’est rendu sur les lieux pour saisir les armes. La police est venue le lendemain pour prendre ce qui restait. Et quel butin ! 74 montres (dont quantité de Rolex), 248 bracelets (la plupart en or), 546 colliers, pendentifs, charmes et chaînes faits de métaux et de pierres précieux, 572 anneaux de toutes compositions, 150 000 dollars en pièces d’or qu’un couple avait épargné pour payer les frais universitaires de leur fille, 26 lingots d’or suisse, et une pastel d’Edgar Degas représentant des ballerines – qui serait un faux après expertise, mais qui était à l’époque estimé à plus de 10,5 millions de dollars. Il a fallu toute une semaine à l’inspecteur Bill Longacre et à ses sept adjoints pour en dresser l’inventaire. Longacre a commencé à chercher les correspondances entre les biens volés et les déclarations des rapports de police. Travail pénible car il devait identifier les victimes et les témoins pour recréer chaque cas. Sur l’envers d’un bracelet, il a trouvé un prénom (Steven) assorti d’une date. Priant pour qu’il s’agisse d’une date d’anniversaire, il s’est mis à appeler tous les Steven d’un âge correspondant à la date et résidant dans les environs de la scène du crime. C’est ainsi que Marsha Kline, la mère de Steven, a pu récupérer son bijou.

Quelques mois plus tôt, Longacre, qui travaillait depuis 35 ans au LAPD, amateur de cigarettes Winston et de Budweiser, s’était vu confier une enquête concernant une épidémie de cambriolages frappant les riches habitants de la vallée de San Fernando et Mulholland Drive, qui serpente dans les collines où fleurissent de grandes demeures surplombant la vallée de Los Angeles. Ne disposant pratiquement d’aucun élément, Longacre est parti du bas de l’échelle. Il a disposé les informations dans quarante cases d’une grille comportant vingt colonnes. Des similitudes sont apparues : les jours des délits, le fait que le cambrioleur ait pénétré à l’intérieur ou par l’entrée de derrière, ainsi qu’une préférence marquée pour les issues au premier étage. Longacre disposait maintenant d’un modus operandi et de la zone d’activité de son cambrioleur. Mais il lui manquait encore un visage et un nom. Dans le box, Longacre a également trouvé du matériel servant à l’expertise des métaux précieux et des joyaux, des livres consacrés aux méthodes de contournement des alarmes et au crochetage, ainsi qu’un disque dur externe. Le voleur inconnu jusqu’ici y avait enregistré des cartes d’identité photoshoppées. Les cartes affichaient de faux noms, mais les photographies montraient toutes le même visage. L’inspecteur s’est esquinté les yeux trois jours durant en visionnant des photos d’identité judiciaire dans la base de donnée de la police.

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Le box et l’inspecteur Longacre

L’homme des photographies y était recensé sous le nom de John Matthew Emerson. La photo avait été prise en 2000, à la suite d’un vol à l’étalage commis à West Hollywood. Avant de débuter sa carrière de cambrioleur, Del Río fauchait des paquets de MET-Rx (des barres protéinées très prisées des haltérophiles américains, ndt) dans les boutiques. Emerson était l’une de ses fausses identités. Une correspondance a rapidement été trouvée dans la base de données. Longacre a diffusé sa photo auprès de toutes les brigades de police de la Vallée. Il comptait sur le fait que le voleur continuerait à sévir. Et Del Río ne s’est pas fait prier : son activité s’est nettement accru au cours du mois de janvier 2006. Et il était si furieux que la police ait fait main basse sur sa caverne d’Ali Baba qu’il est allé jusqu’à embaucher des avocats pour qu’ils appellent Longacre en exigeant qu’il restitue les biens saisis. L’humeur changeante de Del Río, tantôt maussade, tantôt surexcité, lui avait déjà joué des tours auparavant. Il s’était fait exclure d’un club de gym de Los Angeles pour avoir frappé le tenancier au cours d’une dispute. Il a affirmé plus tard à plusieurs personnes qu’il était bipolaire. Un jour, le voleur mécontent s’est coulé souplement au travers d’une barrière proche d’une église mormone de Granada Hills. Il transportait un long tuyau de plastique noir et une pelle. Le tuyau contenait son butin du mois, environ 500 000 dollars en espèces et en bijoux. Après quelques pas parmi les tournesols sauvages, Del Río a commencé à creuser un trou. Il avait bien choisi son emplacement. Les lignes à haute tension qui le surplombaient généraient un champ magnétique tel qu’il brouillait les détecteurs de métaux.

