Les parents d’Erik Finman, Paul et Lorna, se sont rencontrés à l’université de Stanford dans les années 1980, quand Paul passait son doctorat en génie électrique, et Lorna en physique. Pour leur premier rendez-vous galant, ils sont restés dans la chambre de Lorna à manger une boîte de haricots. « Notre père est sûrement la personne la moins romantique du monde », lance Erik, 16 ans. « Elle avait un analyseur de spectre qu’il convoitait… » Paul et Lorna se sont mariés et ont fini par déménager avec leurs trois jeunes fils à Post Falls, dans l’Idaho, près de l’endroit où Paul avait grandi. Après les attaques du 11 septembre, LCF Enterprises, leur compagnie, a prospéré en décrochant des contrats lucratifs avec le département de la Défense pour la fabrication d’amplificateurs spécialisés qui avaient entre autres la capacité de brouiller les engins explosifs improvisés sur lesquels tombaient les troupes américaines en Irak.

Stanford, incubateur de talentCrédits

Stanford, incubateur de talent
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Post Falls est située en périphérie de Cœur d’Alene, et si sa population est majoritairement rurale et pauvre, les gens aisés sont attirés par la beauté de cet endroit loin de tout. Il n’est pas rare d’y entendre des coups de feu à l’heure du petit déjeuner, et c’est aussi là que vit, parmi les amis de la famille Finman, l’ingénieur en aérospatial de Virgin Galactic, Burt Rutan. Les Finman, qui n’ont aucun goût pour le système éducatif du coin, ont opté pour l’instruction à domicile pour leurs garçons les plus âgés, mettant à disposition de chacun d’eux un bureau à LCF afin de développer leurs centres d’intérêt. « Au lieu des récréations », explique leur fils Ross, 25 ans, « on nous accordait du temps avec un ingénieur. » Scott est aujourd’hui âgé de 28 ans. Il s’intéressait alors à la programmation informatique, et il est entré à l’université Johns-Hopkins à 16 ans. Ross qui, enfant, jouait avec des Lego à s’en faire saigner les doigts, s’est tourné vers la robotique. Il a terminé sa dernière année au lycée de Harvard à 16 ans et passe actuellement un doctorat en intelligence artificielle au MIT. Erik, le petit dernier, a mis plus de temps à trouver sa voie. Cherchant à plaire à sa mère et plus sensible à son jugement que ses frères, il n’a pas supporté l’école à domicile. Après le CP, ses parents l’ont placé dans différentes écoles publiques et privées, mais rien n’y faisait. Erik restait indifférent et malheureux. Un enseignant lui a même suggéré d’abandonner l’école pour aller travailler chez McDonald’s.

Naissance d’un génie

Mais sa famille, elle, n’a jamais douté de son intelligence, ni de sa curiosité ou de sa créativité. Alors qu’il n’était encore qu’un bambin et que les Finman logeaient dans un motel (c’était avant le 11 septembre et leur entreprise rencontrait des difficultés), le jeune Erik s’est un jour aventuré dans le local électrique et s’est mis à jouer avec les interrupteurs, effaçant tout le système de réservation. Une autre fois, il est entré en douce dans la chambre à coucher de sa mère et lui a prélevé de la salive dans la bouche avec un coton-tige en prenant soin de ne pas la réveiller, et a utilisé l’échantillon pour commander un tableau de son ADN et lui en faire la surprise à Noël. Bien qu’il soit le seul parmi ses frères à n’avoir pas obtenu son certificat d’opérateur des services de radio amateur, cela ne l’a pas empêché de développer une fascination extrême pour les nouvelles technologies, suivant de près les médias spécialisés comme The Verge, écoutant religieusement les discours de Steve Jobs et s’extasiant pendant des heures devant des gadgets – ce qui fatiguait vite les membres de la famille. « Il se comportait comme un obsédé compulsif quand il s’agissait de leur fonctionnement et de leur utilisation », observe Ross. Si Erik identifiait un défaut de fabrication, « ça le dérangeait vraiment. Après ça, il était de mauvaise humeur pendant plusieurs jours. » Un Noël, Ross est allé jusqu’à offrir à Erik la tenue de Steve Jobs en modèle réduit, avec ses jeans et son haut noir à col roulé.

