À la table de Kim Jong-un, quelques offi­­ciers bardés de médailles tapent dans leurs mains. Ce dimanche 9 juillet, le dicta­­teur nord-coréen et son état-major contemplent leur dernier fait d’armes en musique. Plusieurs centaines d’in­­vi­­tés les accom­­pagnent dans une grande salle sombre balayée par des stro­­bo­­scopes rouge et blanc. Derrière la scène où se succèdent les musi­­ciens, un écran diffuse les images d’un missile qui prend son envol. L’as­­sis­­tance applau­­dit les bras levés. Le même jour, sur les écrans de CNN, l’am­­bas­­sa­­drice améri­­caine auprès des Nations unies, Nikki Haley, est beau­­coup moins enthou­­siaste. Aux États-Unis, personne n’a sauté de joie lorsque Pyon­­gyang a annoncé avoir réussi le tir d’un missile balis­­tique inter­­­con­­ti­­nen­­tal, le 4 juillet. Avec cette tech­­no­­lo­­gie, les Nord-Coréens assurent être en mesure de frap­­per n’im­­porte quel endroit du globe. « Nous allons mettre la pres­­sion, pas seule­­ment sur la Corée du Nord, mais aussi sur les pays qui ne respectent pas les réso­­lu­­tions [des Nations unies] et n’ap­­pliquent pas les sanc­­tions contre la Corée du Nord », menace Haley au cours de l’in­­ter­­view.

Nikki Haley aux Nations unies
Crédits : CNN

La diplo­­mate vise avant tout la Chine, comp­­table, dit-elle, de « 90 % des échanges nord-coréens », mais pas seule­­ment. Deux jours après l’an­­nonce, à l’ONU, la Russie bloquait un projet améri­­cain de décla­­ra­­tion appe­­lant à prendre des « mesures signi­­fi­­ca­­tives » contre la « répu­­blique popu­­laire ». En dehors de ses deux grands voisins, « beaucoup de pays afri­­cains, d’Asie du Sud-Est ou du Moyen-Orient n’ap­­pliquent pas les sanc­­tions de façon stricte », remarque le cher­­cheur Antoine Bondaz, auteur du livre Corée du Nord: plon­­gée au cœur d’un État tota­­li­­taire. Non seule­­ment des « coopé­­ra­­tions offi­­cieuses » existent mais la Corée du Nord « n’est pas un royaume ermite », recti­­fie-t-il. Ses rela­­tions sont même assez nombreuses.

Le vide stra­­té­­gique

Des cortèges de camions traversent chaque jour le fleuve Yalou sur le pont de l’Ami­­tié sino-coréenne. Cons­­truit en 1943, l’ou­­vrage en acier résiste au temps, aux sanc­­tions et aux attaques de Donald Trump contre l’his­­toire. Dans un entre­­tien accordé au Wall Street Jour­­nal le 4 avril 2017, le président améri­­cain a affirmé que la pénin­­sule « a été autre­­fois une partie de la Chine », alors qu’elle ne s’est jamais trou­­vée offi­­ciel­­le­­ment sous son contrôle direct. Le pont qui relie les deux rives du Yalou a été détruit par l’US Army pendant la guerre de Corée, en 1950, avant d’être remis sur pied. Aujourd’­­hui, Trump n’est pas loin de récla­­mer son anéan­­tis­­se­­ment, sans égard pour la souve­­rai­­neté des deux « amis ». Quand il a appris le nouveau lance­­ment d’un missile par Pyon­­gyang, mardi 4 juillet, le milliar­­daire s’en est d’abord pris à Kim Jong-un, avec lequel il disait pour­­tant vouloir manger un hambur­­ger pendant sa campagne. « Est-ce que ce mec n’a pas mieux à faire ? » a-t-il demandé sur Twit­­ter. Depuis son acces­­sion au pouvoir, Trump « souffle le chaud et le froid » sur le dossier nord-coréen, indique Théo Clément, cher­­cheur à l’Ins­­ti­­tut d’Asie orien­­tale. Sa mécon­­nais­­sance est assez parta­­gée aux États-Unis : d’après une étude publiée par le New York Times le 5 juillet, 64 % des Améri­­cains sont inca­­pables de situer la Corée du Nord sur une carte de l’Asie. Leur posi­­tion à son encontre est par consé­quent elle aussi diffi­­cile à cerner.