Gamberradas

Le Del Río qui a pénétré dans la maison d’Encino le 16 février 2006 (son quatrième « job » de la journée) s’est montré bien moins méticuleux. La maison était une cible délicate : la propriété ne comportait qu’un seul accès et une unique route y menait. Il suffisait d’une seule erreur pour qu’il s’y retrouve piégé. Après avoir ouvert une fenêtre avec son tournevis, il s’est glissé à l’intérieur en omettant bêtement l’une de ses propres règles : toujours vérifier chaque pièce. Il n’a pas remarqué la domestique qui émergeait de sa sieste. La police a rapidement débarqué sur place et quatre agents ont investi la maison, l’arme au poing. Del Río les a aperçu alors qu’ils pénétrait par une fenêtre à l’arrière : il a immédiatement fait demi-tour, piquant un sprint vers la porte principale. Mais c’était sans espoir. Acculé, il s’est mis à genou dans l’allée avant de crier : « J’abandonne ! » ulyces-delrio-07-1Chez les cambrioleurs, une tâche aisée ne génère aucun plaisir, aucune impression de récompense. Mais la fréquence et les risques insensés pris par Del Río pendant ses vols en 2006, cette inconscience inhabituelle, suggère une motivation plus profonde. Après la découverte de son box vide, il savait que Longacre était à ses trousses. Mais cela ne l’a pas empêché de sévir dans la même zone. « Certains malfrats veulent se faire prendre », m’explique l’inspecteur. « C’est une façon de mettre un terme à leur comportement délictueux. » Lors de son arrestation, Del Río a donné le nom de Roberto Caveda – un alias doté d’une certaine valeur sentimentale : la Calle Caveda est le nom de la rue dans laquelle réside le frère de Del Río. Elle se trouve à Gijón, là où le maître voleur s’est engagé sur la mauvaise voie lorsqu’il était adolescent. Un inspecteur qui avait vu les photos envoyées par Longacre a reconnu immédiatement le visage de Del Río. Quelques heures plus tard, Del Río a ôté d’un coup sec l’élastique de son short avant de l’attacher à ses chaussettes : avec ce nœud coulant improvisé, il a arraché le gicleur du dispositif anti-incendie fixé au plafond de sa cellule. Avant que les gardiens ne parviennent à le maîtriser, le poste de police était inondé. Il s’est livré à deux autres tentatives de suicide dans les mois qui ont suivi. Dans une cellule de détention du palais de justice de Van Nuys, il s’est étranglé avec son pantalon et a bien failli y rester.

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Del Río durant son procès

Du fait de consignes de sécurités spéciales, il lui a ensuite été interdit de se raser ou de se faire couper les cheveux pendant des jours. Dégoûté par la nourriture servie en prison, il a perdu dix kilos.  Au fil des mois, Del Río s’est mis à tenir des propos incohérents et à boxer dans le vide totalement nu, espérant que le tribunal le déclarerait fou. le procès a traîné en longueur, en grande partie parce que Del Río, contre l’avis de son avocat, refusait de plaider coupable. En juillet 2007, le jury l’a condamné à plusieurs reprises pour vol avec effraction, tentative de vols avec effraction et recel. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il s’est décidé à coopérer. En échange d’une remise de près d’un tiers de sa peine de dix ans d’emprisonnement, il a aidé ses victimes à récupérer leurs biens. Sur la banquette arrière d’une berline lancée sur l’autoroute 405, en route vers un studio où, conformément à une partie de l’accord passé avec le procureur, Del Río participerait au tournage d’une vidéo d’entraînement pour le LAPD, il a confié à Longacre qu’il avait eu l’intention de faire fondre la majeure partie de son butin en or pour l’acheminer par la suite en Espagne. À la même période, il a dessiné une carte au trésor à l’inspecteur pour lui indiquer l’emplacement de son butin enfoui. Le dessin était précis au mètre près, avec un grand X indiquant l’endroit.

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En décembre 2009, Del Río a été incarcéré à la prison correctionnelle R.J. Donovan de San Diego. Il sera expulsé des États-Unis après sa relaxe. J’ai commencé à échanger avec lui juste après son incarcération, en le questionnant sur sa vie. S’il répond à quelques questions, il en élude la plupart. Un « Pourquoi ? » demeure invariablement sans réponse. C’est une question simple et évidente : pourquoi un homme tel que Del Río, qui aurait pu devenir tout ce qu’il aurait désiré être, s’est-il engagé sur cette voie ? L’explication l’est moins. Pétri de tradition jésuite, laquelle exalte la dévotion à une cause supérieure, Del Río truffe ses appels téléphoniques et ses courriers de ses considérations au sujet des enfants dénutris et des victimes de tremblements de terre. « Je sais que j’excellais dans ce que je faisais », me confie-t-il avec une pointe de fierté. « Je me suis fait énormément d’argent. Vous imaginez si j’étais allé en Afrique et si j’avais ouvert un dispensaire là-bas ? J’aurais pu acheter tous les médicaments. Le nombre de vies que j’aurais pu sauver ! »

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Del Río doit être libéré cette année

Mais Del Río admet volontiers que ces nobles desseins n’étaient pas les seules justifications de son besoin de voler. Quand je le presse de m’en dire plus, il garde le silence. Il n’arrive pas à concilier cet aspect de lui-même avec la réalité. Il considère que tous les portraits que les médias ont brossé de lui ne sont pas « réalistes ». Mais quand l’occasion d’un droit de réponse se présente, il s’y refuse. À un moment donné de nos échanges, il me dit que « tant qu’on reste fidèle à principes, on n’a rien à craindre ». C’est une des clés du personnage. Quels que soient ses principes, il les a trahis. Et Ignacio Del Río, le boxeur, le casse-cou, le maître voleur, était en prison un homme terrorisé. Au téléphone, il a presque fondu en larmes en m’expliquant qu’il avait peur de me parler. Il craignait mon récit. Mais plus que cela, il craignait de se regarder en face. Tout compte fait, le statut de grand cambrioleur n’est pas romanesque. C’est une fiction égoïste, une obsédante addiction. En prison, Del Río s’est retranché encore plus profondément dans son architecture émotionnelle familière. Il a passé un temps considérable à l’ombre pour ses gamberradas contre le système. « Je ne supporte pas que quiconque me dise ce que j’ai à faire », dit-il. « Je ne suis aucune règle. » Il préfère être seul, précise-t-il, à passer des heures à méditer ou à boxer dans le vide dans la cour. Il suit de nouveau un régime de boxeur. Il a repris l’entraînement. Mais dans quel but ? Difficile à dire.


Traduit de l’anglais par Cédric Stome et Nicolas Prouillac d’après l’article « The Amazing Story of California’s Greatest Cat Burglar », paru dans Details. Couverture : Le centre correctionnel R.J. Donovan, à San Diego. Création graphique par Ulyces.