La circulation à Los Angeles est cauchemardesque. Quand ses artères ne sont pas bouchées par d’interminables embouteillages, ses rues sont parfois le théâtre d’accidents dramatiques. Il était aux environs de 2 h 15 du matin le 17 décembre 2016 quand une Toyota Camry grise s’est élancée à pleins gaz sur Crenshaw Boulevard, à Hawthorne, une proche banlieue de L.A. Au même moment, trois employées de SpaceX finissaient leur quart à l’usine du constructeur aérospatial, située au croisement de Rocket Road et Crenshaw Blvd.

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Une caméra de surveillance a filmé la scène

D’après le rapport de la police de Hawthorne, le chauffeur avait déjà grillé deux feux rouges lorsqu’il est arrivé aux abords de SpaceX, à plus de 100 km/h. Les trois femmes s’étaient engagées sur le passage piéton pour retrouver leurs voitures, garées sur le parking de l’autre côté de la route, quand elles ont été prises dans les phares du bolide. Quatre secondes durant lesquelles le temps s’est étiré à l’infini. Heureusement pour elles, leur instinct de survie n’a fait qu’un tour en entendant le hurlement du moteur de la Toyota. Elles se sont mises à courir in extremis et le chauffeur a violemment percuté leurs jambes, les envoyant valser toutes les trois face contre terre sur le trottoir. Il n’a ni dévié de sa trajectoire, ni ralenti. « Un pas de moins et il s’agissait d’un triple homicide », a affirmé le lieutenant Ti Goetz devant les caméras de NBC 4. Les trois malheureuses victimes ont souffert de fractures sévères, mais leurs jours n’étaient pas en danger. Un témoin de la scène a confié à la chaîne locale KTLA 5 que le chauffard avait un large sourire sur le visage au moment de l’accident, la police a indiqué qu’il était probablement sous l’emprise de stupéfiants. Il n’aurait pas été retrouvé. Aux environs de six heures du matin, Elon Musk, le fondateur et PDG de SpaceX, a posté un tweet qui fait étrangement écho au drame survenu quelques heures plus tôt. « La circulation me rend dingue. Je vais juste construire un tunnelier et commencer à creuser… »

Deux autres tweets ont suivi, expliquant que la nouvelle société s’appellerait The Boring Company (« l’entreprise ennuyeuse »), boring signifiant aussi « forage » en anglais. https://twitter.com/elonmusk/status/810108760010043392 https://twitter.com/elonmusk/status/810126376871297024 https://twitter.com/elonmusk/status/810126493326209025 Les internautes ont d’abord cru à une blague de la part du milliardaire. Jordan Golson, reporter pour la section Transports de The Verge, s’est empressé de lui demander s’il était sérieux. Musk n’a pas fait de mystère quant à ses intentions. « Je vais vraiment le faire », a-t-il simplement répondu. https://twitter.com/elonmusk/status/810156881662590981 Un mois plus tard, le 25 janvier 2017, il a annoncé sur le réseau social le début des travaux pour fin février. Mais quelle idée a-t-il vraiment derrière la tête ?