Les frères FinmanUne famille d'entrepreneursCrédits : Erik Finman

Les frères Finman
Une famille d’entrepreneurs
Crédits : Erik Finman

Il faut savoir que les frères Finman sont à la fois soudés et en compétition les uns avec les autres. Lorsqu’au début de l’année 2013, Scott a parlé à Erik du système de paiement numérique baptisé bitcoin, disant qu’il en avait acheté cinquante unités, Erik a décidé de dépenser les 1 000 dollars qu’il venait de recevoir de sa grand-mère pour s’en acheter cent. Un an plus tard, Ross lui a offert le livre Without Their Permission (« Sans leur permission »), écrit par Alexis Ohnian, le cofondateur de Reddit. Avant cela, Erik n’avait lu volontairement qu’un seul livre de toute sa vie (la biographie de Steve Jobs par Walter Isaacson), mais il a dévoré celui d’Ohanian, qui décrit le pouvoir d’Internet comme un outil permettant à tout le monde de devenir entrepreneur (même à un élève médiocre de 15 ans qui vit au fin fond de l’Idaho). Erik n’avait qu’une hâte : rencontrer Ohanian qui – cela tombait bien – mettait en jeu des « heures de travail » via une tombola pour une association caritative. Pour 8 500 dollars, Ohanian promettait des gaufres et une place pour le match des Brooklyn Nets. Erik a donc demandé à ses parents s’ils paieraient les frais pour lui, mais ils ont pensé que la somme était trop importante et qu’Ohanian n’était qu’une lubie passagère du jeune garçon. Ils ont dit non. Mais Erik n’a pas baissé pas les bras. Voyant que la cote d’un bitcoin était passée à 1 200 dollars, il a décidé de vendre son pactole pour 100 000 dollars et a obtenu sa soirée avec Ohanian. « Pendant tout ce temps, je devais me maîtriser et me rappeler que je parlais à un adolescent, confie Ohanian. C’est un jeune homme très motivé, bien plus que je ne l’étais à son âge. » Environ à la même époque, Erik a déniché un développeur indépendant sur Elance et l’a payé pour créer un clone de Flappy Bird : une semaine plus tard, il était en vente sur le Play Store pour Android. L’affaire n’a pas beaucoup rapporté, mais l’expérience lui a ouvert les yeux – une preuve tangible du concept d’Ohanian. Erik avait déjà un projet plus ambitieux en tête. Son expérience décevante dans l’éducation l’a convaincu de la nécessité d’une marketplace pour des cours particuliers en ligne, sur laquelle des étudiants cherchant des professeurs et habitant dans des coins perdus seraient mis en contact avec un vaste réseau d’experts cherchant des étudiants. En rattachant le thème d’un devoir maison récent (les angles géométriques) à un hobby (la robotique) dans un mélangeur de mots en ligne, l’algorithme a donné « Botangle » – et Erik de se précipiter dans le Starbucks le plus proche avec une pancarte disant qu’il achèterait un café à tous ceux qui voudraient bien entendre son idée et lui faire un retour. Une vingtaine de personnes lui ont donné leurs impressions.

Erik n’avait lu volontairement qu’un seul livre de toute sa vie : la biographie de Steve Jobs par Walter Isaacson.

Encouragé, Erik a commencé à engager des designers et des développeurs aux quatre coins du monde, et en un rien de temps, il a mis un site sur pied. Il était totalement absorbé par ce qu’il faisait, et cela s’est avéré bien plus instructif pour lui que l’école ne l’avait été. Gérer ses développeurs lui a donné envie d’apprendre le code informatique ; payer des impôts et des charges lui a donné envie de se mettre à la comptabilité. Sa mère et son frère aîné lui ont suggéré d’oublier l’école et de travailler à plein temps sur son affaire. Évaluer Erik d’après les critères académiques traditionnels revenait selon Ross à « juger un poisson d’après sa capacité à grimper aux arbres. » Lorsque Erik a annoncé qu’il ne voulait pas aller à l’université, son père a accepté. À condition qu’il réalise un million de dollars avant ses 18 ans.

