À l’entraînement

Que fait-on lors d’une journée d’entraînement type lorsque l’on est astronaute ?

« Quand on est à Houston, on peut passer une journée à la piscine pour s’entraîner aux déplacements en apesanteur. »

C’est la question que l’on me pose le plus souvent ! En fait, il n’y a pas de journée typique, parce qu’il y a une trop grande variété de compétences que nous devons acquérir pour effectuer une mission longue de six mois. Les astronautes russes, européens, canadiens et américains de la mission doivent savoir tout faire une fois dans l’espace. Tous les jours sont donc différents, des fois on est en Russie pour s’entraîner, donc on se concentre plus sur le pilotage des Soyouz. De mon côté, je suis ingénieur de vol, je passe donc beaucoup de temps à m’entraîner sur les simulateurs de vol Soyouz avec mon commandant de vol. On s’entraîne à l’arrimage manuel, la descente manuelle, etc. Bien entendu, en Russie, on apprend à appréhender au mieux le segment russe de la station spatiale. Quand on est à Houston, on peut passer une journée à la piscine pour s’entraîner aux déplacements en apesanteur. Évidemment, il y a aussi des jours où l’on passe de bâtiment en bâtiment pour suivre des cours théoriques… non, vraiment, il n’y a pas de journée type !

Vous irez en mission sur la Station spatiale internationale (ISS) en décembre 2014. Comment apprend-on à piloter un Soyouz ? Est-ce que cela ressemble à un quelconque appareil que l’on pourrait piloter sur Terre ?

C’est un peu différent d’un avion, oui… c’est assez unique comme engin, surtout dans sa manière de voler : vous pouvez le manoeuvrer sur 360 degrés. Je pense que ce qui se rapprocherait le plus sur terre serait un hélicoptère, mais je ne suis pas sûr, je n’en ai jamais piloté, je sais juste qu’il peut s’arrêter, aller en avant, en arrière, vers le haut ou le bas, ce qui ressemble un peu à la conduite d’un Soyouz. En revanche, comme je le disais, ça n’a rien à voir avec un avion qui ne peut aller que de l’avant. Et puis sur un Soyouz, on reste toujours très concentrés sur le carburant, on doit suivre des procédures très planifiées. En fait, on va apprendre à faire très peu de choses en Soyouz, comme l’arrimer manuellement à la station. Le truc, c’est d’apprendre à faire ces petites choses de la manière la plus efficace possible, en les pratiquant encore et encore sur le simulateur, pour éviter une fois en haut de commettre la moindre erreur. Une erreur, cela peut vouloir dire une collision dans le pire des cas, mais même si c’est moins grave, il faut corriger cette erreur et donc utiliser plus de carburant. Le pire scénario possible serait d’être à sec sans avoir pu arriver à bon port, devoir retourner à ton point de départ avec la réserve de carburant de secours… En ce sens, c’est donc très différent, mais honnêtement, les compétences que j’ai acquises pour devenir un pilote m’ont pris des années d’entraînement et, en comparaison, ce que l’on peut faire dans un Soyouz est plutôt limité. En fait, globalement, c’est plus simple à piloter qu’un avion, juste un poil différent.

Vous vous êtes spécialisé dans la robotique… pensez-vous que vous améliorerez encore vos compétences une fois dans l’espace ?

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Entraînement extrême
Crédits : Samantha Cristoforetti

Je ne sais pas si je vais améliorer mes connaissances sur l’ISS, j’espère en tout cas les utiliser ! On suit un entraînement très intensif sur Terre pour être efficace dans l’espace et je doute que les petites tâches liées à la robotique que je devrais accomplir sur la Station spatiale amélioreront mes compétences. Bien sûr, tout ce que j’ai appris ici, je devrais le mettre en pratique dans l’espace. Je pense que ce sera à peu près la même chose, mais cela enrichira tout de même mon expérience professionnelle dans sa globalité.

Quelle sera précisément votre mission ? Quelles tâches aurez-vous à accomplir une fois sur l’ISS ?