Tunnels

Si Elon Musk n’a pas fait explicitement référence à l’accident, celui-ci a sans aucun doute précipité l’annonce de l’imminence des travaux. D’après Arnold Shadbehr, le directeur des travaux publics de Hawthorne, la patron de SpaceX travaille depuis près d’un an avec les hauts fonctionnaires de la ville à l’élaboration de ponts ou de tunnels piétonniers à l’usage de ses employés. Les chauffards seraient apparemment légion dans cette zone de la ville. « Nous avons tout d’abord donné notre accord à l’entreprise pour la construction de deux ponts piétonniers enjambant Crenshaw Blvd pour mener au parking », explique Shadbehr. « Quelques temps après, Elon a songé à construire un grand tunnel sous Crenshaw Blvd plutôt que des ponts. Il était très sérieux à ce sujet, ils ont mené des explorations géothermiques. » Au cours du week-end du 28 et 29 janvier, les ouvriers de SpaceX ont creusé une large tranchée sur le parking de la compagnie. Le trou s’étend sur 15 mètres de longueur pour une dizaine de largeur, et atteint près de cinq mètres de profondeur. Le dimanche, lors d’une compétition de design pour l’Hyperloop organisée dans les locaux de SpaceX, Elon Musk a déclaré que c’était le point de départ d’une grande expérience. elon-musk-2017gifgif Crédits : Inverse « Nous allons chercher comment faire pour augmenter la rapidité de forage des tunnels, de 500 à 1 000 % », a-t-il audacieusement déclaré, avant d’ajouter comiquement : « Nous n’avons aucune idée de ce que nous sommes en train de faire. Je tiens à ce que ce soit bien clair. Nous allons emprunter un tunnelier, le démonter, et tenter de comprendre comment le rendre plus rapide tout en restant sûr, sans aucun impact sur la vie des gens à la surface. » « Prenez l’exemple des buildings : ils sont construits en trois dimensions et tout le monde veut y entrer et en sortir en même temps », a-t-il poursuivi. « Avec un réseau routier en 2D, ce n’est évidemment pas possible. Pour y parvenir, il faut donc opter pour un modèle en 3D qui aille soit vers le haut, soit vers le bas. Je crois qu’il faut aller vers le bas. » Il a précisé plus tard ses ambitions à Wired, dans un DM sur Twitter : « Imaginez des tunnels allant à des profondeurs de 10, 20, 30 couches géologiques (voire plus)… Il est clair que construire un réseau souterrain en 3D surpassera n’importe quel mode de transport urbain de taille arbitraire. » S’il a pu débuter ses travaux bille en tête, c’est uniquement parce que creuser sur sa propriété ne nécessite pas de permis particulier aux États-Unis. Musk envisage cependant une extension du futur tunnel jusqu’aux abords de l’aéroport de Los Angeles (LAX), qui nécessitera pour sa part l’obtention d’autorisations complexes.

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Un employé de SpaceX près de la tranchée
Crédits : Julian Berman

« C’est une très bonne idée car cela va faciliter le transport de leur équipement », explique Arnold Shadbehr. « Ils n’auront pas besoin de se mêler à la circulation ou de transporter de gros chargements. » Contourner la circulation est le rêve de tous les grands patrons de la Silicon Valley. Il faut dire que les embouteillages sont particulièrement pénibles à Los Angeles, qui est la ville aux routes les plus encombrées des États-Unis. En moyenne, les Angelinos passent 81 heures par an coincés dans les embouteillages, d’après l’INRIX. Un calvaire que connaissent bien les habitants de la baie de San Francisco, puisque la ville phare de la Silicon Valley est troisième au classement avec 75 heures passées dans les bouchons par an et par conducteur.

Pour certains, comme les patrons de Uber ou de Zee – la compagnie très secrète de Larry Page –, la solution au problème est à chercher dans les airs, avec l’avènement des voitures volantes. Tandis que le cofondateur de Google planche sur la question depuis six ans maintenant, Uber a annoncé le 6 février qu’ils avaient engagé un ancien ingénieur de la NASA pour les aider à mettre au point leur véhicule à décollage et atterrissage vertical. De son côté, Elon Musk opterait vraisemblablement pour un système de tunnels avec sa nouvelle société – baptisée Tunnels. « C’est la clé de nombreuses technologies : les tunnels routiers, les tunnels ferroviaires et les tunnels Hyperloop », a-t-il déclaré le 29 janvier dernier devant les participants du concours. On se rappelle que les premiers designs du moyen de transport par capsules imaginé par le milliardaire présentaient des tubes translucides construits en hauteur. Il semblerait que Musk ait finalement décidé d’en faire un réseau souterrain pour ne pas encombrer davantage le paysage. Et donner de l’air aux habitants des villes californiennes.

La loi de César

Les problèmes de circulation routière sont loin d’être une préoccupation contemporaine. Les archéologues fouillant les ruines de Pompéi ont déduit de leurs observations que la cité antique était fréquemment embouteillée. Eric Poehler, aujourd’hui professeur d’anthropologie à l’université du Massachusetts Amherst, s’est attentivement penché sur ses rues pavées. « En étudiant les nombreuses ornières et les traces laissées par les chariots sur le pavé, on réalise qu’elles ont dû être parcourues par des milliers de véhicules », explique-t-il. Les relevés des archéologues ont permis de révéler que les administrateurs de la ville avaient mis en place des passages piétons ainsi qu’un système de circulation élaboré. Selon l’archéologue, sur la centaine de rues qui composaient la ville, 80 % étaient à sens unique, du fait de leur étroitesse.