Le nez dans les start-ups

Même selon les normes de la Silicon Valley, Erik Finman était en avance sur son âge. Les investisseurs en capital risque (ou venture capitalists), principaux pourvoyeurs de fonds pour l’ingénieur insolent archétypique, ont tendance à se focaliser sur les jeunes adultes : « Les gens de moins de 35 ans sont ceux qui provoquent le changement », Vinod Khosla. « Dans la tête des investisseurs, la limite c’est 32 », Paul Graham. « Ils n’ont pas de distractions, de famille ou d’enfants pour les gêner », Michael Moritz. Mark Zuckerberg, qui a apporté sa pierre au débat avec son fameux « les jeunes sont tout simplement plus malins », avait déjà 23 ans lorsqu’il est devenu milliardaire. Mais plus on descend en âge, mieux c’est, apparemment, indépendamment des réussites encore à venir. Ainsi, quand Erik a posté un Ask Me Anything (« soumettez-moi vos questions ») sur Reddit – titré « J’ai quinze ans et vingt personnes venant du monde entier travaillent pour moi dans une entreprise appelée Botangle » –, il a reçu une foule de commentaires. Erik est devenu populaire sur Twitter, et il a su en jouer.

Finman a eu une idée pour moderniser le recrutement : entreprises et futurs stagiaires se rencontreraient pour un speed-dating professionnel.

Son AMA sur Reddit a donné lieu à un article sur Mashable et une invitation au Thiel Summit (un rassemblement de jeunes entrepreneurs, informaticiens et scientifiques), ce qui l’a conduit à un stage d’été à Palo Alto au sein de la start-up Sprayable Energy (« C’est comme du Red Bull mais pour la peau », explique Erik). Là-bas, Erik a eu une idée pour monter un autre business. En se basant sur sa conviction grandissante que c’est en forgeant qu’on devient forgeron, son collègue de stage et lui ont décidé d’organiser un événement, Intern for a Day (« stagiaire pour un jour »), qui visait à améliorer le recrutement traditionnel, la vieille habitude du CV et de l’entretien. Entreprises et futurs stagiaires s’y rencontreraient pour un genre de speed-dating professionnel. Les employés choisiraient ensuite une poignée de jeunes afin de passer le reste de la journée à travailler sur un véritable projet sur lequel ils ont besoin d’aide, les évaluant ainsi pour un stage éventuel. Ceux qui aspirent à devenir stagiaires, de leur côté, auraient la chance de tester une entreprise et sa ligne de conduite, tout en postulant pour un job, peut-être même à plein temps. StartX, la pépinière d’entreprises de Stanford où se trouvait Sprayable Energy, a dit à Erik et son partenaire qu’ils pouvaient utiliser leurs locaux pour le projet. Sprayable Energy serait l’une des entreprises participantes. Visant la centaine de postulations, Erik a finalement croulé sous plusieurs centaines de demandes, et avant que l’événement n’ait lieu, il en a organisé huit autres pour tâter le terrain, en promouvant des rencontres de placement de stagiaires dans d’autres villes et en recevant des réponses tout aussi enthousiastes. Fort d’un véritable succès et voyant que Botangle n’attirait pas tant de monde que cela, il a rapidement fait un pivot typique de la Silicon Valley et s’est concentré sur Intern for a Day. « Le site compte déjà beaucoup plus d’utilisateurs, pour beaucoup moins de travail », dit Erik. Il a ainsi décidé de rester à Palo Alto. Vivre seul en tant qu’entrepreneur à 15 ans posait quelques problèmes. Erik avait enregistré son entreprise au nom de sa mère : à présent, elle devait aussi lui louer un appartement. Lorsqu’il prend l’avion, elle doit lui écrire une autorisation, et jusqu’à récemment, les sièges près des issues de secours lui étaient inaccessibles. Le site Expedia demande à ce qu’on soit majeur pour réserver un billet, aussi Erik a-t-il transféré ses points de fidélité sur Hipmunk, une entreprise affiliée à Ohanian.

