Hormones et chaleur

Sous les palmiers alignés le long de la plage de Barcelone, deux policiers répètent les mêmes mouvements de bras pour demander aux couples de garder leurs distances. Ce lundi 25 mai 2020, la communauté catalane entre dans la première phase de la sortie du confinement avec les communautés espagnoles de Madrid et de Castilla y León. Quelques terrasses ont pu rouvrir et le sable s’est couvert de baigneurs. Mais avec les beaux jours du printemps, certains ont du mal à résister à l’attraction physique.

Le 23 mars dernier, en plein confinement, une trentaine de personnes avait participé à une orgie mélangeant drogue et sexe à Barcelone. Avant d’embarquer huit individus, la police n’avait pu que constater l’irrépressibilité de leur désir. Car la période est propice. Une étude, menée aux États-Unis en 1997, démontre que le nombre de rapports sexuels, chez un groupe d’adolescentes, est le plus élevé au printemps et en été, tandis que l’hiver est la saison la moins mouvementée.

Si l’on en croit le neuroscientifique américain Russ Reiter, la mélatonine pourrait être responsable de ces variations. Cette hormone surtout sécrétée lors de période de sommeil est présente en plus grande quantité l’hiver, lorsque les jours sont courts. Chez les hamsters, elle entraîne une réduction de la taille des testicules et chez l’homme, elle nuirait à la libido. Des études menées sur des populations d’Eskimos à la fin du XIXe siècle ont montré que les femmes n’avaient plus leurs règles pendant les longues périodes d’hiver, périodes pendant lesquelles leurs niveaux de mélatonine augmentait.

Dans les pays au climat froid étudiés, l’endocrinologue américain Joel Ehrenkranz a observé un pic de naissances vers la fin de l’hiver (en mars) et une baisse annuelle en été (juin, juillet et août) sur la période 1778-1940. Cela indique un pic de conception au moment de la transition entre le printemps et l’été, et une activité plus calme au retour de l’automne. Mais ce n’est désormais plus le cas partout.

Crédits : Franky Cordoba

Selon les données des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), les mois de juillet et d’août sont les plus propices aux naissances, ce qui veut donc dire que les bébés sont plutôt conçus en hiver. Et d’après le US National Center for Health Statistics, l’anniversaire le plus courant aux États-Unis est le 9 septembre. En France, la journée où se produisent le plus d’accouchement est le 23 septembre. Un rapport de l’Institut national d’études démographiques (Ined) paru en 2011 montre que si 75 % des parents voient le printemps comme une saison idéale pour une naissance, septembre est le mois où la fertilité est la plus haute.

Contrairement aux idées reçues, le plupart des relations sexuelles qui aboutissent à un accouchement ont donc lieu en hiver. Mais il ne faut pas oublier qu’à la différence d’autres animaux, les humains peuvent copuler à n’importe quel moment. « Il n’y a pas de saison spécifique, nous n’avons pas besoin d’une fenêtre de tir car les femmes ovulent chaque mois », constate la sexologue américaine Megan Stubbs. Mais alors d’où vient cette tendance à s’accoupler quand il fait froid ?

Amour, gloire et fertilité

Les tendances en matière de naissances n’ont pas toujours été les mêmes. Selon l’Ined, la saisonnalité était bien plus marquée au XVIIe siècle qu’aujourd’hui. À cette époque, on pouvait observer un déficit de naissances au mois de décembre qui était lié au Carême du mois de mars, période pendant laquelle les croyants s’abstenaient de toute relation sexuelle. Les activités amoureuses reprenaient après Pâques, et beaucoup de nouveaux nés arrivaient donc autour de décembre et janvier.

La disgrâce du fait religieux et le développement des loisirs ont changé la donne. Dans les années 1970, un pic de naissances a été observé au printemps. Les départs en vacances en été ainsi que les mariages, souvent organisés pendant cette période, augmentent le taux de conception et ainsi, le taux de naissances au printemps. Mais ce pic a glissé vers la fin de l’été à mesure que la contraception évoluait : si les couples arrêtent de se protéger avant l’été pour avoir un enfant, la conception d’un enfant peut prendre plusieurs mois et il y a donc des chances qu’elle intervienne en hiver.

Or justement, le pic de naissances du 23 septembre, où l’Ined a constaté 5 % de naissances supplémentaires, se situe neuf mois après les fêtes de fin d’années. Selon Megan Stubbs, les périodes de vacances laissent plus de temps pour rencontrer quelqu’un et faire l’amour. Une étude parue en 2012 note que les recherches Google sont plus orientées vers la pornographie, la prostitution ou les rencontres au début de l’hiver et au début de l’été.

Crédits : David Clode

Alors pourquoi n’y a-t-il pas plus de naissances neuf mois après l’été ? Une étude conduite en Turquie et publiée en 2016 montre que la qualité du sperme est moins bonne pendant les mois estivaux, ce qui réduit la fertilité, sans pour autant prouver que les gens font moins l’amour. En 2018, trois chercheurs californiens ont remarqué que le taux de natalité américain baissait au-dessus de 26°C entre 1931 et 2010. Cet effet s’atténue toutefois à partir des années 1960, soit pile au moment où l’air conditionné devenait monnaie courante aux États-Unis.

Si la femme ovule chaque mois, le niveau de testostérone des hommes est plus variable. Il pourrait notamment baisser sous l’effet des hautes températures et, d’après une étude de 2003, augmenterait entre octobre et décembre, conduisant ainsi à la production de meilleurs spermatozoïdes. Autrement dit, l’être humain aurait tendance à être mieux disposé en été mais à être plus fertile en hiver. Il n’a plus de saison de reproduction au sens où on l’entend pour les autres animaux, mais le printemps n’est pas sans effet sur ses envies.


Couverture : Loïc Djim