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Une rue de Pompéi
Crédits : DR

« Les accidents de circulation étaient si fréquents à l’époque que le droit romain s’appuyait sur des exemples précis pour définir des concepts légaux plus vastes, comme la responsabilité », explique Eric Poehler. « Par exemple, ils se demandaient qui est responsable lorsqu’un esclave blesse quelqu’un avec un chariot. La circulation était déjà dangereuse à l’époque. » À Rome, les charretiers et leurs convois encombraient tellement les rues de la capitale de l’Empire que Jules César a fini par interdire les trajets véhiculés, du lever du jour au crépuscule. Quatre exceptions étaient admises à cette décision inflexible. Les trois premières étaient ponctuelles : les jours de cérémonies, les chars des vestales, du Roi des Sacrifices (Rex sacrorum) et des flamines pouvaient arpenter librement les rues de la Ville Éternelle ; les jours de victoires militaires, la procession des chars triomphaux était accueillie avec joie ; et les jours de jeux publics, les chars participant à la compétition s’élançaient dans les rues. Enfin, les chariots des entrepreneurs chargés du transport de matériaux de construction pour les temples ou d’autres grands travaux publics étaient admis tous les jours de l’année. Hormis ces cas précis, on ne croisait dans Rome que des piétons et des cavaliers, pour l’essentiel. La régulation du trafic routier par des agents de police trouve quant à elle son origine à Londres en 1722, face au désordre causé par les voitures, les chariots et autres carrioles sur le London Bridge. Le passage des piétons était constamment empêché par la circulation, si bien que le maire a ordonné que trois hommes y soient postés pour veiller à ce que les véhicules avancent et soient cantonnés à la voie de gauche. Un système qui s’est avéré efficace et n’est pas sans rappeler la règle qui prévaut encore aujourd’hui dans les escalators du métro londonien.

La construction de routes ne serait paradoxalement d’aucune aide pour diluer la circulation.

Ces exemples historiques nous permettent de réaliser que les embouteillages ne sont pas dus à l’incompétence des urbanistes et au tracé approximatif des routes. D’après le journaliste Tom Vanderbilt, auteur d’un livre sur le sujet, l’erreur est, comme souvent, humaine. Il cite notamment  une étude qui révèle que 12,7 % du ralentissement du trafic après un accident n’est pas causé par le blocage des voies à la suite du carambolage, mais par les voyeurs qui roulent au pas pour ne rien manquer de la scène. Nombre d’entre eux n’hésitent d’ailleurs pas à prendre des photos macabres en souvenir. Ce comportement est si fréquent que le personnel autoroutier américain a inventé un terme pour le qualifier : le digi-necking (ceux qui tendent leur cou et leur smartphone par la fenêtre de leur voiture). Outre leur appétit morbide, ces automobilistes seraient aussi stupides : lorsque les professionnels exaspérés ont dressé des rideaux autour des accidents pour mettre fin au phénomène, les automobilistes ont continué à ralentir. Pour regarder les rideaux. Dans ces conditions, il semble difficile d’éviter que la circulation ne tourne au chaos. Et c’est sans compter ce que les experts appellent le trafic induit. Emprunté au langage des économistes, qui parlent de « demande induite », ou latente, ce concept signifie que plus une offre est importante, plus les consommateurs en ont envie. Ce qui est vrai pour les Stan Smith et les Big Mac le serait aussi pour les routes : depuis le début des années 1960, de nombreux ingénieurs de la circulation constatent que plus on construit de routes, plus le trafic augmente. Si bien que la construction de routes ne serait paradoxalement d’aucune aide pour diluer la circulation. Cette source intarissable d’agacement n’est sûrement pas étrangère au fait que l’homme ait voulu s’enfouir sous terre pour éviter les embouteillages.