Une machine à 100 000 dollarsCrédits : Erik FInman

Une machine à 100 000 dollars
Crédits : Erik Finman

Il a récemment obtenu son permis de conducteur en formation (un type de permis américain qui permet aux jeunes de conduire à certaines conditions, ndt), mais dépend encore de Lyft et Uber pour se déplacer dans la Silicon Valley. Certaines subventions auxquelles il voudrait accéder exigent un âge minimum. Tout cela a donné à cet entrepreneur aux yeux ingénus une idée de plus. « Un jour, en parallèle, j’aimerais construire un ensemble d’appartements pour des gens de moins de 18 ans, et proposer des réservations de vols pour ces mêmes gens. » Mais il admet : « Je ne pense pas que cela impliquerait beaucoup d’argent. Il doit y avoir en tout et pour tout vingt personnes sur huit milliards dans le monde » qui font face à des ennuis aussi singuliers que les siens. Ses parents ont beau être de toute évidence plus relâchés que d’autres, ils n’en sont pas moins protecteurs : lorsque Erik a déménagé à Palo Alto, sa mère a installé un logiciel de géolocalisation sur son iPhone, et tandis qu’Erik était à son dîner avec Ohanian à Junior’s, près du Barclays Center, elle rôdait anxieusement dans les allées du restaurant Applebee’s, de l’autre côté de Flatbush Avenue. Erik éprouve des difficultés à sociabiliser. « Le problème avec le fait d’avoir 15 ans dans la baie de San Francisco, dit-il, c’est que je sors avec beaucoup de gens âgés de 20 ans. C’est l’endroit où il y a le moins de lycéens parmi la population – du moins à ce que j’en vois. »

Lorsque ses amis se rendent à des fêtes qui servent aussi à réseauter, Erik doit tristement les abandonner à la porte, fermée aux mineurs. Il a eu du mal à rencontrer une personne de son âge avec laquelle il pouvait avoir un échange intellectuel. Il a des profils sur des sites comme OkCupid et Tinder qui affichent qu’il a 18 ans. « Il y a cette fille de 16 ans qui a inventé une lampe de poche alimentée par la chaleur corporelle. Elle est passée dans le Tonight Show. J’étais vert ! » lance-t-il, sa voix pleine de jalousie. « Je lui ai envoyé un message par Facebook, mais j’ai accidentellement envoyé l’autocollant d’un chat géant. » Elle n’a jamais répondu… Son ami d’enfance, Keely Brennan, qui a accompagné Erik à sa sortie avec Ohanian, affirme que le jeune homme fait son modeste devant son nouveau succès auprès des filles. « On était dans un magasin à New York, à parler. Je lui ai demandé : comment ça va les amours, mon vieux ? Il m’a répondu : “Ben… tu sais… j’ai cette fille, et cette fille, et celle-là.” Il m’a sorti un truc du genre : “J’ai remarqué que plus je partais loin de la maison, plus les filles m’aimaient bien.” » Mais son âge, bien qu’incommodant parfois, a clairement été un atout inestimable. Durant son stage à Sprayable Energy, son collègue stagiaire et lui ont approché l’investisseur en capital risque Paul Graham au Joanie’s Café, un coin à Palo Alto qui sert le petit déjeuner, où Erik se rappelle être devenu tout rouge et avoir commencé étrangement à bégayer. Malgré tout, Graham le reconnaît quand il l’aperçoit à présent, et l’appelle « breakfast guy » (« le gars du petit déj’ »). Erik a envoyé une candidature à la pépinière d’entreprises Y Combinator cet automne ainsi qu’au Thiel Fellowship. Il a déjà commencé à assister en tant qu’auditeur libre aux cours du président de Y Combinator, Sam Altman, à Stanford. Et il reçoit des invitations à des événements comme le TEDxTeen. Il y a quelques mois, Erik a envoyé des liens à propos de lui à son ancien enseignant dans l’Idaho, celui qui lui avait dit de travailler chez McDonald’s. L’objet du mail : « Regarde-moi maintenant, bitch ! »

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Le Joannie’s de Palo Alto
Le brunch des start-ups est forcément sur Street View
Crédits : Google Street View