Le porte-avions USS Carl Vinson
Crédits : Reuters

Si la Maison-Blanche témoigne selon Antoine Bondaz d’un « manque de stra­­té­­gie », elle ne s’en répand pas moins en décla­­ra­­tions agres­­sives. Après la mort de l’étu­­diant améri­­cain Otto Warm­­bier, entré dans un coma profond alors qu’il était détenu en Corée du Nord, le 19 juin 2017, Donald Trump a dénoncé le régime brutal de Pyon­­gyang. Le 26, il appe­­lait « à s’oc­­cu­­per rapi­­de­­ment du dossier nord-coréen et de la menace que repré­­sente ses programmes nucléaire et balis­­tique ». Tandis que le porte-avion USS Carl Vinson qui patrouillait en mer du Japon au prin­­temps est sur le chemin du retour vers San Diego, Nikki Haley a prévenu le 5 juillet « que l’une des options rési­­dait dans la force mili­­taire améri­­caine ». Afin d’évi­­ter que le bâti­­ment mili­­taire ne passe trop près de ses côtes, Pyon­­gyang menaçait ouver­­te­­ment de l’en­­voyer par le fond. Depuis le partage de la pénin­­sule par la guerre de Corée, en 1953, les Améri­­cains avancent avec méfiance dans la région. Main­­te­­nus en-deçà du 38e paral­­lèle par le régime commu­­niste et ses alliés sovié­­tiques et chinois, ils y ont ensuite subi des pertes. En 1968, l’USS Pueblo, un navire de collecte de rensei­­gne­­ment améri­­cain, était arrai­­sonné par les soldats nord-coréens. Un an plus tard, l’avia­­tion de la répu­­blique popu­­laire abat­­tait l’EC-121, un avion de recon­­nais­­sance améri­­cain qui survo­­lait la mer du Japon. Atti­­sées par l’em­­bargo de fait imposé par les États-Unis, les tensions s’apla­­nissent légè­­re­­ment lorsque l’Union sovié­­tique tombe et que la Chine renou­­velle son logi­­ciel. Plon­­gée dans une crise écono­­mique mais égale­­ment poli­­tique et diplo­­ma­­tique, la Corée du Nord rejoint la table des négo­­cia­­tions. En 1994, après avoir été convain­­cue de produc­­tion de pluto­­nium, elle promet d’ar­­rê­­ter le déve­­lop­­pe­­ment de son programme nucléaire. « Dans les docu­­ments déclas­­si­­fiés de la CIA, on voit que tout le monde était alors persuadé que le régime allait s’ef­­fon­­drer », constate Antoine Bondaz. Au lieu de cela, il est parvenu à mettre fin aux grandes famines des années 1990 et à lancer de nouveaux parte­­na­­riats.

Les otages mutuels

Dès sa nais­­sance sur les cendres de l’Union sovié­­tique, la Fédé­­ra­­tion de Russie tourne le dos à la Corée du Nord en recon­­nais­­sant son frère ennemi du sud en 1991. « C’est la fin de l’aide au déve­­lop­­pe­­ment four­­nie par Moscou », observe Antoine Bondaz. Cela met en déli­­ca­­tesse l’éco­­no­­mie de la répu­­blique popu­­laire. La Chine, qui attend un an pour recon­­naître Séoul, est loin d’opé­­rer une semblable rupture. Elle ouvre la première zone écono­­mique spéciale sur le terri­­toire nord-coréen, à Rason, pour profi­­ter d’une main d’œuvre abon­­dante, éduquée, disci­­pli­­née et dont la modes­­tie n’est pas la moindre des quali­­tés. Les salaires sont trois à six fois moins élevés sous le fleuve Yalou. Menée par Deng Xiao­­ping à comp­­ter de son arri­­vée au pouvoir en 1978, la réforme de l’éco­­no­­mie chinoise se propage par touches impres­­sion­­nistes en Corée du Nord. Lors de sa visite à Pyon­­gyang, deux ans avant de prendre les rennes, le diri­­geant du géant asia­­tique n’a pas laissé Kim Il-sung complè­­te­­ment insen­­sible à ses argu­­ments. En 1983, ce dernier lui rend à son tour visite. Le fonda­­teur du Juche – l’idéo­­lo­­gie auto­­cra­­tique nord-coréenne – passe par la zone écono­­mique spéciale de Shenz­­hen avec son fils, Kim Jong-il. Un an plus tard, il signe la première loi sur les inves­­tis­­se­­ments étran­­gers.

