Young Dolph est mort. Le rappeur de 36 ans, de son vrai nom Adolph Robert Thornton Jr., a été assassiné ce mercredi 17 novembre dans sa ville de Memphis. Il achetait des gâteaux dans une boutique quand, d’après le témoignage du propriétaire, un homme à bord d’une voiture a ouvert le feu sur le rappeur. Les policiers ont constaté son décès sur les lieux.

Ce n’était pas la première fois que Young Dolph était la cible de tirs. Il avait même bâti une partie de sa réputation après avoir survécu à une fusillade : en 2017, des tireurs l’avaient pris pour cible 100 fois dans la ville de Charlotte, en Caroline du Nord. Après avoir survécu à l’assaut, il avait intitulé son deuxième album Bullettproof. Ce mercredi malheureusement, Young Dolph ne se relèvera pas.

Alors qu’une enquête pour homicide va s’ouvrir, nous avions écrit cet article en 2017 pour tenter de comprendre qui en avait après le rappeur.

Sang et or

Une silhouette longiligne contourne l’enseigne du Loews Hollywood Hotel pour se diriger vers l’entrée. Depuis le parvis, ce mardi 26 septembre 2017, le rappeur américain Young Dolph voit les palmiers bordant la Highland Avenue de Los Angeles se refléter dans l’immense tour de verre qui lui fait face. À côté d’eux, l’ombre laissée par son mètre quatre-vingt dix sous le soleil de 13 heures apparaît minuscule. Mais enfin, Young Dolph est le « King of Memphis ». La veille, l’artiste du Tennessee né Adolph Thornton Jr était en concert à Austin, au Texas, aux côtés de 2 Chainz. Pour chauffer la salle, il a dégainé les morceaux de son deuxième album Bulletproof, sorti le 1er avril 2017 et classé 36e au classement Billboard. Le dauphin qu’il arborait au bout d’un pendentif s’est alors balancé sur les beats de grands producteurs comme Zaytoven, Metro Boomin ou DJ Squeeky. Et les dorures de son t-shirt Gucci blanc brillaient comme en clin d’œil à Gucci Mane, auteur d’un featuring sur le morceau « That’s How I feel ». Les deux hommes sont amis.

Young Dolph à L.A.

À Los Angeles, Young Dolph porte un t-shirt Gucci noir, un pantalon vert et un bandana rouge et jaune au moment de rentrer à l’hôtel. Dans deux jours, il doit jouer au Marke, une boîte de la ville californienne. Mais devant l’édifice, trois hommes lui coupent la route. Une rixe dont les origines restent mystérieuses éclate. Envoyé au sol, le rappeur reçoit plusieurs balles. Tandis qu’il se traîne vers la boutique Shoe Palace située juste à côté du Loews, ses agresseurs décampent en laissant derrière eux leur Cadillac Escalade dorée. Dans un état critique mais stable lorsqu’il arrive à l’hôpital, Adolph Thornton Jr s’en sortira. Son pronostic vital n’est pas engagé. Quant à ceux qui lui ont tiré de dessus, il est encore trop tôt pour savoir s’ils courent toujours. Dans les heures qui suivent les coups de feu, des témoins mettent la police de Los Angeles sur la trace de « deux hommes noirs et un Hispanique », selon  l’inspecteur du Los Angeles Police Department Meghan Aguilar. Sur les trois hommes arrêtés dans les environs, deux sont rapidement relâchés. Le t-shirt blanc du dernier pourrait correspondre à cette « couleur vive » décrite par des passants. Mais c’est bien peu. La police a une autre piste. D’après des sources proches du dossier, un rappeur venant lui aussi de Memphis, Yo Gotti, avait une chambre au Loews. Or leur relation n’est que conflit depuis 2014. Lui en voulait-il suffisamment pour tirer ? En sondant le passé de Young Dolph, les enquêteurs découvrent qu’un de ses amis, Bankroll Fresh, a été tué par balles devant leur studio commun d’Atlanta, Street Execs, en mars 2016.