Discours d’un jour

Sur les photos, Erik a l’air d’un binoclard au visage d’enfant, petit et joufflu, mais il fait presque un mètre quatre-vingt et il est tout en longueur, grâce à son récent régime paléolithique. Il a les cheveux épais et ébouriffés (« Je suis en admiration devant Andrew Garfield ») avec sa cure au shampoing sec No Poo (qu’il n’a pas rincé depuis un an), dont il a appris l’existence sur Reddit. Il porte une smartwatch Pebble en argent. Loin d’être un nerd maladroit, il est très ouvert et a beaucoup d’humour. Il se vante de ses « tablettes de chocolat » qui n’ont pas tenu longtemps. Au début du mois d’octobre 2014, Erik a volé jusqu’à Londres pour le TEDxTeen. Il jouissait de plus de liberté qu’à Palo Alto – malgré les trois téléphones qu’il a emmenés avec lui : « Heureusement, le système de localisation ne marche pas en Angleterre. » Néanmoins, étant mineur, les organisateurs de la conférence ont payé pour que son frère Ross vienne avec lui et fasse office de tuteur. Nous avons pris un petit déjeuner tous les trois dans un boui-boui près de leur hôtel dans le quartier de Docklands. Entre Erik et Ross, la relation est compliquée. Lorsque Erik avait 7 ans et Ross 16, il y a eu une période de trois mois durant laquelle Ross a dû s’occuper seul de son petit frère (leurs parents étaient en déplacement pour le travail). En plus de partager un lien de proximité fraternel, ils ont tous les deux conscience d’avoir une seconde dynamique, parfois plus conflictuelle, de père et fils. Un peu plus tôt, à l’hôtel, Erik a décrit Ross comme « le second beau-gosse de la famille », et à présent, tandis qu’il boit son thé (il ne boit ni café ni alcool : « En gros, on vit comme des Mormons », plaisante-t-il) et que Ross mange un petit déjeuner anglais complet, la compétition est ouverte.

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TEDx Teen à Londres
Crédits : TEDxTeen

« On a fait un article sur moi quand j’avais 8 ans », précise Ross. « Ouais, ouais », bâille Erik. Ross continue : « Maintenant, c’est Erik qui me présente aux gens, et un jour, je travaillerai pour lui. » Il s’interrompt, puis ajoute : « Mais il faudra d’abord me passer sur le corps. » Erik et Ross débattent sur l’âge d’entrée (16 ou 17 ans) de Scott à l’université Johns-Hopkins. « Je suis le seul de la famille à ne pas posséder ma propre entreprise », avoue Ross, même s’il s’avère qu’il a bien une start-up bâtie autour d’un appareil qu’Erik décrit comme « du Sodastream pour la nourriture ». Cet après-midi-là, après avoir reçu un rappel obligatoire sur les règles concernant le travail des enfants, le harcèlement au travail, etc., Erik se tient à l’arrière d’une salle dans l’O2 Arena de Londres, à attendre la répétition de son discours de ce qu’il a appelé « Be Something for a Day » (« Devenez quelqu’un pour un jour »). Inspiré par son concept Intern for a Day, Erik l’a élargi à toute sa vie, le menant vers une philosophie plus générale du « pour un jour », où il essaye d’apprendre quelque chose de nouveau chaque jour. Il a fait la visite d’un temple bouddhiste à New York. Il a auditionné pour X Factor à Spokane. Il a passé une journée à essayer de maîtriser l’art des mac and cheese. Son discours à Londres raconterait sa propre histoire et vanterait sa façon d’aborder la vie. S’il y a bien un bal des débutants pour les prodiges dans la technologie, c’est le TEDxTeen. Parmi les pairs d’Erik, on retrouve l’inventeur de 14 ans d’un logiciel contre le harcèlement sur Internet et un conseiller de 18 ans qui aide les multinationales depuis déjà plusieurs années sur la logistique des chaînes d’approvisionnement. Moins de la moitié des orateurs sont encore des adolescents, mais tous ont soit accompli quelque chose à un âge peu avancé, soit fait une chose dans laquelle les organisateurs voient une source d’inspiration pour les jeunes. TEDxTeen compense le bagout des TED originaux grâce au côté théâtral de l’adolescence (parmi les anciens orateurs, on trouve un adolescent qui « a inventé un test de détection du cancer grâce à du papier », et un autre qui « a créé une station de radio avec du bric-à-brac »).

S’il y a bien un bal des débutants pour les prodiges dans la technologie, c’est TEDxTeen