Kim Il-sung et Kim Jong-il dans une toile de propa­­gande

« Ce trans­­fert de poli­­tiques publiques chinoises s’est mis en place de manière progres­­sive », explique Théo Clément. « Les Nord-Coréens ont attendu de voir les effets que cela pouvait avoir sur leurs voisins, afin notam­­ment de savoir si le régime en sorti­­rait affai­­bli. » Bien qu’elle soit limi­­tée, cette mue se pour­­suit au rythme des ouver­­tures de nouvelles zones écono­­miques, c’est-à-dire à peu près tous les dix ans. Au-delà de ces initia­­tives et du fond idéo­­lo­­gique commun, « les rela­­tions n’ont jamais été très bonnes », tempère le cher­­cheur. L’ac­­cord de défense signé en 1961 ne s’est guère traduit par beau­­coup d’échanges mili­­taires de haut niveau. Le fait que la Chine parti­­cipe aux pour­­par­­lers à six États (Corée du Nord, Corée de Sud, États-Unis, Japon, Russie et Chine) ouverts en 2003 afin de résoudre les ques­­tions de sécu­­rité posées par le programme nucléaire nord-coréen ne leur a pas réel­­le­­ment donné plus de chances d’abou­­tir. Après un premier essai nucléaire en 2006, Pyon­­gyang en réalise un deuxième en 2009 et exclue tous les inspec­­teurs étran­­gers de son terri­­toire.  Au contraire, jaloux de leur souve­­rai­­neté, les deux États se tiennent à distance respec­­table. Ils « sont plus des otages mutuels que des alliés », analyse Antoine Bondaz. « Leur alliance est de circons­­tance. » Sans le pétrole exporté par Pékin, la survie de Pyon­­gyang serait mena­­cée. Mais la chute du régime est porteuse de quan­­tité d’in­­cer­­ti­­tudes. Elle entraî­­ne­­rait à n’en pas douter un afflux de réfu­­giés massif vers l’Em­­pire du milieu et ouvri­­rait la voie à une réuni­­fi­­ca­­tion des deux Corée. Or, il y a de fortes chances que ce scéna­­rio se déroule aux béné­­fices du Sud et sous l’égide des États-Unis, ce qui inquiète la Chine. Le nouveau grand État pour­­rait reven­­diquer certaines régions chinoises où sont établis beau­­coup de Coréens.

Le pont de l’ami­­tié sino-coréenne
Crédits : Prince Roy

Malgré ce risque, « les rela­­tions se sont dégra­­dées entre les deux pays », estime Théo Clément. Pour l’heure, le trafic sur le pont de l’Ami­­tié est toujours dense. Les échanges ont même crû de 37 % au premier trimestre de 2017. Cela dit, « la Chine trans­­pose des sanc­­tions écono­­miques dans son droit et, vu l’aug­­men­­ta­­tion du prix de l’es­­sence, on peut penser qu’elle joue avec le robi­­net du pétrole. » Pour se four­­nir en combus­­tible, Pyon­­gyang se tourne vers un pays avec lequel les rela­­tions se sont au contraire réchauf­­fées : la Russie.

Un homme très moderne

Au sein du conseil de sécu­­rité des Nations Unies, la Chine n’est pas seule à refré­­ner les envies de sanc­­tions des États-Unis. Selon une source diplo­­ma­­tique citée par le quoti­­dien russe Izves­­tia, Moscou mettra son veto à l’em­­bargo sur les livrai­­sons d’hy­­dro­­car­­bures qu’en­­vi­­sage de propo­­ser Washing­­ton. Ce serait se priver d’un débou­­ché : en avril, mai et juin 2017, la vente de produits pétro­­liers à la Corée du Nord lui a rapporté 31 millions de dollars, à en croire les chiffres des douanes russes. Les expor­­ta­­tions de fioul, d’huile pour moteur, d’huile hydrau­­lique et de lubri­­fiants ont elles enre­­gis­­tré une augmen­­ta­­tion de 205 % par rapport à 2016. La person­­na­­lité de Vladi­­mir Poutine n’est pas étran­­gère à ce bond. En mai 2017, le président russe a appelé au « dialogue » avec Pyon­­gyang quoiqu’il soit ferme­­ment opposé à son programme nucléaire. Lequel s’est déve­­loppé avec le soutien des Sovié­­tiques à partir des années 1960. « Il faut », d’après lui, « arrê­­ter d’in­­ti­­mi­­der la Corée du Nord et cher­­cher une solu­­tion paci­­fique à ce problème ». À son arri­­vée à la magis­­tra­­ture suprême, en 2000, l’an­­cien membre du KGB « a tenté de norma­­li­­ser la rela­­tion » avec la Corée du Nord, narre Antoine Bondaz. Sitôt élu, il a rendu visite à Kim Jong-il, un homme selon lui « très moderne » qui lui renverra la poli­­tesse.