Ils se rappellent aussi que Tupac, 50Cent et Rick Ross se sont auparavant fait tirer dessus. L’histoire bégaye. « C’est très rare, mais quand ça arrive c’est habituellement parce que les rappeurs intègrent vraiment le monde criminel », analyse l’écrivain et journaliste américain Seth Ferranti. Une autre fusillade à laquelle Young Dolph a échappé il y a six mois peut donc peut-être aider la police à y voir plus clair.

Le LAPD devant le Loews Hotel après la fusillade
Crédits : DR

L’avertissement

Quelques heures avant son arrivée à Los Angeles, Young Dolph s’assoit sur un trône en or devant le public de l’Emo’s Austin, une salle de concert de la ville texane. Puis, levant le micro qu’il tient dans sa main gauche au niveau de sa bouche, il entonne « In Charlotte », le deuxième morceau de l’album Bulletproof, nommé ainsi d’après le nom de la ville de Caroline du Nord. « Ce type a tiré toute ses putains de balles, il n’a rien touché », éructe-t-il. Une référence non dissimulée aux tirs qui ont ciblé sa voiture six mois plus tôt, justement à Charlotte. Le vendredi 24 février, le roi de Memphis autoproclamé débarque dans un club de cette ville de 800 000 habitants, le Cameo, avec 21 Savage et Migos.

C’est le lendemain, alors qu’il s’apprête à remonter sur scène à l’occasion d’une compétition d’athlétisme, que son SUV noir reçoit une rafale d’une centaine de balles sur la North Caldwell Street où il est garé, à 18 h 39. Constatant que personne n’est blessé, le rappeur donne le concert avant de tweeter « Perdu » le lendemain. À qui s’adresse-t-il ? Tous les regards se tournent vers Yo Gotti, son rival de Memphis qui vient de sortir un titre en forme d’avertissement deux semaines plus tôt, intitulé « Don’t Beef With Me (Young Dolph Diss) ». L’enquête écarte néanmoins son profil pour privilégier celui d’un de ses proches, Blac Youngsta, moins connu mais plus impliqué dans leur duel à distance, démarré en 2014. À cette période, Young Dolph a déjà sorti une dizaine de mixtapes dont une, l’année précédente avec Gucci Mane. C’est la seule à ne pas être signée sur le label qu’il a fondé en commençant la musique, Paper Route Empire, en 2008. Né en 1985 à Chicago, Adolph Thornton Jr. grandit à Memphis à partir de l’âge de deux ans avec deux sœurs, autant de frères et un manque : le duo parental fait défaut. « Maman étant toujours dans la rue, devine qui m’a éduqué », rappe-t-il dans le tube « Preach ». L’album Rich Crack Baby revient plus tard pudiquement sur l’addiction du couple à la drogue. À la mort de sa grand-mère, en 2008, le jeune homme décide de « raconter [s]on histoire ».

Ses amis et lui estiment que, contrairement à beaucoup de rappeurs, il connaît d’expérience les thèmes de prédilection du genre. « Un de mes amis qui n’arrêtait pas de me dire de faire de la musique m’a conseillé d’aller voir DJ Squezzy pour acheter des beats », raconte le rappeur. « Il m’a envoyé dans la bonne direction parce que Squezzy et moi avons fait l’histoire. » Très vite, les sollicitations qui arrivent montrent à Young Dolph qu’il a du talent. D’autant que Gucci Mane, rencontré par l’intermédiaire du producteur Drumma Boy, veut bien poser avec lui. Pour la sortie de sa mixtape High Class Street Music 4, en juillet 2014, il reçoit une invitation du journaliste de MTV Sway Calloway à participer à l’émission de radio « Sway in the Morning ». Rétif à signer avec un label, il explique avoir refusé de signer un contrat avec Yo Gotti. Les embrouilles commencent.