Le discours d’Erik promettait d’être plus terre-à-terre, mais à un jour avant sa montée sur scène, il était inquiet sur l’équilibre de son discours. Ces dernières semaines, il est allé à plusieurs rencontre des Toastmasters afin d’améliorer sa prise de parole en public, il a visionné plusieurs vidéos d’Ohanian et étudié le discours de Guy Pearce au TED sur Prometheus. Il trouvait que les proportions entre le côté « inspiration » et le côté « drôle », qu’il estimait à 20 et 80 %, avaient besoin d’être rééquilibrées. Sur scène, à ce moment-là, un garçon britannique nommé James Anderson couvrait de louanges Space Lounges, une « expérience révolutionnaire dans l’e-commerce » qui impliquait d’une façon difficile à saisir un mélange d’achats physiques et en ligne. « Il a été financé par Richard Branson », me confie Erik à voix basse. Ensuite, c’était au tour de Gabi Holzwarth, qui a commencé en tant que violoniste de rue à Palo Alto pour se produire finalement en concerts privés et devenir la chouchoute de la Silicon Valley (et la petite copine du fondateur d’Uber, Travis Kalanick). En plus d’être une artiste calme et expressive sur scène, elle avait une histoire poignante à raconter à propos de sa lutte contre ses troubles alimentaires, et elle captivait la salle. « C’est le discours à battre », dit Erik une fois que Holzwarth a terminé. « Le sien, c’était de l’inspiration à 99 %. Elle n’a sorti qu’une seule blague. » (À vrai dire, elle n’en a sorti aucune.) « À propos de l’anorexie », ajoute-t-il sèchement. Ross secoue la tête et soupire : « Tu vas brûler en enfer. » Pour sa défense, Erik dit être « jaloux ». « Peut-être que j’ai besoin d’ajouter de l’émotion dans mon discours. Devrais-je parler de mes problèmes à l’école ? » Ross le pousse à aller discuter avec Holzwarth, et il s’exécute. Elle l’a invité à une soirée cette nuit-là, organisée au Shard (un gratte-ciel bien pointu) par Eric Schmidt, de Google. Erik lui a répondu qu’il n’irait pas par « principe », car il voyait en Schmidt le pourfendeur de l’ancien idéal de Google : « Don’t Be Evil » (« Ne soyez pas malveillants»).

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Teenager en costume
Crédits : Erik Finman

À mesure que son tour pour la répétition approche, l’état de ses nerfs fluctue. « Je monte et je baisse en confiance », constate-t-il. « Comme ça : je vais déchirer » – il lève une main en l’air – « Non, je vais me planter » – puis il la baisse. L’opinion de Ross compte beaucoup pour Erik, et sa présence fait resurgir son anxiété. Ils se sont déjà mis d’accord sur le fait que Ross quitterait la salle lors du discours d’Erik, demain, mais à l’instant, Erik hésite même à lui demander de sortir pendant la répétition. Ross reste, Erik monte sur scène, et les choses se passent mal. Il n’arrête pas de s’interrompre et de s’excuser. Les deux coaches à l’avant de la salle lui répètent : « Ne dis pas que tu es désolé ! » Il a beaucoup de mal à finir. Après ça, il est contrarié et s’éclipsé afin d’appeler sa mère, qui l’encourage, lui rappelant que Ross et lui ont deux façons d’apprendre bien distinctes. « Soit il deviendra milliardaire, m’assure Ross, soit il se plantera en beauté. Ce sont les deux seules options. »

Le jour J

« Ross et moi, on se bagarre souvent », m’a expliqué plus tard Erik. Il venait d’exiger de Ross qu’il soit absent non seulement pendant le discours le jour suivant, mais aussi pendant l’événement dans son intégralité. Il l’a pris dans ses bras en guise d’excuse. « C’est toujours de ma faute », a dit Ross. « Désolé », a répondu Erik. Puis il a demandé à retenter une répétition, et quelques heures plus tard, en le faisant sans Ross dans la salle, tout s’est passé en douceur. Lorsqu’un des coaches a aperçu Ross à l’extérieur un peu plus tard, il lui a lancé : « Ne venez pas demain. » Cette nuit-là, Erik a veillé tard, se préparant et se motivant en regardant à nouveau « un tas » de vidéos sur lesquelles figurait Ohanian. Il a été rassuré de voir que même lui n’était pas toujours un orateur parfait – ses récents discours étaient bien meilleurs que les premiers. Et Erik s’est rappelé qu’avant de venir à Londres, lorsqu’il avait fait un discours au lycée de Boise, cela s’était très bien passé. Là-bas, où des gens se moquaient autrefois de lui, on l’avait traité comme une star. Son ordinateur portable avec toutes ses notes était mort, et il avait dû improviser, recevant tout de même une standing ovation. « L’improvisation, c’est ça ma formation », assure Erik. Au matin suivant, Ross est parti avant l’aube ; puisqu’il ne pouvait pas assister au discours de son frère, il avait décidé de prendre le tunnel sous la Manche pour rejoindre Paris. Dans l’entrée de l’hôtel, Erik compatissait avec un autre orateur : « Au moins, on ne passe pas après l’anorexique. » De retour à l’O2 Arena, Erik a reçu son badge sur lequel on pouvait lire, comme il l’avait exigé : WHITE KANYE WEST. Lui et les autres orateurs se sont rejoints sur scène et ont fait des exercices de relaxation. Le musicien et producteur Nile Rodgers, dont la fondation We Are Family organise la conférence, leur a appris à bien respirer.

