Le 12 août dernier, Auckland, la plus grande ville de Nouvelle-Zélande, a été immédiatement reconfinée après l’apparition de nouveaux cas de Covid-19. Trois semaines plus tard, la Première ministre néo-zélandaise Jacinda Arden annonce que la deuxième vague de confinement est terminée et que les habitants de la ville peuvent désormais reprendre un semblant de vie normale. Cette réactivité face à la crise sanitaire a potentiellement sauvé de nombreuses vies, mais elle n’a pas été propre à Jacinda Arden. Il semblerait que cette attitude soit très répandue parmi les dirigeantes politiques.

C’est la conclusion d’une nouvelle étude internationale menée par Supriya Garikipati, chercheuse à l’université de Liverpool, et Uma Kambhampati, de l’université de Reading. Elles ont comparé un échantillon de 19 pays dirigés par les femmes avec leurs « voisins les plus proches » en fonction d’un ensemble de facteurs comprenant la population, l’économie, l’égalité des sexes, l’ouverture aux voyages, les dépenses de santé et la proportion de personnes âgées. Bien que Taïwan, qui n’a compté que 7 décès liés au coronavirus, soit gouvernée par une femme, l’île a été laissée de côté car elle ne fait pas partie des Nations unies.

La conclusion de l’analyse des chercheuses est sans équivoque : en moyenne, les pays dirigés par des femmes ont subi deux fois moins de décès à cause du Covid-19 que ceux gouvernés par des hommes. Selon Garikipati et Kambhampti, la première explication à cela est que les femmes auraient plus de facilité à confiner leur population que les hommes. Contrairement à leurs homologues masculins, les cheffes d’État seraient prêtes à faire courir plus de risques à leur économie pour protéger les vies humaines.

La deuxième explication est qu’elles seraient plus enclines à communiquer avec leurs citoyens, et ce de façon plus démocratique. Les chefs d’État, eux, se montreraient plus autoritaires et directifs. Vérifier l’une ou l’autre explication reste cependant difficile à prouver, les chercheuses sont donc toujours en train d’étudier si les femmes intègrent effectivement plus d’informations émotionnelles dans leur prise de décision.

S’ils sont avérés, ces éléments expliqueraient pourquoi les dirigeantes comme Jacinda Arden, Erna Solberg, Sanna Marin et bien d’autres ont mieux géré la crise que la plupart des hommes politiques, largement majoritaires. D’autres éléments pourraient expliquer ça.

Les épargnées

Un sourire se pose sur le visage de Jacinda Ardern pour s’envoler aussitôt. « Je suis une perfectionniste », se reprend la Première ministre néo-zélandaise ce lundi 4 mai 2020 devant les caméras de télévision. Certes aucun nouveau cas de coronavirus (Covid-19) n’a été recensé ces 24 dernières heures mais, comme l’indique un panneau situé derrière elle, le niveau d’alerte est maintenu à 3. « Je veux voir ces chiffres une fois que nous aurons été au niveau 3 assez longtemps être sûrs que c’est la conséquence de ce niveau d’alerte », poursuit-elle.

Ces résultats tendent à montrer le succès des mesures de confinement, mais Jacinda Ardern reste prudente. « La Nouvelle-Zélande ne doit pas gâcher son dur travail, ainsi nous pourrons abaisser le niveau d’alerte au niveau 2 et obtenir plus de liberté », déclare-t-elle. Le comportement exemplaire du pays pour endiguer l’épidémie doit se poursuivre afin « d’achever le travail commencé ».

En Nouvelle-Zélande, 1 487 cas confirmés de Covid-19 ont été recensés, 86 % ont guéri et sept patients sont encore à l’hôpital. Seules 20 personnes sont décédées. Le gouvernement néo-zélandais a reçu les louanges de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour sa mise en place rapide et stricte du confinement. La cheffe du gouvernement a baissé son salaire, ainsi que ceux de ses ministres, de 20 % depuis le 15 avril et ce pour les six prochains mois. Sa vertu et sa vigilance ne sont donc pas étrangères à ce bilan.

Jacinda Ardern

Parmi les autres pays qui s’en sont très bien tirés face au coronavirus, beaucoup sont dirigés par des femmes. En janvier, au premier signe d’une épidémie venue de Chine, la Première ministre taïwanaise Tsai Ing-wen a mis en place 124 mesures pour bloquer la propagation sans avoir à recourir aux mesures de confinement. Taïwan est si bien préparée qu’elle envoie 10 millions de masques aux États-Unis et en Europe depuis avril. Tsai Ing-wen a réussi ce que CNN qualifie de « l’une des meilleures réponses au monde » face à l’épidémie. Aujourd’hui, l’archipel ne compte que six décès sur 437 cas malgré sa proximité avec la Chine.