Kim Jong-il et Dmitri Medve­­dev en juin 2011
Crédits : Krem­­lin

Au cours de la décen­­nie, plusieurs projets sont esquis­­sés en matières ferro­­viaire et éner­­gé­­tique, cepen­­dant que Moscou condamne systé­­ma­­tique­­ment les essais nord-coréens. La construc­­tion d’un gazo­­duc ache­­mi­­nant le gaz russe vers la Corée du Sud, via le Nord, est évoquée en 2011 lors de la rencontre entre Kim Jong-il et le président Dmitri Medve­­dev. En 2014, une partie des voies ferrées traver­­sant la fron­­tière russo-coréenne sont réno­­vées afin de permettre au char­­bon russe d’être exporté via la zone écono­­mique spéciale portuaire de Rason. Cette année-là, les sanc­­tions occi­­den­­tales prises en réac­­tion à l’an­­nexion de la Crimée rapprochent Moscou de Pyon­­gyang. Au mois de septembre, la Russie annonce l’ef­­fa­­ce­­ment de 90 % de la dette de 11 milliards de dollars (8,4 milliards d’eu­­ros) dont la Corée du Nord était débi­­trice. Le milliard restant servira au déve­­lop­­pe­­ment de projets communs, explique le vice-ministre russe des Finances, Sergueï Stort­­chak. Le fameux gazo­­duc revient sur la table. Des accords sont aussi signés pour permettre à des Nord-Coréens de venir en Russie, une pratique qui s’est souvent exer­­cée sous le bois­­seau. À la suite d’ou­­vriers venus travailler dans les usines de trans­­for­­ma­­tion de pois­­son sovié­­tiques après la guerre de Corée, des crimi­­nels et oppo­­sants sont envoyés dans les forêts du grand est à la fin des années 1960. Au cours d’une rencontre tenue secrète, en 1966, Leonid Brej­­nev et Kim Il-sung s’en­­tendent pour faire bûche­­ron­­ner 15 000 à 20 000 personnes. Aujourd’­­hui, remarque l’his­­to­­rienne de Vladi­­vos­­tok Larisa Zabrovs­­kaya, « plus besoin de vider les prisons, ce sont des volon­­taires qui partent dans les camps de déboi­­se­­ment ou qui sont employés sur des chan­­tiers de construc­­tion. Selon les statis­­tiques doua­­nières, plus de 10 000 Nord-Coréens munis d’un visa de travail fran­­chissent la fron­­tière, chaque année. » Pour profi­­ter de ce privi­­lège, ils doivent verser 250 euros chaque mois aux compa­­gnies qui les emploient. Des Nord-Coréens travaillent aussi selon toute vrai­­sem­­blance sur les chan­­tiers de la Coupe du monde de foot­­ball 2018. Reste que le profit que tire Moscou de cette exploi­­ta­­tion est limité. « La Russie est plus inté­­res­­sée par la Corée du Sud », souligne Antoine Bondaz. « Mais le Nord peut servir d’in­­ter­­face entre les deux. » D’au­­tant que Séoul est enclin à reprendre langue avec Pyon­­gyang.

Le 38e paral­­lèle

La zone démi­­li­­ta­­ri­­sée tracée le long du 38e paral­­lèle à la fin de la guerre de Corée n’a pas empê­­ché les échanges, bien ou mal inten­­tion­­nés. Plus de 50 ans après l’ar­­mis­­tice et alors qu’au­­cun traité de paix n’a jamais été signé, le nouveau président sud-coréen Moon Jae-in veut relan­­cer la coopé­­ra­­tion avec le Nord. Arrivé au pouvoir en mai 2017, ce membre du parti démo­­crate (centre gauche) succède à la conser­­va­­trice Park Geun-hye, desti­­tuée pour corrup­­tion et incar­­cé­­rée. Sous le mandat de Jae-in, Séoul et Pyon­­gyang ne devien­­dront sûre­­ment pas alliés, mais renoue­­ront peut-être avec une coopé­­ra­­tion qui exis­­tait déjà dans les années 1990.