TBM

Le 4 février dernier, Elon Musk a posté un nouveau tweet attestant de l’avancée de son projet. La photographie – accompagnée d’une amusante référence à un jeu vidéo où les tunnels ont leur importance – dévoile l’intérieur d’un énorme tunnelier, la machine que les employés de Tunnels vont examiner sous toutes les coutures pour améliorer son rendement. En anglais, on les appelle couramment des TBM, pour Tunnel Boring Machines – les machines à creuser des tunnels. https://twitter.com/elonmusk/status/827720686911291392 La première d’entre elles fut élaborée par un ingénieur normand émigré en Angleterre, Marc Isambart Brunel, pour les besoins de l’excavation du Tunnel sous la Tamise, débutée en 1825. C’est à cette occasion que le mot « tunnel » lui-même a été inventé. Selon l’ingénieur et historien lyonnais René Waldmann, « ce n’est que la traduction anglaise de la “tonnelle”, nom donné à cet ouvrage et utilisé dès le XVIe siècle pour désigner une longue voûte en berceau ». Breveté par l’inventeur en 1818, le tunnelier était un énorme bouclier en fonte derrière lequel les mineurs travaillaient dans des compartiments séparés, creusant le tunnel de face. À mesure que le bouclier avançait, les parois du tunnel déjà creusé étaient recouvertes d’un revêtement constitué d’anneaux de fonte pour éviter que la galerie ne s’effondre. « C’est comme d’enfoncer une boîte de conserve dans du sable », résume Maurice Guillaud, de l’association française des Tunnels et de l’Espace souterrain (AFTES), basée à Lyon. L’invention de Sir Brunel a également servi de base aux boucliers qui ont permis de creuser le métro de Londres, ouvert en 1863, ainsi que celui de Paris, inauguré en 1900. Depuis, la technique a gagné en sophistication et permis la réalisation de projets monumentaux, comme le tunnel de Lærdal – le plus grand tunnel routier du monde (24 500 m) situé entre Oslo et Bergen, en Norvège – ou celui du Saint-Gothard, le plus long tunnel du monde depuis 2016 avec ses 57 104 m. On imagine à peine les possibilités offertes par une machine dont la cadence serait augmentée de 500 à 1 000 %, comme le propose Elon Musk. Aux oreilles de Maurice Guillaud, cette déclaration est celle d’un « hurluberlu ».

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Le tunnelier de Marc Brunel

La construction d’un tunnel est un ouvrage exceptionnel et unique, qui demande de facto un temps conséquent pour être réalisée. En France, la mise en œuvre d’un tel projet requiert de passer par une succession d’étapes préliminaires minutieuses : des études géologiques pour déterminer la composition des sols et le type de machine à utiliser ; une étude d’impact sur l’environnement pour estimer les conséquences d’une telle entreprise ; ainsi qu’une étude d’utilité publique pour attester de la viabilité du projet. « Après ça, il faut minimum un an pour construire un tunnelier », explique Maurice Guillaud, « si bien qu’un projet massif a peu de chance de démarrer avant cinq ou six ans. » Un délai auquel il faut ajouter le prix extrêmement élevé de la construction d’un tunnel. « Sans aménagements – c’est-à-dire sans systèmes de drainage, de ventilation et sans mise aux normes de sécurité –, l’excavation d’un tunnel coûte entre 50 000 et 80 000 euros le mètre », poursuit en effet Maurice Guillaud. Les locaux de SpaceX sur Crenshaw Blvd sont situés à 7 km en ligne droite de LAX, une distance à laquelle il semble raisonnable d’ajouter un kilomètre pour compenser la profondeur du tunnel. L’excavation brute d’un tel tunnel reviendrait au plus cher à 640 millions d’euros, d’après les chiffres fournis par Maurice Guillaud. Un investissement conséquent, même pour un milliardaire comme Elon Musk. Cependant, ce ne serait pas la première fois que l’entrepreneur réussit un pari que tout le monde disait perdu d’avance.

Contrairement à ce que sa communication a pu laisser penser, le témoignage d’Arnold Shadbehr, le directeur des travaux publics de la ville de Hawthorne, contredit le fait qu’Elon Musk et son équipe ont improvisé l’affaire d’un jour à l’autre. Effet de manche réussi, car il s’avère que le peu que l’on sait du projet de Tunnels est bien pensé. « Creuser loin sous la terre est ingénieux », reconnaît Maurice Guillaud. « La profondeur du métro de Moscou, construit entre 50 et 60 m sous la surface, a considérablement facilité la tâche aux Soviétiques. » Dans ces couches géologiques dures, les constructeurs n’ont pas à palier les problèmes posés par la présence de nappes phréatiques ou d’alluvions, dont la nature meuble impose des mesures de soutènement complexes.