En Europe également, certains gouvernements présidés par des femmes affichent des résultats positifs face à la crise sanitaire. C’est le cas de Sanna Marin, qui est devenue la plus jeune cheffe d’État du monde lorsqu’elle a été élue en décembre dernier en Finlande. À 34 ans, elle a utilisé les « influenceurs » des réseaux sociaux comme agents clés dans la lutte contre l’épidémie. Un moyen efficace pour sensibiliser les plus jeunes qui ne lisent pas forcément la presse écrite. Le pays compte aujourd’hui 5 327 cas confirmés et 230 morts.

Sa voisine norvégienne, la Première ministre Erna Solberg, a eu l’idée d’utiliser la télévision pour parler directement aux enfants de son pays. Elle a tenu une conférence de presse où aucun adulte n’était autorisé et a répondu aux questions des enfants de tout le pays, prenant le temps d’expliquer pourquoi il était normal d’avoir peur. Le pays compte actuellement 7 904 cas confirmés pour 214 décès au total.

Enfin, l’Allemagne a été l’élève modèle face à cette crise sanitaire. La chancelière Angela Merkel a très rapidement fermé les frontières avec les pays voisins afin d’éviter toute propagation du virus. Le pays a procédé très tôt à des centaines de milliers de tests de dépistage hebdomadaires qui ont participé à faire chuter le taux de mortalité à 1 %. Cela a évité l’engorgement des hôpitaux connus ailleurs et l’Allemagne a pu accueillir des malades en provenance d’autres pays européens, notamment des Français.

Des hommes dépassés

Ces responsables ne se sont pas retrouvées au pouvoir par hasard. Alors que seulement 21 des 194 dirigeants nationaux mondiaux sont des femmes selon les Nations unies, la Nouvelle-Zélande a été le premier pays autonome du monde à leur donner le droit de vote en 1893. Et les pays nordiques comme l’Islande, la Norvège, le Danemark et la Finlande sont ceux où la condition des femmes est la plus appréciable. Ils leur font donc davantage confiance et cela leur est bénéfique : la préparation de Sanna Marin pour faire face au coronavirus a été approuvée par 85 % des Finlandais. Malgré son jeune âge, elle a su innover et sensibiliser l’intégralité de sa population.

Sous la direction de la Première ministre Katrín Jakobsdóttir, l’Islande offre des tests de dépistage du coronavirus gratuits à tous ses citoyens. Proportionnellement à sa population, elle a déjà dépisté cinq fois plus de personnes que la Corée du Sud et a mis en place un système de suivi approfondi. Cela explique peut-être pourquoi on dénombre 1 723 guérisons pour 1 799 cas confirmés sur l’île, et seulement 10 décès. Un indicateur fort lorsqu’on sait que de nombreux pays ont limité leurs tests aux personnes présentant des symptômes.

Comment expliquer une telle différence ? Selon Kathleen Gerson, professeure de sociologie à l’université de New York, les femmes ont plus de chance d’être élues dans un pays où les gens ont confiance dans leur gouvernement et où les différences entre les genres sont moins marquées. Pendant que les hommes ne peuvent pas aisément se soustraire aux attitudes martiales qu’on attend traditionnellement d’eux dans des pays patriarcaux, les femmes ont une palette de choix plus large : elles pourraient se montrer à la fois fortes et compréhensives, aussi bien tranchantes qu’enclines au compromis. Aussi montrent-elles d’après Gerson que « ce ne sont pas des qualités qui entrent en conflit, mais complémentaires et nécessaires pour un bon leadership ».

Sanna Marin

Au Brésil, le très peu féministe Jair Bolsonaro défend depuis plusieurs mois le mouvement anti-confinement, déclarant que le pays ne supporterait pas de telles mesures. Résultat, le Brésil compte officiellement plus de 100 000 cas positifs au coronavirus et environ 7 000 morts. Quant aux États-Unis, où Donald Trump n’est pas partisan des mesures de confinement, la crise est dramatique avec près de 70 000 personnes décédées et plus d’1,2 million de cas confirmés.

Le Premier ministre britannique Boris Johnson avait pour sa part expliqué que la population ne montrant pas de symptômes du virus pouvait continuer à vivre normalement. Il s’était aussi vanté de continuer à serrer la main à tout le monde avant d’être testé positif. Son imprudence se traduit aujourd’hui en chiffres : le Royaume-Uni dénombre plus de 190 000 cas et près de 30 000 décès.

En compilant de nombreuses études sur le sujet, la psychologue américaine Alice Eagly a observé que « la différence la plus marquée est la tendance des femmes à être plus favorables à la participation et à la collaboration dans le leadership, alors que les hommes sont plus autoritaires. » D’ailleurs, une étude publiée par l’université de Wisconsin démontre que la supériorité numérique des dirigeants hommes n’est pas due à un talent inné de leadership chez les hommes. Au contraire, elle indique que les différences de talent en termes de leadership entre les genres n’existent pas.

Pour sauver des vies, peut-être faudrait-il que davantage de sociétés élisent leurs Jacinda Ardern, Sanna Marin ou Katrín Jakobsdóttir.


Couverture : Gouvernement de Nouvelle-Zélande