Cela ne sera pas très différent des autres missions sur l’ISS. Les gens ont tendance à penser que l’on va sur l’ISS pour faire des tâches très spécifiques, mais, comme je l’ai dit, nous sommes entraînés pour savoir tout faire sur la station. C’est surtout à celui qui s’occupe de planifier les tâches de nous dire ce que l’on doit faire : il dresse un planning, semaine après semaine, nous demandant de faire telle ou telle chose. L’ISS est comme un laboratoire permanent : il y a des gens avant toi, puis tu arrives, tu fais ce que tu dois faire et tu repars et une autre équipe prend ta place, etc. Rien ne dépend, à proprement parler, de moi. Comme les autres, je pense que je vais faire pas mal de robotique, parce que nous avons désormais beaucoup de tâches qui s’y rapportent directement, à répéter quotidiennement. Il y aura aussi sûrement des sorties dans l’espace, que je ferai moi-même ou que quelqu’un d’autre fera et je l’assisterai depuis l’intérieur. Quand nous sommes seulement trois et que deux d’entre nous sont dehors, il faut une personne à l’intérieur qui dirige les opérations. Et nous aurons des tâches scientifiques à accomplir, de la maintenance aussi bien sûr ! Les choses cassent, du coup on doit les maintenir en état et changer des pièces. Après il y aura bien sûr des tâches ménagères, on doit passer l’aspirateur une fois par semaine, toutes ces choses-là ! Vous savez, l’ISS est un lieu de travail, mais c’est aussi un endroit où l’on vit, où l’on mange, où l’on dort, où l’on va aux toilettes… c’est à la fois votre maison et votre bureau. On doit vraiment faire la « version espace » de toutes les petites choses que l’on fait à la maison. Sauf la lessive, on n’a pas de machine à laver ! (Rires.)

Robotique spatiale

Nous avons de très bons robots et d’excellentes sondes aujourd’hui : pourquoi devons-nous toujours envoyer des humains dans l’espace ?

Je fais partie des gens qui pensent qu’envoyer des humains dans l’espace est déjà un but en soi. Je ne me sens pas en compétition avec un robot ! (Rires.) On fait de la recherche, on utilise des robots le mieux qu’on peut, mais pour moi, c’est surtout la question de faire le premier pas vers une civilisation d’humains dans l’espace, ces mêmes humains qui sont une espèce terriblement effrayée par l’espace. C’est le premier pas vers le jour où chacun pourra décider s’il veut vivre sur Terre ou ailleurs.

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Dans la capsule
Crédits : Samantha Cristoforetti

Aujourd’hui, on décide si l’on veut vivre dans un pays ou dans un autre : on va étendre cette possibilité. Pour moi, c’est un chemin naturel, une chose naturelle que nous devons accomplir. Bien sûr, on peut trouver des tas d’arguments pratiques, les robots ne pourront pas remplacer complètement les humains, par exemple, surtout quand il s’agit de recherche, mais c’est plus la valeur inspiratrice de l’espace qui compte. On a besoin d’objectifs collectifs, de grands voyages, de grandes aventures que nous faisons ensemble, avec d’autres êtres humains. C’est ce qui rend, en partie, la vie si intéressante. Et c’est pour cela, en fait, que nous avons besoin d’humains dans l’espace.

Ressentez-vous toujours un désir d’aller dans l’espace aujourd’hui ? Chez les enfants, par exemple ?

Oui, sûrement… peut-être un peu moins qu’avant, lorsqu’on était gamins et que tous les enfants voulaient être astronautes. Ce n’est peut-être plus le cas aujourd’hui, on doit faire face à la réalité. Et cette réalité est loin de l’imaginaire des voyages spatiaux : on doit consolider notre installation en orbite basse et les gens peuvent trouver ça ennuyeux, ils veulent qu’on aille de nouveau sur la Lune, ou sur Mars. Évidemment que ça serait bien, je suis d’accord mais, pourtant, je pense que consolider notre présence en orbite basse est essentiel. Nous devons savoir parfaitement opérer dans cet espace proche et coordonner des missions internationales. Aucun pays ou presque ne peut mener à bien une mission pareille seul, il faut que ce soit un accomplissement international. Cela peut sembler assez simple de l’extérieur, mais ce n’est pas évident de coordonner autant d’agences spatiales, autant de nations. Nous sommes pourtant devenus de plus en plus compétents dans ces domaines et ça s’est concrétisé autour de la Station spatiale internationale. C’est quelque chose de très important pour les explorations futures. Ce que j’essaie d’expliquer, c’est que ce que l’on fait maintenant pourrait ne pas ressembler à de l’aventure, c’est donc plus dur de nourrir l’imagination des gens. Et pourtant, nous avons besoin de cette étape de consolidation avant de faire le pas suivant.

La Station spatiale internationale a célébré son quinzième anniversaire il y a peu. Pensez-vous qu’il s’agit d’une réussite planétaire ?

Absolument ! Je pense que c’est un succès magnifique. Cela montre ce que nous pouvons faire en tant qu’humains, bien sûr d’un point de vue technologique, mais aussi du côté des interactions culturelles et humaines. La compétition a donné une impulsion et on a tous reconnu qu’elle a été bénéfique par le passé, mais la Station spatiale internationale est véritablement un accomplissement d’un niveau différent. Nous avons fait quelque chose de grand en coopérant.

