Crédits : Markos Kay/Quanta Magazine Il y a 80 ans, l’astronome américano-suisse Fritz Zwicky a inventé un terme pour décrire la force gravitationnelle invisible qui doit être à l’œuvre pour empêcher que les galaxies individuelles ne se fassent la malle des amas de galaxies qu’elles composent. La « matière noire ». Plus tard, l’astronome américaine Vera Rubin l’a repris à son compte et formulé l’hypothèse de son existence pour expliquer pourquoi les galaxies elles-mêmes ne se délitent pas. La théorie voudrait que cette mystérieuse matière noire compose jusqu’à 85 % de la masse de l’univers. Mais si elle est si difficile à saisir, c’est peut-être parce qu’elle change de forme sans cesse, grâce à sa superfluidité. C’est ce que proposent deux physiciens américains dans une nouvelle étude parue aux presse de l’université Cornell. « Une idée séduisante », a confié leur pair Tim Tait, de l’université de Californie à Irvine, à Quanta Magazine le 13 juin dernier. « Cette théorie permet de réunir deux types de matière noire différents en un. » On tient généralement la matière noire pour être composée de particules interagissant très faiblement entre elles, influencées par la force gravitationnelle à des échelles que nous pouvons observer. La forme « froide » de la matière noire peut être utilisée pour prédire la façon dont se comportent les amas de galaxies, et elle s’intègre parfaitement à ce qu’on appelle la « toile cosmique » de l’univers – les scientifiques estiment que les galaxies qui composent ces amas de galaxies sont reliées par de gigantesques filaments de matière noire qui les maintiennent ensemble. Mais quand on rétrécie le champ d’observation et qu’on essaie d’appliquer ces principes à la façon dont les étoiles sont en rotation autour du centre d’une galaxie, quelque chose ne va pas. « La plus grande partie de la masse de l’univers, c’est-à-dire la matière noire, est séparée de l’endroit où se trouve la plus grande partie de la matière ordinaire », explique Justin Khoury, l’un des deux physiciens à l’origine de l’hypothèse. « À l’échelle de la toile cosmique, cela correspond à ce que l’on observe [avec nos calculs]. À l’échelle des amas de galaxies, cela fonctionne aussi très bien. Mais à l’échelle des galaxies, ça ne marche pas. » Pour Khoury et son collègue de Princeton, Lasha Berezhiani, cela pourrait s’expliquer du fait qu’à petite échelle, la matière noire change de forme pour devenir un superfluide. La superfluidité est un état de la matière dans lequel elle se comporte comme un fluide, mais dénué de toute viscosité, et dans lequel elle est extrêmement dense et froide. Dans les conditions extrêmes de l’espace, les superfluides pourraient être créés naturellement – à l’intérieur d’une étoile à neutron par exemple. Certains scientifiques semblent même penser que l’espace-temps lui-même serait un superfluide. « Pourquoi la matière noire ne pourrait-elle pas connaître une phase dans laquelle elle est un superfluide, elle aussi ? » interroge Quanta Magazine. Ce pourrait être la clé d’une autre énigme cosmique. En effet, l’existence d’une matière noire superfluide pourrait expliquer les comportements étranges des galaxies individuelles que la gravité à elle seule ne suffit pas à expliquer. Ainsi, ces halos de matière noire pourraient représenter une force encore inconnue mais cruciale dans l’univers. Il faudra attendre que l’hypothèse de Khoury et Berezhiani soit approuvée par leurs pairs, mais les deux physiciens disent travailler sur des moyens concrets de vérifier leurs prédictions. Si tel est le cas, on ne serait plus qu’à deux doigts de prouver que la Voie lactée baigne dans un océan invisible de matière noire superfluide et super froid. Super cool, quoi. Source : Quanta Magazine