Quand son pays natal a eu besoin de lui, Sebri Bamerni a quitté sa vie en Allemagne pour prendre les armes. Il faisait partie des nombreux soldats peshmergas à la retraite revenus au Kurdistan irakien pour affronter les miliciens de l’État islamique et mettre un terme à leur guerre expansionniste.

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Barrage de Mossoul
Aujourd’hui aux mains des Peshmergas
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Bamerni a trouvé la mort en défendant le barrage de Mossoul contre les combattants de l’EI. Il avait 51 ans. « Je me rappelle que lorsqu’on était enfants, on se donnait des noms de héros peshmergas », a écrit sur Facebook le journaliste kurde Ayub Nisry, après que Bamerni a été tué. « L’un de ces noms était “Sebri Bamerni”, car ses faits d’armes face au régime irakien, sa renommée et sa bravoure nous remplissaient le cœur. » Son enterrement a eu lieu dans son village natal, et a réuni des membres de sa famille venus d’Allemagne et des États-Unis. Il a rappelé le prix humain à payer dans la guerre de plus en plus féroce contre l’État islamique.

Vétéran

Bamerni est né en 1962 dans la ville de Bamerne. Il était encore au lycée lorsqu’il a rejoint les rangs des Peshmergas. C’était en 1979, près de la frontière turque. Dès 1984, il était à la tête des forces peshmergas loyales au Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) de Sheikhan et ses environs. Entre 1984 et 1988, il a combattu le régime baassiste de Saddam Hussein.

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Sebri Bamerni
En uniforme peshmerga
Crédits : Facebook

La réponse baassiste à la résistance kurde s’est incarnée dans la terrible opération Anfal, durant laquelle l’Armée irakienne a détruit près de 3 000 villages kurdes et tué 182 000 Kurdes. Ce génocide a connu l’attaque aux armes chimiques la plus dévastatrice de l’histoire – contre la ville de Halabja – et déplacé 1,5 million de personnes. Bamerni a quitté l’Irak pour un camp de réfugiés en Turquie, dont il est rapidement devenu le responsable kurde. Mais du fait de son passé de militant politique, le gouvernement turc le surveillait étroitement et le harcelait sans cesse. Il a alors quitté la Turquie pour la Grèce, avant de s’installer finalement en Allemagne. Mais lorsque les forces américaines ont envahi l’Irak en 2003 pour renverser le régime de Saddam Hussein, Bamerni est rentré au pays. Il officiait comme adjoint du chef de l’antenne du PDK de Mossoul. « Il a tenu ce rôle jusqu’en 2006, mais parce qu’il avait été blessé cinq fois et avait subi de nombreuses interventions chirurgicales, il est retourné en Allemagne », me confie son frère Mustafa Bamerni. Mustafa, qui est citoyen américain, est lui aussi retourné en Irak. Jusqu’en 2009, il travaillait comme interprète pour les troupes américaines à Mossoul et Bagdad. Mustafa était au Kurdistan quand son frère a décidé de retourner se battre une dernière fois. « Alors que l’EI occupait Sinjar, mon frère Sebri a fait le voyage depuis l’Allemagne, raconte Mustafa. Il est arrivé chez nous de nuit et a rejoint les Peshmergas dès le lendemain matin. »

Héros

Le 11 août, Sebri Bamerni a posté une photo de lui sur Facebook, tenant une arme et portant l’uniforme peshmerga. « Nous allons à la guerre, aujourd’hui est un jour digne et honorable, ne vous en défiez pas, disait la légende. La victoire sera toujours celle du Kurdistan. » Sa dernière photo est apparue le 18 août alors qu’il se trouvait à Mossoul, après que les forces conjointes des troupes kurdes et des commandos irakiens sont parvenues à libérer la ville du joug des miliciens. Fawsi, le neveu de Bamerni âgé de 24 ans, est lui aussi un soldat peshmerga, et il a pris part au combat pour défendre le barrage. « J’étais avec lui au front deux jours avant qu’il ne soit tué, dit-il. Il m’a demandé de porter des documents à Dohuk. J’ai insisté pour rester à ses côtés, mais il a refusé et m’a ordonné de partir. »

Il est à peu près certain qu’un tireur d’élite de l’État islamique a abattu Bamerni dans le dos.

« Il m’a dit : “Ici au front, personne ne peut me tuer” », se rappelle Fawsi. Il est à peu près certain qu’un tireur d’élite de l’État islamique a abattu Bamerni dans le dos, dans le village de Sahrig près du barrage de Mossoul. « Les Peshmergas qui étaient avec Sebri lorsqu’il a été tué nous ont dit qu’un combat acharné faisait rage dans le village, explique Fawsi. Il y avait deux snipers tapis dans une maison. Ils se sont battus pendant un long moment contre eux et ils sont entrés alors qu’ils pensaient les avoir tués. Sebri a été le premier à pénétrer dans la maison. » Les Pesh ont fouillé l’endroit à la hâte avant de reprendre leur chemin. Mais il restait un combattant blessé dans la maison, un djihadiste russe. Il a tiré sur Sebri dans le dos alors qu’il était en chemin pour inspecter une autre maison. « Une semaine avant sa mort, Sebri m’a donné cette balle et en a glissé une semblable dans sa poche », se souvient Fawsi, me montrant l’objet brillant au creux de sa main. « Il m’a dit : “Nous sommes des hommes, nous sommes venus pour combattre et non pour fuir. Nous nous battrons jusqu’au bout, et si nous avons la certitude d’être capturés par l’État islamique, nous mettrons fin à nos jours avec ces balles.” Et puis il m’a mis la balle dans la main, en disant : “Tu ne l’utiliseras que pour te tuer.” »