Un trône pour deux

Pendant près de deux ans, la déclaration de Young Dolph est restée sans réaction publique. Plus âgé et plus expérimenté, Yo Gotti peut passer pour le grand frère. Aussi goûte-t-il visiblement mal le nom de l’album que sort son cadet en février 2016 : King of Memphis. C’est par ce titre qu’il se fait appeler. « Alors que mon frère était mon fan numéro 1 et voulait me signer, c’est devenu un GROS JALOUX », commente soudain Dolph sur Twitter. Blac Youngsta s’adjuge alors le rôle de porte-flingue – sur Internet du moins, puisqu’il récuse tout lien avec les balles qui ont terminé dans la voiture de Young Dolph.

Yo Gotti
Crédits : Billboard

Dans une vidéo postée sur Instagram, la rappeur du label de Gotti interpelle son nouvel ennemi le 2 mars 2016 : « Dolph t’es une sa¤¤¤¤, t’es une petite nature, si t’as un problème, dis que tu as un problème. Tu n’es pas le roi de Memphis, tu n’est même pas d’ici, sa¤¤¤¤. » En légende, il se lâche carrément en lettres capitales : « QUAND JE VERRAI CE TYPE @YOUNGDOLPH JE JURE QUE JE VAIS LE DÉFONCER. » Gotti n’approuve pas. Il rappelle même son « frère » à la raison dix jours plus tard au cours d’une interview donnée au journaliste Tim Westwood. Ne fait-il que soigner les apparences ? Young Dolph est persuadé de sa duplicité. « Tout le monde sait que c’est toi Gotti qui envoie ton artiste dire ces conneries », écrit-il sur Instagram le 16 mars. « J’ai l’impression que tu es encore énervé parce que je n’ai pas signé chez toi. À moins que tu regrettes encore d’avoir échoué avec Gucci Mane alors que j’ai continué à envoyer du lourd avec lui. » Le lendemain, Blac Younsta sort un morceau dans lequel il lui conteste encore le titre de roi de Memphis et le renvoie à ses origines de Chicago. Vu de l’extérieur, on se perd dans ces disputes tant leurs fondements paraissent fragiles. « Les rappeurs s’embrouillent en général sur des bêtises », souffle Seth Ferranti. « Prenez le beef de NWA. Il ne s’est jamais traduit par des violences et il sont maintenant de nouveau tous amis. » Dolph, d’ailleurs, déclare n’avoir de problème avec personne. En dépit de ces tensions, Yo Gotti l’aime bien, confie Blac Youngsta après avoir laissé six mois s’écouler. Tout porte à croire que la querelle est terminée.

Blac Youngsta
Crédits : VICELAND

Mais le plus jeune des rois de Memphis n’en a pourtant pas fini. Sur la mixtape Gelato, parue début février 2017, il reprend la critique qui a mis le feu aux poudres dans le morceau « Play wit yo bitch » : « Tu es passé de fan à jaloux. » Le morceau est accompagné d’un clip de huit minutes dans lequel est reproduit le moment pendant lequel Gotti aurait proposé à Dolph de signer sur son label. Non content de refuser sèchement, ce dernier se permet de lui piquer sa copine dans la vidéo. La réplique musicale, « Don’t Beef With Me (Young Dolph Diss) » sort quelques jours plus tard. Et la voiture de Dolph est retrouvée criblée de balles le 25 février. Adolph Thornton Jr a puisé dans sa jeunesse heurtée pour percer dans le rap. Il ne faut donc pas s’étonner qu’il s’inspire de cet épisode malheureux pour écrire l’album Bulletproof, sorti en avril. Mais la dure réalité dont il se joue grâce aux mots l’a rattrapé le 26 septembre 2017, devant le Loews Hollywood Hotel. « La plupart du temps, les démêlés sont verbaux et non physiques », observe Seth Ferranti. « Les rappeurs ne sont pas des gangsters, mais j’ai l’impression que certains ont tendance à l’oublier ces derniers temps. Ils veulent faire les vrais plutôt que le show. » Young Dolph, lui, était seulement venu à Los Angeles pour donner un concert.


Couverture : Young Dolph. (Billboard/Ulyces.co)