« Nous sommes dans le même bateau, dans le même vaisseau. Nous allons toujours au-delà de nos différences culturelles. »

Vous dites qu’il est difficile de faire coopérer plusieurs nations entre elles, que c’est un processus qui s’apprend. Avez-vous ressenti ces difficultés à votre échelle, durant votre entraînement ?

Non, pas vraiment. Nous sommes une équipe, nous comprenons tous ce que cela signifie. Nous sommes dans le même bateau, dans le même vaisseau. C’est un partage quotidien, aussi bien professionnel que personnel et nous allons toujours bien au-delà de nos différences culturelles. Nous poursuivons tous un même but, un même rêve, celui d’aller dans l’espace. Évidemment, nous sommes tous des individus, nous n’avons pas le même arrière-plan social, le même langage ou la même éducation, mais ce que l’on fait tient bien plus à ce que l’on partage qu’à ce qui pourrait nous éloigner. Nous sommes une communauté très soudée.

Vers la station

Vous êtes officier de l’Air Force italienne : est-ce que l’armée est une étape nécessaire ou recommandée pour devenir astronaute ?

Non ! Il y a beaucoup d’astronautes qui ont suivi un parcours civil. Dans notre équipe, nous étions trois à venir de l’armée et six venaient du civil. Ce n’est donc pas obligatoire. Ce que je pourrais dire pourtant, c’est que d’avoir un parcours militaire sur son CV montre que l’on peut travailler dans un environnement opérationnel. Quand on vient de l’armée, c’est assez évident : des opérations, c’est ce que l’on fait pour vivre. Quand ils cherchent à recruter des gens pour devenir des astronautes, ils ne cherchent pas seulement de bons scientifiques, mais aussi des gens qui peuvent vivre en dehors de leur zone de confort.

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Soyouz
Crédits : Samantha Cristoforetti

Un de mes collègues, un scientifique qui ira dans l’espace dans quelques mois, a passé du temps dans la base en Antarctique pour apprendre à vivre dans un environnement confiné, à suivre des procédures, parce qu’il y a des consignes de sécurité très strictes dans un environnement comme celui-là. C’est aussi apprendre à vivre avec d’autres personnes dans cet environnement très étroit – et des gens que vous ne choisissez pas, il faut les accepter comme ils sont. Une académie militaire, c’est un peu comme cela, vous vivez quatre ans avec les mêmes personnes et vous devez faire en sorte que cela fonctionne. Ceux qui n’ont pas eu cette formation doivent se poser la question de savoir s’ils peuvent faire quelque chose strictement en dehors de leur zone de confort… en faisant en sorte que ce soit confortable ! (Rires.)

Est-ce que les astronautes suivent un entraînement après leur mission dans l’espace, pour se réadapter à la vie sur Terre ?

En un sens oui, on doit réadapter notre corps, la manière dont il réapprend à s’accommoder à la gravité. Il y a une période de rééducation pendant laquelle nous sommes suivis par des médecins, qui dure de quelques jours à quelques semaines. Il faut réapprendre à notre muscle à soupeser notre poids. Vous savez, les muscles que vous utilisez pour garder votre position sur le sol, vous ne les utilisez pas du tout dans l’espace. Cela dit, c’est souvent assez rapide, j’ai vu des gens quelques jours seulement après leur retour et ils avaient l’air bien. En quelques semaines, la plupart des astronautes disent qu’ils sont en pleine forme.

Au-delà du côté « tout va toujours mal » du film, avez-vous apprécié Gravity ?

J’ai aimé le film, oui. Sur un plan visuel et sonore, j’ai trouvé que c’était une expérience fantastique, très plaisante. Bien sûr… rien de ce qui se passe dans ce film n’est réaliste donc il m’est arrivé aussi de rire. Les situations ne sont pas réalistes, mais le matériel, en revanche, la manière dont ils l’ont reproduit, c’est incroyablement détaillé ! Je n’ai jamais piloté une navette spatiale, mais la Station spatiale internationale, les Soyouz… tout est parfaitement reproduit, jusqu’aux étiquettes sur les boutons et aux écrans. Je pense que c’est très intéressant que les gens aillent voir ce film en se disant que tout ce qui est montré existe pour de vrai. Tous ces petits points lumineux dans le ciel, l’un d’eux est la Station spatiale internationale. En fait, grâce à ce niveau de détails, il offre la possibilité aux gens qui ne sont pas des astronautes d’être aussi là-haut.

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En combinaison
Crédits : Samantha Cristoforetti


Couverture : Samantha Cristoforetti, par l’ESA/NASA.