Moon Jae-in et Kim Jong-un

Fidèle à sa rhéto­­rique, le régime nord-coréen a publié un commu­­niqué, en juin 2017, dans lequel il déclare sa volonté d’im­­po­­ser « la peine de mort à la traî­­tresse Park Geun-hye ». À maintes reprises, il a tenté d’as­­sas­­si­­ner des offi­­ciels voisins. En janvier 1968, le commando de 31 hommes envoyé à la rési­­dence prési­­den­­tielle a été stoppé à temps. L’at­­ten­­tat de Rangoon fomenté contre président sud-coréen Chun Doo-hwan au Myan­­mar a lui fait 17 morts parmi son entou­­rage dont quatre ministres. Mais de même que la Corée du Nord s’est ouverte à des coopé­­ra­­tions ciblées avec Pékin, elle a aussi déve­­loppé des parte­­na­­riats avec Séoul après la chute de l’Union sovié­­tique. Après leur admis­­sion conjointe à l’ONU en 1991, les deux Corée ont entamé un dialogue qui a abouti à l’ex­­ploi­­ta­­tion conjointe du site touris­­tique des monts Kumgang, situés dans le nord-est de la Corée du Nord. En 1999, le groupe sud-coréen Hyun­­dai a créé une filiale, Asan, pour gérer les flux touris­­tiques. Huit ans plus tard, 300 000 visi­­teurs s’y pres­­saient chaque année, appor­­tant une manne impor­­tante pour Pyon­­gyang. En 2002, la zone indus­­trielle commune de Kaesong a été ouverte. Mais ces efforts ont été balayés par un coup du sort et un coup de volant poli­­tique. En 2008, l’exé­­cu­­tion d’une touriste égarée dans une zone inter­­­dite en marge des monts Kumgang par des soldats nord-coréens a entraîné la ferme­­ture du site. Et, quelques mois plus tard, le nouveau président conser­­va­­teur sud-coréen Lee Myung-bak a décidé de fermer Kaes­­song. Tandis que jusqu’ici, « la Corée du Sud était son prin­­ci­­pal parte­­naire avec le Chine », selon Antoine Bondaz, sa part dans la balance commer­­ciale nord-coréenne s’est érodée. Mais, entre 2007 et 2016, le commerce bila­­té­­ral repré­­sen­­tait tout de même envi­­ron deux milliards de dollars par an.

Les monts Kumgang

Les non-alignés

Dans la région, des parte­­na­­riats commer­­ciaux ont aussi existé avec le Japon sous l’im­­pul­­sion de Jun’i­­chirō Koizumi, Premier ministre nippon de 2001 à 2006. Mais son départ et l’al­­liance mili­­taire de Tokyo avec Washing­­ton ont éloi­­gné Pyon­­gyang. En Malai­­sie, c’est l’as­­sas­­si­­nat du fils aîné de feu le président Kim Jong-il par des envoyés nord-coréens le 13 février 2017 qui a compliqué les choses. « Cela a créé un malaise alors qu’il existe des réseaux nord-coréens sur place comme à Singa­­pour », explique Antoine Bondaz. Quelque 300 Nord-Coréens travaillent dans les mines de char­­bon malai­­siennes de Sara­­wak. Même si son modèle écono­­mique est radi­­ca­­le­­ment diffé­rent de celui de Pyon­­gyang, la petite répu­­blique singa­­pou­­rienne était quant à elle son dixième parte­­naire le plus impor­­tant en 2010. Lors de la récep­­tion du président de l’As­­sem­­blée popu­­laire suprême de Corée du Nord, Kim Yong-nam, en août 2007, le président de Singa­­pour a rappelé les liens qui existent entre les deux États « non-alignés ». Pyon­­gyang a de longue date cher­­ché à établir des contacts avec ceux qui refu­­saient la tutelle améri­­caine. En 1975, le régime a réussi à deve­­nir membre du Mouve­­ment des non-alignés. Mais son soutien à des mouve­­ments insur­­rec­­tion­­nels comme le FLN en Algé­­rie l’a rendu infré­quen­­table pour quan­­tité de pouvoirs en place. Après la tenta­­tive d’as­­sas­­si­­nat du président sud-coréen dans sa capi­­tale, Rangoon, en 1983, le Myan­­mar a mis fin à sa recon­­nais­­sance de la Corée du Nord. Une fois la crise des années 1990 passées, les rela­­tions diplo­­ma­­tiques ont été réta­­blie en 2007 permet­­tant aux Birmans d’im­­por­­ter du maté­­riel mili­­taire nord-coréen contre de la nour­­ri­­ture. Le conseiller diplo­­ma­­tique de Barack Obama pour la zone Asie-Paci­­fique soupçon­­nait même, en 2016, l’exis­­tence de « poches rési­­duelles » parmi la junte birmane qui main­­te­­naient « des inter­­ac­­tions » avec la Corée du Nord. Plus au nord, alors que beau­­coup de programmes de coopé­­ra­­tions avec des pays d’Asie centrale ont disparu, « la Mongo­­lie est de plus en plus présente en Corée du Nord », confie Théo Clément. « Car ce pays enclavé a besoin de l’ac­­cès à la mer que Pyon­­gyang peut lui offrir. »