Dans le foyer des artistes, les orateurs discutaient avec nonchalance, et Erik a suggéré de quitter l’école à une fille de 14 ans. « Quelqu’un va devoir sortir un quart de million », l’a-t-il prévenue lorsqu’elle a dit vouloir aller à l’université. Quand une oratrice a dévoilé qu’elle avait 24 ans, quelqu’un a répliqué immédiatement : « Alors, t’es officiellement vieille. » L’heure de parler approchait pour Erik. « Je deviens nerveux. Je vais improviser à la fin. » Il était temps pour sa session de commencer. Le maître de cérémonie a encouragé le public composé de jeunes gens à danser sur les accords électroniques du titre Around the World de Daft Punk. Erik, équipé d’un micro dans la première rangée, se dandinait de manière exubérante. Lorsque le moment est arrivé, il est monté sur scène et a parlé sans aide-mémoire. Il n’a pas craqué. Son discours s’est bien déroulé, le public rigolant particulièrement à sa blague sur les abdos en béton, dite tout en montrant une diapo du Penseur de Rodin afin d’illustrer ses difficultés préoccupantes à l’école. Une fois l’événement terminé, après un appel aux participants à « sortir et chahuter », Erik s’est vu entouré de fans. Un garçon de 14 ans s’inquiétait des problèmes auxquels faisaient face les jeunes entrepreneurs, comme la lourdeur de la bureaucratie concernant les mineurs. « Oublie la légalité », lui a répondu Erik. Les enfants lui ont demandé des autographes et des selfies. Il leur a fait un check pour dire au revoir, un geste qu’il a adopté en regardant Ohanian. Plus tard, lors d’une soirée à l’étage, tandis que les adultes trinquaient avec des coupes de champagne, Erik buvait de l’eau glacée.

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Teen influent
Crédits : Twitter

Le jour suivant, Erik partirait pour Boston puis San Francisco, où il déciderait de quitter son appartement – « Il avait une drôle d’odeur » – et de vivre en nomade, allant d’une ville à l’autre tout en organisant ses événements Intern for a Day. Ohanian, qui est devenu son mentor, lui a conseillé de ralentir : « Je l’emmènerai au Shake Shack. Je veux lui donner des conseils pour ses débuts, mais également pour le stress : qu’il n’oublie pas d’être aussi un enfant. Il va clairement aller loin, mais il est aussi important de ne pas passer à côté des bons moments de sa jeunesse, de ne pas se focaliser uniquement sur le travail. » Bientôt, un nouveau coup serait à marquer d’une pierre blanche. Le 26 octobre 2014, Erik allait avoir 16 ans. « Je commence à compter les jours », disait-il quelques semaines avant. « Je me sens vieux. » Normalement, sa famille en aurait fait tout un plat, mais, sa mère m’a confié : « Il ne veut pas arriver à 16 ans. Il veut que j’en fasse abstraction. Bien sûr, ça n’arrivera pas. » Finalement, quand le grand jour est arrivé, Erik se trouvait à Palo Alto. Il a passé son anniversaire à arbitrer un hackathon au Y Combinator, à enregistrer un podcast et à sortir dîner avec un autre des orateurs du TEDxTeen. Rien de spécial. « J’ai eu deux Chipotle pour le prix d’un », a-t-il précisé le lendemain. « J’ai l’impression d’être un vieux croulant. J’imagine que plus on vieillit, plus on s’accroche à ce qu’on a accompli. J’ai l’impression de ne pas en avoir fait assez. À 16 ans, ça paraît moins impressionnant… Ça me pousse à en faire toujours plus. »


Traduit de l’anglais par Anastasiya Reznik d’après l’article « The Bitcoin Boy », paru dans New York Magazine. Couverture : Erik Finman, par Alan Powdrill. Création graphique par Ulyces.