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Un tunnelier moderne
Crédits : AGJV

Un réseau de tunnels est aussi un gage de sécurité comparé à des ponts, ce à quoi ne sont pas insensibles les habitants de Californie. Sur Twitter, un internaute inquiet a interrogé Elon Musk sur les conséquences potentiellement désastreuses d’un tremblement de terre, du fait de la proximité de la faille de San Andreas. Sans surprise, le patron de SpaceX avait une réponse scientifique à lui donner. « L’effet des tremblements de terre est plus prononcé en surface, comme des vagues sur l’eau », a-t-il répondu. Il est bien trop tôt pour savoir ce que réserve le projet d’Elon Musk – va-t-il fusionner avec Hyperloop ? –, ni s’il parviendra à terme à désengorger les avenues de Los Angeles et mettre ses piétons à l’abri. Mais, cette fois encore, il ne part pas perdant.


Couverture : Elon Musk adore les tunnels. (DR/Ulyces)


INTERVIEW D’ELON MUSK, L’HOMME QUI VEUT EMPÊCHER LES MACHINES DE PRENDRE LE POUVOIR

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En créant OpenAI, une équipe de recherche à but non lucratif, Musk et Y Combinator espèrent limiter les risques de dérive en matière d’intelligence artificielle.

Comme si le domaine de l’intelligence artificielle (IA) n’était pas déjà assez compétitif – avec des géants comme Google, Apple, Facebook, Microsoft et même des marques automobiles comme Toyota qui se bousculent pour engager des chercheurs –, on compte aujourd’hui un petit nouveau, avec une légère différence cependant. Il s’agit d’une entreprise à but non lucratif du nom d’OpenAI, qui promet de rendre ses résultats publics et ses brevets libres de droits afin d’assurer que l’effrayante perspective de voir les ordinateurs surpasser l’intelligence humaine ne soit pas forcément la dystopie que certains redoutent.

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L’équipe d’OpenAI
Crédits : OpenAI

Les fonds proviennent d’un groupe de sommités du monde de la tech, parmi lesquels Elon Musk, Reid Hoffman, Peter Thiel, Jessica Livingston et Amazon Web Services. À eux tous, ils ont promis plus d’un milliard de dollars destinés à être versés au fur et à mesure. Les co-présidents de l’entreprise sont Musk et Sam Altman, le PDG d’Y Combinator, dont le groupe de recherche fait aussi partie des donateurs – ainsi qu’Altman lui-même. Musk est célèbre pour ses critiques de l’IA, et il n’est pas surprenant de le retrouver ici. Mais Y Combinator, ça oui. Le Y Combinator est l’incubateur qui a démarré il y a dix ans comme un projet estival en finançant six startups et en « payant » leurs fondateurs en ramens et en précieux conseils, afin qu’ils puissent rapidement lancer leur business. Depuis, YC a aidé à lancer plus de mille entreprises, dont Dropbox, Airbnb et Stripe, et a récemment inauguré un département de recherche. Ces deux dernières années, l’entreprise est dirigée par Altman, dont la société, Loopt, faisait partie des startups lancées en 2005 – elle a été vendue en 2012 pour 43,4 millions de dollars. Mais si YC et Altman font partie des bailleurs et qu’Altman est co-président, OpenAI est néanmoins une aventure indépendante et bien séparée.

En gros, OpenAI est un laboratoire de recherche censé contrer les corporations qui pourraient gagner trop d’influence en utilisant des systèmes super-intelligents à des fins lucratives, ou les gouvernements qui risqueraient d’utiliser des IA pour asseoir leur pouvoir ou même oppresser les citoyens. Cela peut sembler idéaliste, mais l’équipe a déjà réussi à embaucher plusieurs grands noms, comme l’ancien directeur technique de Stripe, Greg Brockman (qui sera le directeur technique d’OpenAI) et le chercheur de renommée internationale Ilya Sutskever, qui travaillait pour Google et faisait partie d’un groupe renommé de jeunes scientifiques étudiant à Toronto sous la houlette du pionnier du système neuronal Geoff Hinton. Il sera le directeur de recherche d’OpenAI. Le reste des recrues comprend la crème des jeunes talents du milieu, dont les CV incluent des expériences au sein des plus grands groupes d’étude, à Facebook AI et DeepMind, la société d’IA que Google a récupérée en 2014. Open AI dispose aussi d’un prestigieux panel de conseillers dont Alan Kay, un scientifique pionnier de l’informatique. Les dirigeants d’OpenAI m’ont parlé du projet et de leurs aspirations. Les interviews se sont déroulées en deux parties, d’abord avec Altman seul, ensuite avec Altman, Musk et Brockman. J’ai édité et mixées les deux interviews dans un souci de clarté et de longueur.

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