Le ministre des Affaires étran­­gères nord-coréen Ri Su-yong en visite en Inde en 2015

En tant que membre des non-alignés, l’Inde a offi­­ciel­­le­­ment engagé un dialogue avec la répu­­blique popu­­laire en 1973. Mais cette dernière ayant recours au Pakis­­tan pour déve­­lop­­per son programme nucléaire, la discus­­sion a tourné court. Le père de la bombe atomique pakis­­ta­­naise, Abdul Qadeer Khan aurait vendu des plans d’arme nucléaire compacte selon un ancien inspec­­teur de l’Agence inter­­­na­­tio­­nale de l’éner­­gie atomique (AIEA), David Albright. Aujourd’­­hui, « on a peu d’in­­for­­ma­­tions offi­­cielles sur les liens entre Isla­­ma­­bad et Pyon­­gyang », recon­­naît Antoine Bondaz. En revanche, l’Inde est discrè­­te­­ment deve­­nue un parte­­naire commer­­cial majeur de la Corée du Nord. Après avoir donné 2 000 tonnes de nour­­ri­­ture et de semences en 2002 et 2004 pour y combattre la faim, elle a vu ses échanges passer de dix millions de dollars au milieu de la décen­­nie à 60 millions en 2013. « Certaines sources citent l’Inde comme deuxième parte­­naire commer­­cial de Pyon­­gyang devant la Russie », ajoute le cher­­cheur. En dehors du Pakis­­tan, l’Iran, est soupçonné d’en­­tre­­te­­nir une coopé­­ra­­tion tech­­nique sur les ques­­tions mili­­taires avec la dicta­­ture est-asia­­tique. « Les premiers missiles balis­­tiques acquis par l’Iran venaient de Corée du Nord », rappelle Antoine Bondaz. « Il s’agis­­sait de missiles sovié­­tiques que la Corée du Nord avait ache­­tés à l’Égypte et qui étaient reven­­dus à Téhé­­ran. Dans les années 1990, on pouvait parler de vraie coopé­­ra­­tion mili­­taire. » À ce jour, les infor­­ma­­tions recou­­pées manquent, ce qui est égale­­ment le cas concer­­nant la Syrie. En 2007, un réac­­teur nucléaire syrien détruit par une frappe israé­­lienne aurait été construit avec l’aide de la Corée du Nord. Selon un rapport des Nations Unies commis trois ans plus tard, Pyon­­gyang parti­­cipe aux programmes balis­­tiques de la Syrie, de l’Iran et du Myan­­mar. Un navire faisant route vers la Syrie avec des masques à gaz à son bord a été inter­­­cepté en 2013 par les auto­­ri­­tés turques. Sa cargai­­son provien­­drait elle aussi de la répu­­blique popu­­laire. « Plus les régimes sont auto­­ri­­taires, plus ils peuvent avoir des rela­­tions » avec la Corée du Nord, résume Bondaz. Quelques pays afri­­cains comme l’Ou­­ganda et le Zimbabwe ont ainsi noué des liens commer­­ciaux. Mais la Corée du Sud fait pres­­sion afin qu’ils les rompent. « Beau­­coup d’entre eux ont peu d’in­­té­­rêt à être asso­­cié à la Corée du Nord, qui n’a pas grand chose à appor­­ter », juge Antoine Bondaz. Tant qu’elles restent de volume limité, ces connexions pros­­pèrent dans l’ombre. Mais personne ne peut raison­­na­­ble­­ment se permettre d’af­­fi­­cher un soutien indé­­fec­­tible à Pyon­­gyang sous peine de s’alié­­ner une large partie de la commu­­nauté inter­­­na­­tio­­nale.

Les Trois Dikgosi du Bots­­wana, construit par la firme nord-coréenne Mansu­­dae en 2005
Crédits : CC/US Army Africa

Couver­­ture : Qui sont les alliés de Pyon­­gyang ? (KCTV)