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Fawsi
Il porte la balle que lui a donné son oncle
Crédits : Vager Saadullah

Le fils aîné de Bamerni, Party Sebri, a 22 ans. Il est né en Allemagne et a fait le voyage jusqu’au Kurdistan pour assister aux funérailles. Il me confie que son père lui avait demandé de s’occuper de sa famille lorsqu’il est parti combattre. « Je prendrai soin des miens, comme je lui ai promis », affirme Party. Le grand frère de Bamerny, Idris, a 46 ans et vit à Nashville, dans le Tennessee – qui accueille la plus vaste communauté kurde des États-Unis. « J’étais à un entretien professionnel, me dit-il. Lorsque je suis revenu, j’ai vu mes amis et ma famille rassemblés autour de la maison à Nashville, et j’ai compris que quelque chose n’allait pas. C’est là qu’ils m’ont dit que mon frère était mort en martyr. » « À Nashville, ses funérailles ont duré quatre jours, poursuit Idris. Dans notre culture, elles durent habituellement trois jours, mais la communauté kurde de Nashville compte beaucoup de personnes, et certains de nos proches venaient de villes éparpillées aux quatre coins des États-Unis. »

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Idris Bamerni
Dans ses bras, la plus jeune fille de son frère
Crédits : Vager Saadullah

Mais le soutien qu’a reçu la famille Bamerni ne s’est pas limité pas à la communauté kurde. « Nos voisins américains sont venus eux aussi. Ils ont apporté de la nourriture, de l’eau, des tables et ils ont libéré des places de parking pour que ceux des nôtres qui assistaient aux funérailles puissent garer leurs voitures », raconte Idris. Après les quatre jours de cérémonie funéraire à Nashville, Idris et sa mère ont pris l’avion pour le Kurdistan, afin de se rendre sur la tombe de Bamerni et d’assister à son enterrement sur leur terre natale.

Martyr

Les aventures de Bamerni ont depuis longtemps insufflé la révolte au sein de sa famille. « Dans les années 1980, j’ai été arrêté par le régime de Saddam alors que j’étais étudiant, car j’avais une photo du leader kurde Massoud Barzani dans ma poche », se souvient Idris. « Le régime nous harcelait car mon frère Sebri était un commandant peshmerga. J’ai été libéré le 18 avril 1987. J’ai abandonné l’école et je suis parti dans les montagnes pour rejoindre les Peshmergas. » Peiv Sebri est la fille de Bamerni. Elle est née en Allemagne et a aujourd’hui 18 ans. « Mon père avait rejoint les Peshmergas depuis longtemps, et il s’est battu contre le régime de Saddam au cours de nombreuses batailles. Il espérait de tout cœur ne pas être tué par les islamistes, et nous avons ressenti une grande fierté quand nous avons appris qu’il avait été exaucé et que le terroriste qui l’avait abattu était un mercenaire russe. »

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Les enfants de Bamerni
Peiv tient dans sa main un drapeau du PDK
Crédits : Vager Saadullah

« Mon père a longtemps servi le Kurdistan, mais malgré cela le gouvernement kurde l’a ignoré, continue Peiv. Il est même arrivé qu’il combatte les terroristes sans armes décentes ! Et maintenant, les voilà qui viennent nous dire que notre père était un héros… » Peiman Sebri, 23 ans, est née en Grèce pour sa part. C’était avant que son père ne s’installe en Allemagne. « Mon père ne craignait que Dieu », dit-elle, la voix pleine de larmes. « Lorsque l’État islamique a fait sa propagande en clamant que ses hordes allaient entrer dans Dohuk, mon père nous a appelés pour nous dire : “Ne craignez rien, je suis au front. Je ne les laisserai pas faire.” » « Nous sommes fiers que mon frère soit mort en martyr pour le salut du Kurdistan et pour la dignité et l’honneur des Kurdes, affirme Idris. Pourquoi devrais-je être triste ? Il avait 51 ans et avait été blessé quatre fois face au régime de Saddam. » « S’il était mort à l’hôpital, personne ne s’intéresserait à lui, ajoute-t-il. Mais le fait qu’il soit tombé au combat face aux terroristes de l’État islamique nous remplit de fierté. Nous sommes sa famille et de ce fait, nous sommes prêts à nous battre nous aussi. »

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Prêts au combat
Sebri (lunettes) et ses camarades peshmergas
Crédits : Facebook


Traduit de l’anglais par Nicolas Prouillac et Arthur Scheuer d’après l’article « Mourning and Defiance at a Peshmerga Funeral », paru dans War Is Boring. Couverture : L’enterrement de Sebri Bamerni, par Vager Saadullah.